Note sous CJCE 11 septembre 2007, Aff. C-431/05

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Note sous CJCE 11 septembre 2007, Aff. C-431/05

Note sous CJCE 11 septembre 2007, Aff. C-431/05

Armand Charlebois MANKOU-NGUILA

Université de Toulouse I  

« La Cour de Justice des Communautés Européennes ne s’oppose pas à ce que l’article 33 de l’accord sur les aspects des droits de propriété intellectuelle qui touchent au commerce, […] soit directement appliqué par une juridiction nationale dans les conditions prévues par le droit national ».

 

Les rapports entre le droit communautaire et les conventions internationales en matière de propriété intellectuelle posent souvent un véritable problème quant au choix de la règle de droit applicable dans le cas d’un litige dans un cadre essentiellement interne.1 Tel est le problème que pose cet arrêt de la grande chambre de la Cour de justice des communautés européennes du 11 septembre 2007, opposant trois sociétés portugaises, Merck Genericos- produtos Farmacêuticos L da contre Merck & Co. Inc., et Merck Sharp &Dohme L da..

Les faits dans cette affaire étaient les suivants : Merck & Co. était titulaire d’un brevet sur un procédé de préparation d’une composition pharmaceutique contenant le principe actif Enalapril déposé au Portugal en 1979 et délivré le 8 avril 1981. Un médicament issu de ce procédé et commercialisé depuis le 1er janvier 1985 sous la marque RENITEC par Merck & Co avait fait l’objet d’une licence au bénéfice de MSL. Onze ans après, Merck Genericos mit sur le marché un médicament sous la marque ENALAPRIL MERCK qu’elle commercialisait à des prix inférieurs à ceux du médicament de la marque RENITEC et dont elle affirmait manifestement dans le cadre de sa promotion qu’il s’agissait du même médicament.

Merck &Co. et Merck S. L. demandèrent la condamnation de Merck Genéricos, en demandant l’interdiction pour ce dernier d’importer, de commercialiser au Portugal ou d’exporter le produit en cause sous toute dénomination commerciale qu’elle soit, sans leur autorisation expresse et formelle et de les indemniser pour l’ensemble du préjudice subi.

A contrario, Merck Genéricos soutenait que la durée de protection du brevet de Merck & Co. avait expiré dès lors que le délai de quinze ans prévu à l’article 7 du code portugais de la propriété industrielle de 1940, applicable en vertu du régime transitoire instauré à l’article 3 du décret-loi n° 16/95, était venu à expiration le 9 avril 1996.

En sus, Merck & Co. et Merck S. L. soutenaient qu’en vertu de l’article 33 de l’accord ADPIC, le brevet en cause n’avait expiré que le 4 décembre 1999.

Déboutées en premier instance, la Cour d’appel de Lisbonne (Tribunal da Relaçào de Lisboa) leur fit droit en condamnant Merck Genéricos au motif que le brevet en cause était arrivé à expiration le 9 avril 2001, en vertu de l’article 33 de l’accord ADPIC

Merck Genéricos contesta cette décision devant la Cour suprême (Supremo Tribunal de Justiça) en affirmant que l’article 33 de l’accord ADPIC était dépourvu de tout effet direct sur le droit national.

Tout en reconnaissant l’effet direct de l’article 33 de l’Accord ADPIC, le Supremo Tribunal de Justiça par question préjudicielle interrogea la Cour quant à savoir si elle était compétente pour interpréter l’article 33 de l’accord ADPIC. Ce qui sous-tendait la question de savoir si les juridictions nationales devraient l’appliquer d’office ou à la demande de l’une des parties dans les litiges pendants devant elles. La Cour affirma qu’ « en l’état actuel de la réglementation communautaire dans le domaine des brevets, le droit communautaire ne s’oppose pas à ce que l’article 33 de l’accord sur les aspects des droits de propriété intellectuelle qui touchent au commerce […], soit directement appliquée par une juridiction nationale dans les conditions prévues par le droit national ». Cet arrêt pose clairement le problème de la compétence de la cour et du droit communautaire face à un accord international dans un domaine aussi important que le brevet. Il précise les relations qu’entretiennent ces accords avec le droit communautaire. Ainsi, nous revient-il d’apprécier la compétence communautaire sur l’accord sur les aspects des droits de propriété intellectuelle qui touchent au commerce (I) et la compétence des États en la matière (II).

 I-La compétence communautaire sur l’accord sur les aspects des droits de propriété intellectuelle qui touchent au commerce.

 

L’ADPIC en tant que accord mixte conclu au non de la communauté et des États implique une compétence liée de la Cour de Justice des Communautés Européenne (A), mais une compétence qui à l’analyse se trouve nullement épargné d’un relent progressiste de politique juridique (B).

 

A- Une compétence communautaire liée face à l’ADPIC

 

Si la décision de la Cour face à la question préjudicielle à elle posée paraît plus que claire, son raisonnement peut paraître contradictoire à un esprit peu vigilant. Surtout lorsqu’on se réfère à l’ensemble de la jurisprudence de la Cour en matière d’ADPIC.

L’accord ADPIC est devenu un élément du droit matériel communautaire, il ne doit être vu comme un accord international externe du droit communautaire liant simplement les États. Il a été incorporé dans l’ensemble du droit communautaire à la suite d’un processus « législatif »2 et conforté par une jurisprudence constante de la Cour. Comme affirme J. BOULOUIS, « Une convention internationale n’avait pas de valeur per se » et « […] qu’elle n’acquérait de valeur que du fait de l’intervention d’un acte de l’exécutif communautaire ».

Du coup, ce n’est pas l’entrée en vigueur de l’accord international qui donne force obligatoire dans la communauté, mais, l’entrée en vigueur dans l’ordre juridique communautaire.

L’accord ADPIC est un accord faisant parti du grand ensemble de l’accord OMC dont la Communauté est signataire.3 Sur la base de l’article 234 CE, la Communauté s’est substituée aux droits et obligations des États membres et s’est reconnue liée en tant telle.

Cependant, s’il se dégage par là un principe selon lequel l’introduction formelle par un acte spécifique, un accord international s’intègre à l’ordre juridique communautaire, acquérant par lui-même la qualité de règle communautaire, il faut du même coup que l’interprétation de cet accord relève de la Cour.

L’explication de la reconnaissance d’une telle compétence est la suivante : il s’agit d’un accord mixte, c’est-à-dire un accord dont la communauté aussi bien que les Etats disposent des devoirs et des obligations. Cela est la conséquence logique d’un pouvoir partagé.4 La Cour a depuis par une ligne jurisprudentielle constante affirmé que les accords conclus au non de la communauté font partie intégrante du droit communautaire.5 Dans l’affaire IATA et ELFAA,6 la Cour affirmait que les dispositions de l’accord ADPIC faisaient désormais partie intégrante de l’ordre juridique communautaire.7 De ce fait, les accords ADPIC devraient être considérés comme un droit matériel communautaire qui implique une interprétation de la Cour en cas de doute comme tout texte communautaire. Comme tout texte de droit dérivé. La Cour ayant déjà estimé que les accords mixtes ont le même statut dans l’ordre juridique communautaire que les accords purement communautaires.8 Dans l’affaire Haegeman, la Cour avait jugé que l’accord d’association conclu par le Conseil était en ce qui concerne la Communauté, un acte pris par l’une des institutions de la Communauté au sens de l’article 177, alinéa 1, b)9. Il s’agit manifestement d’une transmutation fictive de l’acte qui passe de sa nature d’accord international à une nature d’acte communautaire qui justifie la compétence de la Cour.10

L’interprétation de la Cour par question préjudicielle implique donc tout naturellement la compétence de la Cour sur les accords incorporés comme droit matériel communautaire. Il s’agit d’une logique qui fait que si un accord est reconnu comme partie intégrante du droit communautaire, la compétence de la Cour sur l’interprétation d’un tel accord ne se pose pas. Il suffit que le préalable d’incorporation ou de reconnaissance soit rempli. Dans l’affaire Commission contre Irlande, relative à un manquement d'État sur la Convention des Nations unies sur le droit de la mer. Cette logique transparaît dans le raisonnement de la Cour : « Il s’ensuit que lesdites dispositions de la Convention relèvent d’une compétence de la communauté que celle-ci a choisie d’exercer en devenant partie à ladite Convention, de sorte qu’elles constituent des règles faisant partie de l’ordre juridique communautaire. Partant, la Cour est compétente pour connaître des différends relatifs à l’interprétation et à l’application des-dites dispositions ainsi que pour en apprécier le respect par un État membre ».11

A l’analyse, il s’agirait aussi pour la Cour en tant qu’institution centrale d’assurer la responsabilité de la bonne exécution de l’accord dont la communauté est partie. Il s’agit de renforcer une unité de représentation internationale et l’unité d’action de la Communauté vers l’extérieur.12

 

B- une compétence sur fondement progressiste et de politique juridique de la Cour

Il y a un argument plus progressiste que celui d’assurer l’unité d’action et de représentation internationale de la communauté. Un argument ayant pour fondement l’idée d’éviter un appel d’air par une interprétation autre que celle du droit communautaire.13 Une telle interprétation peut conduire à une influence du droit international sur le droit communautaire. Il faut donc éviter une interprétation par une instance international d’un texte constituant un élément de son droit matériel.

La Cour de justice avait originellement mis en place un ordre juridique propre, différent des organisations internationales.14 C’est aussi en absence au sein de l’OMC d’un ensemble organisé et structuré de normes juridiques et d’organes et procédures capables à les émettre, à les interpréter et sanctionner de manière efficace que la Cour se réserve le droit d’interpréter l’accord conformément au droit communautaire. Il est vrai qu’un véritable ordre juridique mondial des échanges apparaît aujourd’hui encore hypothétique.15

De toute les façons, dans son avis 1/91,16 la Cour estimait déjà incompatible avec le système juridictionnel communautaire la conclusion d’un accord international qui prévoyait la mise en place d’un dispositif juridictionnel destiné à être mis en œuvre pour garantir le respect de l’accord en cause, de peur de porter atteinte à la mission de la Cour d’assurer le respect du droit communautaire. De ce fait, on aboutit finalement à la soumission de l’accord au droit communautaire car l’interprétation de la Cour se fait in fine à l’aune des principes communautaires.

Il faut comprendre que les États membres et les institutions communautaires ont souscrit une obligation de coopération étroite dans l’exécution des engagements pris lors de la signature de l’accord OMC. Cette coopération implique une interprétation uniforme qui se traduit par l’extension de la compétence de la Cour.17 En effet, au sens de l’article 220 CE, les États membres s’engagent à ne pas soumettre un différend relatif à l’interprétation ou l’application du traité CE à un mode de règlement autre que ceux prévus par celui-ci. Dans l’affaire Commission contre Irlande18, il a été souligné que Les États membres et les institutions communautaires sont tenus à une obligation de coopération étroite dans l’exécution des engagements qu’ils ont assumés en vertu d’une compétence partagée pour conclure un accord mixte. Il s’agit d’un véritable devoir de loyauté. Le droit communautaire impose aux États membres de s’abstenir de mettre en péril la réalisation des buts du Traité19 Le fait de soumettre un différend à une juridiction telle qu’un tribunal arbitral comporte le risque qu’une juridiction autre que la Cour se prononce sur la portée d’obligations s’imposant aux États membres en vertu du droit communautaire. L’obligation de coopération dans le cadre d’un accord mixte devrait impliquer un devoir d’information et de consultation préalable de la Cour avant de songer d’engager le cas échéant une procédure de règlement dans le cadre de l’accord ou de la convention. C’est le reproche fait par la Cour à l’Irlande dans l’affaire l’opposant au Royaume-Uni à propos de l’usine MOX.20

Par ailleurs, il y a une autre idée qui sous-tend celle de l’unité d’interprétation. La compétence de la Cour constitue aussi un moyen de préserver l’autonomie de l’ordre juridique communautaire,21 et d’assurer l’équilibre institutionnel entre la Cour et les autres institutions communautaires.

 II- La Compétence des États sur l’accord sur les aspects des droits de propriété intellectuelle qui touchent au commerce

 

La compétence des États reste subordonnée à l’absence d’une réglementation communautaire (A), impliquant un effet direct de l’accord (B).

 A- Absence d’une réglementation communautaire : compétence nationale en matière de brevet

 Dans cet arrêt la Cour réaffirme22 la distinction de deux situations pouvant impliquer la compétence du juge national ou non car la nature même des accords mixtes implique bien la compétence de la Cour et des États membres.23 Une fois qu’un accord constitue l’élément du droit matériel, son application en droit communautaire dépend dès règles classiques de ce dernier et non des règles de nature conventionnelle. C’est ainsi que la Cour affirme : « Lorsqu’il s’agit d’un domaine dans lequel la Communauté n’a pas encore légiféré et qui, par conséquent, relève de la compétence des États membres, la protection des droits de propriété intellectuelle et les mesures prises à cette fin par les autorités judiciaires ne relèvent du droit communautaire, de sorte que celui-ci ne commande ni exclut que l’ordre juridique d’un État membre reconnaisse aux particuliers le droit de se fonder directement sur une norme contenue dans l’accord ADPIC ».24

Ici, il faut noter deux choses : premièrement, le « par conséquent » est de taille. La Cour retrouve ici la distinction faite dans le cadre de la libre circulation des marchandises qui fait du droit de la propriété intellectuelle, une matière dépendant essentiellement des États membres. Si la compétence de la Cour surgit lorsque la propriété intellectuelle est confrontée à un texte international en matière de propriété intellectuelle, elle s’instompe face aux États. Malgré tout, la Cour peut justifier sa compétence dans deux cas : soit l’exercice des droits qui pour leur existence dépend pourtant du droit national constitue une obstruction à la libre circulation. Soit, lorsque le droit communautaire a harmonisé le domaine en cause. Or, ici aucune de ces deux conditions n’étaient remplie. La Cour affirme que le droit communautaire n’a pas encore légiféré en matière de brevet: « …En l’état actuel du droit communautaire, tel n’est pas le cas [l’existence d’une réglementation communautaire en matière de brevet] ».25 Plus explicitement la Cour affirme : « Force est donc de constater que la Communauté n’a pas encore exercé ses compétences dans le domaine des brevets ou, à tout le moins, que, sur le plan interne, cet exercice est, à ce jour, resté insuffisamment important pour pouvoir considérer que, en l’état actuel, ce domaine relève du droit communautaire ».26 Ainsi, la compétence des juges nationaux se comprend aisément bien et la décision de la Cour aussi. Comme l’écrit Jacques RAYNARD, « concrètement, l’extension de la compétence de la Cour à des matières ne faisant pas encore l’objet d’une réglementation communautaire peut apparaître comme une atteinte à la compétence des juridictions nationales ».27 A contrario, dans l’affaire Dior28 la Cour jugeait que « s’agissant d’un domaine auquel l’accord TRIP’s s’applique et dans lequel la Communauté a déjà légiféré, les autorités judiciaires des États membres sont tenues en vertu du droit communautaire, lorsqu’elles sont appelées à appliquer leurs règles nationales en vue d’ordonner des mesures provisoires pour la protection des droits relevant d’un tel domaine, de la faire dans la mesure du possible à la lumière du texte et de la finalité de l’article 50 de l’accord TRIP’s », donc à la lumière de l’interprétation de la Cour.

Deuxièmement lorsque la Cour affirme que : «  la protection des droits de propriété intellectuelle et les mesures prises à cette fin par les autorités judiciaires ne relèvent pas du droit communautaire ».29 Cette affirmation paraître paradoxale. Seulement, il est moins paradoxal qu’elle n’y paraît. Cette affirmation doit être considérée dans le rapport entre la Cour et les institutions nationales et non entre le droit communautaire et l’accord international. Elle poursuit une logique endogène.

En effet, d’une part, la Cour affirme sur les questions préjudicielles que l’accord OMC, dont fait partie l’accord ADPIC font désormais partie intégrante de l’ordre juridique communautaire,30 avant d’ajouter que la Cour saisie conformément aux dispositions entre autres de l’article 234 CE, a compétence pour définir les obligations que la Communauté a ainsi assumées et pour interpréter à cette fin les dispositions de l’accord ADPIC. De l’autre la Cour aboutit à la solution selon laquelle la protection des droits de propriété intellectuelle et les mesures prises à cette fin par les autorités judiciaires ne relèvent pas du droit communautaire, de sorte que celui-ci ne commande ni n’exclut que l’ordre juridique d’un État membre reconnaisse aux particuliers le droit de se fonder directement sur une norme contenue dans l’accord ADPIC.31

 B-Effet direct de l’ADPIC dans les droits nationaux

 

De manière générale, dans le préambule de sa proposition de décision du Conseil sur l’adoption des résultats de l’Uruguay Round, la Commission avait fait figurer qu’ « il importe d’éviter que les dispositions des accords et arrangement puissent être invoqués directement par les particuliers, personnes physiques ou morales, devant les juridictions des États membres et de la Communauté ». Dans sa décision de conclusion, 32 le Conseil retenait que « par sa nature, l’accord instituant l'organisation mondiale du commerce, y compris ses annexes, n’est pas susceptible d’être invoqué directement devant les juridictions communautaires et des États membres ». Cette position communautaire découlait des considérations politico–économique vis-à-vis des autres États et surtout d’une absence de réciprocité.33 Toujours en matière d’accord, la position de la jurisprudence de la Cour est restée relativement constante. Dans l’affaire Demirel34 La Cour jugeait que « les dispositions de l’article 12 de l’accord créant une association entre la Communauté économique européenne et la Turquie, conclu au nom de la Communauté par le Conseil ne constituent pas des règles de droit communautaire directement applicables dans l’ordre interne des États membres ».

 

Sur ce point c’est l’arrêt Racke35 relatif à une procédure de règlement des différends, concernant la convention des Nations unies sur le droit de la mer qui résume toute la logique, tout le processus de raisonnement sur cette confrontation, cette rencontre entre le droit international et le droit communautaire : Dans le sommaire de l’arrêt, on peut lire : « …les règles du droit coutumier international portant sur la cession et la suspension des relations conventionnelles en raison d’un changement fondamental de circonstances lient les institutions de la Communauté et font partie de l’ordre juridique communautaire ». La Cour au point 26 de cet arrêt soulignait : « Il convient de rappeler que, comme la Cour l’a déjà jugé[…] la compétence de la Cour pour statuer, en vertu de l’article 177 du Traité, sur la validité des actes pris par les institutions de la Communauté ne comporte aucune limite … »36

Toutefois, dans l’avis 1/9437 de la Cour de justice, il est affirmé que la mise en œuvre des accords de Marrakech appartient à la fois à la Communauté et à ses États membres. Dès lors, les règles de l’OMC relatives aux services ou à la propriété intellectuelle pour lesquelles la compétence est partagée ont au sein des États membres le statut accordé par le droit national. Il y a une chose à comprendre : il y a en effet, un processus de raisonnement qu’il faut avoir. D’abord l’accord est considéré comme élément du droit communautaire, puis est constatée une absence de réglementation en la matière par le droit communautaire, notamment de matière de brevet. Ce qui implique compétence du droit national. Or, nous avons souligné plus haut que c’est comme par une sorte de transmutation fictive que l’accord international devient un élément du corpus juris communautaire. Il y a au fond un simple changement de contenant de l’accord et qui de ce fait ce dernier a prendre la forme et la couleur de son nouveau contenant. Le contenu, la substance reste la même. De ce fait, les particuliers en invoquant l’accord en tant que contenu, substance de droit communautaire, invoque sans le vouloir l’accord international. Ceci, sans porter atteinte à l’unité et à l’obligation de coopération avec la Cour. Si nous allons jusqu’au bout de notre logique, cela voudrait dire un effet direct de l’accord. Cet effet direct n’en est vraiment pas un, puisque l’accord est de manière identique dans le réceptacle du droit communautaire que celui du droit international. C’est ainsi qu’il est retenu par une jurisprudence constante de la Cour qu’ « une disposition d’un accord conclu par la Communauté avec des pays tiers doit être considérée comme étant d’application directe ; lorsque eu égard aux termes, à l’objet et à la nature de l’accord, on peut conclure que la disposition comporte une obligation claire, précise et inconditionnelle qui n’est subordonnée, dans son exécution ou dans ses effets, à l’intervention d’aucun acte ultérieur »38 Cela veut tout dire, il y a en effet un effet direct de l’accord, sauf lorsque l’accord a subi des réserves, des conditions d’application avant d’intégrer le giron communautaire. Dès lors, la gémellité entre l’accord du droit international et celui du droit communautaire s’absout du fait des réserves ou des conditions d’application. Ce qui n’est pas le cas en l’espèce.

Or, l’ADPIC dont le but essentiel est de réduire les distorsions et les entraves en matière de commerce international, de promouvoir une protection efficace et suffisante des droits de propriété intellectuelle et de faire de sorte que les mesures et les procédures visant à faire respecter les droits de propriété intellectuelle ne deviennent pas elles-mêmes des obstacles au commerce légitime poursuit à l’évidence les mêmes buts que les principes communautaire de libre circulation. Le droit communautaire poursuit un processus d’intégration identique.39

 

Ainsi, Contrairement à sa jurisprudence qui retenait que : « Les TRIP's. ne sont pas de nature à créer pour les particuliers des droits dont ceux-ci peuvent se prévaloir directement devant le juge en vertu du droit communautaire »,40 la Cour retient ici qu’elle « ne s’oppose pas à ce que l’article 33 de l’accord sur les aspects des droits de propriété intellectuelle qui touchent au commerce, […] soit directement appliqué par une juridiction nationale dans les conditions prévues par le droit national ». Bien que la décision de la Cour soit hésitante, il y là un véritable virement de sa jurisprudence en matière d’effet direct de l’ADPIC. Ce a qui pourrait peut-être avoir une conséquence sur l’ensemble de la question du rapport du droit communautaire et des accords internationaux.

1 Vincent RUZEK, L’action extérieure de la communauté européenne en matière de droits de propriété intellectuelle, édition Apogée 2007. Jaroslaw LOTARSKI, Les accords externes dans la jurisprudence communautaire, thèse Toulouse 2001.

2 JO L 336/214 du 23 décembre 1994.

3 Le conseil a approuvé l’accord et autorisé sa conclusion, cet accord est assimilé à un acte communautaire.

 

4 Décision 94/800, 15 novembre 1994, Rec. P ; I- 5267. Note Auvret-FINK Josiane, RTDE 1995, p. 322 et S. ; BOURGEOIS (Jacques), RMUE 1994, p. 11 et s. et 32 CMLR 1995, p. 763 et s. Constantinesco (Vlad), JDI 1995, p. 412 et s. Dutheil de la Rochere J., RMC 1995, p. 465 et s. Simon (Denys), Europe décembre 1994, chronique 3.

5 CJCE 16 juin 1998, Hermes, C-53/96, Rec. P. I-3603.

6 CJCE 10 janvier 2006, aff. C-344/04, Rec. P. I-403.

7 Point 36.

8 CJCE 30 mai 2006, aff. C- 459/03, Commission c/ Irlande, Rec. P. I- 4635, point 14.

9 Or, au sens de cet article : « la Cour de justice est compétente pour statuer à titre préjudiciel…sur l’interprétation …des actes pris par les institutions de la communauté ».

10 L’assimilation d’une convention à un acte unilatéral des institutions a fait l’objet de critiques dans la doctrine, voir, CONSTANTINESCO Vlad, SIMON Denys, RTD eur., 1975, p. 454 ; WAELBROECK Denis et Michel, dans la Cour de justice, Les actes des institutions, Commentaire Mégret, Vol. 10, Editions de l’ULB, Bruxelles, 1993, pp. 214-215 ; KADDOUS Christine, l’arrêt France c/ Commission de 1994 et le contrôle de la « légalité » des accord externes en vertu de l’art. 173 CE : La difficile réconciliation de l’orthodoxie communautaire avec l’orthodoxie internationale, CDE, 1996, pp. 622-6é’ ; HARTLEY Trevor C., Constitutional Problems of the European Union, Hart Publishing, Oxford, 1999, pp. 31-34. Voir aussi les conclusions TRABUCCHI Alberto, CJCE, 5 février 1976, Bresciani, aff. 87/75, Rec. 129, point 4.

11 CJCE 30 mai 2006, aff. C-459/03, Rec. P. I- 4635, sommaire, point 1.

12 Voir, les conclusions de l’avocat général M. Cosmas, CJCE 14 décembre 2000, Dior E.A, aff. Jointes C-300/98 et C-392/98. L’unité d’action et de représentation ne paraît pas évidente pour la Cour en tant qu’organe d’interprétation contraignant et stricte face à un cadre de négociation de l’OMC. Jaroslaw LOTARSKI, les accords externes dans la jurisprudence commu. Op. Cité.

13 Jacques RAYNARD écrit à propos que « La Cour affirme une compétence par diffusion en quelque sorte… pour que ne soit pas galvaudée une norme également appelée à concerner des matériaux communautaires ». Note sous CJCE 14 décembre 2000, aff. Jointes.

14 R. KOVAR, « La contribution de la Cour de justice à l’édification de l’ordre juridique communautaire », Collected Courses of the Academy of european law 1990, vol. IV-1, pp.15-122. Voir aussi sur l’ordre juridique communautaire G. ISSAC, Droit communautaire général, Armand Colin, 5° édition, 1996, p. 115 ; P. PESCATORE, L’ordre juridique des Communautés européennes, Presses universitaires de Liège, 1973 ;R. KOVAR, « ordre juridique communautaire. Structure de l’ordre juridique. Sources écrites, » JCI. Europe, fasc. 161-30, et « Ordre juridique communautaire ; Structure de l’ordre juridique. Sources non écrites. Jurisprudence. Hiérarchie des normes, JCI Europe, fasc. 161-31 ; J.-V. LOUIS, L’ordre juridique communautaire, OPOCE, 6e édition, 1993.

15 Voir, Olivier BLIN, « La communauté européenne, le GATT et l’organisation mondiale du commerce, contribution à l’étude des rapports institutionnels entre la communauté européenne et les organisations internationales », thèse, Université des sciences sociales de Toulouse, juillet 1997.

16 CJCE, 14 décembre 1991, Rec. I-6079.

17 Voir, Avis de la Cour 1/94, points 37, 38, 108.

18 Op. Cité.

19 Art. 10, al. 2CE et 192, al. 2. Voir, CJCE 5 mai 1981, Commission c/ Royaume –Uni, aff. 804/79, Rec. P. 1045, point 31 ; CJCE 7 mai 1987, Commission c/ Belgique, aff. 186/85, Rec. P. 2029, point 40 ; CJCE 2 juin 2005, aff. C- 266/03, Rec. P. I- 4805, point 61 à 66 ; CJCE 14 juillet 2005, Commission c/ Allemagne, aff. C- 433/03, Rec. P. I- 6985, points 68 à 73.Commission c/ Luxembourg

20 Aff. C-459/03, op. Cité.

21 Voir, les conclusions de l’avocat général M. M Poiares Maduro, sur aff. C-459/03, op. Cité n°

22 L’ayant déjà fait dans d’autres circonstances : Affaire Dior, op. Cité.

23 Ces accords lient aussi bien les institutions communautaires que nationales.

24 Point 34 de l’arrêt.

25 Points de 39 à 46.

26 Point 46. C’est nous qui soulignons.

27 Jacques RAYNARD, note sur CJCE 14 décembre 2000, aff. Jointes, op. Cité.

28 Op. Cité.

29 Point 34.

30Voir, point 31. Cet accord a été signé par la communauté en vertu d’une compétence partagée et approuvé par la décision 94/800 du Conseil du 22 décembre 1994, JOCE n° L 336 du 23 décembre 1994, p. 1 et s. Ces accords lient donc la Communauté et les États membres au sens de l’article 300, paragraphe 7, CE.

31 Voir point 34.

32 Décision 94/800, op. Cité.

33 Notamment des États-Unis qui méconnaissait toute possibilité d’effet direct à l’accord.

34 CJCE 30 septembre 1987, aff. 12/86, R. I-3719.

35 CJCE 16 juin 1998, aff. C-162/96, R.I-3688.

36 Voir dans le même sens, CJCE 12 décembre 1972, International Fruit Company e.a, 21/72 à 24/72, Rec.p. 1219, point 5. Voir en matière d’ADPIC, CJCE 23 novembre 1999, Portugal c/ Conseil, C-149/96, Rec. P. I- 8395.

37 CJCE 15 novembre 1994, Rec. P. I-5267.

38 CJCE 30 septembre 1987, aff. 12/86, Rec. P. 3719.

39 Voir, J. P. JAQUE, « Le rôle du droit dans l’intégration européenne », Philosophie politique 1991, n°1, pp 119-133.

40 CJCE, 23 novembre 1999, op. Cité, point 44.

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