DE LA NOTION DE « PAYS D’ORIGINE SÛR » EN DROIT DES ETRANGERS EN FRANCE

Publié le Vu 5 484 fois 0
Légavox

9 rue Léopold Sédar Senghor

14460 Colombelles

02.61.53.08.01

DE LA NOTION DE « PAYS D’ORIGINE SÛR » EN DROIT DES ETRANGERS EN FRANCE

Introduction

  « J’ai un pays dans les yeux, j’ai une terre au bout du cœur,

j’aime ce pays meurtri dans ma peau.

Je ne pleure pas. Je rêve ». Tahar Ben Jelloun

Le phénomène migratoire n’est pas nouveau, il a toujours existé dans l’histoire de l’humanité. Il est dû par des causes et des raisons diverses. La déclaration des droits de l’homme et du citoyen, promulguée lors de la Révolution française de 1789 reconnaissait déjà le droit d’émigrer, avant d’être universellement reconnu par la Déclaration des droits de l’homme de 1948.[1] La Convention de Genève du 28 juillet 1951 et son protocole additionnel de 1967 consacraient plus clairement et plus spécifiquement le droit au départ en accordant à toute personne qui se trouve hors de son pays de nationalité ou de résidence habituelle, craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, religion, nationalité, appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques une protection.[2] Le XIXe et le XXe siècle ont exacerbé les raisons et les causes du phénomène, paraissant pour les États d’accueil comme un lourd fardeau à éviter, du moins à alléger.[3] Du coup, la croissance des demandes d’asile transforme les défenses des droits humains en un véritable problème migratoire pour les États d’accueil. Les demandeurs d’asile sont de ce fait soupçonnés d’être en réalité des immigrés, « dès lors qu’ils cherchent asile dans un pays économiquement plus développé que leur pays d’origine ».[4] Tout cela pose donc un problème entre une obligation morale auxquelles sont tenus les États et les « raisons d’État ». Plus clairement, il y a un véritable problème dans l’application effective de la Convention de Genève de 1951 et de son protocole additionnel par les États. Le droit au départ que consacre cette Convention et qui constitue un moyen permettant de signifier un refus à une société ou à un gouvernement d’un État qui ne respecte pas ou ne prend pas en compte le respect des principes de liberté, de la démocratie, de l’état droit, des droits de l’homme et des libertés fondamentales se trouve opposé au droit d’entrée, puisque ce dernier ne tient pas compte du jugement personnel du demandeur d’asile sur la persécution qu’elle subie. Le droit d’entrée obéit plutôt aux lois et règlements encadrant le droit d’entrée et de séjour de l’État d’accueil. La notion de « pays d’origine sûre » est une notion qui traduit au mieux ce fait. Elle a été introduite en droit français par la loi du 10 décembre 2003 et intégrée dans le Code d’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile. Au sens de l’article L.741-4,2° de ce code un pays est considéré comme sûr, « s’il veille au respect des principes de liberté, de la démocratie et de l’état de droit, ainsi que des droits de l’homme et des libertés fondamentales ». L’idée de fond de cette notion est comme l’affirmait le ministre français de l’immigration, de l’intégration, de l’identité nationale et du codéveloppement Éric Besson est « de lutter contre les détournements de notre [française] procédure à des fins d’immigration économique […] la vrai défense du droit d’asile passe par la capacité à distinguer le « vrai réfugié », qui a besoin de notre protection, du “faux” demandeur, qui utilise le droit d’asile pour contourner nos lois sur l’immigration »[5]. Cette notion loin de l’idée officielle de trier les réfugiés des migrants économiques a malheureusement pour effet une restriction des principes même de la Convention de Genève. Loin de la tradition française née depuis la révolution,[6] il appert que la préoccupation qui domine dans le fond est celle du contrôle des flux migratoires et non la prise en charge effective des personnes en quête de protection. Nous pouvons nous poser dès lors la question de savoir qu’est-ce qu’il faut entendre par respect des principes de liberté, de la démocratie et de l’État de droit, ainsi que le respect au droit de l’homme et des libertés fondamentales. Se poser également la question de savoir si cette liste est conforme à la Convention de Genève de 1951 relative aux réfugiés et son Protocole de 1967. En application de l’article L. 722-1 du Code d’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile, c’est le Conseil d’administration de l’OFPRA[7] qui fixe la liste des pays considérés, au niveau national comme des « pays d’origine sûrs ». Une première liste de 12 pays d’origine sûrs a été adoptée en 2005 lors de la séance du conseil d’administration, complétée par 5 nouveaux pays en 2006. Cette liste tient compte de l’évolution de chaque pays en matière de respect des principes de liberté, de la démocratie et de l’État de droit ainsi que des droits de l’homme et des libertés fondamentales.8 L’appréciation se fait sur une grille personnelle et discrétionnaire du Conseil d’administration de l’OFPRA. La problématique que pose l’immigration dans les pays occidentaux dans un contexte d’ouverture aux pays de l’Est en Europe et les multiples conflits dans les pays du sud ont eu pour conséquence d’accroître le nombre des demandeurs d’asile, mais aussi de rendre visible l’immigration irrégulière. La mise en place d’une liste des « pays d’origine sûr » constitue un tamis de plus, découlant de la nécessité de se protéger de l’arrivée massive des migrants. Elle complète d’autres mesures existantes, notamment la sophistication des mesures de surveillance des frontières. Cette notion de « pays d’origine sûr » est aujourd’hui au centre des controverses et des débats juridiques. Les demandeurs d’asile9, ressortissants des États figurant sur la liste des pays d’origine sûr, ne peuvent par exemple bénéficier d’une admission au séjour au titre de l’asile ni percevoir l’allocation temporaire d’attente. Leurs demandes sont instruites dans le cadre d’une procédure prioritaire et leurs recours éventuels devant la Commission des recours des réfugiés n’ont pas de caractère suspensif. Ainsi, nous paraît-il intéressant d’analyser avant tout la notion de « pays d’origine sûr » à l’aune de la Convention de Genève de 1951 et du droit communautaire (I), avant tout analyse de la notion sur la grille d’un choix de politique d’immigration (II).

 

Pour lire la suite: Revue de la recherche juridique-Droit et prospectif 2010-2, N. XXXV - 132 (35ème année – 132ème numéro), PRESSES UNIVERSITAIRES D'AIX-MARSEILLE – PUAM, P.784-799


[1] Art. 14. 1 « Devant la persécution, toute personne a le droit de chercher asile et de bénéficier de l’asile en d’autres pays ».

[2] Cette Convention à vocation universelle a inspiré d’autres textes régionaux, le cas de la Convention de l’Organisation de l’Unité africaine sur les réfugiés, la Déclaration de Carthagène de 1984 en Amérique latine. Ces deux textes ont élargit plus amplement la notion de réfugié par rapport à celle de la Convention de 1951.

3 Voir Eduardo ROJO TORRECILLA, Immigration et droits de l’homme : défis et perspectives, http://medel.bugiweb.com. Selon le ministre Éric Besson la moitié du budget du ministère est aujourd’hui consacrée à l’asile. Interview dans le journal gratuit « Direct » du mardi 13 avril 2010, n° 228, page 3.

 4 Voir, Luc LEGOUX, « Asile, immigration : réconcilier les droits de l’homme et ceux du citoyen », Revue européenne des migrations internationales, vol. 22-n° 2/2006.

[5]  Interview dans le journal gratuit « Direct » du mardi 13 avril 2010, n° 228, page 3.

[6] Avant la Constitution de 1958, les Constitutions de 1793 retenaient que « Le Peuple [français] donne asile aux étrangers bannis de leur patrie pour la cause de la liberté ».

[7] Office Française de Protection des réfugiés et des Apatrides.

Vous avez une question ?

Posez gratuitement toutes vos questions sur notre forum juridique. Nos bénévoles vous répondent directement en ligne.

Retrouvez-nous sur les réseaux sociaux et sur nos applications mobiles