RÉCONCILIATION – REPENTANCE ET IMPERATIF DE JUSTICE: UN CHOIX ENTRE LA POLITIQUE ET LE DROIT

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RÉCONCILIATION – REPENTANCE ET IMPERATIF DE JUSTICE: UN CHOIX ENTRE LA POLITIQUE ET LE DROIT

                              Introduction[1]

« Que justice soit faite, sinon le monde périra »

Karl-Friedrich Hegel

 

Il se pose souvent dans un contexte de réconciliation un choix entre l’application du droit, donc de la mise en œuvre d’une justice, de la prise en compte d’une responsabilité pénale des auteurs des crimes contre l’humanité ou de crime de guerre ou simplement des crimes de droit commun et la nécessité d’une réconciliation d’une société marquée par un conflit, par un très lourd déchirement et un traumatisme renvoyant parfois à des fractures plus anciennes. Ces conflits se terminent parfois par la scission du pays ou par une paix apparente, laissant derrière elles deux peuples déchirés par la violence et la haine des années de guerre. Dès lors, comment penser la mise en place d’un nouveau contrat social, indispensable pour envisager l’avenir ? Comment faire cohabiter des populations dont le passé a été marqué par la violence physique et mentale et le désir de vengeance ? La question se pose souvent en termes de choix entre faire prévaloir la paix et le droit, donc la justice. Les solutions sont d’autant plus importantes et plus compliquées que les deux anciens adversaires doivent vivre l’un à côté des autre, sur le même territoire : C’est là toute la problématique de la réconciliation. La réconciliation constitue l’un des principaux enjeux internationaux d’aujourd’hui et de demain. Envisagée lors d’une fin de conflit ou lors du passage d’une dictature à une démocratie, elle est présente dans les processus de transition ou de paix. Elle constitue de ce fait une étape clé dans la consolidation de la paix. Les Nations Unies ont d’ailleurs pris conscience de son importance et ont proclamé l’année 2009, l’année internationale de la réconciliation. P. Louis Kouévi Adjetey[2] définit dans son article la notion de réconciliation  comme : « à la fois un but et un processus, qui permet à la société donnée de transcender un passé divisé et violent pour regarder vers un avenir partagé à bâtir dans des efforts de reconstruire les relations humaines brisées et de développer les pays ». Il est donc primordial qu’un processus de réconciliation intègre à la fois les victimes et les agresseurs, afin de faire renaître le lien social. De ce fait, la place de la justice est grande et ne saurait être éludée par les préoccupations immédiates de paix ou par une repentance pure et simple d’auteurs de crimes. Comme l’affirme Philipe Moreau Defarges[3] dans son ouvrage toute repentance est politique. Elle exclut per se la mise en œuvre des responsabilités individuelles au profit d’une responsabilité collective. L’absence de la justice dans un  processus de réconciliation et de repentance peut s’avérer néfaste. La justice constitue  souvent la barrière qui permet aux victimes de ne plus revenir en arrière, de ne plus matérialiser une idée de vengeance parce que la justice par son magistère, sa symbolique de l’expression et de prise de position de tous, de la société sur le fait du crime individuel ou collectif, empêche de revenir à la case départ. Elle permet de refonder une société sur les bases saines et d’éclaircir les termes du nouveau contrat social. La recherche de la paix par la réconciliation est souvent faite de concession politique, de pardon, mettant ainsi à l’index la justice qui elle constitue aussi le ferment  indispensable d’une nouvelle société démocratique et respectueuse des droits fondamentaux. La justice répond dans ce cas à la lutte contre l’impunité et au respect de la mémoire des victimes. L’histoire contemporaine montre des exemples dans plusieurs pays des processus de réconciliation sous une profusion d’appellations diverses : conférence nationale, dialogue nationale, dialogue nationale inclusif, table ronde nationale, séminaire national, grand débat national, concertation nationale, conférence de réconciliation nationale… Tous ces processus répondent à l’idée de tourner le dos à une partie ensanglantée de l’histoire nationale, empreinte de ruptures, de divisions, de conflits armés avec tout son passif malheureux et macabre. Ces processus de réconciliation devraient permettre de ressouder des liens afin de répartir sur des nouvelles et bonnes bases. « Ils [doivent] marquer la rupture avec le passé et le début d’une mutation profonde de la Société […] afin de parvenir à une véritable renaissance […] »[4]. D’autres exemples montrent les processus de réconciliation liant la recherche d’une thérapie collective sous le signe d’une quasi-justice ou d’une presque-justice dont les finalités avaient été de privilégier au fond l’intérêt général au détriment des intérêts particuliers, l’intérêt politique au détriment de l’intérêt juridique. Le cas de la commission vérité et réconciliation en Afrique du sud et des tribunaux Gacaca au Rwanda sont très révélateurs. Par delà la question du choix tel qu’évoqué plus haut, les questions que l’on peut se poser sont celles de savoir si la paix et la justice sont conciliables dans un processus de réconciliation ? Ou si l’on peut facilement concilier réconciliation nationale et impératif de justice ? Ces questions nous conduisent à analyser avant tout la nécessité de la réconciliation, de la repentance dans des cas d’urgence de paix (I), avant d’examiner l’impératif de justice dans un contexte de réconciliation (II).

[1] L’auteur remercie Mesdemoiselles Justine Saccheri et Christelle Domejean de l’École Des Droits de l’Homme de Toulouse pour leur collaboration.

[2] P. Louis KOUEVI ADJETEY, « Réconciliation : noble défi », Afriquespoir, en ligne sur www.afriquespoir.com.

[3] Voir, Philippe MOREAU DEFARGES, Repentance et réconciliation, Paris, Presses de sciences po, 1999.

[4] Discours de la présidence du comité de suivi à l’ouverture de la 1ère session d’évaluation des actes du dialogue national en République centrafricaine. www.sangont.com.

 

Pour lire la suite: Revue de la recherche juridique-droit prospectif 2010-1, Presses universitaires d'Aix-Marseille-PUAM, p.323-337

 

 

 

 

 

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