MUSIQUE : réforme de la durée de protection des droits des artistes interprètes

Publié le 26/09/2011 Vu 6 261 fois 0
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Le 12 Septembre 2011, le Conseil des Ministres de l’Union Européenne a adopté une modification de la Directive relative à la durée de protection des droits d’auteurs et des droits voisins (n° 2006/116/CE), portant ainsi de 50 à 70 ans la durée des droits de protection des droits des artistes interprètes, compositeurs et des producteurs. Retour sur les enjeux de cette modification.

Le 12 Septembre 2011, le Conseil des Ministres de l’Union Européenne a adopté une modification de la Direc

MUSIQUE : réforme de la durée de protection des droits des artistes interprètes

 

Le texte original de cette même directive publiée en 2006 et retranscrit en droit interne par l’article 211-4 du Code de Propriété Intellectuelle, reprenait alors les dispositions de l’article 15 de la loi du 3 juillet 1985, jusqu’à lors en vigueur. La durée de protection des droits des artistes – interprètes et des producteurs restait donc de 50 ans. L’unique modification apportée à la loi de 1985 par la directive dans sa version de 2006 concernait le point de départ de la durée de protection des droits des producteurs de phonogrammes, celui-ci variant selon qu’il y ait des exemplaires mis à la disposition du public ou non.

 

La Directive, dans sa version modifiée, aligne la durée de protection des droits voisins sur celle des droits d’auteurs ; mais cette harmonisation reste néanmoins nuancée. En effet, tandis que la durée de protection des droits d’auteur débute à partir de la mort de l’auteur, la protection des droits voisins débute lors de la publication de l’œuvre (70 ans post-mortem).

 

Une proposition de directive du Parlement Européen, présentée le 16 Juillet 2008, avait dans un premier temps envisagé d’allonger la durée de protection des droits voisins à 95 ans, durée actuellement en vigueur aux Etats-Unis. Finalement nuancée à une durée de 70 ans dans la directive adoptée le 12 septembre dernier, l’idée principale était la même : tirer les conséquences de l’allongement de l’espérance de vie, afin d’éviter que de nombreux artistes interprètes et compositeurs ayant commencé leur carrière dans leur jeunesse, voient leurs prestations tomber dans le domaine public de leur vivant et subissent une perte conséquente de  revenus.

 

Cette réforme a suscité diverses réactions parmi les états membres de l’Union Européenne.

 

Les professionnels du milieu de la musique, visés par cette réforme, semblent satisfaits. Monsieur Placido DOMINGO, président de L’IFPI (International Foundation for Phonography Industry), organisme dont la mission est de représenter l’industrie de la production musicale dans le monde, a annoncé « que la décision d’allonger la durée de protection des droits des producteurs en Europe est une excellente nouvelle pour les artistes interprètes ». Madame Frances MOORE, Directrice Générale de l’IFPI a quand à elle ajouté : « c’est une victoire pour la justice. Avec cette décision, l’Union Européenne donne aux artistes et producteurs le traitement juste qu’ils méritent »[1]. Dans un communiqué publié le jour de l’adoption du texte, l’organisme a rappelé que plus de 38 000 artistes et interprètes avaient signés la pétition pour cette extension des droits.

 

En revanche, de nombreux avis ne soutiennent pas cette récente réforme, redoutant les enjeux pour le domaine public et les consommateurs. C’est notamment l’avis de Monsieur Patrick FREMEAUX, Directeur de la maison d’édition Frémeaux et Associés, qui voit dans l’allongement des droits voisins adopté par Bruxelles « l’enterrement de la diversité culturelle du patrimoine sonore (musical, parlé, théâtral, etc.) pour tous les enregistrements commençant au 1er janvier 1962 ». Selon lui, bien que cette mesure soit bénéfique pour les grands interprètes et leur maison de disques, « elle interdit à tous les artistes dont l’importance culturelle est pourtant supérieure à la réalité économique – le plus grand nombre – de pouvoir rééditer leurs œuvres passées, avec le concours de maison de disques indépendantes ou de majors».  Il explique que de nombreuses œuvres dont les ventes sont trop faibles pour l’économie d’échelle des majors companies, ne seront désormais plus disponibles sous forme physique, ces dernières ne licenciant jamais leurs artistes.

 

Il s’agit en effet d’un réel enjeu, qui s’est notamment illustré par le litige ayant opposé Johnny HALLYDAY à son ancienne maison de disques, ce dernier voulant alors récupérer les masters des titres enregistrés chez UNIVERSAL.

 

Cette position doit toutefois être complétée par l’existence des clauses dites « clauses catalogues », qui permettent aux artistes de réenregistrer les œuvres ayant fait l’objets du contrat passé avec le producteur, pour une personne autre que ce dernier au-delà d’une période définie. Les clauses catalogues sont valides tant que le producteur fera figurer les enregistrements de l’artiste en question au catalogue de la société. Cela signifie qu’au-delà de la période consentie, généralement de 7 à 10 ans, l’artiste est libre d’enregistrer avec un nouveau producteur les titres qu’il avait enregistrés pendant l’exécution du contrat précédent.

 

Il faut néanmoins différencier la possibilité de rééditer un enregistrement qui ne sera plus possible pendant vingt années supplémentaires, de celle de procéder à des réenregistrements, possible en l’absence de clauses catalogues ou au-delà de sa durée. La valeur des premières éditions étant néanmoins généralement supérieure à celle des réenregistrements.

 

C’est une difficulté que soulève également Madame Françoise CASTEX, Eurodéputée. En effet, selon elle, « allonger la durée des droits voisins revient à laisser ces droits encore plus longtemps aux mains des industriels du disque et donc à privilégier la logique de la rentabilité sur une logique de transmission de patrimoine », elle poursuit, « avec le risque que les détenteurs de droits décident de ne pas rééditer des œuvres non viables économiquement, les évinçant pour toujours du domaine public ».

 

Sans surprise, les consommateurs ont également été déçu par l’allongement de la protection des droit des artistes interprètes et des producteurs. Le Bureau Européen des Consommateurs, le BEUC estime que « cette décision méconnaît les besoins des créateurs et des acheteurs du marché de la musique en ligne et obère l’innovation ».

 

Ces avis négatifs sur l’adoption de cette réforme avaient déjà été évoqués au moment même du débat alors que huit états, dont la Suède et la Belgique, avaient voté contre la modification de la directive. Pour ces pays, il semblerait que l’allongement de la protection des droits voisins bénéficiera plus aux producteurs de disques, qu’aux artistes interprètes. Un des arguments au cœur du débat était aussi l’effet négatif que la réforme pourrait avoir à long – terme sur l’accessibilité du matériel et du patrimoine culturel.

 


[1] http://w ww.ifpi.org/content/section_news/20110912.html (traduit librement de l’anglais)

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Bienvenue sur le blog de Ilana SOSKIN, avocat au Barreau de Paris et fondatrice du Cabinet SOSKIN AVOCATS

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