Affaire Lambert : Le juge peut-il se substituer au médecin ?

Publié le 30/01/2014 Vu 2 509 fois 0
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L'Ordonnance du Tribunal Administratif de Châlons-en-Champagne a brusquement réveillé l'éternel débat sur l'euthanasie, mais pas seulement. La place du médecin elle-aussi, a été bousculé par le juge.

L'Ordonnance du Tribunal Administratif de Châlons-en-Champagne a brusquement réveillé l'éternel débat sur

Affaire Lambert : Le juge peut-il se substituer au médecin ?

« Ce n’est pas au juge de faire de la médecine » ; la diatribe de Véronique Fournier, médecin du centre d’éthique de Cochin résume la tension palpable à l’issue de l’Ordonnance de référé-liberté du Tribunal Administratif de Châlons-en-Champagne rendue le 16 janvier 2014 dans le cadre de l’affaire Lambert.

La formation collégiale exceptionnellement réunie face à cette question inhabituelle s’est opposée à l’euthanasie passive de Vincent Lambert, rendu tétraplégique par un accident de voiture, et dans un état pauci-fonctionnel depuis cinq ans.

C’est la première fois qu’un tribunal impose à une équipe médicale de suspendre une décision d’arrêt des traitements d’un patient. Jamais, d’ailleurs, un tribunal n’avait eu à se prononcer sur une question de fin de vie à ce stade.

L’épouse de M. Lambert a décidé d’interjeter appel de cette ordonnance devant la juridiction suprême de l’ordre administratif : le Conseil d’Etat.

Médecin ou juge, qui a le dernier mot ?

Le Tribunal administratif de Châlons-en-Champagne a fondé son argumentation sur deux axes qui méritent une critique.

D’une part, selon les magistrats, «la poursuite du traitement n'était ni inutile ni disproportionnée et n'avait pas pour objectif le seul maintien artificiel de la vie. (...)

Les magistrats ont apprécié la notion d’acharnement thérapeutique, substituant leur interprétation à celle des médecins.

Louis René, ancien président de l’Ordre des médecins avait été à l’origine de l’expression « acharnement thérapeutique » en affirmant que « le médecin à l’obligation d’être obstiné dans son rôle de soin mais à un moment cette obstination devient de l’acharnement thérapeutique ».

Juridiquement, l’acharnement thérapeutique relève de l’article L. 1110-5 du Code de la Santé publique (loi Leonetti de 2005) qui dispose que les actes de soin ne doivent pas être poursuivis par une obstination déraisonnable. Autrement dit, lorsqu’une personne, en phase avancée ou terminale, est incapable d’exprimer sa volonté, le médecin peut décider de limiter ou d’arrêter un traitement inutile, après avoir respecté une procédure collégiale définie par le Code de déontologie médicale et consulté la personne de confiance.

Le juge pouvait-il dès lors raisonnablement substituer son appréciation à celle d’un expert ?

 Décider de la légalité, c’est le métier des juges. Mais il est clair que cette fois, la mission était nouvelle : ils étaient interpellés sur la vie d’une personne.

Il faut rappeler que bien que la France soit un pays laîc, la vie y reste le bien suprême, héritage de la pensée judéeo-chrétienne.

Les juges ont utilisé leur appréciation souveraine pour fonder leur raisonnement sur la notion d’acharnement thérapeutique, remettant en cause un avis médical pris collegialement et se substituant à la prescription de médecins aguéris. Cette affaire sonne-t'elle le début d'une judiciarisation des affaires de fin de vie ? Ou encore l'acceptation de la poursuite de pratiques d'acharnement thérapeutiques ? Ce positionnement des juges est créateur d'un profond malaise.

Le Conseil d’Etat devra confirmer ou infirmer cette position dans une décision qui aura une importance cruciale.

 Il est troublant qu’un magistrat puisse se prononcer à la place d’un praticien qui accompagne le patient dans sa vie, sa maladie et l’accompagne dans ses derniers instants. Un praticien qui ressent la détresse du patient peut-être plus que ses propres parents.

Pour reprendre les propos du philosophe Raphael Enthoven, « Si un médecin à la charge de la vie, il a la charge de toute la vie ».

De quel droit peut-on dire qu’une vie mérite d’être vécue ou ne le mérite pas ?

D’autre part, selon les magistrats, « Les signes de sa volonté de mourir n'ont pu être déterminés avec un degré suffisant de certitude (et ont été) surinterprétés» par l'équipe médicale. »

Dans une situation ou la volonté ne pouvait être clairement définie, les magistrats ont considéré que le doute profite à la vie. La formation collégiale du Tribunal administratif a appliqué « le principe de précaution » (l’absence de certitudes doit empêcher de prendre une décision irréversible), s’est félicité l’avocat des parents, Me Triomphe. Une position qui fait débat. « Dire que la vie doit l’emporter en cas de doute, c’est un principe moral, ce n’est pas une règle juridique », relève Me  Lorit, avocat du neveu.

Les juges, par opportunisme, et sans doute pris dans un étau moral, ont décidé que personne n’avait le droit de dire qu’une vie méritait d’être vécue ou ne le méritait pas et que personne ne pouvait donner la mort à une personne qui ne l’avait pas expressément demandée.

Les juges, tenant l’épée de Damoclés de Vincent Lambert entre leurs mains n’ont pas osé sceller le destin du jeune homme.

Au regard de la situation de Vincent Lambert, le choix de la vie par les magistrats est peut-être plus mortifère qu’autre chose pour le principal intéressé, emporté malgré lui dans la bourrasque médiatique de l’éternel débat sur l’euthanasie, mais continuant de souffrir dans une vie qu’il ne peut plus vivre.

Dans cette affaire, il est certain qu’aucune position ne peut se vivre sereinement, quelque soit la position, il existe tellement d’arguments contre elle.

Cependant, cette prise de position de la part des magistrats, impose la nécessité de dépasser le cadre de la loi Leonetti, puisque ce sont ses fondements qui tremblent devant la décision future du Conseil d’Etat. En effet, les juges se sont engouffrés dans les failles rédactionnelles de la loi pour asseoir leur décision avec une belle agilité sémantique mais leur décision a réveillé de façon brutale le débat sur un sempiternel tabou de notre société.

La nécessité de dépasser le cadre de la loi Leonetti ?

Marisol Touraine, ministre des affaires sociales et de la santé l’a consenti elle-même : « il est nécessaire de repenser le cadre légal, il faut repenser le droit. »

Un rapport sera remis en février 2014 par le Comité de l’Ethique sur l’euthanasie qui devrait apporter des éléments de réponse sur une nouvelle loi prochaine.

L’Ordonnance du Tribunal administratif de Châlons-en-Champagne à dors et déjà  mis en lumière trois impérieuses nécessités :

  • La généralisation des « directives anticipées » :

Quelle est la volonté du patient? Telle est la question que doivent se poser les médecins quand ils font face à un cas de vie ou de mort. Si le patient se prononce en amont, le cas Lambert ne se présentera peut-être plus à l’avenir.

  • La précision des contours de la loi

Les magistrats ont disposé que Vincent Lambert était handicapé, sous-entendant qu’il ne rentrait pas dans le cadre légal de la loi Leonetti, hors son créateur lui-même estime pour sa part que Vincent Lambert entre dans le cadre de cette loi. Pareille ambigüité ne peut se reproduire. Il n’est pas question d’un vaudeville, mais de la vie d’un citoyen.

  • Vers l’exception d’euthanasie active ?

Le suicide assisté a été dépénalisé aux Pays-Bas, en Belgique et en Suisse notamment. Elle est rigoureusement interdite par la déontologie médicale et par la loi en France. Cependant, pour rappel, étymologiquement, euthanasie signifie « bonne mort ». Permettre l’euthanasie, ne serait-il pas offrir un choix supplémentaire aux hommes qui éprouvent mille tourments ?

La prochaine loi devra impérativement se prononcer, en attendant, 92% des français se déclarent favorables à l’exception d’euthanasie.

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