Les incidences de la réforme du droit des contrats sur le statut des baux commerciaux

Publié le 29/07/2016 Vu 2 695 fois 0
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Si l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 portant réforme du droit des contrats, du régime général et de la preuve des obligations, ne vise pas directement les baux commerciaux, certains de ses apports nous amènent à s’intéresser à son incidence sur ces derniers.

Si l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 portant réforme du droit des contrats, du régime général

Les incidences de la réforme du droit des contrats sur le statut des baux commerciaux

Rappelons, à titre liminaire, les dispositions de l’article 1105 nouveau du code civil, lequel énonce que les contrats, qu’ils aient ou non une dénomination propre, sont soumis à des règles générales. Celles-ci s’appliquent sous réserve des règles particulières propres à certains contrats, et établies dans les dispositions relatives à chacun d’eux.

Dans le cadre de cette étude, nous nous intéresserons principalement à deux articles : 1171, relatif au déséquilibre significatif (1), et 1195, qui concerne l’imprévision contractuelle (2).

  1. Le déséquilibre significatif

L’article 1171 nouveau du code civil dispose que « Dans un contrat d'adhésion, toute clause qui crée un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties au contrat est réputée non écrite. L'appréciation du déséquilibre significatif ne porte ni sur l'objet principal du contrat ni sur l'adéquation du prix à la prestation. ».

Cet article introduit au sein du régime du droit commun des contrats, la sanction des clauses abusives, laquelle n’était alors prévue que par le droit de la consommation.

L’adoption des dispositions en matière de clauses abusives a été houleuse et de nombreuses voix se sont élevées contre celles-ci lors des travaux parlementaires. Les praticiens y voyaient à juste titre un risque d’insécurité juridique. À la suite de nombreux débats, l’article en question a été reformulé de sorte à cantonner la sanction de ces clauses aux seuls contrats d’adhésion.

Opposé au contrat de gré à gré, le contrat d’adhésion visé à l’article 1110 nouveau code civil est « celui dont les conditions générales, soustraites à la négociation, sont déterminées à l'avance par l'une des parties ».

Se pose alors légitimement la question de savoir si le contrat de bail commercial peut être qualifié de contrat d’adhésion.

En effet, il est fréquent que les contrats de baux commerciaux soient pré-rédigés et ne requièrent plus qu’une validation puis une signature du preneur ; la chose s’observe notamment en matière de baux se trouvant au sein de centres commerciaux.

De même, il est loisible de penser que les conditions générales de baux n’ayant jamais été négociées peuvent conduire à la qualification de contrat d’adhésion. Le cas échéant, les clauses portant un déséquilibre significatif seraient alors réputées non écrites.

Cette problématique trouvera de réponse dans la pratique, et elle devrait alimenter les prochains contentieux jurisprudentiels en matière de baux commerciaux.

  1. L’imprévision contractuelle

Une autre disposition mérite notre attention, il s’agit de l’article 1195 nouveau de la réforme, relatif à l’imprévision contractuelle.

Que nous dit cet article ? « Si un changement de circonstances imprévisible lors de la conclusion du contrat rend l'exécution excessivement onéreuse pour une partie qui n'avait pas accepté d'en assumer le risque, celle-ci peut demander une renégociation du contrat à son cocontractant. Elle continue à exécuter ses obligations durant la renégociation. »

L’imprévision est donc vue par le législateur comme « un changement de circonstances imprévisible ». Les conditions de la révision sont posées, il faut 1°) un changement de circonstances imprévisibles, 2°) lesquelles doivent rendre l’exécution du contrat excessivement onéreuse pour la partie, 3°) et cette dernière ne doit pas avoir accepté d’en assumer le risque.

Dans ces conditions, la renégociation peut être demandée au cocontractant tout en veillant à poursuivre l’exécution de ses prestations durant ladite renégociation. En cas d’échec, poursuit l’alinéa 2, la rupture du contrat peut être demandée judiciairement.

L’imprévisibilité du changement de condition peut déséquilibrer les obligations réciproques et apporter une forme d’insécurité juridique. L’imprévision contractuelle quant à elle agit comme un garde-fou pour le preneur, afin de pouvoir se sortir d’une évolution imprévisible des circonstances économiques du contrat.

Oui, mais son application fait débat. Aussi, l’outil posé par l’article 1195 suffira-t-il, par exemple, à s’opposer à une hausse de l’indice qui ne remplirait pas les conditions posées par l’article L. 145-39 du code de commerce ? Pour mémoire, cet article dispose, que « si le bail est assorti d'une clause d'échelle mobile, la révision peut être demandée chaque fois que, par le jeu de cette clause, le loyer se trouve augmenté ou diminué de plus d'un quart par rapport au prix précédemment fixé contractuellement ou par décision judiciaire ».

Ainsi, cette exigence pourrait endiguer l’action intentée sur le fondement de l’article 1195 nouveau du code civil si le seuil de 25% n’est pas atteint.

En outre, les parties seront libres de déroger à cet article, aux termes dudit bail afin d’éviter l’intervention du juge dans leurs relations contractuelles. En effet, l’article 1195 présente un caractère supplétif et peut ainsi être aménagé (ce qui offre, notamment, aux parties au contrat la possibilité de recourir à un tiers en lieu et place du juge, pour pallier aux déséquilibres liés à l’imprévision) voire complètement écarté.

Pour ces diverses raisons, l’article 1195 – disposition phare de la réforme – nous laisse encore circonspects quant à son efficacité en pratique. Cet article s’appliquera aux baux conclus ou renouvelés à partir du 1er octobre 2016.

La question de l’application de l’ordonnance de 2016 dans le domaine des baux commerciaux se pose pour d’autres articles du code civil, qui nécessitera alors un examen plus approfondi. Pensons notamment à l’article 1222 nouveau du code civil visant l’exécution forcée en nature (l’incidence en matière d’exécution de travaux n’est pas à exclure), les articles 1216 et suivants qui concernent la cession de contrat – et qui trouveront à s’appliquer en matière de cession de bail.

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