Accession de la Fédération de Russie à l'OMC après des négociations records de 18 ans

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Accession de la Fédération de Russie à l'OMC après des négociations records de 18 ans

Le groupe travail ad hoc de l’Organisation mondiale du commerce (OMC) a approuvé les modalités de l’intégration de la Russie à cette organisation internationale, le jeudi 10 novembre 2011. Son président, l'ambassadeur Stefan Johannesson a qualifié cette adhésion comme étant "un résultat historique pour l'OMC".

La prochaine étape du processus d'adhésion aura lieu du 15 au 17 décembre à Genève, lors de la Conférence ministérielle de l’OMC, qui se réunit tous les deux ans, avec l’adoption formelle de la Russie comme nouveau membre, tout comme celle de trois autres pays, Vanuatu, Samoa et Monténégro.

L'adhésion devra ensuite être ratifiée par les parlements des nouveaux adhérents, avant d'être effective dans les 30 jours suivant cette ratification. Et selon le négociateur russe, M. Maxim Medvedkov, "La Douma [le Parlement russe] devrait ratifier cette adhésion début janvier".

Cette intégration de la Russie sera l'étape la plus importante vers la libéralisation des échanges commerciaux internationaux depuis celle de la Chine voici une décennie. Elle ouvre un marché dont le PIB est de l'ordre de 1.900 milliards de dollars, soit 2,8% de l'économie mondiale.

Selon Pascal Lamy, l’organisation, qui compte aujourd’hui 153 membres, va désormais couvrir 98% du commerce mondial contre 94% précédemment.

 

 

-       Les modalités de l’accession à l’OMC

Voir sur le site de l’OMC : http://www.wto.org/french/thewto_f/acc_f/acces_f.htm

 

 

-       Une demande posée en 1993 suivie d’un long processus de négociation

La Russie est membre du Fonds monétaire international (FMI) et de la Banque mondiale depuis 1992.

Et alors que sa première démarche officielle pour adhérer à ce qui était à l’époque l’Accord général sur les tarifs douaniers et le commerce (GATT) a été faite dès 1993, la Fédération de Russie n’est toujours pas membre de l’OMC en novembre 2011, soit après 18 ans de négociations.

Conformément aux exigences posées pour pouvoir intégrer l’OMC, la Russie a dû pendant cette période participer aux rencontres du Groupe de travail de l’accession de la Fédération de Russie qui ont pour but de rendre le pays conforme aux exigences de l’OMC par différentes réformes (il y a eu au moins 30 rencontres entre 1995 et 2006 d’après l’article de Perspective Monde du 12/10/2009).

Et dans le même temps, la Fédération de Russie a dû engager avec les membres du Groupe de travail intéressés des négociations bilatérales sur les concessions et engagements en matière d'accès aux marchés pour les marchandises et services, ce processus bilatéral permettant de déterminer les avantages spécifiques dont bénéficient les Membres en permettant au candidat d'accéder à l'OMC.

D'après un rapport d’information du Sénat français (de 2010/2011, Pour un partenariat spécifique entre l'Union européenne et la Russie), les raisons  de ce retard ne tiennent pas tant à la taille de l'économie russe, qui reste une économie relativement modeste à l'échelle mondiale. Ce retard semble s'expliquer surtout par des considérations politiques et par l'importance des enjeux pour les milieux d'affaires russes.

Jusqu'en 1999, les négociations sur l'adhésion de la Russie au GATT puis à l'OMC n'avaient guère progressé en raison de la situation chaotique de l'économie russe. Ce n'est qu'à partir de l'élection de Vladimir Poutine à la présidence de la Fédération de Russie en mars 2000 que les négociations ont pu réellement s'engager. En effet, dès le début de son mandat, Vladimir Poutine a fait de l'adhésion de la Russie à l'OMC l'une des priorités de sa présidence en matière économique.

La Russie a procédé à d'importantes réformes qui ont porté notamment sur la réduction des droits de douane et la simplification des dispositions relatives au commerce extérieur, mais aussi sur les conditions de concurrence, les investissements étrangers et la restructuration du système bancaire.

En 2002, le statut d'économie de marché lui a été reconnu par l'Union européenne, puis par les Etats-Unis, et son intégration de plein exercice au G8 a été officialisée.

L'accord bilatéral conclu avec l'Union européenne en mai 2004 a représenté une étape importante en vue de l'adhésion de la Russie à l'OMC. En effet, l'Union européenne représente le premier partenaire commercial pour la Russie avec lequel elle réalise plus de 55 % de ses échanges. À titre de comparaison, les échanges commerciaux avec les États-Unis sont très modestes (5 % du commerce extérieur russe).

Ces négociations ont connu une forte accélération depuis l'été 2010.

Auparavant, la déclaration de Vladimir Poutine en juin 2009 selon laquelle la Russie voulait adhérer à l'OMC de manière groupée, dans le cadre de l'union douanière avec la Biélorussie et le Kazakhstan, avait jetée un froid, étant donné qu'une telle adhésion groupée aurait eu pour effet de retarder encore l'adhésion de la Russie, compte tenu de la situation de la Biélorussie, qui reste encore une économie largement soviétisée.

En juin 2010, lors d'une rencontre entre Barack Obama et Dimitri Medvedev, les Etats-Unis et la Russie sont parvenus à un accord sur les termes de cette adhésion et les Etats-Unis ont annoncé leur soutien à la candidature de la Russie à l'OMC.

Enfin, en décembre 2010, l'Union européenne et la Russie ont signé un memorandum d'entente sur l'adhésion de la Russie à l'OMC.

 

 

-       Les obstacles économiques à surmonter pour une adhésion de la Russie à l’OMC

L’article de Perspective Monde du 12/10/2009  liste différents points qui ont posé des difficultés à l’adhésion de la Russie à l’OMC :

- L'agriculture. En effet, la Russie souhaite maintenir ses subventions dans ce domaine, ce que dénoncent l'Australie, le Canada et la Nouvelle-Zélande. Le gouvernement russe affirme que « les fermiers des régions éloignées ne peuvent livrer leur production vers les ports sans aide de l'État. »

- Le système financier. Les banques étrangères représentent une menace majeure pour le marché des services financiers et bancaire russe. Leur capacité à répondre aux demandes du milieu des affaires est très faible comparée à celle des banques étrangères. Certains craignent donc « une concurrence déloyale des compagnies occidentales. »

- La question de l'énergie. Les Américains et les Européens considèrent que les entreprises russes bénéficient d'avantages à cause du prix de l'énergie. Par exemple, « [la] Russie vend son électricité environ 0.013 dollars [sic] (US) le mégawatt/heure sur le marché domestique alors qu'elle l'exporte à l'Europe à un prix moyen de 20 dollars (US). »

- Le problème des tarifs douaniers. Moscou souhaite conserver une politique des tarifs douaniers qui désavantage les entreprises européennes et américaines. Cette politique vise à protéger certains secteurs tels que le secteur agricole, celui de l'automobile ainsi que celui de l'aéronautique civile.

Et selon le rapport du Sénat français, les principales difficultés ont porté sur le prix de l'énergie, la propriété intellectuelle, l'agriculture, les réglementations sanitaires et phytosanitaires et les industries politiquement sensibles et les droits de survol de la Sibérie.

 

 

-       Le dernier obstacle majeur au plan politique est tombé avec l’accord russo-géorgien du 9/11/2011

Suite à l’intervention militaire russe en Géorgie en août 2008 et la reconnaissance de l’indépendance de l’Abkhazie et de l’Ossétie du Sud, la Géorgie, membre de l’OMC depuis 2000, a bloqué l’entrée de la Russie ces trois dernières années.

L'OMC étant une organisation où tout se négocie par consensus, chaque membre de l’OMC dispose d’un droit de veto et un seul pays a le pouvoir de bloquer l’accession d’un autre à l’organisation.

La Suisse a été chargée en décembre 2010 de jouer un rôle de médiatrice entre Moscou et Tbilissi. Et après huit rounds de négociations et dix-huit mois de pourparlers, un accord a été finalement trouvé entre la Russie et la Géorgie.

Cet accord a été signé le 9 novembre 2011 par l’ambassadeur de Géorgie auprès de l’OMC, l’ambassadeur russe à Berne et le secrétaire d’Etat aux Affaires étrangères suisse.

Il réglemente l'administration des douanes et le contrôle du trafic des marchandises entre les deux pays, à travers les territoires contestés d'Abkhazie et d'Ossétie du Sud. Mais les documents ne précisent pas le statut légal des deux républiques (article de 24 heures du 09/11/2011). Et quelques points techniques restent encore à examiner, dont le statut d'une société qui supervisera les questions commerciales dans ces régions (l’article des Echos su 4/11/2011).

Suite à cet accord, le groupe travail ad hoc de l’OMC a pu approuver les modalités de l’intégration de la Russie à cette organisation internationale, le jeudi 10 novembre 2011.

 

 

-       Les réformes économiques entreprises par la Russie

Un article du Point du 10/11/2011liste les différentes démarches entreprises par la Russie pour ouvrir l’économie de son pays et consolider son intégration dans le système commercial international pour pouvoir répondre aux exigences posées par l’OMC.

Pour accéder à l'OMC, la Russie a conclu 30 accords bilatéraux pour l'accès aux marchés des services, et 57 pour l'accès des biens.

Concernant l'aspect multilatéral, Moscou a accepté d'abaisser le seuil de ses tarifs à 7,3%, contre 10% actuellement.

La Russie a aussi accepté de limiter ses subventions agricoles à 9 milliards de dollars en 2012, et de les réduire progressivement à 4,4 milliards d'ici 2018.

Sur le plan des télécoms, la Russie a accepté que le seuil de 49% maximum de capitaux étrangers soit supprimé 4 ans après son accession à l'OMC.

Sur le plan bancaire, les banques étrangères pourront librement ouvrir des filiales en Russie, mais ne pourront pas représenter plus de 50% du système bancaire suisse.

Par ailleurs, à partir du jour de l'accession, les importations d'alcool et de produits pharmaceutiques ne seront plus soumises à des licences d'importation.

La Russie s'est aussi engagée à pratiquer des tarifs commerciaux "normaux", pour le gaz naturel.

 

 

-       Les avantages de l’adhésion à l’OMC pour la Russie

Le rapport d'information du Sénat français liste les avantages que la Russie pourra retirer de son accession à l'OMC :

- en termes de prestige et d'influence, cette accession permettrait de renforcer la place de la Russie dans les enceintes internationales et de faire valoir ses positions dans les futurs cycles de négociation et mieux défendre ses intérêts ;

- la Russie pourrait bénéficier des institutions de l'OMC et des accords multilatéraux qui y sont attachés (clause de la nation la plus favorisée, lutte contre le dumping, réduction des barrières tarifaires et suppression des barrières non tarifaires) ;

- l'adhésion à l'OMC permettrait à la Russie de développer ses relations commerciales : l'ouverture accrue des marchés étrangers devrait offrir davantage d'opportunités aux exportateurs nationaux ; dans le même temps, l'intensification de la concurrence est susceptible de favoriser la baisse des prix, l'amélioration de la qualité des produits et des services et plus généralement l'allocation des ressources ;

- l'accession à l'OMC ouvrirait l'accès de la Russie à l'Organe de règlement des différends (ORD) qui donne la possibilité d'un traitement indépendant des contentieux commerciaux ;

- en intégrant l'OMC, la Russie espère obtenir l'abrogation des procédures anti-dumping unilatérales lancées par plusieurs partenaires commerciaux (dont les Etats-Unis et l'Union européenne) à son encontre, qui coûtent à son économie entre 2 et 4 milliards de dollars par an, selon le ministère russe du commerce ;

- l'accès à l'OMC permettrait à la Russie de stabiliser et d'améliorer le système légal qui encadre les activités économiques et de garantir son application effective sur l'ensemble du territoire national, ce qui permettrait de développer fortement les investissements étrangers. On estime qu'en moyenne, sur les vingt dernières années, l'adhésion à l'OMC s'est traduite par une accélération des flux d'investissements directs étrangers de 4 milliards de dollars par an pour les pays concernés ;

- l'adhésion à l'OMC devrait contribuer à orienter la Russie vers une économie fondée sur la connaissance : par la protection des droits de propriété intellectuelle, la participation à l'OMC devrait permettre à la Russie d'offrir un cadre légal favorisant l'épanouissement des secteurs intensifs en recherche et développement, et de maintenir la main d'oeuvre qualifiée et le potentiel scientifique sur le territoire national ;

- en devenant membre de l'OMC, la Russie pourrait accéder à l'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) et devenir partie aux conventions conclues au sein de cette organisation, en particulier en matière de lutte contre la corruption et de lutte contre le blanchiment de capitaux ;

- enfin, l'adhésion à l'OMC constitue un préalable au renforcement des relations économiques entre la Russie et l'Union européenne.

 

 

-       Une intégration à l’ OMC qui n’est pas sans risques pour la Russie:

Selon l’article de RFI du 09/11/2011, il reste à savoir ce que Moscou pourra gagner en intégrant l’organisation. D’ailleurs, Vladimir Poutine s’était publiquement interrogé en octobre dernier : « Est-ce que ça servira la Russie ? C’est 50-50 ».

Et de nombreux industriels russes s’inquiètent de l’arrivée probable de concurrents étrangers plus compétitifs, avec l’abaissement des droits de douane, d’autres en revanche insistent sur l’amélioration du climat d’investissement qu’apportera l’intégration de l’OMC.

Selon le rapport d’information du Sénat français, de nombreux secteurs protégés (comme l'industrie automobile et l'industrie aéronautique ou encore l'agriculture) risquent de souffrir d'une plus grande ouverture à la concurrence étrangère. Le lobbying, sinon la proximité, des représentants de ces industries auprès des autorités de l'Etat, ne semblent d'ailleurs pas étrangers à la longueur, voire aux réticences, rencontrées lors des négociations sur l'adhésion de la Russie à l'OMC.

 

 

-       Les incidences pour l’économie européenne : l’éventualité de la création un espace économique commun

Selon le rapport d’information du Sénat français, l'adhésion de la Russie à l'OMC devrait avoir pour effet de renforcer les échanges économiques entre l'Union européenne et la Russie, d'encourager les investissements réciproques et constituerait une forte incitation pour la Russie à engager les réformes nécessaires pour moderniser son économie.

En effet cette adhésion pourra ouvrir la voie à l'établissement d'une zone de libre échange entre l'Union européenne et la Russie. La Russie aurait alors un plus grand accès au marché européen, tandis que les entreprises européennes pourraient profiter des potentialités du marché russe, vaste de plus d'une centaine de millions d'habitants et doté d'importantes ressources naturelles (La Russie est le deuxième producteur de pétrole après l'Arabie saoudite et le premier producteur de gaz naturel au monde).

Et l’adhésion de la Russie à l’OMC est un préalable à la création de cet espace économique commun.

Par ailleurs, d'autres pays issus de l'ancienne URSS sont en train de négocier leur adhésion à l'OMC, comme l'Ouzbekistan (depuis 1994), le Belarus (depuis 1993), ou le Kazakhstan (depuis 1996), et selon M. Medvedkov, l'accession de la Russie devrait "accélérer le processus".

 

 

-       La liste des autres Etats négociant leur accession à l’OMC

Voir le tableau récapitulatif des accessions en cours, mis à jour en mai 2011 : http://www.wto.org/french/thewto_f/acc_f/status_f.htm

 

 

Par Magali Ramel (avec du copié-collé !)

 

 

 

Sources :

  • http://www.senat.fr/rap/r10-664/r10-66412.html#toc99 : Rapport d’information du Sénat français : Pour un partenariat stratégique spécifique entre l'Union européenne et la Russie, Rapport d'information n° 664 (2010-2011) de M. Yves POZZO di BORGO, fait au nom de la commission des affaires européennes et de la commission des affaires étrangères et de la défense, déposé le 22 juin 2011, III. A : Un préalable à la création d'un espace économique commun : l'adhésion de la Russie à l’OMC

 

 

 

 

 

 

 

 

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Blog de Droit comparé

Ce blog est dédié à l'actualité juridique en Droit Comparé. Il est tenu par les étudiants du Master 2 droit comparé appliqué de l'Université d'Aix-Marseille.

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