Les accords collectifs sur l'emploi en Allemagne : un « modèle » pour le droit français ?

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Les accords collectifs sur l'emploi en Allemagne : un « modèle » pour le droit français ?

Comme une antienne, il est répété que l'Allemagne aurait mieux résisté que la France à la crise économique depuis 2008, grâce notamment à son droit du travail et, en particulier, à ses nombreux accords collectifs sur le maintien de l'emploi. Et force est de constater que si l'on excepte l'intervention de l'État pour le financement du chômage partiel(1), le législateur allemand n'est pas intervenu pour créer un « droit du travail de crise » comme dans d'autres pays(2). En revanche, il est vrai que de très nombreux accords collectifs ont été conclus par la partie patronale, d'un côté, et les syndicats et/ou les conseils d'établissement, de l'autre, avec pour objet de réduire, d'une façon ou d'une autre, les coûts du travail en échange d'engagements sur le maintien de l'emploi dans l'entreprise au sens large. De là à postuler un lien entre les contours du droit du travail et les performances économiques d'un État, il y a un pas que l'on ne saurait si aisément franchir. Mais au-delà même du caractère discutable de ce lien, et à s'en tenir à un strict point de vue juridique, ces accord collectifs constituent-ils vraiment le « modèle » dont le droit français devrait, de proche en proche, s'inspirer, comme tentent de l'accréditer non seulement le projet de consacrer légalement les « accords compétitivité emploi », mais aussi des analyses plus globales de refonte du droit social français ?(3)

À examiner ces accords sur l'emploi de plus près ainsi que leur contexte juridique, on s'aperçoit rapidement qu'ils ne peuvent servir de référence valable pour le droit français : conclus à droit législatif constant, ces accords s'inscrivent, en effet, dans un droit des relations collectives du travail, dont les différences avec le droit français sont bel et bien irréductibles (I). Or, certaines de ces différences sont précisément à l'origine de difficultés pour ces accords sur l'emploi, une fois conclus, à s'imposer sur tous les contrats de travail en droit allemand. Et certaines de ces difficultés sont comme redoublées du fait de certaines évolutions récentes du droit allemand : une plus grande acceptation d'un certain pluralisme syndical et conventionnel mais aussi, et entre autres, l'apparition de divers modes de fixation de minima salariaux de branches en l'absence, jusqu'à nouvel ordre, de salaire minimum légal uniforme (II). Ce n'est pas dire que la comparaison avec ce droit allemand ne puisse être féconde, loin s'en faut, mais seulement que ses enseignements sont souvent très éloignés de ceux que l'ont voudrait pouvoir tirer pour le droit français (Conclusion).

I. - Le contexte juridique de la conclusion de ces accords sur l'emploi et les différences irréductibles avec le droit français


Le contexte juridique n'est a priori pas favorable aux accords sur l'emploi en Allemagne. Et si autant d'accords collectifs sur l'emploi ont effectivement été conclus - à droit législatif constant -, c'est parce que les syndicats ont repris les choses en mains (A) dans un système d'autonomie collective étranger au droit français (B).

A. - Le contexte juridique de la conclusion des accords sur l'emploi
Après avoir succinctement rappelé l'articulation qui prévaut juridiquement entre l'autonomie collective des syndicats, d'un côté, et les pouvoirs du conseil d'établissement en général, de l'autre (1), il conviendra de voir comment cette articulation est mise à l'épreuve dans le cas d'accords sur l'emploi conclus par le conseil d'établissement (2). Et à en croire des avis autorisés(4), ce sont précisément les obstacles juridiques que la Cour fédérale du travail aurait mis à ces accords sur l'emploi dans sa jurisprudence dite Burda qui auraient amené les syndicats à réagir, pendant la crise, et à conclure eux-mêmes, plus ou moins directement, des accords sur l'emploi, dont ils conservent alors le contrôle (3).

1. - L'autonomie collective des syndicats et les pouvoirs du conseil d'établissement : quelle articulation en général
Autonomie collective oblige, ce sont les syndicats et les organisations patronales - et non l'État - qui en Allemagne fixent, entre autres, les salaires minima et la durée du travail (rémunérée)(5) dans des conventions collectives négociées, le plus souvent, au niveau des branches d'industries, dans un cadre fédéral ou régional. Organisés à un niveau supérieur à celui de l'entreprise et représentant uniquement leurs membres en principe (v. infra II), les syndicats allemands ne sont en revanche pas présents institutionnellement au niveau de l'entreprise.

C'est donc le conseil d'établissement (Betriebsrat), institution élue du personnel, qui représente les salariés au niveau de l'entreprise et la loi sur la Constitution de l'établissement (BetrVG), lui confère de très nombreuses prérogatives : ainsi, le conseil ne dispose pas seulement des droits d'information et de consultation, mais également des droits de codétermination plus ou moins contraignants sur certaines questions(6), en l'occurrence sur des questions qui supposent le plus souvent une répartition entre les salariés (justice distributive plutôt que commutative), c'est-à-dire qui concernent le salarié dans sa qualité non pas de cocontractant, mais de membre du personnel (ainsi horaires et pas durée du travail habituelle(7), principes de répartition d'une prime à l'exclusion de son montant...).

À l'occasion de l'exercice de ses droits - de codétermination, mais pas seulement -, le conseil d'établissement peut conclure des conventions d'établissement, c'est-à-dire au sens français du terme, de véritables accords collectifs qui déploient un effet normatif sur les contrats de travail de tous les salariés de l'établissement.

Où l'on se demande alors nécessairement comment s'articulent les conventions conclues par les syndicats, d'une part, et celles conclues par le conseil d'établissement, d'autre part. D'abord, la loi sur la constitution de l'établissement dispose que la convention collective conclue par les syndicats bénéficie d'une priorité, y compris sur les questions dites « sociales » sur lesquelles le conseil dispose de droits codétermination (comme les horaires, l'augmentation ou la réduction provisoires de la durée du travail, supra), (§87 I BetrVG). Mais encore faut-il pour que l'exercice des droits de codétermination du conseil (et a fortiori la conclusion de toute convention d'établissement) soit exclu que la convention collective syndicale soit applicable à l'établissement et qu'elle réglemente effectivement la question en cause (des horaires par exemple). Dans la mesure où les conventions de branche réglementent rarement ces questions de façon exhaustive, il reste le plus souvent matière à codétermination.

Ensuite et surtout, la loi dispose que sur les salaires et les autres conditions de travail (comme la durée habituelle du travail), il suffit que la question soit habituellement réglementée par la convention collective syndicale pour que soit exclue toute convention d'établissement avec le conseil. Selon une jurisprudence constante, peu importe alors que l'employeur ne soit pas lié à cette convention collective de branche, il sera malgré tout privé de la possibilité de conclure une convention d'établissement avec le conseil sur ces questions (§77-3 de BetrVG). Cette disposition légale est en effet destinée à protéger l'autonomie collective pour elle-même (indépendamment des salariés) contre toute concurrence des conseils d'établissement. La loi réserve toutefois la possibilité pour les conventions collectives syndicales (le plus souvent de branche) de prévoir des « clauses d'ouverture » qui permettent à l'employeur et au conseil d'établissement d'intervenir sur ces questions. L'autonomie collective est alors sauve, mais du coup, seuls les employeurs liés à la convention de branche peuvent en bénéficier.

2. - Les obstacles juridiques aux accords collectifs sur l'emploi
Confrontées dans les années 1990, après la réunification, à la difficulté de respecter les conditions minimales de la convention de branche sur la durée du travail et les salaires, de nombreuses entreprises, surtout implantées dans les « nouveaux Länder », ont cherché à « fuir » ces conventions de branche (rarement étendues en Allemagne). D'autres solutions s'étant révélées être des impasses sur le plan juridique(8), certaines de ces entreprises se sont alors tournées vers leur conseil d'établissement, en vue notamment de réintroduire la semaine des 40 heures sans augmentation correspondante de rémunération, mais avec souvent l'engagement de ne pas délocaliser et/ou de ne pas licencier pendant une certaine durée et/ou pour certains motifs.

Or, devant le chantage à l'emploi exercé par l'employeur (« soit vous acceptez une augmentation de la durée du travail - ou une diminution du salaire - par rapport à ce que prescrit la convention collective de branche, soit je délocalise de l'autre côté de la frontière »), les conseils d'établissement (surtout lorsqu'ils sont composés d'élus non syndiqués, mais pas exclusivement), ont souvent approuvé la violation de la convention de branche par l'employeur.

Dans sa décision Burda du 20 avril 1999(9), la Cour fédérale du travail a d'ailleurs affirmé que la disposition légale précitée (§77 III) ne protège l'autonomie collective que contre une convention d'établissement au sens strict, si bien que l'accord du conseil d'établissement, non formalisé par une convention d'établissement (« Regelunsabrede »), n'est pas illégal : non seulement il permet de lever le veto du conseil là où celui-ci a des droits de codétermination, mais en plus il permet au conseil d'intervenir sur la durée du travail et la rémunération, y compris en l'absence de clause d'ouverture dans la convention de branche. Il reste que ce simple accord n'étant pas doté - à la différence d'une convention d'établissement -, d'un effet normatif sur les contrats de travail, il doit alors être transposé sur le plan individuel. Or, force est de constater que confrontés à un tel chantage à l'emploi, les salariés de l'entreprise approuvent souvent à une très forte majorité, par un référendum non prévu par la loi, la violation de la convention de branche et acceptent, ensuite, la modification correspondante de leur contrat de travail(10).

Mais c'est alors à un concours entre la convention collective conclue par le syndicat (à savoir 35 heures sans engagement sur l'emploi par exemple) et le contrat individuel de travail (38 heures avec engagement sur l'emploi) auquel on se trouve confronté. Et c'est le seul cas de concours (entre contrat de travail et convention collective) pour lequel la loi évoque expressément le dit « principe de faveur » (§ 4 III TVG, loi sur les conventions collectives). Interrogée alors sur la méthode de comparaison des avantages, la Cour fédérale du travail a, dans sa décision Burda, rejeté la méthode « globale » au profit d'une méthode « semi-analytique » et refusé, par conséquent, d'intégrer l'engagement sur l'emploi dans l'objet de la comparaison (« on ne compare pas les pommes et les poires »)(11).

La décision Burda est également fondamentale, en ce que la Cour fédérale du travail a admis pour la première fois que le syndicat signataire de la convention de branche puisse agir en justice non pas seulement, sur un fondement contractuel, contre l'organisation patronale (à charge alors pour celle-ci d'influer sur ses membres pour qu'ils respectent la convention collective et, le cas échéant, de les sanctionner en appliquant les statuts), mais bien directement contre l'employeur individuel à l'origine de la violation. Fondée en particulier sur le fameux article 9 III GG (liberté de coalition qui garantit l'autonomie collective), cette action du syndicat n'est pas une action en représentation des salariés (pas plus dans l'intérêt collectif qu'en substitution) permettant à ceux-ci d'être remplis dans leurs droits. Comme l'a rappelé la Cour fédérale du travail en 2011(12), il s'agit au contraire d'une action de nature délictuelle du syndicat, et soumise à des conditions très restrictives, visant à faire enjoindre à l'employeur de cesser pour l'avenir le trouble résultant de la violation de la convention collective(13).

Autant d'éléments qui expliquent que cette décision Burda ait été très critiquée par une partie de la doctrine, la Cour fédérale du travail s'étant vue en particulier reprocher de rendre du coup illusoires les accords sur l'emploi avec le conseil d'établissement (« betriebliche Bündnisse für Arbeit »)(14). C'est dans ce contexte qu'une partie de la doctrine et certains partis politiques (la CDU et le FDP surtout) ont formulé des propositions de modification du droit positif visant toutes à remettre en cause, d'une façon ou d'une autre et plus ou moins radicalement, la priorité en faveur de l'autonomie collective, ainsi que le principe de faveur entre le contrat de travail et la convention collective, en tout cas la méthode de comparaison des avantages de la Cour fédérale du travail. Mais aucune de ces propositions n'a finalement été adoptée, non seulement en raison du contexte politique (« grande coalition » de 2005 à 2009), mais aussi et surtout en raison d'objections d'ordre constitutionnel(15).

En tout cas, l'un des enseignements de la « crise » est certainement que les syndicats ont, à l'évidence, non seulement introduit davantage de clauses d'ouverture dans les conventions collectives de branche, mais aussi et surtout, conclu eux-mêmes des conventions collectives d'entreprise « de crise ».

3. - La reprise en mains par les syndicats et la conclusion d'accords sur l'emploi pendant la crise
Elle peut emprunter deux voies distinctes.

a) L'introduction plus fréquente de clauses d'ouverture dans les conventions de branche
Rendues possibles par plusieurs dispositions légales (art. 4 III TVG, loi sur les conventions collectives et § 77 III BetrVG, la loi sur la constitution de l'établissement, v. supra), ces clauses d'ouverture se sont multipliées, et du coup diversifiées, au point que des typologies ont été proposées(16). De façon générale, il y aurait d'abord les clauses par lesquelles la convention collective ne prescrit pas de règle autonome, mais se contente de renvoyer aux parties d'établissement (ou au contrat de travail) le soin, soit de remplir le cadre qu'elle a fixé (« Korridor »), soit de choisir entre plusieurs options (« cafétéria ») qu'elle a formulées. À côté, il y aurait les clauses d'ouverture au sens strict, lesquelles comportent une règle autonome mais qui se veut alors supplétive. Pendant la « crise », ce sont ces dernières clauses qui se seraient multipliées : le plus souvent, elles permettent aux entreprises de la branche qui remplissent certaines conditions (notamment de difficultés économiques) de s'affranchir des minima conventionnels pour certains salariés, le temps pour l'entreprise de surmonter la situation(17). Et ces clauses d'ouverture subordonnent le plus souvent l'application de la convention d'établissement conclue entre l'employeur et le conseil d'établissement à l'accord a posteriori du syndicat au niveau de la branche, ce qui permet à celui-ci de conserver effectivement le contrôle du respect des conditions fixées(18).

Or, les juges ont été saisis par une organisation patronale d'un cas où le syndicat avait refusé de donner son accord à la mise en oeuvre d'une clause d'ouverture prévue par la convention collective de branche qu'il avait signée. Dans une décision du 20 octobre 2010(19), la Cour fédérale a, en substance, affirmé que dans le cas où, comme en l'espèce, la convention collective de branche stipule que les parties à la convention doivent (« sollen ») approuver la convention d'établissement « dérogatoire » qui peut être conclue dans certains cas (de nécessités économiques) avec certains objectifs (notamment de maintien de l'emploi), les parties à la convention de branche sont alors tenues de donner leur accord à la convention d'établissement dès lors que les conditions de la convention de branche sont effectivement remplies. Bref, les syndicats exercent un simple contrôle de légalité et non d'opportunité.

b) La conclusion par les syndicats de conventions collectives d'entreprise de « crise »
Cette possibilité pour les syndicats de conclure des accords spécifiques à une entreprise a toujours existé, par exemple chez Volkswagen(20), mais ils restaient jusqu'ici l'exception ; leur nombre a toutefois cru de façon très importante ces dernières années, notamment à la faveur de la « crise ». Ces accords collectifs d'entreprise sont conclus soit entre l'employeur et le syndicat, soit entre l'organisation patronale et le syndicat, auquel cas ils sont ciblés sur une entreprise particulière. En « temps de crise », ces accords ont le plus souvent pour objet de réduire les coûts qui résultent de l'application de la convention de branche, par exemple par la suspension de certains avantages qu'elle institue ou par l'augmentation ou la réduction de la durée du travail, avec ou sans compensation salariale. Ainsi, certains de ces accords collectifs d'entreprise ont convenu une réduction de 20 % de la durée hebdomadaire à 28 heures, mais toujours en échange d'engagements sur l'emploi.

Et la jurisprudence est constante pour considérer qu'en cas de concours, comme ici, entre une convention de branche conclue par un syndicat et un tel accord d'entreprise conclu par le même syndicat, c'est l'accord d'entreprise même moins favorable qui l'emporte, et ceci indépendamment de toute clause d'ouverture dans l'accord de branche, au seul motif que l'accord d'entreprise est spécial. Et le juriste français, lecteur des arrêts de la Cour de justice(21), sait que ce principe de « spécialité » doit toutefois être écarté dans les hypothèses de détachement, dès lors que les entreprises implantées dans un autre État membre n'ont pas la même possibilité de s'affranchir du respect de la convention collective étendue qui lui est applicable sur le fondement de la directive sur le détachement. La légitimité de ces accords collectifs d'entreprise est encore renforcée lorsqu'ils sont également signés par le conseil d'établissement, au point de pouvoir être qualifiés « d'accords tripartites »(22) (V. infra).

On voit déjà qu'il est vain de vouloir prendre le droit du travail allemand comme un « modèle » dont le droit français ferait bien de s'inspirer.

B. - Les accords sur l'emploi s'inscrivent dans un droit des relations collectives dont les différences avec le droit français sont irréductibles
De façon sommaire, le droit de conclure conventions collectives est directement garanti sous la liberté de coalition de l'article 9 III de la loi fondamentale. Selon la Cour constitutionnelle fédérale, il en résulte que l'État est obligé de mettre en place un droit de la négociation collective. D'une brièveté et d'une stabilité exemplaires - 13 § dont la rédaction est restée quasiment inchangée depuis 1949 - la loi sur les conventions collectives (TVG) vient concrétiser ce droit, en particulier en conférant à ces dernières un effet normatif. En sachant qu'une fois que l'autonomie collective « fonctionne », l'État n'a en principe plus à intervenir dans les relations de travail, en tout cas dans la réglementation des éléments du contrat de travail. Au risque de simplifier, l'intervention de la loi est alors subsidiaire et lorsque la loi intervient, elle est en principe supplétive.

Mais pour que l'autonomie fonctionne, encore faut-il que les organisations syndicales soient « capables » de négocier des conventions collectives(23) : la convention collective n'ayant pas seulement pour fonction de compléter, d'une façon ou d'une autre, la loi, mais plutôt de pallier directement l'inégalité structurelle du contrat individuel de travail au point d'être dotée d'une « garantie de justesse » sur le marché du travail, sa conclusion doit en effet être réservée à des organisations capables, c'est-à-dire « puissantes ». La « capacité conventionnelle » a beau être, - comme la représentativité -, un moyen de sélectionner les organisations, elle mesure donc moins la légitimité des organisations par rapport aux salariés que leur puissance par rapport à la partie patronale. Pour être capable, l'organisation doit en effet être en mesure d'exercer une pression et une contre pression, notamment au moyen de la grève, sur la partie patronale, de telle sorte que celle-ci prenne au sérieux ses propositions dans la négociation. Cette conception de la capacité conventionnelle induit nécessairement un pluralisme syndical limité (V. infra).

C'est ce qui explique que le droit de grève soit un droit - organique - du syndicat qui entretient un lien consubstantiel avec le droit de la négociation collective : directement garantis sous l'article 9 III GG comme la négociation collective, la grève et le lock-out ne peuvent être exercés que dans le but de conclure une convention collective ; en retour, la conclusion d'une convention collective fait naître une obligation de paix sociale relative, c'est-à-dire l'interdiction pour le syndicat signataire d'engager un conflit sur une matière expressément réglementée par la convention tant qu'elle est en vigueur(24).

En tout cas, dans une décision importante du 24 avril 2007(25), la Cour fédérale du travail a jugé que le syndicat peut également déclencher une telle grève dans une entreprise en restructuration. Certes, la loi sur la Constitution de l'établissement (BetrVG) confie dans ce cas au conseil d'établissement le soin de négocier une « conciliation des intérêts » et de codéterminer le plan social (qui a alors la nature juridique d'une convention d'établissement)(26). Mais selon la Cour, les syndicats peuvent malgré tout, engager, en plus, une grève visant à imposer à la partie patronale la conclusion d'une convention collective syndicale, spécifique à l'entreprise concernée (un « Firmentarifsozialplan »), qui comportera souvent des délais de préavis plus longs, des indemnités plus élevées, le financement de mesure de formation. Autant les syndicats ne peuvent - liberté d'entreprendre oblige - faire obstacle à la décision de restructuration et de délocalisation de l'employeur, autant ils doivent pouvoir influer sur ses conséquences pour les salariés. Une telle grève visant à obtenir la conclusion d'un tel « Firmentarifsozialplan » sera uniquement exclue, en vertu de « l'obligation de paix sociale relative », dans le cas où l'entreprise est soumise à une convention collective syndicale (de branche ou d'entreprise) qui réglemente déjà ces questions(27). Et selon la Cour fédérale du travail le fait que l'accord de branche prévoit déjà des dispositions précises sur le licenciement fait obstacle à une grève que le syndicat engagerait pour conclure une convention collective comprenant une protection renforcée sur le licenciement, notamment des engagements sur l'emploi(28). En cas de concours, ensuite, entre la convention d'établissement servant de support au plan social codéterminé par le conseil d'établissement et la convention collective d'entreprise alors conclue par le syndicat, on appliquera le principe de faveur, ce qui est exceptionnel entre ces deux niveaux de négociation (v. supra).

Enfin, c'est aussi parce que la négociation collective est directement garantie sous la liberté de coalition que la convention collective syndicale ne déploie, en principe, son effet normatif que sur les contrats de travail des seuls salariés syndiqués. Dans un tel système où les syndicats ne représentent que leurs membres, la notion de représentativité n'a a priori pas de sens. Et c'est en particulier parce que l'adhésion individuelle est considérée comme un mode de légitimation nécessairement plus fort que l'élection, que les conventions collectives conclues par les syndicats prévalent sur celles que peut effectivement conclure le conseil d'établissement (V. supra).

Cette limitation de l'effet normatif de la convention collective sur les seuls contrats de travail des salariés syndiqués constitue l'un des facteurs de complexité indiscutable pour que ces accords collectifs en général, sur l'emploi en particulier s'imposent sur tous les contrats de travail.

II. - De certaines difficultés juridiques pour les accords collectifs en général, - sur l'emploi en particulier -, de s'imposer au sein d'un droit des relations collectives lui-même en pleine évolution


En élargissant le spectre des investigations, on s'aperçoit donc que certaines des caractéristiques du droit allemand peuvent être à l'origine de difficultés pour ces accords sur l'emploi à s'imposer (A). Sans compter qu'au-delà même des accords sur l'emploi, le droit allemand des relations collectives du travail est confronté depuis quelques années à des évolutions qui rendent d'autant plus vaines les tentatives d'inspiration (B).

A. - De certaines difficultés juridiques pour les accords collectifs en général, sur l'emploi en particulier, de s'imposer
La convention collective conclue par un syndicat déploie un effet normatif sur les contrats de travail des seuls salariés syndiqués, sauf exceptions (1). Certes, l'employeur applique le plus souvent la convention collective à tous les salariés en introduisant dans les contrats de travail des clauses qui renvoient à la convention collective de branche, mais celles-ci ne renvoient pas nécessairement à l'accord (d'entreprise) sur l'emploi qui lui est postérieur (2). En outre, la partie patronale et le syndicat signataire peuvent être tentés d'introduire, singulièrement dans l'accord sur l'emploi, des clauses de différenciation entre salariés syndiqués et non syndiqués (3). Enfin, l'application de l'accord collectif sur l'emploi peut se heurter à l'application de clauses plus favorables du contrat de travail (4). Sans doute, en pratique, l'accord sur l'emploi va recueillir une forte acceptation dans l'entreprise qui rencontre des difficultés, surtout si le conseil d'établissement s'associe à sa conclusion, mais la jurisprudence a précisé récemment les conditions de validité de tels accords « tripartites » (5).

1. - Un effet normatif de la convention collective limité en principe aux syndiqués
Contrairement à ce qu'avancent les auteurs du rapport « Refonder le droit social »(29), la convention collective conclue par les syndicats n'est pas incorporée au contrat de travail en droit allemand. C'est exactement le contraire qui est vrai, l'Allemagne étant historiquement l'un des premiers États à avoir conceptualisé l'effet normatif de la convention collective sur les contrats de travail(30). La loi allemande précise que des dérogations à cet effet normatif sont possibles si elles sont autorisées par la convention collective (laquelle peut donc disposer de l'effet impératif, autonomie collective oblige) ou si elles comportent des modifications qui sont favorables au salarié (§4 III TVG ; sur le principe de faveur, v. supra). Quoi qu'il en soit, cet effet normatif étant directement garanti sous l'article 9 III GG, il est logiquement limité, en principe, aux contrats de travail des seuls salariés syndiqués, ce qui n'induit en rien son incorporation au contrat.

En plus de l'extension, c'est-à-dire - dans la terminologie allemande et communautaire - de la « déclaration d'application générale » par l'État de la convention collective à l'égard de tous les employeurs et donc de tous les salariés de la branche (§5 TVG), la loi sur les conventions collectives (TVG) prévoit, certes, quelques exceptions à cette absence d'effet erga omnes. Ainsi, les normes de la convention collective qui réglementent les questions dites de « l'établissement » et de la « constitution de l'établissement » s'imposent à tous les salariés, syndiqués ou non, à la seule condition que l'employeur soit lié à la convention (§3 II TVG). Mais il s'agit d'une exception d'interprétation stricte. Aussi, les « normes d'établissement » visent surtout les « normes de solidarité » (institution d'une cantine d'entreprise, par exemple) et les « normes sur la sécurité et la discipline » (interdiction de fumer, contrôle des entrées de l'entreprise). Mais plus récemment, la Cour fédérale du travail a semblé adopter la qualification de « norme d'établissement » à chaque fois qu'une différenciation entre syndiqués et non-syndiqués serait pour des raisons objectives et logiques manifestement inopportunes. A ainsi été qualifiée de « norme d'établissement » celle qui autorisait un certain pourcentage du personnel à déroger à la durée hebdomadaire de travail conventionnelle. Cette jurisprudence est critiquée par la doctrine majoritaire(31), laquelle réserve la qualification de « norme d'établissement » aux normes qui règlent des questions collectives par nature et qui ne peuvent faire l'objet du contrat individuel du travail.

2. - L'application à tous les salariés de la convention collective, grâce à des clauses du contrat de travail qui y renvoient : mais renvoient-elles aussi à l'accord (d'entreprise) sur l'emploi qui lui est postérieur ?
Il est vrai qu'en pratique la convention collective de branche va s'appliquer à tous les salariés, syndiqués ou non, en Allemagne. En effet, privé du droit de questionner le salarié sur son affiliation syndicale lors de l'embauche(32), mais aussi par intérêt de ne pas favoriser l'adhésion au syndicat des salariés non syndiqués, l'employeur qui est lié à une convention collective a tendance à introduire dans tous les contrats de travail, y compris donc des salariés syndiqués, des clauses qui renvoient à la convention collective(33). Mais ce sont également les employeurs non liés à la convention collective de branche qui, de plus en plus fréquemment, renvoient à celle-ci dans tous les contrats de travail de leurs salariés, dans le seul but souvent de pouvoir ainsi échapper à certaines dispositions légales lorsque celles-ci ne se déclarent supplétives, précisément, que par rapport à une convention collective(34). Cette pratique du renvoi systématique à la convention collective par les employeurs qui n'y sont pas liés normativement, dans le seul but de bénéficier de ses « dérogations moins favorables » à la loi, est désormais critiquée par de nombreux auteurs comme n'étant plus conforme à l'autonomie collective(35). En tout cas, si la convention collective est alors incorporée aux contrats de travail, c'est bien par le truchement d'une clause spécifique du contrat, et non par l'effet de la loi(36) !

Quoi qu'il en soit, l'application des conventions collectives sur le fondement de leur effet normatif (pour les seuls syndiqués, sauf normes d'établissement ou extension par l'État) et/ou de clauses de renvoi (le plus souvent dans tous les contrats de travail) peut conduire à des difficultés considérables, notamment pour l'application d'un accord collectif syndical sur l'emploi. Qu'il suffise pour s'en convaincre de s'en tenir à la constellation la plus simple, à savoir celle d'un accord collectif d'entreprise conclu par un syndicat qui déroge, en cas de « crise », à la convention de branche conclue par le même syndicat. Si la convention d'entreprise l'emporte normativement sur la convention de branche pour les salariés syndiqués en vertu du principe de spécialité (voir ci-dessus n°19), qu'en est-il alors des salariés non syndiqués ?(37) Tout va dépendre de la formulation de la clause de renvoi dans les contrats de travail. Si celle-ci renvoie -comme le plus souvent - à telle convention de branche avec ses avenants (clause de renvoi dit « petit dynamique »)(38), peut-on considérer, le moment venu, qu'elle renvoie alors aussi à la convention d'entreprise sur l'emploi conclue par le même syndicat ? La Cour fédérale du travail a tendance en effet à l'admettre, en tout cas lorsque la convention d'entreprise sur l'emploi a été conclue entre le syndicat et l'organisation patronale pour l'entreprise déterminée(39). Une telle solution est moins évidente lorsque la convention d'entreprise sur l'emploi est conclue par le syndicat et l'employeur. Admettons alors que la clause devrait expressément préciser qu'elle renvoie non seulement à la convention de branche, mais aussi à la convention d'entreprise(40). Mais à supposer que des salariés (syndiqué ou non) soient potentiellement soumis à la fois à une convention collective de branche, applicable uniquement normativement (pour les non syndiqués parce qu'elle est étendue par l'État), et à une autre convention collective (de branche ou d'entreprise), mais applicable sur le fondement d'une clause de renvoi de leur contrat de travail (et donc incorporée à celle-ci), on se trouve alors dans une hypothèse de concours entre convention collective et contrat de travail qui est justiciable du principe de faveur(41).

Sans doute, une telle solution peut, dans certains cas, aboutir à mieux traiter les salariés non syndiqués que les salariés syndiqués, notamment lorsque les premiers peuvent seuls continuer à bénéficier des avantages de l'accord collectif applicable sur le fondement de leur clause de renvoi. Mais qu'importe après tout, car il n'existe pas (plus) de dogme juridique de l'égalité de traitement en la matière entre syndiqués et non syndiqués, comme le montre le revirement de jurisprudence de la Cour fédérale sur l'interprétation des clauses de renvoi en cas de transfert d'entreprise(42). C'est d'ailleurs si vrai que le syndicat signataire et l'employeur peuvent même être tentés de profiter de la conclusion de l'accord sur l'emploi pour introduire dans celui-ci des clauses de « différenciation syndicale ».

3. - Des accords sur l'emploi qui peuvent être assortis de clauses dites de « différenciation syndicale »
Alors que l'accord sur l'emploi ne présente d'intérêt que s'il s'applique à tous les salariés - notamment s'agissant de ses « sacrifices » - (soit par la qualification de norme d'établissement, soit surtout par le truchement de clauses de renvoi), les parties signataires introduiraient de plus en plus fréquemment dans ces accords sur l'emploi des clauses de « différenciation syndicale » qui ont pour objet de réserver aux seuls salariés syndiqués les avantages que les syndicats auraient obtenus en contrepartie(43). La validité de telles « clauses de différenciation » en général, par lesquelles les syndicats veulent inciter les salariés à adhérer, quitte à exercer sur eux une certaine pression, a toujours été très controversée en droit allemand. Il est acquis que sont illégales les clauses d'une convention collective qui interdiraient à l'employeur d'accorder aux salariés non syndiqués les mêmes avantages que les syndiqués. Au-delà, le grand Sénat de la Cour fédérale du travail avait jugé dans une décision de référence de 1967 qu'étaient également illégales les clauses de différenciation dites « qualifiées », à savoir en l'occurrence les clauses dites « d'écart » qui obligent l'employeur, qui accorde l'avantage conventionnel aux non-syndiqués, à accorder aux syndiqués une nouvelle fois cet avantage de façon à ce que subsiste, coûte que coûte, un écart entre syndiqués et non syndiqués. Dans une décision très attendue du 23 mars 2011(44), la Cour fédérale du travail a confirmé cette solution. Sans reprendre la motivation passablement complexe de la décision de 1967 sous l'angle de la liberté syndicale négative, la Cour réaffirme pour l'essentiel que ces clauses excèdent le pouvoir normatif des parties à la convention collective en ce qu'elles leur permettent d'exercer indirectement une influence sur les relations de travail des salariés non syndiqués.

Mais cette décision fait suite à une autre décision très remarquée du 18 mars 2009(45) par laquelle la Cour fédérale du travail a jugé qu'étaient en revanche valables les clauses de différenciation syndicale dites « simples », à savoir celles qui se contentent de distinguer, pour tel ou tel avantage, entre syndiqués et non syndiqués. Comment aurait-elle pu d'ailleurs en décider autrement si l'on songe que ces clauses ne font, somme toute, que rappeler ce qui est dans la loi elle-même, à savoir que la convention collective ne déploie son effet normatif, sauf exceptions, que sur les contrats de travail des syndiqués ? Mais en l'espèce, il s'agissait précisément d'une clause d'un accord d'entreprise conclu par un syndicat qui réservait la contrepartie de certains sacrifices aux seuls salariés syndiqués. Une salariée non membre du syndicat signataire se fondait sur la clause de son contrat de travail qui renvoyait à la convention collective pour bénéficier de cette contrepartie. Or, la Cour fédérale du travail lui a refusé cette possibilité en invoquant la clause de différenciation. Elle en a profité pour affirmer qu'une clause de renvoi à la convention collective dans le contrat de travail n'a pas pour effet de conférer au salarié le statut de membre du syndicat signataire au regard de la convention collective. Autant dire qu'en dépit de l'illicéité des clauses de différenciation dites « qualifiées », les syndicats conservent malgré tout, avec les clauses dites « simples », un moyen d'inciter les salariés à adhérer.

4. - L'accord sur l'emploi et les clauses plus favorables du contrat de travail
En principe, l'accord du salarié est alors requis pour la remise en cause de ses avantages contractuels (compte tenu de la comparaison des avantages, v. supra), mais on peut penser que les salariés accepteront une modification de leur contrat, et ceci d'autant plus lorsque l'accord collectif sur l'emploi, signé par le syndicat, a également été approuvé par le Conseil d'établissement. Mais au-delà, d'aucuns s'interrogent précisément sur le point de savoir si une telle remise en cause ne pourrait, de toute façon, être obtenue par la clause de renvoi qui contractualise l'accord collectif sur l'emploi, bref si celui-ci ne devrait pas alors prévaloir au titre de clause postérieure du contrat. Une difficulté subsisterait toutefois pour les syndiqués qui bénéficient de l'accord collectif sur le fondement de son effet normatif, sauf à admettre l'existence de clauses du contrat, y compris de renvoi, qui anticiperaient la détérioration(46). C'est dire en tout cas à quel point l'application uniforme des accords sur l'emploi peut se heurter, d'un point de vue juridique, à des difficultés manifestement insoupçonnées au départ.

Il est vrai que de tels accords conclus par les syndicats peuvent en pratique s'appuyer sur un consensus général dans l'entreprise, surtout lorsque l'employeur obtient le renfort du Conseil d'établissement ; mais ce sont alors d'autres difficultés qui surgissent.

5. - Les accords « tripartites » (employeur, syndicat et conseil d'établissement) sur l'emploi : le nécessaire respect du principe de transparence
Il n'est pas rare qu'en pratique l'employeur mobilise à la fois le syndicat et le conseil d'établissement pour conclure un accord de maintien du site (« Standortsicherungsvereinbarung ») ou - plus optimiste - un accord sur la garantie de l'avenir de l'entreprise(47). Or, dans une décision importante du 15 avril 2008(48), la Cour fédérale du travail a jugé qu'un tel accord « tripartite » n'était valable qu'à la condition de respecter les principes de transparence et de clarté juridique : et tel ne sera le cas que si d'un premier coup d'oeil sur l'accord, on peut savoir avec certitude quelle règle a été conclue par qui (le syndicat et/ou le conseil d'établissement) et avec quelle qualité normative. En effet, les syndicats et le conseil d'établissement ne disposent pas des mêmes compétences et reposent sur des principes d'organisation fondamentalement différents (V. supra). En l'espèce, la Cour fédérale du travail a donné satisfaction à un salarié qui a contesté la remise en cause d'un avantage particulier par un accord tripartite sur l'emploi, et ceci au motif que la norme sur l'avantage en question n'était pas claire, notamment par rapport à la qualité de son auteur.

B. - Des difficultés redoublées du fait de certaines évolutions récentes du droit des relations collectives lui-même
Les difficultés évoquées sont comme redoublées lorsque les accords collectifs en concours (de branche et d'entreprise notamment) sont conclus par des syndicats différents. Or, il ne s'agit plus d'une hypothèse d'école depuis que la Cour fédérale du travail a assoupli les conditions requises pour qu'une coalition soit reconnue « capable » de conclure une convention collective et, surtout, depuis qu'elle a rendu possible dans ce prolongement un certain pluralisme conventionnel en abandonnant le principe dit « d'unité conventionnelle », c'est-à-dire d'application d'une seule convention collective à l'entreprise (1). Les thuriféraires français du système allemand feignent également d'ignorer que la « crise » économique a mis en exergue l'existence de niveaux de salaires à ce point faibles dans certains secteurs et certaines régions (au-delà même de la question du détachement et de celui du travail intérimaire), que le législateur a été obligé d'intervenir à plusieurs reprises pour imposer des salaires minima, soit en étendant des conventions collectives dites alors « représentatives » soit, à défaut, en fixant par règlements des minima de branche. Le débat sur l'instauration d'un salaire minimum légal uniforme n'est pas clos pour autant : mais où est alors le « modèle » allemand dont certains se gargarisent ? (2)

1. - Vers un plus grand pluralisme syndical et conventionnel
a) Vers un pluralisme syndical plus accentué ?
Seuls peuvent négocier et conclure des conventions collectives les syndicats, c'est à dire les coalitions (associations professionnelles) protégées par l'article 9 III GG qui sont jugées « capables de conclure des conventions collectives » et donc « puissantes » (V. supra). Déterminée par la juridiction du travail(49) en fonction du domaine d'activité couvert par les statuts de l'organisation, mais indépendamment d'une négociation concrète dans tel ou tel secteur, cette « puissance » est surtout tributaire du nombre d'adhérents, à défaut de leur position stratégique dans l'entreprise, ainsi que de la capacité financière du groupement, laquelle est en effet décisive pour mener un conflit.

Traditionnellement, une jurisprudence exigeante avait sinon pour objet, en tout cas pour effet, de conforter un système syndical unifié autour de la petite dizaine de syndicats de branches, capables de négocier, (dont IG Metall, IG Chimie, énergie, mine, Ver.di....) qui sont tous membres de la même fédération allemande des syndicats (DGB)(50). Or depuis le début des années 2000, la jurisprudence fait preuve de davantage de souplesse sur cette notion de puissance : ainsi, elle a permis à plusieurs syndicats de métiers, de professions dites « d'élites » (pilotes, médecins...), d'être capables conventionnellement et donc de sortir du cadre des conventions conclues par les syndicats du DGB. Aussi et surtout, dans une décision du 28 mars 2006 concernant le syndicat chrétien de la métallurgie, la Cour fédérale du travail a, pour apprécier la puissance d'une coalition, semblé attacher moins d'importance à son nombre d'adhérents et à sa structure organisationnelle et plutôt plus d'importance à sa participation active à la vie conventionnelle, y compris en tenant compte de conventions collectives qu'elle n'a pas négociées elle-même, pour peu qu'il ne s'agisse pas de conventions de « complaisance » octroyées par la partie patronale.

Certes, dans une décision retentissante du 14 décembre 2010(51), la Cour fédérale du travail a dénié la capacité conventionnelle à la « Communauté des syndicats chrétiens pour le travail temporaire (...) » avec pour conséquence l'annulation rétroactive de toutes les conventions conclues. Mais cette décision concernait précisément le cas très particulier des conventions collectives qui dérogent, comme le permet la loi allemande, au principe d'égalité de traitement en matière de rémunération entre travailleurs intérimaires et salariés de l'utilisateur. Or, ces conventions collectives aux minima salariaux extrêmement faibles étaient conclues par des « organisations fantômes »(52) dans le seul but de permettre aux employeurs d'y renvoyer dans les contrats de travail (sur cette instrumentalisation des clauses de renvoi, v. supra). Dans d'autres décisions, la Cour fédérale du travail a plutôt confirmé son infléchissement de 2006 en faveur d'un plus grand pluralisme, tout en renforçant son contrôle pour les organisations récentes qui ont peu de membres et pour lesquelles la seule conclusion de nombreuses conventions collectives ne saurait constituer un indice suffisant de la puissance(53).

En tout cas, favoriser un plus grand pluralisme syndical ne sert à rien si les différentes conventions collectives conclues par des syndicats différents ne peuvent s'appliquer. C'est pourquoi la Cour fédérale du travail a fini par abandonner le principe dit d' « unité conventionnelle ».

b) Un pluralisme conventionnel et ses conséquences, notamment sur les accords sur l'emploi
La limitation de l'effet normatif de la convention collective sur les contrats de travail des seuls salariés syndiqués amène à distinguer deux hypothèses différentes de concours : celle de la « concurrence » et celle de la « pluralité » de conventions collectives. Ainsi, il y a concurrence conventionnelle lorsqu'un même contrat de travail est, sur une même question, susceptible d'être régi par plusieurs conventions collectives différentes, auxquelles à la fois l'employeur et le salarié sont liés normativement. C'est le cas topique exposé plus haut du concours entre une convention de branche et d'une convention d'entreprise conclues par le même syndicat. On appliquera une seule convention collective, en l'occurrence la convention collective spéciale. Il y aura en revanche « pluralité conventionnelle » lorsque plusieurs conventions collectives (TV) ont vocation à s'appliquer dans un même établissement, mais à des contrats de travail différents en fonction de la liaison conventionnelle du salarié, et donc du syndicat auquel celui-ci est adhérent.

Pendant longtemps, la jurisprudence a appliqué le même principe qu'en cas de concurrence, à savoir celui de l'application d'une seule convention collective, en l'occurrence la spéciale, à tout l'établissement (« Tarifeinheit »), en justifiant principalement cette solution par des considérations pratiques au demeurant évidentes. Ainsi, l'accord d'entreprise sur l'emploi conclu par le syndicat chrétien (à supposer celui-ci « capable ») l'emportait sur l'accord de branche conclu par un syndicat du DGB (IG Metall par exemple). Pourtant, cette jurisprudence était très critiquée - bien au-delà de cette seule hypothèse - par une doctrine majoritaire, en particulier parce qu'elle avait pour effet de priver les salariés qui sont membres du syndicat signataire de la convention collective évincée, de « leur » convention collective, mais aussi du bénéfice de toute convention collective, puisque la convention « spéciale » qui l'emporte ne s'applique pas à eux, faute pour eux d'être membres du syndicat qui en est signataire. Et c'est précisément parce que l'application du principe d'« unité conventionnelle » à ces hypothèses de « pluralité » portait atteinte à la liberté de coalition individuelle (de ces salariés) et collective (du syndicat dont la convention est évincée), que la Cour fédérale du travail a fini par procéder à un revirement spectaculaire de jurisprudence dans une décision attendue du 7 juillet 2010(54). Bref, selon la Cour, la pluralité conventionnelle doit désormais être acceptée et l'employeur doit donc appliquer plusieurs conventions collectives aux salariés de son entreprise en fonction de leur affiliation syndicale.

Les principales organisations centrales, patronale (BDA) et syndicale (DGB), ont immédiatement réagi par un texte commun(55) : sous couvert de garantir le fonctionnement de l'autonomie collective et d'éviter une « division » du personnel, elles ont suggéré au législateur de réintroduire le principe d' « unité conventionnelle » dans la loi sur les conventions collectives en cas de pluralité conventionnelle et de prescrire l'application de la convention collective à laquelle sont liés le plus de salariés dans l'entreprise ou l'établissement. Ces organisations centrales s'étant vues reprocher de vouloir ainsi conserver un monopole et de se protéger d'autres organisations concurrentes, un groupe de professeurs a fait une autre proposition, assortie de quelques variantes. Mais ces projets, quels qu'ils soient, peuvent difficilement emporter la conviction, si l'on considère avec la Cour fédérale du travail que le principe d' « unité conventionnelle » est, en cas de « pluralité », contraire à la liberté de coalition de la loi fondamentale (art. 9 III GG)(56). D'autres auteurs considèrent que seules les conséquences de cette « pluralité » sur le droit des conflits collectifs, avec une multiplication des grèves, devraient, mais à tout le moins, être corrigées(57).

Force est en tout cas de constater, en l'espèce, que l'abandon du principe d' « unité conventionnelle » compromet du même coup l'application de l'accord d'entreprise sur l'emploi, lorsque celui-ci a été signé par un syndicat différent (chrétien par exemple) de celui (du DGB) qui a signé la convention de branche applicable. Sans compter alors les difficultés que peut poser l'interprétation des clauses de renvoi, dont la formulation devient alors décisive. Si cette évolution de la jurisprudence est annonciatrice de difficultés en pratique, elles ne sont somme toute que la conséquence logique de l'autonomie collective et du rôle important que celle-ci confère à l'adhésion syndicale dans la légitimation de la convention collective conclue par le syndicat.

L'évolution concerne aussi l'instauration progressive, d'une façon ou d'une autre, d'un salaire minimum, celle-ci pouvant d'une certaine manière être regardée comme un symptôme d'une « crise » de l'autonomie collective.

2. - Le débat sur le salaire minimum : symptôme d'une « crise » de l'autonomie collective ?
La fixation du salaire minimum, à savoir du prix sur le marché du travail, incombe par excellence à l'autonomie collective : les conventions collectives étant conclues par des syndicats « puissants », elles sont censées réaliser un « compromis juste » sur le marché du travail. Il n'en demeure pas moins que la convention collective de branche ne peut déployer son effet, en principe, que si l'employeur est membre de l'organisation patronale signataire. Or, pour des raisons et par des mécanismes juridiques divers, de nombreux employeurs ont réussi à échapper ces dernières années à toute liaison conventionnelle (notamment avec le passage dans le groupement au statut de « membre non lié à la convention collective »)(58), avec pour conséquence l'existence de salaires très faibles dans certaines branches.

C'est pour lutter contre différents phénomènes de « dumping social » que le législateur a été amené à intervenir à plusieurs reprises dans la période récente : en plus de la procédure d'extension qui a toujours existé dans la loi sur les conventions collectives mais qui est soumise à des conditions restrictives (§5 TVG), l'État dispose désormais d'au moins cinq procédures différentes (et très complexes) pour imposer, plus ou moins directement, des minima salariaux de branche (!)(59), dans le détail desquelles il ne peut être question d'entrer ici.

Notons seulement, d'abord, que le choix, parmi les conventions collectives fixant les minima salariaux, de celle qui devra être étendue est décisif car il a pour effet légal non seulement de la rendre applicable à tous les employeurs et du même coup à tous les salariés de la branche (syndiqués et non), mais aussi - ce qui est contesté du point de vue de l'autonomie collective - de priver alors d'application d'autres conventions collectives conclues par d'autres syndicats. C'est dans ces conditions que la loi sur le détachement (AEntG), comme celle plus récente sur le travail temporaire (AÜG)(60) précisent, en substance, que le pouvoir réglementaire doit prendre en compte la dite « représentativité » des conventions collectives ! Et celle-ci s'apprécie alors prioritairement non seulement par rapport au nombre de salariés qui sont employés par les employeurs membres de l'organisation patronale signataire, - c'est-à-dire déjà liés à la convention collective et relevant de son champ d'application -, mais aussi par rapport au nombre de membres du syndicat qui a conclu la convention.

Notons aussi qu'une loi de 2009 a réactivé, en la modifiant, une loi de 1952, qui permettait au gouvernement de fixer des conditions minimales de travail en cas de dysfonctionnement de l'autonomie collective, mais qui n'avait jamais été utilisée. Depuis 2009, cette loi (MiArbG) permet en effet la fixation de minima salariaux (à l'exclusion d'autres conditions de travail) dans une branche économique quand dans cette branche au niveau fédéral, les employeurs qui sont liés aux conventions collectives emploient moins de 50 % des salariés entrant dans le champ d'application de ces conventions collectives. La fixation de minima salariaux suppose alors le respect d'une procédure très lourde qui comporte trois étapes.

En tout cas, une fois qu'ils sont fixés et donc applicables à tous les employeurs entrant dans le champ d'application du règlement, indépendamment du lieu de leur siège, ces minima salariaux ont vocation à évincer l'application des conventions collectives (sous réserve de dispositions transitoires de la loi), ce qui constitue à l'évidence une atteinte à l'autonomie collective telle qu'elle est protégée sous l'article 9 III GG(61). Or, même ceux des auteurs qui considèrent que l'atteinte est proportionnée émettent des réserves lorsque les conventions collectives évincées comportent des engagements en matière d'emploi... À suivre ces auteurs, le règlement qui a le même effet qu'une convention collective sur les contrats de travail pourrait alors, à l'instar des clauses d'ouverture dans les conventions collectives, disposer que ces minima salariaux sont supplétifs au profit de conventions collectives maintenant l'emploi(62). Quoi qu'il en soit sur ce point, ce débat sur le salaire minimum est loin d'être clos(63) : et n'est-il pas, à tout le moins, le signe que le prétendu « modèle » allemand n'existe pas, en tout cas pas tel qu'on voudrait se l'imaginer ?

Conclusions
Si de très nombreux accords sur l'emploi ont en effet été conclus pendant la crise en Allemagne, l'autonomie collective allemande ne peut pour autant, d'un strict point de vue juridique, être parée de toutes les vertus, comme le montrent à la fois le débat sur l'instauration d'un salaire minimum et, plus généralement aussi, les difficultés que ces accords peuvent rencontrer pour s'imposer. Vouloir isoler tel ou tel élément du droit des relations collectives pour s'en inspirer n'a pas de sens dès lors que tous ces éléments s'inscrivent dans un système juridique singulier qui puise lui-même ses racines dans une histoire tout autant singulière.

L'exercice comparatif n'est pas inutile pour autant, loin s'en faut. Le droit allemand montre en particulier que la légitimité par l'adhésion (l'autonomie collective par les syndicats) est supérieure à la légitimité par l'élection (la convention d'établissement conclue par le conseil d'établissement). Pour le droit français, c'est dire notamment que ni la légitimité électorale du syndicat, telle qu'elle résulte de la loi du 20 août 2008, ni même l'expression majoritaire des salariés ne sauraient, sous couvert d'effet normatif, suffire à justifier que la convention collective puisse s'imposer au point de se substituer, sans autre forme de procès, aux clauses du contrat de travail - de la minorité en particulier -, et en tout cas sur les matières relevant du contrat. Même adoptée au nom de l'emploi, une loi qui chercherait à conférer un tel effet à ces accords collectifs constituerait une atteinte disproportionnée à la « liberté personnelle » des salariés concernés.

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1 Publié par Visiteur
19/09/2015 15:52

merci !!!!

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