Dénonciation d'actes pédophiles: quelles obligations ?

Publié le Modifié le 30/03/2014 Vu 5 069 fois 0
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Dénonciation d'actes pédophiles: quelles obligations ?

Dans une émission diffusée Lundi sur Canal+, Luc Ferry  a prétendu qu’un ancien ministre avait eu des relations pédophiles au Maroc. S’interrogeant sur le rôle de la presse vis-à-vis de la vie privée de personnalités, Monsieur Ferry tenait les propos suivants : «Regardez, le dernier exemple en date est frappant. Dans les pages du Figaro Magazine de cette semaine, vous avez un épisode qui est raconté d'un ancien ministre, qui s'est fait poisser à Marrakech, au Maroc, dans une partouze avec des petits garçons (...). L'affaire m'a été racontée par les plus hautes autorités de l'Etat, en particulier par le Premier ministre». Il précise: «J'ai des témoignages des membres de cabinet au plus haut niveau, et des autorités de l'Etat au plus haut niveau. Si je sors le nom maintenant, que je lâche le nom dans la nature, premièrement c'est moi qui serais mis en examen et je serais à coup sûr condamné même si je sais que l'histoire est vraie. Là, il y a un principe de transgression du respect à la vie privée et de la diffamation, qui, là quand même, pèse sur les journalistes, à juste titre... ».

Au-delà des faits rapportés par Luc Ferry, dont on ignore tout à ce stade, ces déclarations suscitent plusieurs interrogations juridiques.

Une personne informée de faits de pédophilie est elle tenue de les dénoncer?

Deux articles du code pénal s’appliquent en pareil cas.

En premier lieu l’article 434-1 du code pénal incrimine «le fait, pour quiconque ayant connaissance d'un crime dont il est encore possible de prévenir ou de limiter les effets, ou dont les auteurs sont susceptibles de commettre de nouveaux crimes qui pourraient être empêchés, de ne pas en informer les autorités judiciaires ou administratives (…)».

En second lieu, l’article 434-3 sanctionne « le fait, pour quiconque ayant eu connaissance de privations, de mauvais traitements ou d'atteintes sexuelles infligés à un mineur de quinze ans ou à une personne qui n'est pas en mesure de se protéger en raison de son âge, d'une maladie, d'une infirmité, d'une déficience physique ou psychique ou d'un état de grossesse, de ne pas en informer les autorités judiciaires ou administratives (…) ».

Une personne informée de la commission d’actes de pédophilie semble donc bien soumise à une obligation de dénonciation de ces faits aux autorités. Bien évidemment, pour que cette obligation s’applique, il convient que la personne ne soit pas astreinte à un secret professionnel (1) et qu’elle dispose d’une réelle connaissance des faits qu’elle allègue (2).

Quelles poursuites risque l’auteur d’une dénonciation de tels faits?

Deux infractions pénales semblent principalement envisageables: la diffamation et la dénonciation calomnieuse.

Affirmer publiquement qu’une personne s’est rendue coupable d’actes de pédophilie peut engendrer des poursuites pour diffamation. L’auteur des propos peut, en matière de diffamation, théoriquement se défendre en démontrant la véracité de ses allégations. Mais un tel mode de défense n’est pas recevable si la preuve de la vérité porte atteinte à la vie privée de la personne visée.  Par conséquent, le fait d’affirmer publiquement que quelqu’un s’est rendu coupable d’actes de pédophilie risque en effet d’être sanctionné sur le terrain de la diffamation. Des poursuites civiles pourraient également être diligentées pour atteinte à la vie privée.

Plus délicate est la question de la dénonciation calomnieuse: que risque quelqu’un qui signalerait à la police des faits de pédophilie dont il a été informé? L’article 226-10 du code pénal dispose:
«La dénonciation, effectuée par tout moyen et dirigée contre une personne déterminée, d'un fait qui est de nature à entraîner des sanctions judiciaires, administratives ou disciplinaires et que l'on sait totalement ou partiellement inexact, lorsqu'elle est adressée soit à un officier de justice ou de police administrative ou judiciaire, soit à une autorité ayant le pouvoir d'y donner suite ou de saisir l'autorité compétente, soit aux supérieurs hiérarchiques ou à l'employeur de la personne dénoncée, est punie de cinq ans d'emprisonnement et de 45000 euros d'amende.

La fausseté du fait dénoncé résulte nécessairement de la décision, devenue définitive, d'acquittement, de relaxe ou de non-lieu, déclarant que le fait n'a pas été commis ou que celui-ci n'est pas imputable à la personne dénoncée. (…

En d’autres termes, pour qu’il y ait dénonciation calomnieuse, il faut que l’auteur soit de mauvaise foi et ait conscience que les faits qu’il dénonce sont faux. Une personne qui signalerait, en toute bonne foi, des faits dont elle a connaissance ne s’exposerait donc théoriquement à aucun risque au regard de la dénonciation calomnieuse, si elle se montre prudente dans la façon dont elle rapporte ces faits.

Soumise à l’obligation de dénonciation prévue par l’article 434-3 et couverte à l’égard du risque de dénonciation calomnieuse, une personne (non astreinte à un quelconque secret) informée d’actes de pédophilie semble avoir tout intérêt à en informer la police. Mais pas la presse.

 

Source : Droit dans l'actu

http://loi.blogs.liberation.fr/dufief/2011/05/dans-une-%C3%A9mission-diffus%C3%A9e-lundi-sur-canal-luc-ferry-a-pr%C3%A9tendu-quun-ancien-ministre-avait-eu-des-relations-p%C3%A9dophil.html

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