Appréciation critique et diffamation des commerçants, professionnels ou restaurants

Publié le Modifié le 07/12/2013 Vu 9 110 fois 6
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Le 10 septembre 2013, la Cour de cassation a jugé que dès lors qu'elles ne concernent pas la personne physique ou morale, les appréciations, même excessives, touchant les produits, les services ou les prestations d'une entreprise industrielle ou commerciale ne tombent pas sous le coup de l’infraction de diffamation. (Cass. Crim., 10 septembre 2013, n° 11-86311)

Le 10 septembre 2013, la Cour de cassation a jugé que dès lors qu'elles ne concernent pas la personne physiq

Appréciation critique et diffamation des commerçants, professionnels ou restaurants

Pour mémoire, l’article 29 de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse dispose que :

« Toute allégation ou imputation d'un fait qui porte atteinte à l'honneur ou à la considération de la personne ou du corps auquel le fait est imputé est une diffamation. La publication directe ou par voie de reproduction de cette allégation ou de cette imputation est punissable, même si elle est faite sous forme dubitative ou si elle vise une personne ou un corps non expressément nommés, mais dont l'identification est rendue possible par les termes des discours, cris, menaces, écrits ou imprimés, placards ou affiches incriminés.  Toute expression outrageante, termes de mépris ou invective qui ne renferme l'imputation d'aucun fait est une injure. »

Il ressort du premier alinéa de ce texte que l’infraction de diffamation suppose une atteinte personnelle.

Il s'agit d'un élément constitutif du délit de diffamation en l'absence duquel l'infraction n'existe pas.

Ainsi, une jurisprudence constante de la cour de cassation a posé le principe de l’exclusion des atteintes aux biens et services du champ d’application de la diffamation et de l’article 29 de la loi du 29 juillet 1881 précité.

Autrement dit, il n’y a pas de diffamation en cas de critique d’un bien ou d’un service.

Il s'agira d'un dénigrement commercial.

Par conséuent, si aucun individu n’est personnellement visé par les propos, il ne s’agit pas de diffamation, mais d'un dénigrement, lequel relève de l’action en responsabilité civile de l’article 1382 du code civil.

Or, la bonne qualification juridique des propos conditionne le succès de la procédure et le choix d’un mauvais fondement rend la procédure nulle.

C’est ainsi que la Cour de cassation a eu à juger que :

 « les appréciations, même excessives, touchant les produits, les services ou les prestations d'une entreprise industrielle ou commerciale n'entrent pas dans les prévisions de l'article 29 de la loi du 29 juillet 1881, dès lors qu'elles ne concernent pas la personne physique ou morale ; que la critique gastronomique est libre et permet la libre appréciation de la qualité ou de la préparation des produits servis dans un restaurant ». (Cass. Civ II, 23 janvier 2003, n° 01-12848).

L’arrêt commenté s’inscrit dans cette même jurisprudence en énonçant qu’on ne saurait qualifier de diffamatoires les appréciations critiques touchant les produits, les services ou les prestations d’une entreprise.   

En l’espèce, une association a publié un guide gastronomique qui comportait des appréciations critiques sur les prestations d’un restaurant.

La société exploitant ce restaurant a assigné devant le tribunal correctionnel le directeur de publication du guide astronomique et l’association pour diffamation publique.

Les premiers juges ont jugé et condamné les prévenus de ce chef.

A l’appui de leur pourvoi, ces derniers invoquaient, d’une part, la nullité de la citation délivrée devant le juge pénal sur le fondement des dispositions de la loi sur la presse et, d’autre part, le défaut de caractérisation de l'infraction de diffamation.

La Cour de cassation a accueilli ce pourvoi en cassant et annulant l’arrêt d’appel.

Pour ce faire, la Cour de cassation a d’abord estimé que :

« les mêmes faits ne sauraient recevoir une double qualification sans créer une incertitude dans l'esprit du prévenu, et, si des instances relatives aux mêmes imputations qualifiées différemment et visant des textes de loi distincts ont été engagées successivement, la seconde se trouve frappée de nullité ».

Or, dans le cas présent, deux instances ont été engagées sur des fondements différents, la première sur celui de l'article 1382 du code civil, la seconde sur celui des articles 29 et 32 de la loi de 1881.

Par conséquent, la société exploitante du restaurant ne pouvait pas saisir le juge pénal par voie de citation directe après avoir saisi le juge des référés sur un autre fondement.

Ensuite, la cour de cassation a considéré que :

« dès lors qu'elles ne concernent pas la personne physique ou morale, les appréciations, même excessives, touchant les produits, les services ou les prestations d'une entreprise industrielle ou commerciale n'entrent pas dans les prévisions de l'article 29 de la loi du 29 juillet 1881 ».

En conséquence, compte tenu que les appréciations litigieuses ne mettaient en cause aucune personne physique ou morale déterminée, mais seulement la qualité des prestations d'une entreprise commerciale désignée sous une enseigne, les juges ont estimé que l’action en justice ne pouvait pas valablement être fondée sur la diffamation.

En d’autres termes, en l’absence d’une imputation dirigée directement contre une personne physique ou morale désignée ou identifiable, le délit de diffamation ne s’applique pas.

Cet arrêt illustre ainsi la nécessité pour les sociétés ou professionnels estimant que des propos leur portent préjudice d’être assistés d’un avocat spécialisé afin d’engager leur action sur un fondement juridique adéquat.

Ce recours à un avocat spécialisé est d’autant plus nécessaire que le choix entre la diffamation et le dénigrement est complexe et lourd de conséquences.

Cette décision est positive notamment pour les victimes d'atteintes à leurs réputation E-réputation ou réputation numérique.

Elles disposent ainsi d'un délai d'action de 5 ans et non de 3 mois à compter de la publication des propos litigieux et elles évitent les lourdeurs procédurales des procédures du droit de la presse pour diffamation ou injure.

Je suis à votre disposition pour toute action ou information (en cliquant ici).

PS : Pour une recherche facile et rapide des articles rédigés sur ces thèmes, vous pouvez taper vos "mots clés" dans la barre de recherche du blog en haut à droite, au dessus de la photographie.

Anthony Bem
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1 Publié par Visiteur
16/04/2014 02:18

Merci pour cet article. Mais il me reste une interrogation : révéler publiquement qu'une ou plusieurs plaintes ont été déposées contre tel commerçant ou entreprise, pour escroquerie, concernant un service vendu par la société, est-ce une... diffamation ?
Par ailleurs, critiquer un produit ou un service vendu par telle société, en précisant le nom de son gérant (sans le qualifier d'escroc évidemment), est-ce une diffamation ?

2 Publié par Maitre Anthony Bem
16/04/2014 06:53

Bonjour Laurier dans les deux cas c'est du dénigrement et non de la diffamation en application des dernières jurisprudences. Cordialement.

3 Publié par Visiteur
16/04/2014 20:21

Merci pour cette réponse rapide, mais je lis sur un autre site pourtant bien informé, une analyse un peu divergente, disant que dès lors que le commerçant, fabricant, entreprise... est nommément cité dans la critique du produit, ça peut devenir de la diffamation : Je cite :
"Toutefois, il convient de noter que la jurisprudence tend à réduire la possibilité de recours sur le fondement de l’article 1382 du Code civil en rapprochant la critique de produits de la diffamation. En effet, si les propos incriminés sont suffisamment précis, et qu’ils rendent le fabricant des produits ou services identifiables, le délit de diffamation est susceptible d’être constitué.
"La critique des produits et services s’analysant en une diffamation à l’encontre du fabricant, la responsabilité de droit commun de 1382 ne s’applique pas à la poursuite, ce que confirme un arrêt rendu par la Première chambre civile, le 27 septembre 2005.
"L’action fondée sur le seul régime de droit commun est ainsi uniquement applicable aux hypothèses de dénigrement de produits et services, et donc lorsqu’il ne peut être établi que le fabricant de ceux-ci est directement visé par les propos incriminés."
Lien direct ici, dans le bas de la page :
https://www.murielle-cahen.com/publications/diffamation-denigrement.asp
Je pense que pour le délit de diffamation soit "susceptible d'être constitué", il faut y ajouter des attaques directes contre la personne. Par exemple, si je dis avoir acheté chez mon banquier (nom du banquier + enseigne) un produit financier qui m'a fait perdre toutes mes économies, alors qu'il annonçait être au contraire être le placement le plus sécurisé, que ce produit est donc un scandale, un danger, voire une arnaque, je pense (surtout si c'est largement prouvé) que c'est inattaquable ? Bien-sûr en m'abstenant de traiter le banquier d'escroc ! Ce sera à la justice d'en décider à ce niveau, si plaintes il y a...
Est-ce qu'on peut mettre d'accord votre analyse et celle ci-dessous en harmonie ainsi ??
Par ailleurs, le régime de droit commun (art.1382) s'applique t-il si la critique est parfaitement justifiée avec preuves à l'appui que le produit ou service est une arnaque ? Je pense personnellement qu'on ne peut poursuivre une critique d'un produit que si elle est clairement injustifiée équivalent à du dénigrement malveillant.

4 Publié par Visiteur
16/04/2014 20:30

J'ajoute encore que je ne vois pas bien comment on peut critiquer valablement un produit ou un service, une prestation, si on ne fournit pas en même temps un minimum de renseignement sur justement le fabricant, la marque, le nom du produit, le commerçant producteur... !? Donc la personne physique ou morale qui a produit l'objet de la critique...
Par exemple, critiquer une SICAV, un FCP d'une manière générale à cause de sa composition, ne serait pas attaquable, mais critiquer LA Sicav ou LE FCP de telle banque ou agence plus précisément, serait alors susceptible d'être de la diffamation ?? Dans ce cas, tous ceux qui font des guides gastronomiques, portant donc des critiques sur des restaurants nommément désignés seraient donc poursuivables ?

5 Publié par Maitre Anthony Bem
16/04/2014 20:57

Bonjour Laurier,

Afin de vous aider à comprendre les subtilités de qualification entre le dénigrement et la diffamation, je vous invite à lire la dernière position de de la cour d'appel de Paris qui tend à étendre le champs du dénigrement en cas de critique de produits ou services :

http://www.legavox.fr/blog/maitre-anthony-bem/sanction-atteinte-reputation-societe-internet-13471.htm#.U07R6-0azCQ

Cordialement

6 Publié par serge74
15/06/2015 01:02

"que la critique gastronomique est libre et permet la libre appréciation de la qualité ou de la préparation des produits servis dans un restaurant "
ce n'est pas de la diffamation car aucune personne n'est visée, mais pas du dénigrement non plus car la critique gastronomique est libre.

pour répondre au 1er message de Laurier, si les propos ne sont pas tenus dans le cadre d'une concurrence commerciale, alors, selon moi, ce n'est pas du dénigrement mais de la critique permise par la liberté d'expression.

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