« L’AFFAIRE DU SIECLE » A LUXEMBOURG ET SES PRECIEUX ENSEIGNEMENTS

Publié le 17/02/2011 Vu 5 112 fois 0
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« Un homme d’affaires français, un inspecteur du fisc du Luxembourg, et une affaire de corruption. En toile de fond, le show-biz… » publiait le très sérieux Journal du Dimanche, dans son édition du 22 novembre 2009 (http://www.lejdd.fr/Societe/Justice/Actualite/Un-scandale-luxembourgeois-152436/). Qui n’a en effet pas entendu parler de « l’affaire du siècle », comme n’ont pas hésité à la qualifier certains quotidiens du Grand-Duché, mettant entre parenthèses la présomption d’innocence au profit d’une bruyante croisade contre l’Administration fiscale et ses pratiques.

« Un homme d’affaires français, un inspecteur du fisc du Luxembourg, et une affaire de corruption. En toil

« L’AFFAIRE DU SIECLE » A LUXEMBOURG ET SES PRECIEUX ENSEIGNEMENTS

Je me garderai bien ici de porter un quelconque jugement sur ces faits à l’origine de débats houleux de part et d’autres, la décision de la Chambre correctionnelle (TA Lux, 21 janvier 2010) ayant par ailleurs fait l’objet d’un appel, et me contenterai d’en citer objectivement des extraits, que je trouve pour ma part extrêmement enrichissants, en ce qu’ils permettent d’obtenir des définitions jurisprudentielles qui manquaient jusqu’alors au Grand-Duché.

Tout au long de la centaine de pages du jugement en cause, le Juge s’est ainsi appliqué à détailler de nombreux points de procédure pénale, ainsi qu’à développer les éléments constitutifs d’infractions économiques, qui n’avaient été exposés que peu ou pas encore jusqu’à présent.

Le droit pénal luxembourgeois s’inspire par endroits du droit belge, et par d’autres du droit français. Il n’existe à l’heure actuelle aucun ouvrage reprenant de manière précise et concise les éléments constitutifs de chacune des infractions du Code Pénal. Le seul ouvrage reprenant des extraits de jurisprudence, très utile au demeurant, se limite à donner un aperçu de quelques décisions portant sur des infractions que l’on pourra qualifier de « classiques » (Les pandectes de droit pénal, Me Gaston VOGEL). Pour information, un nouvel ouvrage de l’un de nos confrères est également attendu, à savoir celui de Me Jean-Luc PUTZ.

Afin de pouvoir déterminer quelles étaient les bases de chacune des infractions reprochées au co-prévenus, il a donc fallu se baser sur les travaux préparatoires de la loi qui est venue instituer de telles infractions.

Le projet n°4400 (consultable à partir du site de la Chambre des députés, chd.lu) énonce ainsi « Le projet de loi s’inspire dans une très large mesure du Nouveau Code pénal français, qui, reprenant et adaptant les dispositions contenues dans l’ancien Code Pénal français, comporte une législation particulièrement développée en la matière. Cette façon de procéder présente l’avantage de permettre aux juridictions et aux praticiens luxembourgeois de pouvoir s’inspirer de la doctrine et jurisprudence françaises, qui pourront servir de guide devant les inévitables hésitations qu’inspire tout nouveau texte légal. Sur certains points, plutôt de détail, il a toutefois été jugé préférable (…) de conserver l’acquis de la législation belge actuelle. Sur d’autres points, faute de texte de référence, mais devant l’utilité, voire la nécessité de légiférer, des textes entièrement nouveaux ont été proposés ».

S’en est suivi un véritable travail de savant « couturier » de la part de la Chambre correctionnelle, alternant règles légales françaises, évolutions jurisprudentielles belges et nouveautés purement luxembourgeoises.

L’infraction de concussion

« L’article 243 du Code Pénal punit à titre de délit de concussion notamment le fait pour une personne chargée d’une mission de service public d’accorder sous une forme quelconque et pour quelque motif que ce soit une exonération ou franchise des droits, contributions, impôts ou taxes publics, en violation des textes légaux ou réglementaires. Cet article exige dès lors, outre la qualité personnelle du prévenu, les éléments constitutifs suivants :

a. Le fait d’accorder une exonération ou franchise de droits, contributions, impôts ou taxes publics,

b. Une violation des textes légaux ou réglementaires,

c. Un élément moral, à savoir le dol général.

L’infraction de concussion est une infraction intentionnelle, de sorte qu’elle exige un dol général, donc la connaissance par le prévenu des éléments qui constituent l’infraction. L’article 243 du Code Pénal n’exige aucun dol spécial, ni aucune intention méchante ou frauduleuse, ce d’autant plus qu’il précise que l’infraction est consommée « quelque motif » ait pu animer l’auteur ».

L’infraction de corruption

« Le Ministère Public vise à titre principal l’infraction libellée à l’article 246 du Code Pénal, et subsidiairement celle libellée à l’article 249(1) du même Code. Ces deux articles instaurent en infraction pénale le fait pour une personne chargée d’une mission de service public, de solliciter ou d’agréer, sans droit, directement ou indirectement, pour elle-même ou pour autrui des dons, des présents ou des avantages quelconques en échange de l’accomplissement ou du non accomplissement d’un acte de sa fonction, de sa mission ou de son mandat ou facilité par sa fonction, sa mission ou son mandat.

Les deux infractions se distinguent essentiellement en ce sens que la première vise le cas dans lequel l’auteur reçoit l’avantage au préalable et dans le but de faire un acte (« pour accomplir ou s’abstenir d’accomplir »), tandis ce que la seconde vise le cas dans lequel l’auteur ne reçoit l’avantage que par après (« en raison de l’accomplissement ou de l’abstention d’accomplir »).

(…)

L’infraction de corruption (article 246 du Code Pénal) exige, au-delà de la qualité personnelle spécifique du prévenu, la réunion des éléments constitutifs suivants :

a. Un acte de sollicitation ou d’agrégation consistant à solliciter ou d’agréer, sans droit, directement ou indirectement, pour soi-même ou pour autrui, des offres, des promesses, des dons, des présents ou des avantages quelconques,

b. La finalité de cet acte, à savoir :

-soit pour accomplir ou s’abstenir d’accomplir un acte de sa fonction, de sa mission ou de son mandat ou facilité par sa fonction, sa mission ou son mandat,

-soit pour abuser de son influence réelle ou supposée en vue de faire obtenir d’une autorité ou d’une administration publique des distinctions, des emplois, des marchés ou toute autre décision favorable,

-un élément moral, à savoir le dol général.

La corruption consiste essentiellement dans le trafic de la fonction publique. Elle suppose une convention illicite , arrêtée et certaine entre deux personnes : une personne quelconque et une personne chargée d’une fonction publique, la première offrant un avantage, la deuxième acceptant cet avantage en vue de l’accomplissement d’un acte de la fonction.

En visant la corruption des fonctionnaires, le législateur a voulu atteindre un contrat illicite à propos de l’exercice de la fonction publique : la subordination d’un acte de la fonction à un avantage offert ou promis par un particulier et accepté ou reçu par le fonctionnaire. Peu importe d’ailleurs si l’initiative émane du corrupteur ou du fonctionnaire.

Il est en outre exigé que pour que le délit de corruption existe, le fonctionnaire ou la personne chargée d’un service public doit avoir reçu les dons ou présents dans un but déterminé. Cela suppose tout d’abord un lien de causalité, un rapport de cause à effet, entre l’agréation des offres ou promesses et l’engagement du fonctionnaire. Le contrat illicite doit avoir été conclu en vue de l’acte ou de l’abstention, il doit donc l’avoir précédé (TA Lux, 20 octobre 1998, n°1500/88).

Le but de la corruption doit tendre à l’accomplissement d’un acte de fonction. Tous les actes de fonction peuvent être l’objet du pacte illicite, c’est-à-dire tant les actes justes que les actes injustes, sauf que la répression varie selon le qualificatif de l’acte. Le favoritisme peut constituer un acte injuste (TA Lux., 10 mars 2003, n°588/2003) ».

L’infraction de trafic d’influence

« L’infraction de trafic d’influence est punie, dans le chef des particuliers, en vertu de l’article 249 alinéa 2 du Code Pénal, dans les termes suivants : « sera punie des mêmes peines, quiconque, dans les conditions de l’alinéa 1, cède aux sollicitations d’une personne, dépositaire ou agent de l’autorité ou de la force publique, ou chargée d’une mission de service public ou investie d’un mandat électif public, ou lui propose des offres, des promesses, des dons, des présents ou des avantages quelconques pour soi-même ou pour autrui ».

L’infraction de trafic d’influence (article 249 alinéa 1 du Code Pénal) requiert, au-delà de la qualité personnelle spécifique du prévenu, la réunion des éléments constitutifs suivants :

a) L’existence d’offres, de promesses, de dons, de présents ou d’avantages quelconques, pour soi-même ou pour autrui,

b) Le fait de solliciter ou agréer ces avantages sans droit, directement ou indirectement,

c) L’accomplissement ou l’abstention d’accomplir un acte de sa fonction, de sa mission ou son mandat,

d) Un motif à cette acceptation, à savoir que l’avantage a été accepté « en raison » de l’acte accompli,

e) Un bénéfice découlant de l’acte ou de l’abstention d’accomplir cet acte, l’identité de la personne qui en a bénéficié étant cependant indifférente,

f) Un élément moral, à savoir le dol général ».

La prise illégale d’intérêts

« L’article 245 du Code Pénal incrimine en tant que délit de prise illégale d’intérêts le fait pour toute personne chargée d’une mission de service public d’avoir, soit directement, soit par interposition de personnes ou par actes simulés, pris, reçu ou conservé quelque intérêt que ce soit dans les actes, adjudications, entreprises, ou régies dont elle avait, au temps de l’acte, en tout ou en partie, l’administration ou la surveillance ou, ayant pour mission d’ordonnancer le paiement ou de faire la liquidation d’une affaire, d’avoir pris un intérêt quelconque.

Ce délit suppose ainsi l’existence simultanée de trois conditions (TA Lux, 23 mars 2006, n°1076/2006) :

a) L’auteur de l’infraction doit être fonctionnaire, officier public ou chargé d’un service public,

b) L’auteur, soit directement, soit par interposition de personnes ou par actes simulés, doit avoir pris un intérêt quelconque,

c) Dans les actes, adjudications, entreprises, ou régies dont il avait, au temps de l’acte, en tout ou en partie, l’administration ou la surveillance. Cet élément constitutif se décompose en deux composantes : les actes visés et les pouvoirs exercés

d) Un élément moral, à savoir le dol général.

Le législateur a eu l’intention non seulement de mettre le fonctionnaire, l’officier public ou la personne chargée d’un service public à l’abri des tentations qui peuvent naître, lorsque l’intérêt public et l’intérêt privé sont mis en concurrence, mais encore d’élever l’exercice des fonctions publiques au dessus de tout soupçon d’immixtion, d’ingérence ou de malversation. Dans le souci d’extirper tout abus et même la seule possibilité d’un abus, le législateur a visé tout intérêt quelconque, matériel ou moral, si faible soit-il. Le délit d’ingérence ou d’immixtion existe par le simple fait matériel de l’ingérence, en absence même de tout préjudice et de toute intention dolosive dans le chef de l’agent (CSJ, 5 janvier 1977, Pas.23,487).

Concernant la prise d’intérêts : le terme intérêt utilisé par le législateur dans la rédaction de l’article 245 du Code Pénal doit être pris dans un sens très large. Le but du législateur ayant été de mettre les fonctionnaires et officiers publics à l’abri de tout soupçon et de toute tentation, il leur est interdit de mettre leur intérêt privé en contact avec l’intérêt public qu’ils sont appelés à administrer ou à surveiller. L’infraction existe du moment qu’a existé pour le fonctionnaire la possibilité de favoriser ses intérêts personnels à la faveur de sa position officielle (Chambre de mise en accusation, 20 juin 1984, n°42/84).

Le délit existe par le seul fait de l’immixtion du fonctionnaire dans des affaires incompatibles avec ses fonctions, sans qu’il y ait lieu de s’enquérir des suites de l’immixtion. Il importe peu que l’agent ait eu l’intention de favoriser ses intérêts personnels à la faveur de sa position officielle ou non (TA Diekirch, 9 mai 1985, n°199/85). Ainsi, le délit d’immixtion existe par la simple mise en contact de l’intérêt du fonctionnaire avec l’intérêt public qu’il est chargé d’administrer ou de surveiller indépendamment de la mauvaise foi ou d’un préjudice quelconque causé par le délinquant (CSJ, 14 décembre 2004, n°423/04).

En édictant l’article 245 du Code Pénal, le législateur a entendu ériger en délits certains faits qui peuvent être parfaitement innocents en eux-mêmes, mais qui se trouvent être incriminés comme délit d’immixtion, parce que le législateur a voulu que le fonctionnaire public fût à l’abri même du plus léger soupçon de trafic personnel et que partant la simple mise en contact de l’intérêt du fonctionnaire avec l’intérêt public qu’il est chargé, par devoir, d’administrer ou de surveiller, fût prohibée (TA Lux, 23 mars 2006, n°1076/2006). Ainsi, le législateur a-t-il considéré comme absolue la défense faite aux fonctionnaires de s’immiscer dans les affaires dont il a la surveillance ou l’administration : interdiction totale pour quiconque accepte une mission publique, de mettre son intérêt privé en contact avec l’intérêt public qu’il est appelé à surveiller et à administrer ; la seule possibilité d’abus est suffisante.

Concernant l’acte : Le mot acte ne doit pas être pris dans le sens étroit d’écrit formant titre, mais dans le sens plus général et comprend tout ce qui peut être fait, dit ou convenu entre parties (TA Lux, 10 novembre 1999, n°2034/99).

Concernant l’élément moral : En édictant l’article 245 du Code Pénal, le législateur a entendu ériger en délits certains faits qui peuvent être incriminés comme délit d’immixtion, parce que le législateur a voulu que le fonctionnaire public fût à l’abri même du plus léger soupçon de trafic personnel et que partant la simple mise en contact de l’intérêt du fonctionnaire avec l’intérêt public qu’il est chargé d’administrer ou de surveiller fût prohibée ; il s’ensuit que le délit existe indépendamment de la mauvaise foi ou d’un préjudice quelconque causé par le délinquant, alors que la loi réprime le simple fait matériel de l’immixtion (CSJ, 5 mars 1952, Pas.15,286, TA Lux, 10 novembre 1999, n°2034/99).

Aucune intention frauduleuse n’est requise. L’infraction est établie dès que l’incompatibilité entre l’intérêt privé et la mission officielle a existé, même en l’absence d’abus de ou de préjudice (TA Lux, 23 mars 2006, n°1076/2006). Le seul fait, posé avec connaissance et volonté, de l’immixtion des fonctionnaires publics dans les affaires ou commerces incompatibles avec leurs fonctions, constitue le délit prévu par l’article 245 du Code Pénal, sans qu’il soit nécessaire que l’accusation apporte la preuve du dol ou du préjudice causé ».

Verdict des juges

Après avoir retenu également les infractions de faux, usage de faux et abus de biens sociaux, les juges ont condamné les deux protagonistes à une peine d'emprisonnement de 4 et 3 ans (sursis intégral) et à une amende de 10.000 EUR chacun. L'un d'eux a fait appel, mais la Cour Supérieure de Justice de LUXEMBOURG a confirmé, dans son arrêt du 2 février 2011, le premier jugement, excepté en ce que l'appelant s'est vu réduire son sursis de 4 à 3 années. Il devra purger une peine d'emprisonnement ferme d'une année.

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