Approche historique du developpement des fonctions du Connaissement

Publié le Modifié le 25/09/2017 Vu 5 703 fois 0
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Généalogie du développement des fonctions du connaissement.

Généalogie du développement des fonctions du connaissement.

Approche historique du developpement des fonctions du Connaissement

Le commerce maritime occupe aujourd’hui plus de quatre vingt pourcent de l’ensemble des opérations de transactions commerciales[1]. Un taux qui reflète bel et bien l’importance de son poids dans les échanges internationaux, les économies nationales ainsi que l’économie mondiale.

Cette importance s’explique, en effet, par plusieurs raisons, essentiellement pratiques parmi lesquelles, on trouve l’avantage du coût – qui est relativement favorable, l’aptitude de traverser des longues distances, ainsi que la capacité de transporter des marchandises de grandes quantités et de diverses natures.

Par-delà les avantages, le commerce maritime connaît certaines limites qui bien que leurs impactes s’amoindrirent de jour en jour avec le développement technique, juridique et financier, elles méritent d’être rappelées. Parmi ces limites, on peut citer essentiellement : la lenteur et les risques. Deux inconvénients qui entravent respectivement deux impératifs du monde des affaires, à savoir l’impératif de célérité et l’impératif de sécurité.

D’un coté, le transport maritime est lent. Il prend du temps par rapport aux autres moyens de transport, tel que le transport aérien par exemple. Cette lenteur affecte le commerce maritime de deux manières. La première est que la marchandise peut perdre sa valeur. La deuxième est qu’elle ne permet pas à l’acheteur de disposer de sa marchandise dans le plus bref des délais.

De l’autre coté, le transport maritime est risqué. Il connaît des risques matériels, à savoir les risques encours en mer tels que l’abordage, les avaries et les catastrophes naturelles. Aussi, le transport maritime connaît des risques d’insécurités juridiques liés essentiellement au manque d’harmonisation des différentes législations.

Afin de minimiser l’ampleur de ces inconvénients et pouvoir bénéficier des avantages de ce commerce de la manière la plus paisible, la pratique maritimiste n’a point épargné l’effort de développer ses techniques commerciales et juridiques. C’est dans ce contexte que nous nous intéressons en l’occurrence au connaissement, qu’on estime être la meilleure illustration du développement de ces techniques.  

Le connaissement est souvent présenté comme un document indispensable dans le commerce maritime, voire dans le commerce international en général. Son importance provient des fonctions qu’il occupe et qui font de lui, selon les termes d’un juge anglais, « la clé qui permet d’ouvrir le lieu dans lequel elle se trouve »[2]. En effet, cette expression n’a rien d’une exagération, mais d’une réalité incontestable qu’on va essayer à démontrer ci-dessous par une analyse « généalogique» de l’évolution de ce titre et de ses fonctions.

Lueurs d’apparition du titre :  

L’utilisation du connaissement est très ancienne. Elle remonte au moyen âge. C’est dans les deux grandes législations – méditerranéennes – de cette époque qu’on trouve ses lueurs d’apparitions, à savoir dans « Le Conselto d’el Mare »[3] et dans « Les Rôles d’Oléron »[4]. Cependant, l’utilisation de ce document n’était pas importante vue la nature des échanges et les techniques de transport de l’époque. Le transport maritime s’effectuait par des vaisseaux, et les transporteurs étaient essentiellement des courtiers.

Apparition du connaissement comme titre prouvant la prise en charge de la marchandise :

On ne pourra vraiment parler du connaissement qu’à partir du XIVe siècle, une époque où les échanges maritimes commençaient à se développer, dés lors appelé « connoissement » qui deviendrait dés le XVIIIe siècle « Connaissement »[5], en anglais « Bill of Lading » (littéralement reçu de cargaison), à l’origine « Bill of Loading » (littéralement : reçu de chargement).

Au long de cette époque là, le connaissement n’était qu’un simple titre probatoire. Une preuve de la prise de la marchandise par le transporteur, que l’Ordonnance de marine de Colbert[6] définissait comme étant « la reconnaissance des marchandises chargées dans le vaisseau, signé par le maitre du bâtiment, le capitaine »[7], et en précisant que « Maitre, capitaine ou patron : ce trois mots sont initialement synonyme et tous les trois désignent le commandant du bateau »[8]. Certains commentateurs de cette Ordonnance soulignaient également que « ces trois mots (connaissement, police ou reconnaissement) ne signifient qu’une seule et même chose, à savoir la reconnaissance qu’un maitre donne à son marchand de la quantité et la qualité des marchandises chargées dans son vaisseau avec soumissions de les porter au lieu destiné »[9].

Evolution du titre : l’acquisition des nouvelles fonctions :

L’utilisation du connaissement ne s’était vraiment proliférée que depuis le XVII et XVIIIe siècles. Une époque où les échanges commerciaux ont commencé à évoluer d’un rythme important. Un rythme avec lequel le connaissement s’est acquis ses deux fonctions les plus importantes, à savoir la fonction de titre représentatif de la marchandise et la fonction de titre probant le contrat de transport de la marchandise par mer.

Raisons de cette évolution :

Le droit maritime est essentiellement le produit de la pratique, les usages et les coutumes maritimiste. En un mot, c’est un droit lex maritimal, un dérivé de la lex mercatoria.

Ainsi, l’utilité et le développement du connaissement sont dépendants du cadre de son usage. Ce qui fait des fonctions qu’il acquierts des solutions à des nécessités et des besoins pratiques du commerce maritime, et les législateurs ne font que suivre et réglementer son évolution.

Historiquement, le commerce maritime a connu une forte expansion dés XVII et depuis il n’a cessé de se développer. Ce développement avait, certes, des impactes sur les techniques commerciales mais aussi sur les techniques juridiques telle que le connaissement.   

Plusieurs facteurs ont conduit à cette expansion, dont on peut citer essentiellement: le facteur technique comme le developpement des navires en taille et en vitesse. Le facteur économique, on trouve que la marine marchande était devenue une industrie autonome, également on trouve un developpement des échanges entre les métropoles et les colonies. Le facteur idéologique par l'apparition de l'idéologie libérale de Laissez-faire. Le facteur politique, aussi; à cette époque la puissance d'un Etat se mesurait par la puissance de sa flotte marine. 

Tous ces facteurs parmi d’autres ont permis au connaissement de se developper et d’acquérir deux nouvelles fonctions, à savoir la fonction du titre représentatif de la marchandise, doté ensuite du caractère négociable et la fonction du titre probant le contrat du transport de la marchandise par mer.

La fonction du titre représentatif de la marchandise :

Le connaissement est devenu un titre représentatif de la marchandise depuis la fin du XVIIIe siècle. Cette fonction s’était renforcée par le caractère négociable acquis ultérieurement. Cela allait permettre à la marchandise d’être vendue ou mise en gage alors qu’elle était encore flottante – en cours de transport. Cette fonction est considérée par l’ensemble de la doctrine comme la fonction la plus importante du connaissement.

Toutefois, le caractère négociable – corolaire de la fonction représentative du titre - est resté pendant longtemps refusé voire ignoré par la doctrine dite classique[10].

La reconnaissance de ce caractère n’a vue le jour pour la première fois qu’en 1787. Et ce par la jurisprudence britannique, suite à un arrêt qui est devenu désormais célèbre, connu sous la dénomination de l’arrêt « Lickbarrow V. Mason ».

Dans cet arrêt, la cour considèrait que l’endossataire du connaissement a la propriété de la marchandise comme s’il s’agissait du destinataire : « that consignee of a bill of lading has such a property as hem ay assign it over »[11].

Cette décision serait ainsi légiférée dans une loi régissant le régime juridique du connaissement dite « Bill of Lading Act of the UK ». Ce texte prévoit que « tout bénéficier ou endossataire d’un connaissement négociable acquiert le droit d’action, et est sujet aux mêmes responsabilités par rapport aux marchandises que si le contrat contenu dans le connaissement avait été conclu par lui-même »[12].  

En France, le caractère négociable du connaissement ne serait admis par la jurisprudence qu’après presque un siècle. C’est en Aout 1859 que la jurisprudence française a reconnu la négociabilité du connaissement pour la première fois. Dans cet arrêt, la cour déclare que « la propriété des marchandises voyagent par mer est représentée par le connaissement […] le connaissement ainsi que la marchandise dont il est représentation, se transmet par voie de l’endossement »[13].

Cet arrêt a inspiré les législations des pays de traditions civilistes, à l’instar du législateur tunisien. Le code du commerce maritime tunisien est clair sur ce point. Le caractère négociable du connaissement est explicitement confirmé par l’article 207 C.C.M. prévoyant que « le connaissement est établi en trois exemplaires : le premier est destiné au transporteur maritime ; le deuxième qui constitue le connaissement–chef, est adressé à l’agent du transporteur maritime du lieu de destination le troisième, qui est négociable, est remis à l’expéditeur ». Néanmoins, la négociabilité du connaissement n’est pas le principe dans la pratique maritimiste, mais une exception. La majorité des connaissements utilisés – du moins en Tunisie, sont des connaissements non-négociables, à savoir le connaissement « à personne dénommée » (en anglais : straight consigned) et le connaissement « à ordre de l’expéditeur » (en anglais : to order of the shipper). 

Il est à noter, dans la même lancée, que la négociabilité du connaissement est particulière et ne devait pas être assimilée à la négociabilité de l’effet de commerce. Le connaissement se distingue de l’effet de commerce sur deux points principaux, à savoir la nature et l’objet du rapport.

Au niveau de la nature du rapport, l’effet de commerce porte sur un rapport personnel puisqu’il s’agit d’une créance, alors que le rapport produit par le connaissement est d’une double nature, l’une est personnelle et l’autre est réelle. La nature personnelle du connaissement se rapporte au contrat du transport de la marchandise par mer, et la nature réelle se rapporte au droit de la propriété de la marchandise que le titre accorde à son porteur.

Au niveau de l'objet du rapport, l'effet de commerce a pour objet une provision en somme d'argent, alors que le connaissement a pour objet une marchandise à délivrer. 

La fonction du titre prouvant l’existence d’un contrat de transport de marchandise par mer :

Le connaissement est un titre. Ce caractère littéral lui permet de jouer le rôle d’un excellent moyen de preuve du contrat de transport de marchandise par mer.  Consciente de cette utilité, la jurisprudence britannique accordait cette fonction à ce titre dés le XIXe siècle.[14] Néanmoins, il faut préciser ici que le connaissement n’est que le moyen de preuve de ce contrat et non pas le contrat lui-même. Autrement dit, le connaissement n’est pas un contrat du transport de marchandise par mer. Ce dernier pourrait-être consensuel ou formel sur un autre support mais jamais sur le titre du connaissement lui-même[15].

Ainsi, il ne faut pas confondre le contrat du transport de marchandise par mer qui pourrait-être appelé contrat de transport « sous connaissement » tel que défini par l’article 206 CCM et le titre du connaissement entant que tel. L’appellation du contrat de transport sous connaissement n’est utilisée que pour le distinguer d’un autre type connu comme le contrat de transport sous charte-partie.

Conclusion :

Au fil des siècles, le connaissement s’est acquis trois fonctions importantes. D’abord, la fonction de reçu de cargaison prouvant la prise en change de la marchandise par le transporteur maritime. Ensuite, la fonction de titre représentatif de la marchandise. Et enfin, la fonction de titre probatoire du contrat de transport de marchandise par mer.

Ces trois fonctions permettent aujourd’hui au connaissement d’être présent dans toutes les opérations de transactions commerciales de vente maritime, transport, assurance et voire même dans l’obtention des crédits comme le cas du crédit documentaire. Par ailleurs, le connaissement joue un rôle important dans certaines opérations non-commerciales, à l’instar des opérations administratives comme l’opération du dédouanement où il sert comme un document nécessaire pour l’accomplissement de certaines formalités imposées par l’administration douanière.

  

BOUASSIDA Marwen

Etudiant à la FSJPS de Tunis


[1] I.M.OShipping and The Global Economy: International Shipping facts and Figures [Elec. doc.], London, ed. Maritime Knowledge Center, 6 March 2012. Available on http://goo.gl/IiSdu(Last accessed: March 16, 2013).

[2] Lord Justice Bowen, case Sanders v. Maclean & Co (1883) 11 QBD 327 “During the transit and voyage the bill of lading, by the law merchant, is universally recognized as its symbol and the endorsement and delivery of the bill of lading operates as a symbolic delivery of the goods - It is the key which, in the hands of the rightful owner, is intended to unlock the door of the warehouse, floating or fixed, in which the goods may chance to be.”-

[3] C’est le premier recueil de jurisprudence maritime, rédigé entre VII et XII. Il est d’origine espagnole et inspiré de la Lex Rhodia et le Droit musulman. Ledit recueil était entré en vigueur, d’abord dans les ports de méditerranée ainsi que grâce aux croisades son application s’était propagée dans les pays riverains du nord de l’Europe.

[4] C’est un recueil de jugements compilés vers la fin du VII par décision d’Aliénor d’Aquitanien, d’abord en vigueur en France, ensuite en Angleterre, puis et avec l’appuie de son Fils Richard Cœur de Lion ces règles devenaient applicable dans les iles britanniques.  Enfin, dés le 15èmesiècle, ce recuil sera considéré comme un Code de Droit maritime en toute l’Europe, il aussi à l’origine de la loi de l’Amaurité Britannique de 1450 plus connue sous la dénomination de « The Black Book Of Admirality ».

[5] Dictionnaire de l’Académie francaise, p.370

[6] L’ordonnance sur la marine de 1681 dite Ordonnance de Colbert (ministre du commerce) est un recueil de règles élaboré en France sous l’égide de Louis XIV. A cette époque là, il y avait une volonté de suprématie des Nations sur la mer. Dès lors cette ordonnance va avoir pour ambition de règlementer toutes les questions relatives à la mer (les contrats, les espaces, la police du littoral…). Colbert va de plus chercher à rapprocher la marine marchande de la marine de guerre (La Royale) avec des institutions communes. Cette Ordonnance va avoir un rayonnement considérable en Europe et à travers le monde ainsi qu'elle va servir de base dans la rédaction du Code de commerce sous la Révolution française.

[7] COLBERT (J.-P.)Ordonnance de la marine du mois d’Aout 1681 commentée et conférée sur les anciennes ordonnance, le Droit Romain, & les nouveaux règlements, Nouvelle Edition,  Livre III, Titre II, Article 1

[8] COLBERT (J.-P.)op. cit., Livre II, Titre IV, Article 1

[9] WILDIERS (P.)Le connaissement maritime, Anvers, Ed. Lloyd Anversois, 1959, P.13.

[10] EMERIGON (B.-M.)Traité des assurances et des contrats à la grosse d’Emerigon, Marseille, Ed. Jean Moissy, 1783, Volume 1, Section 3, Chap. 11, Pragraphe n° 08.

[11] Lickbarrow v. Mason. (1787) 2 TR 63, 100 ER 35.

[12] Art. 1 from The Bills of Lading of UK “A bill of lading of goods being transferable by endorsement, the property in the goods may thereby pass to the indorse.”

[13] Cass. 17 Aout 1859 D,1859.I.347 ;  cité par BONASSIES (P.), SCAPEL (C.), In : Traité de droit maritime, LGDJ, 2006, p.632 n°987

[14] The Ardennes (1950) 2 All ER 517 “ It is, I think, well settled that a bill of lading is not in itself the contract between the shipowner and the shipper of goods, though it has been said to be excellent evidence of its terms:”

[15] Idem. 

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