Diffamation, injure et dénigrement sur internet

Publié le 21/04/2012 Vu 9 139 fois 0
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Le droit protège-t-il des abus d’expression sur internet ? La protection contre les délits en matière de presse écrite s’applique-t-elle à internet ?Quelle est la différence entre la diffamation, l’injure et le dénigrement ? Les régimes de responsabilité et sanctions diffèrent-ils selon le type de délit ?

Le droit protège-t-il des abus d’expression sur internet ? La protection contre les délits en matière de

Diffamation, injure et dénigrement sur internet

Le droit protège-t-il des abus d’expression sur internet ? La protection contre les délits en matière de presse écrite s’applique-t-elle à internet ?Quelle est la différence entre la diffamation, l’injure et le dénigrement ? Les régimes de responsabilité et sanctions diffèrent-ils selon le type de délit ?

L’existence d’un régime strict de sanction des délits de presse sur internet

La diffamation et l’injure comme délits de presse sur internet

La diffamation désigne une allégation ou imputation d’un fait qui porte atteinte à l’honneur ou à la considération d’une personne physique ou morale, selon l’article 29 alinéa 1 de la loi du 29 juillet 1881.

La jurisprudence a précisé la notion de diffamation, dont elle conditionne la qualification, au sens de la loi de 1881, à la réunion des cinq conditions suivantes :

- L’allégation doit porter sur un fait précis et déterminé.

En pratique, si son caractère dubitatif est toléré, le fait précis exigé par la loi sur la presse ne saurait être constitué par une simple opinion relevant du débat d’idées.

- L’allégation doit porter sur un fait portant atteinte à l’honneur d’autrui. Il convient ici de préciser que le caractère diffamatoire est apprécié in abstracto par les juges.

- L’allégation doit viser une personne déterminée physique ou morale. Il est peu important que la personne soit nommément désignée ou non, dès lors que suffisamment d’éléments dans les propos permettent d’identifier précisément une personne.

- L’allégation doit être faite de mauvaise foi, celle-ci étant présumée.

- Enfin, l’allégation doit être publique.

L'injure est quant à elle définie à l’alinéa 2 du même article 29 (loi du 29 juillet 1881), comme « expression outrageante, terme de mépris ou invective » ne renfermant l'imputation d'aucun fait précis. L'injure est un délit lorsqu'elle est publique, alors qu’elle n’est qu’une contravention dans le cas contraire. Selon un arrêt de la Chambre criminelle, rendu le 23 juin 2009, le délit d’injure peut parfois être absorbé par la diffamation.

La loi de 1881 comme régime spécial de responsabilité applicable aux délits de diffamation et injure sur internet

La jurisprudence a exclue l’application de la responsabilité civile de droit commun, de l’article 1382 du Code civil, aux actions en réparation des abus de la liberté d’expression sur internet, au motif qu’il existe des textes spécifiques applicables en la matière. En effet, il convient d’appliquer aux abus d’expression de la « communication au public par voie électronique » le régime spécial de responsabilité en cascade propre à la presse écrite, dont dispose la loi du 29 juillet 1981 relative à la liberté de la presse (arrêt de la Première chambre civile de la Cour de cassation du 27 mars 2005).

Cette jurisprudence constante s’applique tant aux diffamations qu’aux injures, ainsi répréhensibles qu’en vertu des articles R.621-1 et suivants du Code pénal, comme l’affirme la Deuxième chambre civile dans un arrêt du 18 février 2010.

L’effet principal de cette règle est de limiter les possibilités d’action pour diffamation ou injure, la répression des délits de presse étant enfermée dans un délai de prescription très court de trois mois à compter de la première publication (article 65 de la loi du 29 juillet 1881). Les parties doivent dès lors veiller à exercer leur action dans les formes prescrites par la loi du 29 juillet 1881, et son bref délai de trois mois, conformément aux positions du Conseil constitutionnel et de la Cour de cassation.

Concernant l’évaluation du préjudice toutefois, le régime applicable à la diffamation sur internet diffère de celle sur presse écrite, et ce sous l’impulsion de la jurisprudence européenne. Dans un arrêt du 25 octobre 2011, la Cour de Justice de l’Union européenne affirme que la mise en ligne de contenus diffamatoires sur Internet se distingue de la diffusion territorialisée d'un imprimé, du fait de leur consultation instantanée par un nombre indéfini d'internautes dans le monde. Ainsi, le préjudice d’atteinte aux droits de la personnalité est plus grave, et la localisation des lieux de la matérialisation du dommage résultant de ces atteintes rendue plus difficile.

L'effet sur les droits de la personnalité d'une victime étant susceptible d’être le mieux apprécié par la juridiction celle du lieu de sa résidence, la Cour de Justice donne compétence à cette juridiction pour évaluer l'intégralité des dommages causés sur le territoire de l'Union européenne, et non plus sur le seul territoire de la juridiction en cause comme c’est le cas en matière de presse écrite. Elle précise en revanche que le principe de la libre prestation de services s’oppose à ce que le prestataire d’un service du commerce électronique soit soumis dans l’Etat d’accueil de l’affaire à des exigences plus strictes que celles prévues par le droit de l’Etat où il est établi.

S’agissant du contenu même de ce régime spécial applicable aux délits de presse sur internet, les supports de la diffamation et de l’injure, englobant « tout moyen de communication au public par voie électronique », mettent en jeu plusieurs obligations que précise la LCEN. En effet, elle prévoit que les fournisseurs d’accès à internet et les hébergeurs sont tenus par une obligation de mise en place d’un dispositif facilement accessible et visible, qui permet à tous de porter à leur connaissance tout abus de l‘expression sur leur réseau ou site Web.

Ils sont de même soumis à deux obligations générales, dont le manquement est sanctionné par un an de prison et 75 000 euros d‘amende. Il leur incombe, d’une part, une obligation d’information des autorités publiques compétentes de toutes activités illicites, mentionnées aux articles 23 et suivants de la loi de 1881, qu’exerceraient les destinataires de leurs sites. Ils sont d’autre part tenus de mettre à la disposition du public les moyens qu’ils consacrent à la lutte contre ces activités illicites.

De telles obligations liant les fournisseurs d’accès et hébergeurs sont justifiées du fait de l’existence d’un impératif de garantie du droit de réponse. En effet, outre le droit de réponse prévu par la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse, la LCEN a instauré un droit de réponse propre à internet (article 6.IV), dont le décret d’application est paru le 24 octobre 2007. La loi prévoit ainsi que toute personne nommée ou désignée dans un service de communication au public en ligne dispose d’un droit de réponse, sans préjudice des demandes de correction du message qu’elle peut adresser au service.

La demande d’exercice du droit de réponse est adressée au directeur de la publication ou, lorsque la personne éditant à titre non professionnel a conservé l’anonymat, au fournisseur d’accès à internet ou d’hébergement, qui la transmet sans délai au directeur de la publication. Cette demande, gratuite, est présentée au plus tard dans un délai de 3 mois à compter de la mise à disposition au public du message en cause. Le directeur de la publication est tenu d’insérer dans les trois jours de leur réception les réponses dans le service de communication au public en ligne, sous peine d’une amende de 3750 euros, sans préjudice des peines et réparations auxquels l’article pourrait donner lieu. 

Toutefois, il convient de veiller à ce que la demande d’exercice du droit de réponse précise notamment les références du message initial, sa nature et la longueur de la réponse sollicitée (article 2 du décret d’application du 24 octobre 2007). Une ordonnance rendue par le Tribunal de grande instance de Paris, le 19 novembre 2007, a ainsi pu refuser de faire droit à des demandes parce qu’elles ne comportaient pas la mention des passages contestés.

La subsistance de régimes souples en matière de délits de presse sur internet

L’exception de vérité et de bonne foi applicable à la diffamation et l’injure

Un auteur poursuivi pour diffamation ou injure peut démontrer qu’il a tenu les propos en cause dans un but légitime et exclusif de toute animosité personnelle. Pour ce faire, il doit pouvoir apporter des éléments d’information justifiant ses propos, et prouvant qu’il détient généralement un comportement prudent.

Ainsi par exemple, dans trois décisions du 12 mai 2010, le Tribunal de grande instance de Paris considère que bien que les propos en ligne concernant la condamnation judiciaire de deux hommes politiques sont diffamatoires, il peut être reconnu le bénéfice de la bonne foi au journaliste et donc au directeur de la publication.

Si l’internaute poursuivi pour propos diffamatoire peut s’exonérer de sa responsabilité en démontrant la vérité du fait diffamatoire, conformément à l’article 35 de la loi du 29 juillet 1881 ou en rapportant la preuve de sa bonne foi, la jurisprudence vérifie généralement la réunion de quatre critères cumulatifs :

- la prudence du propos (emploi de termes conditionnels et indirects, de qualitatifs atténuants, utilisation de guillemets) ;

- l’absence de volonté de nuire ;

- un but légitime (à l’image d’une information présentant un intérêt public) ;

- une enquête sérieuse et contradictoire (toutefois souplement appréciée pour un blog).

La jurisprudence procède effectivement à une adaptation de ces critères en fonction du genre de support en cause, ainsi que de la personnalité de l’auteur des propos incriminés. L’exigence de prudence sera ainsi appréciée selon que les propos ont été publiés sur un blog, forum de discussion, ce dernier impliquant par nature une plus grande liberté de ton par exemple.

Ainsi, l’auteur d’un blog n’est pas tenu d’avoir, préalablement à la diffusion de ses propos sur internet, effectué une enquête sérieuse et objective, telle qu’elle est attendue d’un journaliste professionnel (décision du TGI de Paris, 17 mars 2006).

Le régime de responsabilité de droit commun applicable au dénigrement

Le dénigrement consiste à jeter publiquement le discrédit sur une personne ou une entreprise, par la critique de ses produits ou son travail, dans le but de lui nuire, et ce même en l‘absence de toute situation de concurrence.

Cet acte, en général commis par une personne tiers, à l’image d’un ancien employé ou d’un concurrent déloyal, est répréhensible par la loi et plus précisément par le régime de responsabilité de droit commun dont dispose l’article 1382 du Code civil.

Dans l’hypothèse d’un dénigrement, le recours à la responsabilité civile de droit commun exclue donc, ici, toute possibilité de poursuite fondée sur la loi du 29 juillet 1881 relative à la liberté de la presse, qui s’appliquait à la diffamation et l’injure.

Les juges considèrent, en effet, que les critiques même excessives touchant les seuls services, produits ou prestations d’entreprise, peuvent être poursuivies sur le fondement de la responsabilité civile (arrêt rendu par la Deuxième chambre civile, le 8 avril 2004).

Dès lors, pour apprécier la présence d’un dénigrement, les tribunaux mettent en balance la responsabilité civile de l’article 1382 avec le principe à valeur constitutionnelle de la liberté d’expression. Ils tiennent compte de la qualité de l’auteur des propos en cause.

Toutefois, il convient de noter que la jurisprudence tend à réduire la possibilité de recours sur le fondement de l’article 1382 du Code civil en rapprochant la critique de produits de la diffamation. En effet, si les propos incriminés sont suffisamment précis, et qu’ils rendent le fabricant des produits identifiables, le délit de diffamation est susceptible d’être constitué. La critique des produits et services s’analysant en une diffamation à l’encontre du fabricant, la responsabilité de droit commun de 1382 ne s’applique pas à la poursuite (arrêt de la Première chambre civile, 27 septembre 2005).

L’action fondée sur le seul régime de droit commun est ainsi uniquement applicable aux hypothèses de dénigrement de produits et services, et donc lorsqu’il ne peut être établi qu’une personne est directement visée par les propos incriminés.

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