Islam et Modernité à travers la problématique des droits de l'homme

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Islam et Modernité à travers la problématique des droits de l'homme

Par: Maher Abdmouleh, docteur en droit


Islam et Modernité à travers la problématique des droits de l’homme


Maher Abdmouleh (docteur en droit)


Le débat sur les droits de l’homme en Occident et en Islam n’est autre que ce rapport entre le spécifique et l’universel. Du point de vue culturel, ce débat est développé sous le thème Islam et Modernité. Selon A. Lamchichi, l’expédition de Bonaparte en Egypte, au XIX siècle (1798), qui représente « l’irruption de la modernité dans les sociétés arabo-islamiques » a amorcé la généralisation de la problématique « Islam et Modernité ».

Du point de vue juridique, les droits de l’homme retenu par l’ONU ayant ce caractère universel, les autres positionnements sur les droits de l’homme (les libertés, l’enfant, la femme, le pouvoir, l’Etat, la religion etc.), requièrent la qualification de spécifique.

Dans le développement qui suit nous essayons de clarifier ce débat à travers les discussions sur le pouvoir en Islam et la démocratie (a), la justice en islam et son corollaire l’Etat de droit tel que développé en occident (b) ainsi que la société civile et certaines formes de bénévolat ancrées dans les sociétés musulmanes que certains auteurs rangent dans une même rubrique que la société civile (c).

a) Pouvoir en Islam et Démocratie

Les auteurs (Juristes, Théologiens, Islamologues et Historiens) qui se sont penchés sur les causes de décadences de la Nation arabo musulmane, pensent que certaines explications sont à chercher dans les incommodités de la théorie classique du pouvoir et de l’Etat chez les Musulmans avec les données de la Modernité.

Plusieurs analyses prônent une relecture et une ré interprétation « Ijtihad » des sources du droit musulman , en vue de réinventer à la lumière de la modernité occidentale, les rapports clés entre « Etat , Religion et laïcité », « Démocratie et système de concertation dénommé «Choura», légué par le Prophète (570/ 632) et ses successeurs , ainsi que la place centrale et problématique du Calife au sommet du pouvoir incarnant le temporel et le spirituel . Ces analyses offrent d’une part un intérêt épistémologique très enrichissant au niveau de la pensée juridique et politique, et constituent d’autre part un indicateur supplémentaire concernant la complexité des réformes « al-islah » dans le contexte sociologique arabo-musulman.

Si l’Occident, de par son propre processus et ses conditions historiques, est parvenu à poser les concepts de l’Etat, du Pouvoir, du Citoyen, en dehors de la sphère de l’Eglise et de ses influences, une séparation similaire entre le politique et le religieux constitue chez les musulmans un engrenage, un vrai dilemme.

Le problème fondamental réside dans les rapports complexes entre religion et droit, que le rationalisme occidental inscrit sur le registre de la laïcité.
La laïcité qui, selon Y. Ben Achour, est en querelle surtout avec le Droit étant le lieu sur lequel elle prend toute son ampleur et sa clarté, (bien qu’elle n’épargne pas d’autres domaines tels que l’éducation, l’art, l’éthique et les mœurs), constitue pour la doctrine du droit musulman et aux yeux des islamistes un non-sens, une sorte d’anathème et d’apostasie, puisque le domaine de la foi et de la loi sont indissociables . Cette dynamique entre le religieux, le droit et le politique, chez les musulmans, est inscrite, selon Mohamed Abed Al-Jébri, depuis l’ère de l’Islam à Médine, dans le message de Mohamed .

Quant à la Choura, elle est basée sur la consultation des musulmans, en vue de parvenir à un consensus (Ijmâa) fondement de toute légitimité , mais elle ne signifie pas démocratie, dans la mesure où l’on fait recours, par exemple dans la désignation du souverain « le Calife », à une communauté réduite formée uniquement de sages , alors que la démocratie est basée sur le suffrage universel.

En ce qui concerne la communauté qui en Occident est basée sur la notion de citoyenneté, en Islam, « Al Umma » est celle des croyants unis par la foi (al Imàn) et partageant selon A. Lamchichi, la même vue du monde .

La discussion sur l’Etat de droit et ses recoupements avec les idées de justice en Islam, fournit une preuve supplémentaire de quelques divergences entre les deux conceptions.

b) Etat de droit et justice en Islam.

En ce qui concerne l’insertion de l’Etat de droit dans les systèmes politiques des pays Tiers Méditerranéens, elle se trouve confrontée à l’esprit de justice en Islam et se situe de ce fait au centre de la problématique de réforme. Rappelons qu’en dehors des exégèses des écoles politiques et juridiques s'adjoignant ou non au fondamentalisme, de nombreux textes sacrés « coraniques » prêchent d’une manière non équivoque pour la justice et l’égalité entre les Hommes. Nous en citons dans ce cadre quelques exemples à titre indicatif et d’illustration, sans prétendre en faire un inventaire exhaustif.

Nous cherchons juste à comprendre les motifs des contentieux qui se greffent sur le registre de la justice en Islam et l’Etat de droit en tant que produit de la Modernité juridique, politique et sociale. En effet, selon la Sourate 2, Verset 8 du Coran, en s’adressant aux croyants il est mentionné « O vous qui croyez ! Tenez-vous fermes comme témoin, en pratiquant la justice. Que la haine envers un peuple ne vous incite pas à commettre des injustices. Soyez justes ! La justice est proche de la crainte de Dieu » .
En parlant aussi de l’égalité la Sourate n° 49, Verset 13 prévoit «…Nous vous avons créés d’un mâle et d’une femelle, et Nous avons fait de vous des nations et des tribues pour que vous entre-connaissiez. Le plus noble d’entre vous, auprès de Dieu, est le plus pieux. Dieu est certes Omniscient et Grand Connaisseur » . Dans le même ordre d’idée le Prophète de l’Islam en prêchant les principes de justice à son public disait ceci « …vous qui m’écoutez ! Vous n’avez qu’un seul Dieu et vous n’avez qu’un seul et même ancêtre (Adam). Un Arabe n’est pas meilleur qu’un non-arabe, et un non-Arabe n’est pas meilleur qu’un Arabe. Et un rouge (Un blanc au teint rouge) n’est pas meilleur qu’un noir, et un noir n’est pas meilleur qu’un rouge, sauf au niveau de la piété» .

En fait, ces différentes illustrations, associées à d’autres évènements célèbres survenus essentiellement sous le gouvernorat du Calife Omar, réputé par son équité et sa rigueur, offrent aux publics musulmans des références symboliques souvent comparées avec les idées des Lumières à propos de l’égalité, la justice et l’Etat de droit. C’est peut être aussi pour ces raisons que les pays islamiques représentés par l’Organisation de la Conférence Islamique (OCI) avaient pris le soin d’adopter en 1990 une déclaration sur les droits de l’homme où il est mentionné « L’Islam a donné à l’humanité un code idéal des droits de l’homme il y a quatorze siècles. Ces droits ont pour objet de conférer honneur et dignité à l’humanité et d’éliminer l’exploitation, l’oppression et l’injustice » .

En référence à l’Etat de droit, la déclaration émanant de l’OCI de 1981, reconnaît que les gouvernants et les gouvernés sont soumis de la même manière à la loi et sont égaux devant elle.

Dans sa réflexion sur la justice administrative, les travaux de Mohamed Salah Ben Issa, soulignent que si le principe de la séparation des pouvoirs, avec son dualisme juridictionnel, vise entre autres à affirmer la suprématie de la loi et par conséquent protéger les citoyens, force est de constater que la pensée administrative musulmane a développé depuis les Omeyyades et les Abbassides un système, dénommé « AL-Madalem » , visant à protéger les sujets du souverain des abus des gouverneurs … L'auteur souligne par ailleurs, que les comparaisons (entre le principe de séparation des pouvoirs avec la création des juridictions appropriées, tel qu'il a été développé et renforcé depuis 1789 et celui qu'a connu les Syriens avec les Omeyyades,"661-750" et les Irakiens avec les Abbassides, "750-1055) sont faites uniquement au niveau des principes, refusant de faire des amalgames et des projections qui ne devraient pas avoir lieu .

Nous verrons enfin que la société civile n’est pas à son tour épargnée des querelles entre Orient et Occident.

c) La société civile, une structure enracinée dans la culture arabo-musulmane

De nombreuses études montrent que la civilisation arabe et islamique est riche de la présence de structures dont le rôle est le même que celui des sociétés civiles de notre époque et soutiennent par conséquent que ce concept est loin de constituer un monopole de l’esprit des Lumières : pour Moncef Wannes, l’ancrage d’une société civile dans les structures sociales date depuis la naissance du pouvoir en Islam. Selon lui, ladite société civile incarnée par des institutions pieuses, religieuses etc., n’était ni aliénée au politique ni contre celui-ci, mais assumait un rôle là où l’Etat faisait défaut. En parlant de la société civile en Algérie, en Tunisie et au Maroc, l’auteur note que les pouvoirs ont procédé au lendemain de l’indépendance à leur démantèlement (malgré leurs rôles dans la lutte pour la libération contre le colonialisme) ou à leur assujettissement aux orientations des jeunes Etats pour la construction et le développement . Dans la même lignée, des intellectuels appartenant à la civilisation arabo-musulmane comme par exemple Sadok Belaid ou encore Mohamed Kilani , soutiennent le postulat sur l’existence d’une société civile spécifique aux cultures nationales , et objectent par conséquent les essais qui tentent d’inscrire les germes de la société civile dans des trajectoires a-historiques, c’est à dire en tant que produit de la Modernité.
La poussée des courants islamistes dans la région freine la dynamique de la société civile. Selon Driss El Yazami, le contexte des pays arabes et musulmans en référence à l’émergence des courants islamistes, rend l’action de la société civile dans la région de la rive sud de la méditerranée inhibée. Selon le même auteur « les menaces que le discours fait peser sur les droits des femmes conduisent certains défenseurs des droits de l’homme à fermer les yeux sur les campagnes de répression gouvernementales contre les islamistes » .
Cette attitude de la société civile peut être comprise par l’orientation laïque des militants qui la composent . Selon Mohamed Nour Farhat, le comportement des militants qui travaillent dans les milieux associatifs est bizarre, dans la mesure où, au nom des droits de l’homme, ils essayent de justifier les agressions menées contre leurs peuples et patries. Cet auteur ajoute que ces militants qui appartiennent ou s’apparentent à la gauche, se sont convertis de la politique au social après l’écroulement des systèmes communistes à l’Est .
Ces éléments et leurs rapports avec les normes de l’Occident, symbole du progrès , avaient constitué les thèmes majeurs des réflexions développées par les mouvements réformistes, « Al islah » dans le monde musulman, en vue de repérer les foyers et les parasites qui handicapaient l’évolution et surtout afin de répondre aux défis posés par les idées des lumières en Europe.

Maher Abdmouleh est docteur en droit de l'Université de Nice, passionné des études critiques vis-à-vis de l'Occident et de la civilisation islamique...

 

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