2) Droit du travail et liberté d'expression

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2) Droit du travail et liberté d'expression

Le salarié, avant d'être considéré dans cette condition, est avant tout un citoyen. De cette affirmation découle plusieures réalités comme celles voulant qu'il puisse jouir librement dans l'entreprise de ses droits et libertés comme peut le disposer l'article L1121-1 du Code du Travail qui veut que nul ne puisse porter atteinte aux droits et libertés du salarié à moins que ces atteintes soient justifiés par rapport à la nature de la tâche à accomplir et proportionnées au but recherché. L'article 11 de la Déclaration des Droits de l'Homme et du Citoyen de 1789 dispose que le citoyen puisse jouir d'une liberté d'expression et de communication. Tout en sachant que la déclaration a aujourd'hui une valeur constitutionnelle, la liberté d'expression doit alors être considérée comme étant une liberté fondamentale qui s'appliquera intégralement pour les personnes soumises à un lien de subordination juridique permanent. Les salariés peuvent donc se prévaloir de cette liberté d'expression, aussi bien à l'intérieur qu'en dehors de l'entreprise. C'est alors qu'elle va revêtir plusieurs formes comme par exemple le droit pour n'importe quel salarié de militer pour une amélioration des conditions de travail par la voie de pétitions. Néanmoins, pour rendre effective cette liberté, la juge a du l'entourer de garanties protectrices, c'est ainsi que le salarié ne peut être sanctionné pour avoir usé de cette liberté d'expression. Toute sanction prise devra être considérée comme étant nulle, le licenciement sera alors logé à la même enseigne, d'où une possibilité de réintégration d'un salarié licencié sur le fondement de l'exercice de la liberté d'expression .

Compte tenu des considérations, il convient d'étudier l'étendue de la liberté d'expression du salarié (I), mais aussi ses limites fondées sur un possible abus dans l'exercice de celle-ci (II).

 

I ) L'exercice de la liberté d'expression dans l'entreprise et en dehors de celle-ci

 

Le salarié est libre de se prévaloir librement de l'exercice du droit à la liberté d'expression, que ce soit dans l'entreprise et en dehors, sans qu'il puisse être sanctionné. L'exercice de cette liberté va revêtir plusieurs formes (A) néanmoins elle répondra à un régime particulier en ce qui concerne les cadres (B)

 

A) Les différentes situations incarnant l'exercice de la liberté d'expression du salarié

 

La liberté d'expression est en vérité un grand sac four tout dans lequel on va englober une large palette de situations. Tout d'abord, la liberté d'expression va recouvrir les questions relatives aux opinions politiques et religieuses. Ainsi, le salarié pourra librement dans l'entreprise et en dehors exprimer des propos ou des écrits à caractère politique. C'est ainsi, que dans la limite d'un bon déroulement de son travail et de la courtoisie, il pourra discuter de ses opinions avec les autres salariés sans qu'on ne puisse le lui reprocher.

Néanmoins, il serait faux de réduire exclusivement l'exercice de la liberté d'expression aux discussions politiques devant la machine à café. Ainsi, le salarié va pouvoir s'exprimer envers son employeur en invoquant cette dernière dans une multitude de situations. Par exemple, le salarié pourra faire des réclamations dans les limites de l'injure ou du dénigrement, afin d'obtenir une amélioration de ses conditions de travail. Il pourra également contester une sanction prise à son encontre lorsqu'il estimera que cette dernière n'est pas justifiée. Finalement, quand le salarié est dans l'entreprise sa liberté est totale à condition bien sur de ne pas dépasser les limites instaurés normalement par la loi pénale. Liberté d'expression ne rimera jamais avec injures et diffamations.

Enfin, il faut savoir que dans la sphère privée, la liberté d'expression sera totale. Ainsi, lorsque dans des discussions relevant de cette dernière, le salarié s'exprime de manière injurieuse on ne pourra pas le sanctionner pour autant. La jurisprudence a donc du dessiner les contours de ce qui est privé et de ce qui est public. Ainsi, on considèrera que toute discussion destinée à être reçu exclusivement par son destinataire emportera la qualification de privée. Le cas échéant, lorsque d'autres personnes seront susceptibles d'accéder aux propos, la sphère publique sera ouverte et la liberté d'expression devra retrouver les limites pénales que la société lui impose. Autrement dit, le salarié peut librement critiquer sa hiérarchie au restaurant ou dans un lieu ou une discussion privée à condition que la direction de l'entreprise n'ait pas accès aux propos. Néanmoins, toute preuve d'une faute du salarié devant être obtenue de manière loyale, l'employeur sera largement limité dans son pouvoir de sanction, on devra donc rejeter la possibilité de se fonder sur une délation issue d'un autre collaborateur.

Si le salarié joui d'une possibilité d'exercice de sa liberté d'expression aussi bien dans l'entreprise qu'en dehors de celle-ci, exercice encore plus large quand il se situera dans la sphère privée, les cadres seront quant à eux soumis à un régime beaucoup à la fois plus libéral mais moins protecteur vis à vis des personnes hiérarchiquement soumis à eux.

 

B) Le particularisme de la liberté d'expression des cadres

 

L'exercice de la liberté d'expression chez les cadres est un régime très ambivalent. En effet, ces derniers seront plus ou moins libre selon la position hiérarchique des destinataires de leurs propos. Ainsi, selon que les cadres s'adressent à leurs supérieurs ou à des salariés subordonnés, la protection ne sera pas la même.

La Chambre Sociale de la Cour de Cassation a considéré en 1999 que les cadres avaient pour mission vis à vis de leur hiérarchie de donner leur avis sur la politique de gestion de l'entreprise ( SOC Monsieur Pierre 1999 ).C'est ainsi, que ces derniers, compte tenu de leurs compétences et de leur statut, peuvent s'exprimer, même de manière négative, sur des situations qui sont soumises à leur jugement. C'est alors qu'il n'est pas envisageable de licencier un cadre qui au cours d'une réunion aurait pris position contre un projet de gestion. La jurisprudence considère non seulement que ce n'est pas une faute mais au contraire une obligation pour le collaborateur. Néanmoins, si les cadres jouissent de ce pouvoir de critique, ils ne pourront pas pour autant se lancer dans des actes d'insubordination. Ainsi, lorsqu'une décision finale sera prise par l'employeur, ils devront s'y soumettre qu'ils aient été critique envers celle-ci ou non.

La situation va être tout autre vis à vis des personnes étant subordonnées au salarié cadre. Dans cette hypothèse, il va peser sur celui-ci un véritable devoir de réserve qui n'existe pas vis à vis de sa hiérarchie. Ainsi, le cadre devra s'abstenir, en dehors de tout mandat représentatif, de dénigrer la politique de gestion de l'entreprise ou même de dévoiler par avance des projets qui n'ont pas été porté à la connaissance de la masse salariale. Finalement la liberté d'expression sera fortement limité dès que le destinataire des propos sera hiérarchiquement plus bas que lui. Cette position largement validée par la jurisprudence s'inscrit dans une logique de représentation. Ainsi, le cadre est vis à vis de ses subordonnés, le représentant de l'entreprise, tout dénigrement sera prohibé sous peine de se rendre coupable d'une faute grave pouvant conduire à un licenciement.

Dans tous les cas, s'il est difficile de synthétiser les exemple d'exercice de la liberté d'expression tant les situations dans lesquels celle-ci peut être mise en œuvre sont larges, il sera facile de donner une limite franche à cette liberté lorsqu'elle constituera un abus de droit.

 

II ) L'abus dans l'exercice de la liberté d'expression

 

Si la liberté d'expression est protégée par les textes internationaux comme liberté fondamentale de l'individu, comme toute liberté elle est susceptible d'abus. Le salarié n'est donc pas protégé contre les sanctions en cas d'abus dans l'exercice d'expression (A), ni même les syndicats pourtant protégés par une autre liberté qu'est la liberté syndicale (B).

 

A) Le salarié face à l'abus dans l'exercice de la liberté d'expression

 

La Convention Européenne de Sauvegarde des Droits de l'Homme et du Citoyen, pourtant texte fondateur du régime des libertés publiques à travers les démocratie européennes, va poser des limites strictes dans l'exercice de la liberté d'expression. Ainsi, lorsque la personne va tenir publiquement et envers quelqu'un de désigné nommément, des propos de nature injurieuse, pouvant porter atteinte à sa morale ou à sa réputation, étant diffamatoire, elle se rend coupable d'un abus de liberté d'expression punissable pénalement. Le même régime sera appliqué en cas de révélation d'éléments confidentiels. Dès lors, dans cette hypothèse, le salarié ne pourra plus se ranger derrière son droit à la liberté d'expression pour ne pas être sanctionné. Dans le cas des rapports de travail, la jurisprudence va être encore plus sévère lorsque les propos abusifs seront publiés

( SOC Gorlier 1999 ). C'est ainsi, que le salarié qui va dénigrer son entreprise avec des propos injurieux, diffamatoires et qui rendra public ce type de propos, par exemple en déployant une banderole à son balcon ou en écrivant un courriel à tous ses collaborateurs, aura commis une faute.

Bien souvent, l'employeur qui fera face à cette situation aura tendance à vouloir sanctionner très lourdement le salarié, par exemple en invoquant la faute lourde. Néanmoins, il convient de nuancer la portée de la faute du salarié, qui pour la jurisprudence a certes commis une faute intentionnelle, mais qui n'a pas voulu nuire à l'entreprise comme l'induit l'existence d'une faute lourde ( SOC 15 Décembre 2010 ). L'employeur ne pourra donc pas obtenir le paiement de dommages intérêts à proportion du préjudice subi. L'employeur pourra néanmoins licencier le salarié pour faute grave, dans la mesure où il apporte le preuve qu'une telle faute rend impossible et impensable la continuation de l'exécution du contrat de travail, ou d'une simple faute constituant une cause réelle et sérieuse de licenciement.

Néanmoins cette logique de sanction ne pourra être mise en place en cas de mécanisme de légitime défense médiatique. Dans cette hypothèse, l'employeur a déjà attaqué publiquement le salarié et celui-ci n'aura fait que se défendre vis à vis des propos de l'employeur, tous cela dans une logique de proportionnalité. Face à cette réalité la jurisprudence sera sévère envers l'employeur qui a porté les premiers coups. Ainsi, elle va considérer que de tels agissements justifient une réponse proportionnée du salarié qui ne pourra alors pas être sanctionné malgré le fait qu'il ait tenu des propos public qui sont injurieux ou diffamatoires envers son employeur.

Si l'abus de liberté d'expression est une situation faisant sauter la protection du salarié vis à vis des propos qu'il tient, il en est de même en ce qui concerne les syndicats.

B) Droit syndical et abus dans l'exercice de la liberté d'expression

 

La grosse difficultés qui va se poser vis à vis du rapport entre droit syndical et abus dans la liberté d'expression va reposer sur la mission inhérente aux syndicats, celle de défendre l'intérêt de la profession qu'il représente, ce qui induit une mission de critique vis à vis de l'entreprise. La jurisprudence considère que la liberté d'expression est inhérente au droit syndical car elle permet la mise en œuvre de celui-ci. Finalement, la critique serait une composante de la liberté d'expression. La question de la frontière entre critique et abus dans l'exercice de la liberté d'expression va donc se poser.

Pour la Cour de Cassation, critiquer l'entreprise est une mission des syndicats ou d'une association spécialisé, le groupement ne peut donc pas être sanctionné. ( CIV 1 Greenpace 2008 ). Néanmoins si les critiques sont admises, elles vont être encadrés. Ainsi, c'est la Cour Européenne des droits de l'homme qui a fixé ce cadre. Selon elle, une critique envers une entreprise dénommée devra être proportionnée et ne pas franchir le cap de l'injure ou de la diffamation ou de l'atteinte à la morale et à la réputation d'autrui ( CEDH Vellutini et Michel contre France 6 Octobre 2011 ).

En dehors de ces limites, le syndicat va donc franchir le cap de l'abus dans l'exercice de la liberté d'expression. Dans cette hypothèse, non seulement le syndicat personne morale engagera sa responsabilité, mais les syndicalistes salariés membres de l'entreprise auront commis une faute qui pourra entrainer un licenciement. Enfin, la question du contexte social tendu a posé problème avant que la CEDH n'y réponde en septembre 2011. Ainsi, on s'est demandé si le contexte social dégradé ne justifiait pas une certaine tolérance vis à vis du franchissement du cap de l'abus, la Cour y a répondu défavorablement ( CEDH Palomo Sanchez contre Espagne 2011 ). Ainsi, il faut une véritable proportionnalité dans les critiques, en l'espèce le dessin pornographique n'étant pas justifié aux yeux du contexte social.

Finalement syndicats et salariés sont rangés à la même enseigne vis à vis de l'abus dans l'exercice de la liberté d'expression.

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