Etude : la preuve de la discrimination en droit du travail

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Etude : la preuve de la discrimination en droit du travail

Le Petit Robert définit la discrimination comme « l’action de distinguer l’un de l’autre ». Étymologiquement, le mot discrimination n’a aucune connotation négative : discriminatio signifie « séparer » en latin.

C’est dans sa deuxième définition que le mot revêt son sens courant ; il s’agit du fait de « séparer un groupe social des autres avec précision, selon des critères définis ». Cette définition se rapproche de celle que le droit a de la notion.

Le Vocabulaire juridique de l’Association Henri Capitant présente la discrimination comme une « différenciation contraire au principe de l’égalité civile consistant à rompre celle-ci au détriment de certaines personnes physiques en raison de leur appartenance raciale ou confessionnelle, plus généralement de critères sur lesquels la loi interdit de fonder des distinctions juridiques (…) ».

La discrimination consiste en une différence de traitement faite entre une personne et une autre, alors que celles-ci devraient a priori être placées dans une situation identique. A vrai dire, cette différence de traitement ne constitue pas à elle seule une discrimination, mais une rupture d’égalité. Elle devient discrimination quand cette violation du principe d’égalité se fonde sur un motif prohibé par la loi.

Cela dit, toutes les discriminations ne sont pas illégales. Certaines sont encouragées - voire imposées - par la loi, on parle de « discrimination positive ». Tel est le cas de la mesure destinée à imposer aux entreprises de plus de vingt salariés un quota de 6% travailleurs handicapés (art. L5212-2 du Code du travail). Dans ce cas, le traitement discriminatoire est vertueux : il permet l’accès à l’emploi à des populations habituellement laissées en dehors du marché du travail.

En dehors de telles hypothèses prévues par la loi, les discriminations sont proscrites par le droit. Les dispositions légales qui sanctionnent les discriminations sont multiples et éparses : elles apparaissent dans le Code du travail (art. L.1134-1 et suivants), mais aussi dans le Code pénal (art. L.225-1 et suivants). L’action en justice de celui qui se prétend victime d’une discrimination peut donc consister en une action de responsabilité de type civil ou de type pénale. Seules les dispositions relatives au droit du travail retiendront notre attention.

Le droit français distingue, depuis une loi de 27 mai 2008, la discrimination directe et la discrimination indirecte.

Constitue une discrimination directe la situation dans laquelle, sur le fondement de son appartenance ou de sa non-appartenance, vraie ou supposée, à une ethnie ou une race, sa religion, ses convictions, son âge, son handicap, son orientation sexuelle ou son sexe, une personne est traitée de manière moins favorable qu'une autre ne l'est, ne l'a été ou ne l'aura été dans une situation comparable.

La discrimination est indirecte lorsqu’une disposition, un critère ou une pratique est neutre en apparence, mais est susceptible d'entraîner un désavantage particulier pour des personnes par rapport à d'autres pour l'un des motifs précités.

Lorsqu’une personne s'estime victime d'une discrimination, elle peut saisir la juridiction prud'homale afin que soit annulée la décision fondée sur des motifs discriminatoires, et afin de recevoir la réparation du préjudice subi. Cette action en justice se prescrit par cinq ans à compter de la révélation des faits litigieux. Si le travailleur le souhaite, il peut se faire assister ou représenter par une association constituée depuis plus de cinq ans pour la lutte contre les discriminations (art. L.1134-3 C.trav.) ou par un syndicat (article L.1134-2 C.trav.). Le syndicat peut même agir au nom du salarié sans son accord exprès, dès lors que celui-ci ne s’y est pas opposé dans un délai de quinze jours.

L’employeur ne peut alors prendre aucune mesure disciplinaire à l’encontre de la victime. L’article L.1134-4 du Code du travail prévoit d’ailleurs que s’il est avéré que l’employeur a licencié un travailleur au seul motif que celui-ci a entrepris une action en justice visant à la reconnaissance d’une discrimination, le salarié peut choisir entre sa réintégration au sein de l’entreprise et l’allocation d’une indemnité ne pouvant être inférieure aux salaires des six derniers mois qui se cumule à l’indemnité de licenciement. Manifestement, le législateur a voulu encourager les victimes à poursuivre les auteurs des discriminations.

Les écueils que la victime rencontre, en pratique, ne sont pas tant au niveau de la mise en œuvre de l’action en justice qu'à celui de son déroulement.

La maxime est bien connue : actori incombit probatio, la preuve incombe au demandeur. Le problème est que les discriminations se caractérisent par leur opacité. Deux tendances expliquent cette réalité : d’une part, l’auteur du fait illicite va tout mettre en œuvre afin de dissimuler la réalité litigieuse - il prendra notamment soin de ne pas faire part explicitement de l’intention qui a motivé son traitement discriminatoire.

D’autre part, la victime est souvent seule dans sa mission probatoire, puisque ses collègues sont réticents à témoigner en sa faveur par peur de représailles. Elle est donc souvent dans l’impossibilité de satisfaire les exigences formelles de la preuve civile.

Face à cette situation problématique, il convient de se demander comment le droit a-t-il entendu faciliter la preuve des discriminations.

L'article 6 paragraphe 1er de la Convention Européenne de sauvegarde des Droits de l'Homme prévoit que toute personne droit à un procès équitable. Comment le droit a-t-il rétabli un équilibre dans les actions en reconnaissance de discrimination, où l'inégalité des armes profite « naturellement » au défendeur, seul détenteur des éléments – s'ils existent ! - pouvant conduire à sa condamnation ?

Les avancées en la matière sont nombreuses et variées. Sous l'impulsion omniprésente du droit de l'Union européenne, on constate de prime abord des avancées dans l'établissement de la preuve. Depuis la fin des années 1990, un aménagement de la charge de la preuve a été mis en place, et l'accès à la preuve a été facilité pour la victime (I). Des avancées favorables au salarié sont également à considérer dans la réception que le juge fait des ces éléments de preuve (II).

  1. La facilitation de l’établissement de la preuve par le demandeur

En matière de discrimination, la preuve constitue « le problème le plus ardu », reconnaissait en 1995 Hélène MASSE-DESSEN, avocat à la Cour de cassation (cf. « la résolution contentieuse des discriminations en droit du travail, Droit Social, mai 1995). En effet, que la discrimination soit directe ou indirecte, il était jadis extrêmement difficile pour la personne qui s’en prétendait victime d’en prouver l’existence, dans la mesure où la discrimination était souvent déguisée en une décision licite de l'employeur. Or, la charge de la preuve pesant exclusivement sur le demandeur (art. 1315 C.civ.), rares étaient les cas où la victime arrivait à établir l’intention discriminatoire d’un employeur.

Cette difficulté a été prise en compte par le droit communautaire, qui a mis en place un aménagement de la charge de la preuve que les États membres étaient tenus d’intégrer dans leur droit interne, compte tenu de la primauté du droit communautaire (A).

La facilitation de l’établissement de la preuve de la discrimination s’est aussi faite par l’attribution de pouvoirs d’instructions au juge judiciaire, ainsi que par l’incitation des tiers à prendre part dans le procès (B).

  1. L’aménagement de la charge de la preuve de la discrimination

Le droit de l'Union européenne (alors qualifié de « droit communautaire ») est le premier à s’être montré sensible à la difficulté de la victime à prouver l’existence d’une discrimination. Afin de rétablir un équilibre entre le demandeur et le défendeur, il a institué un aménagement de la charge de la preuve (1), d’abord dans sa jurisprudence, et plus récemment par l’adoption d’une directive, obligeant le législateur national à intégrer ce mécanisme en droit interne (2).

  1. L’influence du droit communautaire dans la mise en place de l’aménagement

Le juge communautaire est le premier à s’être montré sensible à la difficulté d’apporter la preuve d’une discrimination. S’inspirant notamment des droits suédois et danois, il a énoncé, dans le célèbre arrêt « Danfoss » rendu le 17 octobre 1989 par la Cour de Justice des Communautés Européennes (CJCE), le principe selon lequel « (...) lorsqu’une entreprise applique un système de rémunération consistant dans un mécanisme de majorations individuelles (…) est caractérisé par un manque total de transparence, l’employeur a la charge de prouver que sa pratique salariale n'est pas discriminatoire, dès lors que le travailleur féminin établit, par rapport à un nombre relativement important des salariés, que la rémunération moyenne des travailleurs féminins est inférieure à celle des travailleurs masculins ».

Par cette formule, le juge européen venait de mettre en place un aménagement de la charge de la preuve. La prétendue victime ne devait pas prouver l’existence de la discrimination en tant que telle, mais simplement apporter des éléments de faits susceptibles de la caractériser, afin de bénéficier d’une présomption simple de discrimination que l’employeur devrait faire tomber. Une telle décision facilitait grandement la tâche aux prétendues victimes d’une discrimination : il est bien plus facile d’avancer des éléments de faits susceptibles de caractériser le fait illicite plutôt que devoir prouver son existence réelle.

Justifiant cet aménagement par le souci d’établir une « égalité » entre les parties, le juge communautaire est venu affiner son raisonnement dans une autre décision, dite « Enderby », rendue le 13 décembre 1993. En l’espèce, la CJCE avait encore une fois à traiter d’une discrimination fondée sur le sexe des travailleurs. La Cour a réaffirmé le principe selon lequel « la charge de la preuve peut être déplacée lorsque cela s’avère nécessaire pour ne pas priver les travailleurs victimes de discrimination apparente de tout moyen efficace de faire respecter le principe de l’égalité des rémunérations ».

Cet aménagement de la charge de la preuve, limité aux seuls cas de discrimination fondée sur le sexe des requérants, fut à l’origine de l’adoption d’une directive européenne « 97/80 CE », le 15 décembre 1997. En son article 4, celle-ci disposait « les États membres, conformément à leur système judiciaire, prennent les mesures nécessaires afin que, dès lors qu'une personne s'estime lésée par le non-respect à son égard du principe de l'égalité de traitement et établit, devant une juridiction ou une autre instance compétente, des faits qui permettent de présumer l'existence d'une discrimination directe ou indirecte, il incombe à la partie défenderesse de prouver qu'il n'y a pas eu violation du principe de l'égalité de traitement ».

Le partage de la preuve entre le demandeur - la personne qui se prétend victime d’une discrimination - et le défendeur n’est donc pas automatique. Le demandeur doit apporter des éléments de fait permettant de supposer l’existence d’une discrimination. Ce n’est que lorsque cette exigence sera satisfaite qu’il incombera au défendeur de démontrer, objectivement, l’absence de traitement discriminatoire.

La directive de 1997 était donc une réelle avancée en matière de preuve de la discrimination. Seulement, tout comme pour les jurisprudences Danfoss et Enderby, le mécanisme d’aménagement de la charge de la preuve tel qu’instauré par la directive n’avait vocation à s’appliquer qu’aux seules discriminations sexuelles, comme le précisait le titre de la directive, « relative à la charge de la preuve dans les cas de discrimination fondée sur le sexe ».

Une telle limitation n’était pas satisfaisante, compte tenu de l’ensemble des autres motifs qui fondent, en pratique, des traitements discriminatoires (âge, origine ethnique, convictions politiques ou religieuses…). Il eut été dommage de priver toutes les victimes de ces autres discriminations du mécanisme de l’aménagement. C’est la raison pour laquelle, dans une directive 2000/78, le dispositif a été étendu à toutes les discriminations, quels que soient leurs motifs et qu’elles soient « directes ou indirectes ».

Si l’œuvre des institutions de l’Union européenne est remarquable, il faut aussi noter une évolution de la Cour européenne des droits de l’Homme (CEDH) dans son approche de la preuve des discriminations. Comme le notent Lucie Cluzel-Metayer et Marie Mercat-Bruns dans leur étude « Discriminations dans l’emploi », la Cour est passée d’une approche classique de la preuve en exigeant qu’elle soit « au-delà de tout doute raisonnable (…) au moyen d’un faisceau d’indices ou de présomptions non réfutées, suffisamment graves, précis et concordants » (cf. CEDH 5 juillet 2007 – n°21449/04) à un système quasiment calqué sur la directive communautaire 2000/78. Ainsi, dans son arrêt rendu le 13 novembre 2007 « DH contre République Tchèque », la Cour a estimé que « si une présomption réfragable de discrimination relativement à l’effet d’une mesure ou d’une pratique est ainsi établie par le requérant (…) il incombe ensuite à l’État défendeur de réfuter cette présomption en démontrant que la différence en question n’est pas discriminatoire ». L’influence du droit de l’Union a manifestement dépassé les frontières de ses États membres : rappelons que la CEDH est une organisation internationale qui n’est pas soumise au droit de l’Union.

Compte tenu de la primauté du droit communautaire sur le droit interne, le législateur français était tenu de transposer la règle de l’aménagement de la preuve mis en place au niveau communautaire. Ce fut chose faite avec la loi du 16 novembre 2001.

  1. L’intégration du principe de l’aménagement en droit français

Avant l’intégration du principe de l’aménagement de la charge de preuve en droit interne, rares étaient les hypothèses où le demandeur arrivait à prouver l’existence d’une discrimination.

Comme le notait Mme Sousi-Roubi en 1980 (cf. Réflexion sur les discriminations sexistes dans l’emploi, Droit Social, janvier 1980), à l’époque, on pouvait s’étonner que des affaires aient été engagées contre des cas de discrimination, car « il suffisait d’un minimum d’habileté pour surmonter la difficulté de déguiser un refus discriminatoire derrière une apparence parfaitement licite ; et bien maladroits étaient ceux qui n’y arrivaient pas ».

Il n’en demeure pas moins que dans de rarissimes hypothèses, de telles maladresses existaient. À titre d’exemple, il convient de citer l’affaire « Lecomte » (rappelée par J.M. Lattes dans sa thèse « Le principe des non-discriminations en droit du travail », Université de Toulouse I, 1989), dans laquelle un employeur avait motivé son refus d’embaucher une mère de trois enfants de la manière suivante « Je suis pantois (…). Vous vous consacrez déjà : à votre mari, à vous-même, à vos trois enfants, et vous souhaiteriez, en plus, vous consacrer à mes 65 clients et à votre patron. Madame, je vous en prie : occupez-vous de votre foyer (…) et de vos enfants ». Naturellement, l’employeur avait été condamné par le Tribunal correctionnel de Limoges (19 février 1979). De telles hypothèses de maladresses de l’employeur demeuraient néanmoins extrêmement rares. Les actions en justices intentées par les victimes de discriminations étaient peu nombreuses et l’employeur était souvent relaxé, faute de preuve suffisante de sa culpabilité.

Les choses changèrent avec la transposition des directives européennes 97/80 et 2000-78, qui s’est faite par la loi du 16 novembre 2001, entrée en vigueur le lendemain. Celle-ci disposait, à son article 1, que  « le salarié concerné ou le candidat à un recrutement, à un stage ou à une période de formation en entreprise présente des éléments de fait laissant supposer l'existence d'une discrimination directe ou indirecte. Au vu de ces éléments, il incombe à la partie défenderesse de prouver que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à toute discrimination. Le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d'instruction qu'il estime utiles ».

Les juges du fond n’ont toutefois pas attendu cette transposition pour appliquer le système de l’aménagement de la charge de la preuve. Dans un arrêt rendu le 23 novembre 1999 (cass.soc. bull.civ. n°447 DS 2000), les juges du Quai de l’Horloge avaient décidé que lorsque la partie demanderesse qui se prétendait lésée par une mesure discriminatoire « n’était pas en mesure de rapporter la preuve d’exemples précis de comparaison puisqu’elle ne dispose, en qualité de salarié, d’aucune information concernant la classification ou la rémunération de ses collègues masculins et féminins (…) il lui appartenait (…) de soumettre au juge des éléments de fait susceptibles de caractériser une atteinte au principe d'égalité de traitement entre hommes et femmes et il incombe à l'employeur, s'il conteste le caractère discriminatoire de cette mesure, d'établir que la disparité de situation, ou la différence de rémunération constatée, est justifiée par des critères objectifs, étrangers à toute discrimination fondée sur le sexe".

Ainsi, les juges appliquaient, bien avant la transposition effective de la directive européenne en droit interne, la règle selon laquelle « la preuve de la discrimination [n’incombe] pas au salarié » (cf. cass.soc. 28 mars 2000, RJS 5/00 n°498).

Contrairement aux jurisprudences Enderby et Danfoss, la loi du 16 janvier 2001 n’a pas limité son champ d’application aux seules discriminations sexuelles. L’article 1 de ladite loi dresse la liste des différents motifs susceptibles de constituer une discrimination : l’origine, le sexe, les mœurs, l’orientation sexuelle, l’âge, la situation de famille, l’appartenance ou la non appartenance, vraie ou supposée, à une ethnie, une nation ou une race ; les opinions politiques ; les activités syndicales ou mutualistes ; les convictions religieuses ; l’apparence physique ; le patronyme ou l’état de santé ou le handicap du travailleur. Cette liste est importante mais fermée.

Il est en outre précisé que cette interdiction vaut pour les discriminations directes ou indirectes, « notamment en matière de rémunération, de formation, de reclassement, d'affectation, de qualification, de classification, de promotion professionnelle, de mutation ou de renouvellement de contrat ». Le « notamment » implique que la liste n’est pas exhaustive.

Nombreux commentateurs (par exemple M. Langlois dans « Discrimination, égalité et rémunération : régime et fondement ». SSL 10 avril 2008) ont relevé la différence des termes employés entre la directive communautaire et la transposition faite en droit français : alors que le premier prévoyait que le travailleur devait « établir » des éléments de faits ; le second ne lui demandait que de « soumettre » ces éléments. La tâche du salarié n’en est que plus facilitée.

Les dispositions de l’article 1 de la loi du 16 janvier 2001 ont été reprises par l’article 19 de la loi du 30 décembre 2004 et par l’article 4 de la loi du 27 mai 2008 « portant diverses dispositions d'adaptation au droit communautaire dans le domaine de la lutte contre les discriminations ». Le principe de l’aménagement de la charge de la preuve est actuellement posé à l’article L.1134-1 du Code du travail.

Le rôle du juge est déterminant dans la mise en œuvre de cet aménagement. Celui-ci va, de prime abord, s’assurer de la présence des éléments de faits soulevés par le demandeur, puis s’interroger sur leur « suffisance » à laisser supposer l’existence d’une discrimination. Si ce n’est pas le cas, le juge en restera là (cf. cass. soc. 9 novembre 2005, 02-45796, « la cour d’appel ayant fait ressortir que les décisions(…) prises par l’employeur dans l’exercice de son pouvoir de direction ne caractérisait pas le traitement inégal [invoqué par le salarié] »). Si, en revanche, tel est le cas, le demandeur bénéficiera d’une présomption de discrimination et le juge se tournera vers le défendeur afin de recueillir ses arguments.

Comme le résume Dominique Everaert-Dumont, « ce mécanisme probatoire (…) implique (…) pour le juge d'adopter un raisonnement en deux temps : sur la recevabilité, puis sur la réalité de la discrimination » (cf. La Semaine Juridique Sociale n° 38, 15 Septembre 2009, 1403)

Dans leur ouvrage « Discriminations dans l’emploi : analyse comparative de la jurisprudence de Conseil d’État et de la Cour de cassation », Lucie Cluzet-Metayer et Marie Mercat-Bruns relèvent qu’actuellement le principe de l’aménagement a dépassé les frontières du droit du travail. On retrouve, depuis 2008, une application de ce principe devant juridictions administratives (un exemple avec CE, 7 juillet 2010, Mme Claude A.). Il a aussi été étendu hors du champ des discriminations, à toute action fondée sur une différence de traitement entre les salariés(cf. cass.soc., 28 avril 2006, 03-47.171). Cela dit, il ne vaut pas devant les juridictions pénales, où la présomption d’innocence demeure le principe.

L’aménagement de la charge de la preuve constitue une avancée manifeste dans la lutte contre les discriminations, dans la mesure où il est plus facile de laisser supposer l’existence d’un fait plutôt que d’établir son existence de manière irréfutable. Dès lors que la prétendue victime aura apporté au juge de tels éléments de fait, l’employeur sera débiteur d’une preuve de non-discrimination. Cela dit, la tâche de la victime de la discrimination a été simplifiée, mais n’en reste pas moins délicate.

  1. La facilitation de l’accès à la preuve de la discrimination

Si l’aménagement de la charge de la preuve a allégé l’entreprise probatoire de la victime d’une discrimination, il ne faut pas considérer que la tâche est devenue aisée. L’arrêt rendu le 20 août 2008 par la chambre sociale de la Cour de cassation (06-45.556) rappelle que la mise en évidence, par la victime, d’éléments de fait susceptibles de constituer une discrimination est une condition sine qua non à la mise en œuvre du mécanisme prévu par L.1134-1 C.trav. Or, la réunion de tels éléments est une tâche souvent ardue pour le demandeur.

En matière de rémunération, par exemple, celui qui se prétend victime d’une discrimination a tout intérêt à soumettre au juge un tableau comparatif des salaires versés qui permettrait de constater la différence de traitement injustifiée dont il fait l’objet. Tout le problème réside dans l’obtention de ces éléments de comparaison. L’employeur ne va évidemment pas fournir la preuve de sa culpabilité à celui qui l’assigne.

La victime sera alors tentée de se tourner vers ses collègues pour espérer que ceux-ci témoignent en sa faveur, ou lui fournisse certains documents… Mais ces témoins potentiels peuvent craindre des représailles de leur employeur, et seront réticents à l’idée d’aider la victime.

Afin de faciliter l’accès de la victime à la preuve, différents dispositifs ont été mis en place. Ainsi, le juge judiciaire a été incité à jouer un rôle actif en matière d’accès à la preuve (1). En outre, l’intervention de tiers dans le procès a été encouragée (2).

  1. Le rôle du juge dans l’accès à la preuve


Ce que l’on peut qualifier de rôle actif du juge dans l’accès à la preuve découle de l’article 6 paragraphe 1 de la CEDH qui consacre le droit à un procès équitable. C’est plus précisément la jurisprudence de la Cour qui a déduit de ce principe que le juge a « l’obligation d’offrir à chaque partie une possibilité raisonnable de présenter sa cause - y compris ses preuves - dans des conditions qui ne la placent pas dans une situation de net désavantage par rapport à son adversaire » (CEDH ; affaire « Dombo Beheer B.V. contre Pays-Bas », 27 octobre 1993). C’est donc en réaction à l’inégalité des armes inhérente aux actions en reconnaissance de discrimination que le juge s’est vu reconnaitre des compétences particulières.

On retrouve ainsi à l’actuel article L.1134-1 du Code du travail, le principe selon lequel « le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d'instruction qu'il estime utiles ».

Une telle disposition rappelle l’article 143 du Nouveau Code de procédure civile, lequel prévoit que “ les faits dont dépend la solution du litige peuvent, à la demande des parties ou d’office, être l’objet de toute mesure d’instruction légalement admissible”.

Il y a donc une apparente redondance entre le principe général de 143 NCPC et le dernier alinéa de L.1134-1 C.trav, spécifique aux cas de discriminations. Sans doute faut-il y voir l’incitation du législateur à voir le juge mettre en œuvre ses pouvoirs d’investigation.

Le juge national peut donc, lorsqu’il l’estime nécessaire ou lorsque les parties lui en ont fait la demande, procéder à des mesures d’instruction. D’une certaine manière, la procédure devient inquisitoire : le juge ne se contente pas d’être un arbitre mais joue un rôle actif d’investigation, comme c’est le cas en matière pénale. A la différence qu’en matière de discrimination, cette « activation » des pouvoirs des juges n’est pas automatique. Elle n’est qu’une faculté dont la décision de mise en œuvre lui appartient exclusivement.

En pratique, le juge ne procèdera à de telles mesures que lorsque le demandeur lui aura déjà soumis des pièces permettant le doute sur l’existence d’une discrimination.

Longtemps, les juges ont refusé de mettre en œuvre ce pouvoir faute de dossier suffisamment construit par le demandeur (par exemple, voir cass.soc. 15 novembre 1999). L’activation des pouvoirs du juge semble donc conditionnée à l’existence de données factuelles constituant un « commencement » de preuve.

De la même manière, si le défendeur a fourni des éléments objectifs suffisants à faire tomber la présomption de discrimination qui pèse sur lui, le juge n’est pas tenu de donner suite aux demandes d’instruction formulées par le demandeur (cass.soc. 3 décembre 2008 – 07-42976).

En pratique, les juges utilisent principalement ce pouvoir lorsque l’employeur refuse de communiquer des documents qui permettraient a priori d’établir l’existence de la discrimination. Conformément à la jurisprudence de la CEDH, ils veillent donc à ce que la prétendue victime ne soit pas totalement désarmée face au défendeur. Ainsi, le pouvoir d’investigation consiste principalement à ordonner la fourniture de documents permettant de comparer la situation de la prétendue victime avec celle de ses collègues (par exemple, cass. soc. 9 avril 1996, n°1727).

Même si ce pouvoir n'est pas utilisé de manière systématique, l'investigation du juge civil permet de faciliter l'accès à la preuve, d'autant plus que les éléments qui permettront établissement de la différence de traitement discriminatoire sont souvent en possession du défendeur.

Notons que lorsque le défendeur refuse de communiquer certains documents nécessaires à la comparaison de la situation du demandeur avec ses collègues, il ne peut reprocher au demandeur l'insuffisance de la preuve (CA Montpellier 25 mars 2003 ; n°02/00504).

  1. Le rôle des tiers dans l’accès à la preuve

Les pouvoirs publics ont entendu inciter les tiers à participer à l’établissement de la preuve de la discrimination, afin que la victime ne soit pas seule dans son entreprise probatoire. Il faut envisager le rôle du Défenseur des Droits et le statut protecteur offert aux témoins.

La Défenseur des droits est une autorité administrative indépendante créée à l’occasion de la réforme constitutionnelle du 23 mars 2008 (art.71-1 de la Constitution) dont l’une des missions principales est de « lutter contre les discriminations, directes ou indirectes » (cf. art.4 de la loi organique n°2011-333 du 29 mars 2011).

La création d’une telle institution a été imposée par le droit de l'Union européenne. C’est en effet une directive 2000/43/CE du 29 juin 2000 qui a prévu, à son article 13, que « les États membres désignent un ou plusieurs organismes chargés de promouvoir l'égalité de traitement entre toutes les personnes sans discrimination fondée sur la race ou l'origine ethnique. (…) Les États membres font en sorte que ces organismes aient pour compétence d'apporter aux personnes victimes d'une discrimination une aide indépendante pour engager une procédure pour discrimination ».

La transposition de cette directive s’est faite par la loi du 30 décembre 2004 qui a créé la Haute Autorité de Lutte contre les Discriminations et pour l’Égalité (HALDE). Cette autorité administrative indépendante avait différentes missions axées tant sur la prévention des discriminations que sur leur répression. Elle était remarquable en ce qu’elle pouvait – entre autres - faciliter l’accès à la preuve des victimes de discriminations.

Aujourd’hui, la HALDE n’existe plus, elle a été remplacée par le Défenseur des droits. Seulement, le Défenseur des droits exerce d’autres missions que la lutte contre les discriminations, puisqu’il a également remplacé d’autres institutions telles que le Médiateur de la République, le Défenseur des enfants… Cette substitution de différentes institutions en une seule a fait l’objet de vives critiques. Qualifié de « fourre-tout » (cf. Marie PIQUEMAL dans le journal Libération, édition du 4 juin 2010), le Défenseur des droits était notamment critiqué en raison son champ de compétence trop large. Jeannette Bougrad, actuelle Secrétaire d'État à la Jeunesse et à la Vie associative, s’étonnait elle-même de la disparition de la HALDE dont elle était alors à la tête : « je ne comprends pas qu'on remette en question une institution qui fonctionne» (cf. Le Monde, édition du 2 juin 2010).

Il n’en demeure pas moins que le Défenseur des droits exerce dorénavant – entre autres - la mission de la disparue HALDE : lutter contre les discriminations directes et indirectes. A cette fin, la loi lui confère des pouvoirs particuliers. Le Défenseur des droits peut tenter de concilier les parties, proposer une transaction (de nature quasi pénale) à l’auteur de la discrimination, saisir l’autorité judiciaire compétente… et faciliter l’accès à la preuve de la victime du traitement discriminatoire.

En effet, qu’il soit saisi d’office ou par la prétendue victime, le Défenseur des droits dispose d’un véritable pouvoir d’investigation. Il peut procéder à des vérifications sur place dans les locaux professionnels, auditionner toute personne susceptible de fournir des informations, ou exiger la production de documents. Si l’employeur ou toute autre personne s’oppose à de telles investigations, le Défenseur des droits peut saisir le juge des référés afin qu’elles soient autorisées. L’article 20 de la loi du 29 mars 2011 (précitée) précise lorsque le Défendeur des droits demande la production d’un document, il ne peut lui être opposé son éventuel caractère secret ou confidentiel. Le Défenseur des droits a donc un rôle déterminant dans la facilitation de l’accès à la preuve de la discrimination.

A l’instar du juge civil, le Défenseur des droits n’est pas tenu d’exercer son pouvoir d’investigation chaque fois qu’il est saisi. Libre à lui d’apprécier si les faits qui font l’objet d’une réclamation ou qui lui sont signalés appellent une intervention de sa part. Lorsqu’il décide de ne pas donner suite à une saisine, il doit en informer l’auteur de la réclamation.

La création du Défenseur des droits est récente, ce qui explique le peu de jurisprudence relatif à son rôle de facilitation de l’accès à la preuve de la discrimination. Gageons qu’il soit aussi efficace que celui de la HALDE, dont les investigations ont permis à maintes reprises aux victimes de démontrer l’existence de discriminations (un exemple avec l'arrêt rendu par la cour d'appel de Toulouse le 12 février 2010 ; n°08/06630).

Nous venons de le voir, le Défenseur des droits dispose du pouvoir d’auditionner les collègues de la victime. Il est important de noter que ces personnes peuvent, d’elles-mêmes, prendre l’initiative de déposer devant le juge. De telles entreprises étaient assez rares en pratique, dans la mesure où les collègues de la victime pouvaient craindre – à raison – des représailles de la personne qui restait leur employeur.

Cette situation problématique a longtemps perduré. Jusque les années 2000, aucun texte du Code du travail ou du Code pénal ne prévoyait expressément de protection contre le licenciement ou les sanctions prises à l’encontre du témoin d’une discrimination. Certes, l’article 5 de la Convention OIT 158 de 1982 prévoyait que ne constitue pas un motif valable de licenciement « le fait d'avoir déposé une plainte ou participé à des procédures engagées contre un employeur en raison de violations alléguées de la législation », mais les témoins demeuraient réticents à prendre part à l’action en justice.

Encore une fois, c’est le droit communautaire qui est a pallié à ce vide législatif, en obligeant les États membres de l’Union à « introduire dans leur système juridique interne les mesures nécessaires pour protéger les personnes contre tout traitement ou toute conséquence défavorable en réaction à une plainte ou à une action en justice visant à faire respecter le principe de l'égalité de traitement » (article 10 de la directive 2000-43/CE).

La transposition de cette directive s’est faite par la loi du 16 novembre 2001, laquelle a créé l’article L.122-45-2 du Code du travail, qui pose le principe selon lequel « est nul et de nul effet le licenciement d'un salarié faisant suite à une action en justice engagée par ce salarié ou en sa faveur sur la base des dispositions du présent code relatives aux discriminations, lorsqu'il est établi que le licenciement n'a pas de cause réelle et sérieuse et constitue en réalité une mesure prise par l'employeur à raison de l'action en justice ». Cette règle, limitée aux seuls licenciements, a été reprise et étendue à toutes les autres sanctions par le nouveau Code du travail : on retrouve à l’article L.1132-3 la règle prévoyant qu'« aucun salarié ne peut être sanctionné, licencié ou faire l'objet d'une mesure discriminatoire pour avoir témoigné des agissements définis aux articles L.1132-1 et L.1132-2 ou pour les avoir relatés ».

L’article L.1132-4 du Code du travail précise que toute disposition ou tout acte pris à l'égard d'un salarié en méconnaissance de cette disposition est nul.

Ainsi, depuis les années 2000, les collègues des victimes de discrimination peuvent témoigner sans – a priori - risquer de représailles de leur employeur. Reste qu’en pratique, l’employeur garde la faculté de nuire à ce témoin, par exemple en ne renouvelant pas son contrat à durée déterminée. La protection du témoin est donc une avancée mais ne semble pas lui garantir une protection absolue contre les représailles de l’employeur.

C’est afin de solutionner ce problème que s’est développée l’idée que les salariés pouvaient témoigner anonymement contre leur employeur : c'est ce que permet le Whistleblowing, communément traduit par « dispositif d'alerte » en France.

Défini par la CNIL comme étant le moyen « permettent à des employés de signaler à leur employeur des comportements qui seraient contraire aux règles de droit français » (cf. CNIL.fr), le Whistleblowing est une technique apparue aux États-Unis au début des années 2000. Son but originel n’était pas de dénoncer les discriminations, mais de signaler les manœuvres frauduleuses liées à la gestion économique et comptable de l’entreprise.

S’est développée l’idée d’adapter ce système aux discriminations. Le problème est que le Whistleblowing oscille entre la vertu et le vice. Il vertueux en ce qu’il assure l’anonymat aux témoins, qui ne risquent par conséquent pas de représailles de la part de leur employeur. Mais le caractère déloyal du mécanisme ainsi que l'apparente invitation à la délation qu'il véhicule ne plaident pas en faveur de sa généralisation.

Si la Commission Nationale de l'Informatique et des Libertés semblait jadis réticente à l'admission du procédé en matière de discrimination, il faut noter qu'elle a autorisé la mise en place d'un dispositif d'alerte professionnelle dédié à la dénonciation des discriminations pour deux entreprises, le 3 mars 2011. Seulement, comme la CNIL le précise elle-même sur son site internet, elle a « autorisé ces traitements après avoir vérifié les garanties mises en œuvre et notamment (…) l'obligation pour le donneur d'alerte de s'identifier ». Or, l'anonymat est ce qui fait la force du système... L'efficacité du Whistleblowing en matière de discrimination n'est donc pas garantie. Il faudra voir si, sur le long terme, le procédé aura eu les effets escomptés.

De la même manière, il reste à voir si les juridictions prud’homales accepteront de considérer les alertes professionnelles comme des éléments de preuve de discriminations suffisant à activer les pouvoirs d'investigation du juge.

Force est de constater que sous l’influence du droit de l’Union européenne, l’établissement de la preuve de la discrimination a été grandement facilité : d’abord par le biais de l’aménagement de la charge de celle-ci, puis la facilitation de l'accès du demandeur aux éléments de preuve.

La réception que le juge fait de ces différents éléments mérite également une attention toute particulière.

  1. La réception par le juge des éléments soulevés par les parties

Après avoir analysé les mécanismes mis en place afin de faciliter l’établissement de la preuve de la discrimination par le demandeur, il convient de s'attarder sur lesdites preuves à proprement parler, ainsi que la réception qu'en fait le juge.

Il s'avère que les éléments de fait soulevés par le demandeur doivent répondre à certaines exigences jurisprudentielles pour satisfaire les attentes du juge (A). Ce n'est qu'à cette condition que le juge établira l'existence de la présomption de discrimination. Il se tournera alors vers le défendeur, lequel tentera de justifier le traitement fait au salarié par des éléments objectifs étrangers à toute discrimination (B).

A. L’appréciation faite par le juge des éléments de faits soulevés par le demandeur

En France, depuis la loi du 16 janvier 2001, le demandeur qui espère la reconnaissance judiciaire d’une discrimination ne doit pas la prouver au sens du droit commun. Il doit apporter des éléments de faits laissant supposer son existence. Aussi, est-il intéressant de savoir quels sont les éléments attendus par le juge : se posera la question de la nature des éléments de faits admis ainsi que des caractéristiques qu'ils doivent présenter (1). Il faut aussi admettre que le juge opèrera une analyse particulière de ces éléments, dans le soucis de vérifier le plus objectivement si le traitement discriminatoire semble présent ou non (2).

  1. La nature et les caractéristiques attendues des éléments de faits soulevés par le demandeur

De prime abord, il faut rappeler que si la charge de la preuve a été allégée pour le demandeur, elle n’a pas disparu. Nombreux sont pourtant les arrêts où les demandeurs se présentent devant le juge sans produire de pièce susceptible d’étayer les accusations formulées contre le défendeur. À titre d’exemple, on peut citer l’arrêt rendu le 20 août 2008 par la chambre sociale de la Cour de cassation (n°06-45.556).

Dans cet arrêt, les juges rappellent que « s’il ne saurait être imposé au salarié qui se prétend victime d’une discrimination salariale, à l’appui de sa demande en indemnité pour discrimination, de fournir des pièces de nature à justifier de la rémunération de ses collègues d’un niveau hiérarchique et d’une ancienneté comparable », il lui faut toutefois « soumettre au juge des éléments de faits susceptibles de caractériser l’existence de la discrimination ». De quels nature peuvent être ces éléments de fait ?

Il ne s'agit pas ici d'être exhaustif. La discrimination est un fait juridique qui se prouve par tout moyen.

En pratique, on retrouve principalement la production d'écrit (courriers, attestations, éléments de comparaison tels que des bulletins de paie...) et celle de témoignages... Le test de discrimination (testing) est admis devant les juridictions pénales (cass.crim., 11 juin 2002, 01-85.559) mais il faut admettre qu'il présente peu d'intérêt devant les juridictions civiles. Dans la mesure où le test de discrimination permet essentiellement la révélation de discriminations en matière d'embauche, la plainte se situera davantage sur le plan pénal que sur le plan civil – la sanction prévue par le Code du travail consistant essentiellement en l'annulation de la décision litigieuse ; elle ne présente pas d'intérêt en matière de refus d'embauche.

Il existe toutefois une limite à la liberté de preuve des discriminations : l'exigence d'une preuve loyale. C'est là un principe fondamental que l'on retrouve en matière civile et pénale. Ainsi, depuis un arrêt de la chambre sociale de la Cour de cassation rendu le 20 novembre 1991, l'enregistrement réalisé à l'insu de la partie adverse est jugé irrecevable en matière civile.

Les éléments de preuve susceptibles d'être avancés par le demandeur sont donc de diverse nature. Il est intéressant d'observer les caractéristiques que doivent présenter ces éléments de faits afin que le demandeur bénéficie de la présomption de discrimination.

Le premier élément consiste en la mise en évidence d'un traitement anormal. Si tous les salariés sont traités de la même manière, il n’y a pas de discrimination mais une égalité. Le demandeur doit donc mettre en exergue l’existence d’un traitement anormal dont il fait l'objet. Celui-ci peut résulter de la comparaison de différentes évolutions de carrières, de rémunérations différentes (...) alors même que les salariés ont le même diplôme et la même expérience professionnelle ; bref qu'ils devraient a priori être placés dans une situation analogue.

S’agissant de la preuve de ce traitement anormal, le bon sens voudrait que la comparaison entre différents salariés soit la condition sine qua non à l’établissement d’une discrimination. Il n’en est rien.

Des arrêts récents (10 novembre 2009, 07-42849 ; 29 juin 2011, 10-14.067) ont montré que l’établissement d’une discrimination n’était pas subordonné à la production d’une comparaison avec d’autres salariés. Dans ces arrêts, la Cour de cassation a considéré que le ralentissement apparemment anormal de la carrière d’un salarié ou le fait que l’employeur ne leur donne pas de travail pendant de longue durée pouvait, à eux seuls, laisser supposer l’existence d’une discrimination.

Il en va de même lorsqu'un salarié est sanctionné puis licencié peu après avoir révélé son homosexualité (Cass.soc. 6 novembre 2013 n° 12-22.270).

Ces décisions ne vont pas de soi, puisque la comparaison entre différentes personnes semble être une étape indispensable à la constatation d'une discrimination. En effet, l’article L.1134-1 du Code du travail fait référence à « une personne traitée de manière moins favorable qu’une autre » ; étonnant donc que le juge considère qu’une discrimination puisse être supposée alors même qu’une comparaison n’est pas mise en exergue par le demandeur. Une telle situation est évidemment à l’avantage du demandeur : le juge facilite son action en n’exigeant pas la fourniture d'éléments de comparaison – souvent difficile à produire (cf. supra).

Si l’établissement d’une comparaison n’est pas une condition sine qua non à l’établissement d’une présomption simple de discrimination, il faut considérer qu’une telle démonstration ne peut que renforcer les allégations du demandeur.

On constate, en pratique, que les demandeurs fournissent habituellement un tableau comparatif des évolutions de carrières ou des rémunérations. Un tel tableau a souvent été considéré comme étant suffisant pour que la discrimination soit supposée. Précisions, en la matière, que si les juges veillent à ce que les comparants et comparés soient a priori placé dans une situation comparable (même diplôme, même expérience professionnelle), ils n'exigent pas une similitude absolue. Ainsi, dans un arrêt du 28 janvier 2010 (n°08-41-959), la chambre sociale de la Cour de cassation a donné raison à une cour d'appel qui a validé la comparaison entre différents salariés alors que ceux-ci avaient fait l'objet de promotions différentes.

Ce traitement anormal doit en outre causer un préjudice à la victime. En pratique, il s'agit souvent d'un manque à gagner en matière de rémunération, de promotion interne... Ce préjudice doit répondre aux règles traditionnelles, c'est-à-dire être réel, direct et certain. La règle du caractère direct connait, nous l'avons vu, des aménagements. Si « nul ne plaide par procureur », la victime de la discrimination peut néanmoins se faire assister ou représenter par une association ou un syndicat. En pratique, il va de soi que les caractères du préjudice ne sont pas formellement exigés puisque le salarié ne doit que laisser supposer l'existence d'un traitement discriminatoire.

Une fois qu'est établie l'existence du traitement anormal lui causant un préjudice, le demandeur doit établir un lien entre ce traitement et l'un des critères de discrimination prohibés par la loi. En effet, la discrimination ne peut être établie que si le traitement se fonde sur un des critères limitativement énuméré par l'article L.1132-1 du Code du travail. Le demandeur doit donc d'une part établir son appartenance à l'une des catégories visées par la loi et d'autre part démontrer que c'est cette caractéristique qui est à l'origine du traitement défavorable dont il fait l'objet.

La Cour de cassation a rappelé récemment que le salarié qui n'invoque aucun des critères de discrimination illicite prévus par le Code du travail ne peut s'estimer victime d'une discrimination (cass.soc. 21 octobre 2009 ; 08-42,699). Mais, et cela va encore dans le sens de la victime, le juge peut décider qu'alors même qu'une discrimination ne peut être établie en raison de l'absence d'invocation de l'un desdits critères, un autre fondement peut être retenu pour condamner le traitement anormal dont le salarié fait l'objet (cass.soc., 9 décembre 2009 ; n°08-41,139). Dans cette espèce, le juge avait retenu, pour condamner l'employeur, que la saisine se fondait en réalité sur la règle « à travail égal, salarié égal »

Il faut enfin préciser que si l'action en reconnaissance de discrimination se prescrit par cinq ans à partir de la révélation des faits litigieux, le demandeur peut mettre en avant des faits prescrits pour que le juge apprécie la réalité de la discrimination. Ainsi, dans un arrêt du 4 février 2009 (07-42.697), la chambre sociale de la Cour de cassation a estimé que « si la prescription trentenaire interdit la prise en compte de faits de discrimination couverts par elle, elle n'interdit pas au juge, pour apprécier la réalité de la discrimination subie au cours de la période non prescrite, de procéder à des comparaisons avec d'autres salariés engagés dans des conditions identiques de diplôme et de qualification à la même date que l'intéressé, celle-ci fut elle antérieure à la période non prescrite ». Évidemment, ces éléments ne sauraient constituer les seuls éléments de faits soulevés par le demandeur à l'appui de sa demande ; le cas échéant l'action serait prescrite. Il n'en demeure pas moins que cela facilite l'établissement de la preuve du demandeur.

  1. L'analyse faite par le juge des éléments de faits soulevés par le demandeur

Deux hypothèses sont à distinguer dans la réception des éléments de faits soulevés par le demandeur. Soit l'intention discriminatoire est évidente (souvenons-nous de l'affaire Lecomte évoquée précédemment), auquel cas le juge se tournera directement vers le défendeur afin de recueillir ses « justifications objectives » ; soit, comme c'est souvent le cas en pratique, le demandeur lui soumet un ensemble d'éléments de faits.

Dans cette seconde hypothèse, le juge va devoir procéder à une analyse des éléments portés à sa connaissance. Il est intéressant de noter qu'en la matière, différentes méthodes sont employées afin de relever l'existence du fait prohibé.

La méthode « traditionnelle » consiste, pour le juge, à comparer individuellement le traitement fait à différents travailleurs selon les critères prohibés. Par exemple, à opérer une comparaison entre certains hommes et certaines femmes alors que ceux-ci devraient a priori être placés dans une situation comparable (un exemple parmi tant d'autres avec cass.soc. 30 avril 2009 n°06-45,939).

Une méthode plus originale est relevée par Lucie Cluzel-Metayer et Marie Mercat-Bruns [op-cit]. Dans son arrêt « SARL Usai Champignons » rendu le 12 février 1997, la chambre sociale de la Cour de cassation a en effet opté pour une approche « par groupe » des travailleurs. Dans cette affaire, une cour d'appel avait distingué deux groupes de travailleurs au sein de l'entreprise : le premier était principalement composé d'hommes et le second de femmes. Alors que les activités des deux groupes de travailleurs étaient similaires, les hommes étaient systématiquement mieux payés que les femmes. Les juges ont constaté l'existence d'une discrimination apparente que l'employeur n'a pas pu justifier par des éléments objectifs. La discrimination avait été reconnue.

En l'espèce, la comparaison par groupe s'était faite sur la base de l'ensemble des rémunérations versées par l'employeur aux travailleurs, mais cette méthode a également été admise lors de l'étude de l'octroi d'un avantage spécifique (cf. cass.soc. 19 décembre 2000 ; Bull.V. N°436).

On constate donc que dans leur étude des éléments de fait soulevés par le demandeur, les juges peuvent opter pour différentes approches afin d'apprécier l'existence ou non de l'apparente discrimination.

L'analyse des éléments fournis par le demandeur implique une certaine rigueur de la part du juge (respect des règles de loyauté de la preuve, vérification des méthodes employées), mais il faut garder à l'esprit que le salarié ne doit que laisser supposer l'existence du traitement discriminatoire. Il a été rappelé, dans un arrêt récent (cass. soc. 29 juin 2011, 10-14067), que le salarié ne doit pas établir l'existence d'une inégalité de traitement. En l'espèce, il a été jugé que «  la simple concomitance entre l'appartenance syndicale du salarié et les faits allégués laisse présager l'existence d'une discrimination directe ou indirecte ». La preuve de la discrimination est donc relativement « facile » à apporter.

Si, au terme de l'analyse faite par le juge des éléments de faits mis en avant par le défendeur, le juge n'estime pas qu'il existe une apparente discrimination, l'aménagement de la preuve ne sera pas mis en œuvre et le demandeur sera débouté. Mais lorsque la discrimination est supposable, le juge va faire bénéficier le demandeur d'une présomption de discrimination que le défendeur devra faire tomber.

B. L’appréciation faite par le juge des justifications mises en exergue par le défendeur

Après que le demandeur – la victime de la discrimination – ait apporté au juge des éléments de faits susceptibles de caractériser l’existence d’une discrimination, il incombe au défendeur –bien souvent, un employeur– d’apporter la preuve par des éléments objectifs de l’absence de discrimination, ou alors que la différence de traitement est justifiée par des éléments objectifs.

Ce phénomène était expliqué dans le célèbre arrêt Bilka (C-170/84) rendu en 1986 par la CJCE : « la présomption de discrimination établie par le demandeur transfère la charge de la preuve sur l’auteur de la mesure prise ». Force est donc de constater que l'employeur devient débiteur d'une preuve de non-discrimination (1).

La présomption de discrimination qui pèse sur lui est une présomption simple, mais il faut admettre qu'il est parfois difficile de la renverser. Mais est-ce réellement un mal que de contrôler rigoureusement l'existence d'une discrimination (2) ?

  1. Le défendeur, débiteur d'une preuve de non-discrimination

La règle est posée par l'avant dernier alinéa de l'article L.1134-1 du Code du travail : dès lors que le juge suppose l'existence d'une discrimination, « il incombe à la partie défenderesse de prouver que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à toute discrimination ». Le défendeur se retrouve donc débiteur d'une preuve de non-discrimination. Il doit prouver que le traitement anormal dont le salarié s'estime victime n'est pas fondé sur un des motifs prohibé par la loi à l'article L.1132-1 du Code du travail.

Tout comme le demandeur, le défendeur peut mettre en avant des éléments de fait, sous réserve qu'ils respectent le principe de loyauté de la preuve civile. On retrouve donc la production d'écrits, de témoignages... Il est certain qu'il est plus facile pour l'employeur de se procurer de tels éléments. On retrouve notamment la production de tableaux comparatifs.

Le 27 avril 2007, la Cour de cassation (07-42.864), la Cour avait à connaitre d’un arrêt rendu par la Cour d’appel de Paris dans lequel un salarié avait obtenu la condamnation de son employeur pour une discrimination syndicale – il estimait que son évolution de carrière avait été défavorable en raison de son engagement syndical. L’employeur avait formé un pourvoi en cassation, justifiant l’absence d’une discrimination par la fourniture d’un panel de comparaison qui mettait en avant que des travailleurs placés dans les mêmes conditions que le salarié défendeur avaient eu une évolution de carrière similaire. La Cour de cassation a rejeté la demande de l’employeur au motif que ce panel « ne concernait que les salariés dans une situation différente de celle de l’intéressé », et « ne justifiait donc d’aucune situation analogue à celle du salarié défendeur ». Bref, « l’employeur ne démontrait pas que la disparité constatée n’était pas fondée sur des éléments objectifs étrangers à toute discrimination syndicale. »

Ainsi, le juge soumet les justifications du défendeur au même contrôle que celui que connaissent les éléments de faits soulevés par le demandeur. En l'espèce que nous venons d'évoquer, le juge a vérifié si les comparants et comparés étaient placés dans une situation comparable (même expérience professionnelle, même expérience, même poste), ce qui n'était pas le cas. Dès lors, la justification du défendeur n'étant pas recevable, l'existence de la discrimination a été reconnue.

En réalité, la défense du défendeur ne s'axe pas tant sur la réfutation de l'existence du traitement anormal mais sur celle les motifs en sont à l'origine.

Dans un arrêt rendu le 17 avril 2008 par la chambre sociale de la Cour de cassation (n°06-45.270), il a été noté que la différence de traitement établie entre différents salariés reposait sur « une raison objective, pertinente, étrangère à toute discrimination prohibée et proportionnée à l'objectif légitimement poursuivi ». L'employeur n'a donc pas été condamné.

Le plus souvent, la défense de l'employeur consiste à répondre directement aux allégations du demandeur. Par exemple, si ce dernier estime être victime d'une discrimination syndicale, l'employeur a tout intérêt à produire un tableau permettant la comparaison du statut des salariés syndiqués et non syndiqués, d'où il ressortirait que le traitement qui leur est fait est identique.

La justification du défendeur ne peut se limiter à une simple réfutation des arguments du demander. Dans un arrêt en date du 16 décembre 2008 (cass.soc., n°06-45262), un employeur a été condamné parce qu'il n'apportait pas « la preuve » (le mot est employé par les juges) de la non-discrimination. L'aménagement de la charge de la preuve fait donc bel et bien peser sur lui une preuve de non-discrimination.

Il faut préciser que la justification objective mise en avant par le défendeur doit être précise et pertinente. Dans un arrêt de la chambre sociale rendu le 16 février 2011 (10-10465), il a été décidé que qu'un employeur ne peut justifier un traitement d'apparence discriminatoire par des motifs trop « généraux ». En l'espèce, une salariée de la SNCF avait été mise à la retraite par son employeur à 55 ans. L'employeur se justifiait en affirmant que ce traitement était destiné à « apporter à l'entreprise publique une souplesse durable dans la gestion de ses effectifs, en fonction de l'évolution de son organisation et de son activité ». La justification ayant été jugée trop générale par les juges du fond, l'employeur avait été condamné.

Outre la réputation du motif qui a fondé le traitement d'apparence discriminatoire, le défendeur peut tenter de justifier ledit traitement discriminatoire en faisant qu'il est expressément autorisé par la loi (pensons aux mesures mises en place au profit des travailleurs handicapés, des séniors...). Ces hypothèses sont rares, en pratique.

Encore une fois, il faut admettre que le rôle du juge est déterminant dans l'appréciation de ces justifications : l'issue du procès est en jeu. Le juge va effectuer un véritable contrôle in concreto, et va analyser les éléments fournis par les deux parties afin de déterminer la discrimination est constituée ou non.

A priori, on ne peut que se satisfaire de l'exigence de justifications objectives, légitimes et précises de la part du défendeur. Il serait trop facile de mettre en avant un argument structurel ou conjoncturel afin de justifier un traitement discriminatoire. Aussi peut-on se demander si le poids de cette obligation de justifier toute différence de traitement sous peine de sanction n'est pas excessif.

  1. Une présomption simple... trop difficile à faire tomber ?

Tony Mendes rappelle, dans sa thèse intitulée « les nouveaux moyens de lutte contre les discriminations en Droit du travail», que si l'obligation qui pèse sur le défendeur de justifier objectivement l'absence de discrimination est considérée comme une avancée satisfaisante et nécessaire par les juristes, un tel procédé ne fait pas l'unanimité dans le monde politique.

Le doctorant évoque la position du Front National, défenseur de la priorité nationale, "la seule discrimination légale et morale" qui soit, selon Marine Le Pen (cf. une dépêche AFP du 26 novembre 2011 ). Ce débat ne concerne pas, a priori, la question de la preuve de la discrimination en droit travail, mais les choses changent lorsque l'on sait que le Front National a (notamment) vivement critiqué la mise en place de la HALDE, un « système totalitaire » qui menace les entreprises (cf. BMF TV, 13/04/2010). Il ne fait pas de doute que dès lors, ce sont toutes les règles relatives à la facilitation de l'établissement de la preuve qui ne font pas l'unanimité dans ce parti – en cause l'obligation pour l'employeur de justifier toutes les apparentes discriminations, jugée trop pesante.

Évidemment, il faut garder à l'esprit que cette perception négative des règles relatives à la preuve des discriminations est minoritaire, en plus d'être contradictoire (comment condamner les discriminations positives au motif qu'elles rompent le principe d'égalité des citoyens alors que l'on prône la priorité nationale ?). Mais il ne s'agit pas ici de faire de la politique. Ce qui est intéressant, c'est de se demander si le poids transféré sur le défendeur n'est pas trop important.

En effet, force est de constater que nous sommes passés d'un extrême à un autre. Alors que le demandeur devait jadis prouver seul l'existence de la discrimination, il incombe maintenant au défendeur de se défendre d'avoir commis un acte discriminatoire dès lors que le salarié a permis au juge de supposer son existence. D'une certaine manière, l'effort demandé au défendeur est plus important que celui demandé au demandeur : alors que le second doit soumettre des éléments susceptibles de constituer une discrimination, le premier doit convaincre le juge de l'absence de discrimination. Il faut admettre qu'en pratique, la frontière est mince entre aménagement et renversement de la charge de la preuve.

En outre, pour faire tomber la présomption de discrimination qui pèse sur lui, l'employeur doit s'assurer de développer un argumentaire solide et précis – alors même que le juge ne se montre pas aussi exigeant lorsqu'il reçoit les arguments du demandeur, en témoigne l'arrêt rendu le 29 juin 2011 (cass.soc.,10-14067) évoqué précédemment.

Il semble qu'à la question de savoir si le poids de la preuve de non-discrimination qui pèse sur le défendeur est excessif, la réponse varie selon les opinions de chacun.

Quoiqu'il en soit, le juriste y verra avant tout une tentative de rééquilibrage des armes entre le demandeur et le défendeur. Au fond, est-il véritablement problématique de forcer les employeurs à s'assurer qu'ils ne commettent pas d'actes discriminatoires lorsqu'ils prennent des décisions ? Ne faut-il pas voir là une incitation à assurer l'égalité des travailleurs ? N'est-ce pas là un « mal » nécessaire ?

CONCLUSION

Selon un sondage effectué en mars 2009 par la HALDE, 28 % des salariés en France disent avoir été victimes de discrimination sur leur lieu de travail. Le chiffre était alors en augmentation de 3% par rapport à l'année précédente.

Ces données chiffrées illustrent le fait qu’en France, la discrimination continue à gangréner le monde du travail. Alors que nous traversons une crise financière sans précédent, le phénomène ne semble pas sur le point de se résorber, en dépit des nombreux dispositifs mis en place ces dernières années. L'échec annoncé du CV anonyme démontre la difficulté des pouvoirs publics à lutter contre ce fléau.

Dans ce bilan peu réjouissant, quelques victoires sont toutefois à relever. Parmi elles, l'évolution considérable du droit de la preuve de la discrimination est remarquable. Force est de constater, en la matière, le rôle fondamental du droit communautaire, véritable moteur de la facilitation de l'établissement de la preuve de la discrimination.

En vingt ans, la victime d'une discrimination, qui n'avait jadis que peu de chance de voir la discrimination juridiquement reconnue faute d'en apporter la preuve, a vu sa mission probatoire grandement facilitée.

La mise en place d'un aménagement de la charge de la preuve au début des années 2000 constitue sans doute l'avancée la plus considérable. La prétendue victime de la discrimination ne doit plus la prouver au sens « traditionnel » du droit, mais n'a qu'à apporter des éléments de faits laissant supposer son existence.

Ces éléments de faits peuvent être obtenus par la victime, mais aussi par le juge judiciaire qui est invité, lorsque cela est nécessaire, à activer ses pouvoirs d'investigation. Les témoins font l'objet d'une protection particulière, ce qui devrait les inciter à déposer. Le Défenseur des droits est amené à jouer un rôle aussi ambitieux que la disparue HALDE : espérons qu'il en soit ainsi.

Les évolutions concernant l'établissement de la preuve de la discrimination sont révolutionnaires, à ce point que l’on peut se demander s’il n’existe pas aujourd'hui un « droit dérogatoire » de la preuve en la matière. Ces règles sont désormais connues et sont bien appliquées par les juges du fond. Les arrêts de la Cour de cassation relatifs aux modes de preuve particuliers des discriminations ne sont plus publiés systématiquement, signe de l'intégration de ces mécanismes dans le paysage juridique français. A vrai dire, ce sont en fait les décisions « insolites » qui défraient la chronique, tel l'arrêt du 23 octobre 2007 (n° 06-43.329), où la discrimination salariale était faite au détriment des hommes – chose plutôt rare en pratique.

Notons que dans leur appréciation des éléments soulevés par les parties, les juges se montrent relativement peu exigeants lorsqu'il s'agit d'établir la présomption de discrimination, mais veillent à ce que les justifications objectives du défendeur soient suffisantes à éliminer toute intention discriminatoire.

S'il fallait formuler un reproche à cet arsenal législatif, ce serait peut-être son caractère épars. La victime de la discrimination doit choisir entre une action civile et une action pénale. Peut-être devrait-on envisager, à l'avenir, la création d'une infraction unique afin de clarifier la situation. Cela dit, la situation n'est pas alarmante, et personne ne se plaindra d'une surabondance législative protectrice des salariés.

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1 Publié par Visiteur
19/09/2013 10:55

étant laissé pour compte depuis déjà fort longtemps dans le service ou je travaille , mes compétences en électronique n'étant pas reconnus
ET A 60 ANS JE ME SENT COMPLETEMENT DISCRIMINE.COMMENT PUIS-JE FAIRE VALOIR MES DROITS .MERCI DE ME REPONDRE

2 Publié par Visiteur
03/02/2014 20:08

mais non ce n'est pas de la discrimination ils s'agit de l'incompétence,absenteisme,il vole,maltraite,insulte etc,des preuves aucunes bien sur mais je suis le Patron donc on je peux dire ce que je veux en toute impunité.

3 Publié par Valentin Guislain
03/02/2014 21:40

@Sergio : le seul moyen de faire valoir vos droits est de saisir la juridiction prud'homale. Il vous faudra démontrer :

1) Que vous faites l'objet d'un traitement anormal (vis-à-vis de vos collègues, par exemple)
2) Que ce traitement anormal est fondé sur un motif prohibé.

Tout mon article est relatif aux moyens de preuve que vous pouvez faire valoir.


@Tbo1. Que votre propos soit sérieux ou humoristique, il ne mérite pas de réponse étayée. Les patrons sont loin de pouvoir agir en tout impunité. Le droit du travail a d'ailleurs la réputation - en France - d'être largement favorable aux salariés. Un patron qui licencie pour vol verra son licenciement être jugé sans cause réelle et sérieuse ; celui qui insulte sera condamné pour harcèlement moral.

4 Publié par Visiteur
17/11/2014 17:13

Bonjour,
Je suis actuellement en train de préparer un dossier sur les politiques publiques en matière de lutte contre les discriminations ethniques au travail (je suis en master) et votre article a été une véritable mine d'or pour moi.
Je voulais juste vous en remercier!

5 Publié par Visiteur
10/12/2015 05:25

Bonjour, j'ai été révoquer par la RATP apres 18ans de bons et loyaux service sans aucunes sanctions pendant toutes ces années,on m'a reprocher des refus d'obeissances,les mêmes faits reprochés à d'autres collègues sanctionnés pour 2/3 jours de mises à pied et qui on était rétablit dans leur bon droits au CPH
Aujourd'hui je doit prendre une décision avant le 25/12/15 pour savoir si je plaide la cassation parce que?et oui j'ai gagnés mon procès au CPH en départage après 15 mois de procédure valider par un magistrat professionnel et j'ai perdu en appel?car évidemment la RATP a tout fait pour ne pas me réintégrer? Ou est la justice?

6 Publié par Visiteur
09/02/2016 17:16

Un texte brillant, qui nous en enseigne beaucoup sur la preuve de la discrimination au travail. Merci

7 Publié par Visiteur
30/05/2016 09:45

Le sujet abordé, et pour le moment le seul que j'ai rencontré sur le net, qui répondent à nombreuses interrogations sur la fameuse "charge de la preuve" et de sa problématique. Merveilleuse boussole...

8 Publié par Visiteur
30/10/2016 17:35

Une lecture très intéressante. Détaillée et argumentée. Merci pour cette source précieuse
J'aurais juste une question suite au nouvel article L1235-3-1.
Comment interpréter cet article. Une discrimination liée à la situation familiale. Pour l'indemnité doit on demander les salaires depuis lala fn du contrat jusqu'au jugement?
Cordialement

9 Publié par Visiteur
10/05/2017 17:45

Bonjour,

J'ai occupé et fait évolué un poste pendant 7 ans. Je n'ai cessé de réclamer une évolution professionnelle (technicien -> cadre), prévue par les accords d'entreprise: je n'ai jamais obtenu gain de cause.
J'ai quitté l'entreprise récemment et la personne qui me remplace a été recrutée au statut cadre et avec un salaire supérieur au mien avec 7 ans d'ancienneté.
Y a-t-il de la jurisprudence concernant la discrimination salariale lorsque le salarié a quitté l'entreprise ?
Cordialement

10 Publié par Stephanie5142
09/10/2019 08:10

Bonjour,

L'employeur n'a produit que les fiches de Paie de 7 collaborateurs sur 13.
La Cour d'Appel a pris sa décision en ne consultant que ces 7 fiches de Paie sur 13.
La Cour d'Appel a cassé la décision des Prud'Hommes en ma faveur. La Cassation a confirmé sans demander la consultation des fiches de Paie des 6 autres collaborateurs.
Je considère que ce n'est pas un jugement équitable car les fiches de paie des 6 collaborateurs en ma faveur n'ont pas été produites.
Merci.
Recevez mes salutations.

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A propos de l'auteur
Blog de Valentin GUISLAIN

Maître Valentin GUISLAIN,
Avocat associé au barreau de Béthune (droit civil ; droit du travail ; droit commercial)
Membre du Conseil de l'Ordre

 

Cabinet d'avocats BVGL

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