L’examen de l’impact de la politique financière en général sur la vie sociale des citoyens constitue souvent l’occasion de confrontation des idées diverses et croisées sur un sujet controversé dont la problématique se retrouve liée à la question de savoir comment un pays en voie de développement peut-il concilier entre à la fois l’objectif d’une croissance soutenue et durable ,avec le maintien d’un système de financement budgétaire axé sur une fiscalité lourde ,injuste et par conséquent inefficace .Autrement dit ,comment peut-on partager équitablement les biens faits de la croissance dans le cas d’ un pays, comme le Maroc ou il existe un système d’imposition progressif mais dont le contexte socio-économique fait que les riches ont le choix de dépenser ou non ,d’investir ou non alors que les catégories pauvres non pas ce choix ?.
La liberté de produire ou de consommer est un droit économique vitale qui doit être considéré comme l’un des indicateurs de mesure de démocratie et de bonne gouvernance .
Ainsi ,dans le cadre de cadre de cette contribution ,nous essayerons uniquement de positionner le problème en rapport avec la question soulevée et de chercher à savoir la voie des principes à emprunter pour que les enjeux des corrections du système fiscal correspondent avec une réelle stratégie de réformes mettant fin aux imperfections de l’ensemble des structures socio-économiques et financières et jeter par voie de conséquence les bases d’un développement harmonieux juste et équitable au profit de toutes les catégories et couches sociales.
- LA POSITION DU PROBLEME :
1) En effet, le rapport de la fiscalité et les droits humains se mesure à notre avis, à travers l’examen de la dimension de l’équité sociale fondée, elle même sur l’équité fiscale ; celle-ci tient compte des effets distributifs de la politique financière en général.
Que ce soit du coté des dépenses publiques, notamment les subventions de la compensation, ou du coté des ressources publiques, plus particulièrement fiscales, la politique budgétaire de l’État devrait accorder une attention particulière à la population pauvre et vulnérable à la pauvreté.
De même l’importance à la fois des subventions de la compensation et de la fiscalité au niveau des efforts à fournir pour permettre une redistribution équitable des richesses, résultants de développement ou du croissance demeure préoccupante.
Il s’agit du noyau dur des réformes à entreprendre au Maroc ; deux chantiers, liés l’un à l’autre, sont toujours ouverts : la réforme de la caisse de compensation et la réforme fiscale.
Dans la mouvance des réflexions occasionnées par le débat qui ressurgit à l’occasion de la discussion du projet annuel de la loi des finances, nous estimons opportun que l’ idée de la lutte contre la pauvreté et la vulnérabilité à l’appauvrissement, soit présente au différents stades du processus des réformes .
D’ailleurs l’efficacité de réussite de telles réformes ne passe t-il pas par son impact sur la réduction de la pauvreté et la limitation des effets de l’inégalité sociale ?.
2) D’autre part, peut-on ignorer que le Maroc adhère pleinement déjà aux règles du libéralisme économique et aux principes démocratiques universels.
Ce choix qui se vérifie à travers la concrétisation de la mise en ouvre laborieuse de politiques publiques de solidarité sociale (L’I.N.D.H depuis 2005 ) et la consécration de son attachement aux fondements de la démocratie et aux droits de l’homme( l’avènement constitutionnel de 2011), témoigne t-il réellement de la volonté des pouvoirs publics de mettre en marche un mécanisme politico-économique pour lutter énergiquement contre la pauvreté ? .
D’ailleurs, n’est –il pas vraiment certain que pour inciter les citoyens par exemple à travailler ,il faut alors agir sur leur cadre général de vie en leur offrant les moyens financiers pour couvrir les couts de leur logement, de leur bien être sanitaire, de leur éducation et celle de leur enfants ..etc.
Faut-il rappeler qu’historiquement c’était pour faire face à la paupérisation des citoyens sous l’effet de l’urbanisation et de l’industrialisation mais aussi suite aux différentes actions traduisant des revendications légitimes , que l l’affirmation des droits économiques et sociaux au même pied d’égalité que les droits politiques et libertés fondamentales, s’était concrétisée dans les constitutions européennes .
Et que c’est à l’instar des pays démocratiques que la reconnaissance des droits tels que le droit au travail, droit à la santé, droit à un logement décent.. s’est fait sentir au Maroc, bien que progressivement et à différents degrés comme droits fondamentaux, depuis la première constitution marocaine, jusqu’à la plus récente ( art 31 de la constitution de 2011).
De même, de point de vue fiscal, des règles comme l’égalité devant la loi (art 6 ) notamment fiscale ou le principe de la répartition équitable des charges publiques entre les citoyens selon la capacité contributive de chacun d’eux, sont très bien consacrés par la constitution (art 39 & 40 de la constitution 2011).
3) Cette égalité juridique favorable aux bénéficiaires des droits humains ne peut en aucun cas cacher l’inégalité économique défavorable qui subsiste encore au détriment d’une importante population nécessiteuse( le chiffre de 8 ,5 millions de marocains vivant dans une situation de précarité ne disposant pas de conditions de stabilité sociale est souvent avancé dans des rapports ) .
Ainsi, si les principes du respect des droits économiques et sociaux sont solennellement proclamés par les textes, leur concrétisation effective est loin d’être réalisée.
L’engagement de l’État vis- à- vis des individus et de la société sur le plan social, culturel et économique ne se trouve -t –i l pas toujours hypothéqué, peut être, par le manque de visibilité clairvoyante mettant en exergue l’exercice des droits économiques et sociaux au même titre que les droits politiques fondamentaux ?.
Bien entendu , une préoccupation conjuguée de l’ensemble des droits ne peut que réconforter l’adhésion du Maroc à la reconnaissance universelle de ce qu’en l’on appelle « droits créances » qui nécessite faut –il le souligner , pour qu’ils soient satisfaisante, la mobilisation prioritaire des moyens financiers par le biais de la politique fiscale pour la mise en place et/ ou l’amélioration des services publics rependant aux besoins croissants des citoyens situés au niveau social de précarité . L’aboutissement d’un tel choix est encore loin d’être atteint . I l semble que de telle vision ne peut que retenir l’attention des pouvoirs publics. Mais une démarche évaluative basée sur l’ approche participative, des actions publiques précédentes est très souhaitable pour mesurer leur impact .
- -LA QUESTION DU CHOIX DE DEMARCHES DE L’EVALUATION DES RAPPORTS POLITIQUE FISCALE ET EQUITE :
1) Devant de telle perspective, il est opportun de songer aux différents instruments de la politique économico-financière notamment le budget de l’État qui constitue d’ailleurs le pivot de cette politique. Étant donné que la politique budgétaire agit certainement sur la situation sociale des citoyens en raison notamment de la capacité redistributive de l’instrument fiscal, des effets positifs ou négatifs de son utilisation peuvent être ressentis au niveau du bien être individuel et collectif des membres de la société.
Néanmoins l’incidence des choix d’imposition qu’offre théoriquement l’instrument fiscal sur la pauvreté, l’inégalité et le bien être socio-économique des ménages reste à démontrer.
Une appréciation globale de l’ensemble des composants du système fiscal marocain, qui passe par une appréciation particulière de l’un ou l’autre de ces composants (la T.V.A par exemple) permettra de tirer les conclusions nécessaires à l’adoption de réformes adaptées à la situation nationale et à son niveau de développement.
De telles appréciations, qui s’appuient sur une démarche privilégiant l’examen à la fois des aspects de l’équité et de l’efficacité des mesures fiscales en question, sont conçues dans une approche impliquant différents acteurs politiques et économiques mettant en cause la pauvreté et la vulnérabilité à l’appauvrissement.
Cependant la contribution à l’effort de l’évaluation des politiques publiques notamment la politique budgétaire et fiscale est caractérisée par la démonstration de l’impact des actions publiques sur l’inégalité et la répartition des revenus.
2) Il est aussi question d’approcher, dans ce sens , l’équité fiscale à la lumière de ses effets redistributifs de la fiscalité ; et c’est à travers l’interpellation des composants du système fiscal en place que cela peut être concluant.
Désormais des interrogations restent posées malgré les tentatives de réformes précédentes ;
- Dans quelle mesure la fiscalité contribue-t-elle à la réduction de la pauvreté et par conséquent des inégalités s sociales ?
- Quels seront réellement les effets directs et/ ou indirects de l’imposition de la consommation et de revenu sur le niveau de vie de la population nécessiteuse ?
- Quelle est réellement l’incidence des mesures fiscales conjoncturelles sur la majoration des prix des produits de première nécessité non subventionnés ? Et comment dans ce cas peut –on préserver le pouvoir d’achat de la population vulnérable à la pauvreté ?
Autant de questions qui tournent autour de l’impact de la fiscalité sur l’appauvrissement des couches sociales, nous interpellent toujours au Maroc.
- ENJEUX DES REFORMES ET PERSPECTIVES :
1) L’examen de toutes ces questions et d’autres encore est probablement lié la vérification de l’apport des réformes fiscales entreprises au Maroc depuis surtout 1984 sur la croissance économique du pays et par conséquent sur l’amélioration du niveau de vie des citoyens.
Réellement on est encore loin d’une satisfaction collective totale. On reproche toujours à la politique fiscale le manque d’ambition redistributive des revenus ; car bien que le processus de réformes est déclenché c’est le souci financier qui domine, en ne laissant au soucis sociaux que peu de places.
Certes la fiscalité marocaine avait fait l’objet de réformes suivant une démarche progressive surtout depuis 1984 ou un système fiscal moderne et simple s’est substitué à l’ancien système caractérisé par la complexité de son contenu .
Néanmoins , l’adoption de la loi cadre en 1984 dans le sillage des réformes entreprises dans le cadre du programme d’ajustement structurel (P.A.S ), n’ avait réellement pour objectif principal que l’amélioration des ressources publiques pour couvrir les dépenses publiques ordinaires; c’était alors la gestion budgétaire qui prévaut au détriment des soucis de nature sociale.
Il est vrai que la modernisation du système fiscal était un acquis non négligeable , car la structure fiscale s’est améliorée avec notamment l’introduction de la T.V.A (la taxe sur la valeur ajoutée ) en 1886 , de l’impôt sur les sociétés une année après et de l’I.R (l’impôt sur les revenus )en 1990 ; les textes de ces trois impôts , qui constituent les piliers du système fiscal , seront alors réunis dans un seul texte à coté des dispositions relatives aux D.E.T ( droits d’enregistrement et timbres ) sous forme d’un Code général d’impôts depuis 2007 . Cette codification fiscale permet actuellement de saisir visiblement la matière imposable sans tomber dans l’obscurité des textes de chacun des composants du système fiscal de l’État. Ajouté à ce texte ; le Code des droits de douane et celui de la fiscalité locale, le Maroc dispose maintenant d’un arsenal juridique fiscal permettant une lisibilité textuelle appréciable de la part du contribuable .
2) En revanche la consécration de la diversification du produit fiscal tout en simplifiant la présentation ne devrait pas nous faire oublier que la promotion de l’équité fiscale voire sociale est toujours délaissée ; car au moment ou les enjeux de la réforme devraient se situer en principe au niveau à la fois de l’équilibre de l’efficacité économico- financière et l’équité fiscale ,on constate que « l’ajustement sociale » n’est qu’un objectif illusoire .
Au fait, la réalité des tentatives de réforme fiscale réalisée jusqu’à maintenant reste attachée à la résolution du problème de gestion budgétaire et le maintien des équilibres structurels au lieu d’une approche intégrant en priorité la dimension sociale.
Certes la structure fiscale s’ est équilibrée petit à petit du moment ou le poids de la pression fiscale est maintenant partagée entre les impôts directs et les impôts indirects sans domination de ceux -ci comme jadis était le cas ,mais cela n’empêche que c’est au niveau de l’équilibre socio-économique qu’il faut agir .
Reste que cette constatation d’ordre général , et sans prétendre à l’exhaustivité ,peut être illustrée et vérifiée à travers l’observation de l’un des composants du dite structure en prenant comme exemple le cas de l’imposition de la consommation et de la dépense. Il s’agit de la T.V.A ( la taxation de la valeur ajoutée qui s’est substituée à l’ancienne T.C.A ( sur le chiffre d’affaire ) .
3) la vérification de cet impôt est significative dans la mesure où cela permet d’évaluer la politique fiscale vis –à- vis de la population pauvre ou vulnérable à la pauvreté au niveau de sa consommation et de s’arrêter par conséquent devant le présence ou non de la dimension sociale de la réforme de cet impôt .
Il s’agit d’une imposition indirecte qui intéresse toutes les opérations de nature commerciale, industrielle, artisanale et de prestations de services ; sont également concernées les professions libérales et les activités d’importation .Il concerne alors tout les niveaux des dépenses quotidiennes des ménages Pratiquement, la T.V.A marocaine se caractérise par la multiplicité de taux : un taux normal de 20 % et trois taux réduits de 7% , 10% et 14% en plus du taux 0% ; aussi des exonérations et dérogations relatives à certains produits de large consommation intérieure sont retenues ; avec tout de même des réserves accordées à des produits de première nécessité exonérées ou faiblement taxées mais qui subissent de temps à autre des révisions de la part du législateur.
Cependant , il se trouve que le redevable de cette T.V.A, intégrée dans le prix, est vraiment le consommateur final des produits consommables, qu’il soit riche ou pauvre. C’est donc lui et ,quelque soit son revenu :très bas ou très élevé, qui supporte le poids de cette taxation .Autrement dit si la pseudo- égalité devant l’impôt exige un comportement fiscal égal ,cela ne peut en aucun cas faire éclipser la problématique de l équité fiscale qui doit tenir compte surtout de la différenciation qui caractérise les revenus individuels et les marges consacrées à la consommation de la part du citoyen .
En d’autres termes , qu’elle soit verticale, c’est-à-dire entre catégories sociales différentes ou horizontale c-est à dire entre ménages jouissant de même niveau de vie, l’équité fiscale devait être rétablie.
C’est donc à travers ces deux dimensions qu’il faut évaluer l’impact de la politique fiscale sur la population pauvre ou vulnérable à la pauvreté.
4) Il est en effet question de lier l’objectif financier et budgétaire des mesures fiscales à leur objectif distributif .Dans le cas de la taxation de la consommation des produits ou services on devrait par conséquent tenir compte préalablement de l’inégalité des revenus existante .
Ceci est dit bien que la T.V.A ,et contrairement aux impôts directs (le cas notamment de l’impôt sur les sociétés –I’I.S - ) souvent au taux proportionnel ( 30% au Maroc actuellement ), ou progressifs comme dans le cas de l’impôt sur les revenus ( l’I.R ) ou des impôts à taux qui différent « proportionnellement » des revenus supérieurs aux revenus modestes ou faibles , est un impôt indolore considéré par certains comme une imposition logiquement équitable de point de vue technique .
Mais Il est tout à fait souhaitable légalement d’exonérer les ménages pauvres ou vulnérable de toute taxation concernant leur consommation ou les taxer au strict minimum , en leur laissant la possibilité de consacrer leurs ressources monétaires ,modestes soient-elles, à la satisfaction de leurs besoins essentiels .
Permettre ainsi a cette frange sociale de se loger, se nourrir, se soigner, s’éduquer.. ne peut alors que coïncider avec la volonté de mettre l’instrument fiscal au service de droits économiques et sociales de l’homme.
Ainsi l’appréciation que nous venons de réserver brièvement à la taxation de consommation dans ce survol rapide peut être généralisée au autres composants du système fiscal , nous fait croire énergiquement que toute réforme conçue dans le logique de préservation des droits humains- au sens large du terme- est appelée à se conformer aux fondements d’ une réelle politique budgétaire et fiscale globale et intégrée consacrant ,dans un cadre participatif, des instruments et moyens redistributifs et d’équité sociale.
5) Il faut reconnaitre, en guise de conclusion de cet essai ne portant de façon exclusive sur aucune des interrogations posées qui nécessitent , d’amples développements , que les pistes de réformes expérimentées ou à envisager doivent être évaluées en principe et dans l’ensemble à travers l’examen des liaisons qui existent entre les possibilités des transferts directs et indirects des revenus que peut engendrer les deux revers de la politique financière : la politique des dépenses et la politique fiscale .
En fin de compte l’incidence de ces deux aspects de la politique financière sur la lutte contre les différentes formes de pauvreté devrait être alors prévalue . Aussi dans la mesure ou , c’est surtout la réduction des inégalités inhérentes à la répartition primaire des revenus qui est ciblée et retenue , l’ approche multidimensionnelle d’évaluation des politiques publiques facilitera alors la remise en question de cette politique fiscale inéquitable poursuivie jusqu’alors et déterminera la façon de mettre en ouvre une stratégie de réforme productrice d’effets au niveau même de la reconnaissance de l’égalité des citoyens devant les charges publiques en conformité réelle avec les principes de la démocratie « économique »… et de bonne gouvernance.
Ahmed NARNACH