43 / Guerre d'Algérie et lutte de libération

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43 / Guerre d'Algérie et lutte de libération

  Livre de Nordine Chabane.

.    Réponse à Nordine : la mixité une autre forme de lutte .

1/  Je comprends ton engagement en 57, dans cette guerre qui refusait
de dire son nom et qui refusait de reconnaître l'identité et les droits des
populations indigènes en utilisant force et violence. Dans ce souvenir,
ton livre-fresque (tome 1 et 2) recompose l'histoire de la colonisation et
fait de la France un portrait et un procès sans concession.
Adolescent, en France, j'ai aussi souffert de l'ostracisme ambiant qui
m'a révolté, loin de la guerre. Ta douleur d'y avoir perdu à 17 ans, un
père, un oncle, un cousin et d'avoir eu une mère torturée, justifie ta
révolte et ta détestation de la colonisation et de la France dont les
conquêtes ne peuvent se comprendre que dans le contexte des
guerres avec l'Angleterre pour le contrôle des routes du commerce. 

Je te remercie de me l'avoir adressé pour m'en instruire .
Pour autant, me sentant  injustement absent de la fresque que tu as
tracée de l'époque coloniale, j'ai souhaité te faire part de ma critique.

2 /  A la lecture du livre, en effet, mon sentiment se partage  :
- D'un côté, l'historien  se condamne à être à contre-pied de l'objectivité
s'il s'enferme dans une tour d'excellence pour interpréter l'histoire ou
apporter un témoignage inédit.
- D'un autre, du fait que l'Histoire a pris de l'épaisseur et de l'opacité,
on n'a jamais fini d'y débusquer d'étonnantes contre-vérités ou de
simples oublis.
C'est pourquoi un témoignage à double tranchant, fut-il partisan, peut
s'avérer parfois subtilement pertinent  en permettant de corriger ou
compléter l'une ou l'autre opinion établie sur une vérité  incomplète ou
systémique à propos de la colonisation et de la guerre.
 
On a, par exemple, peu évoqué le cas du petit peuple pied-noir, qui
n'était pas richissime colon et qui a souffert du drame, des atrocités
et de la fin de la guerre sans comprendre l'enjeu des évênements
qui allaient le jeter sur le sol français (comme ne le sont pas,
richissime colon, quelques millions d'émigrés réfugiés en France,
autrefois principaux pourvoyeurs de fonds du MNA puis du FLN).
Peu évoquée la situation des populations en porte à faux entre les
deux camps, comme l'avaient été les malgré-nous de 1870-1918.
Peu évoquée encore l'indignité des combattants des deux bords,
auteurs de milliers de viols et responsables de l'abandon d'enfants
nés illégitimes du fait du statut de la femme et du cynisme des
combattants planqués derrière l'alibi de la guerre (abandon estimé
à plus de 15.000 SNP au lendemain de l'indépendance !) .
Peu évoquée enfin la formation d'un fond commun d'identité et de
pensée consécutif à la cohabitation des communautés en milieu
urbain et à la campagne. Des liens  identitaires se sont forgés
tout au long de l'histoire de l'Algérie française par le biais de l'islam,
des langues, des religions, de l'école, de l'art, des sciences, des
coutumes et des modes de vie et de cuisine...
Liens évidemment insuffisants pour conjurer la guerre ou faire
une lutte de libération non armée à l'exemple de la révolte de l'Inde
contre l'Angleterre...
N'empêche pour la France et l'Algérie, les vies de l'Emir AEK,
d'Ibn Khaldoun et même des Iberes et des arabes anciens,
sont riches d'une symbolique de conciliation sociale et nationale
...à parachever.

3 /  La critique de ton livre m'oblige à passer par une autre vérité,
 la mienne, pas théorisée ni débattue, que Simone de Beauvoir
et JP Sartre projetaient d'étudier au temps où ils me recevaient .
L'objection me vient, tu le sais, d'un autre contexte, celui de la mixité.
Elle ne se résume pas à cette réflexion qu'on m'adresse parfois :
" tu systématises trop la contradiction...! ". Non, Nordine, la mixité
n'est pas un corps étranger à l'Algérie !  Les juristes algériens
feraient bien d'apprendre la biologie, qui n'a pas ouvert des
sources d'inspiration qu'au droit romain ou latin.

 Dans l'euphorie du dénouement de la guerre, peu ont compris
que la binationalité des mixtes ne suffisait pas à égaliser les droits
nationaux, mais qu'au contraire elle allait les différencier et même
les opposer. La binationalité des mixtes ne double pas les droits
de la mixité, en revanche, la séparation ne permet aux mixtes
d'exercer droit civil et citoyen qu'en soustraction, pas en addition.
Forte de l'exemple de la colonisation de peuplement (qui a montré
qu'un Etat peut, par le truchement de ses ressortissants et de
relais associatifs, organiser la conquête d'un nouvel espace national)
l'Algérie a recouru, dix ans après l'indépendance et pendant 40 ans,
au même stratagème, en laissant l'émigration s'installer massivement
dans la binationalité des mixtes, mais en inversant le modus operandi
catégoriel :
- en France, ajouter les droits français aux droits de la citoyenneté
algérienne des émigrés (d'où ruée sur l'émigration et la nationalité)
- en Algérie, limitation stricte des droits de la mixité aux droits
 algériens (prévalence du droit musulman) .
La balance des droits est défavorable à la mixité, voire répressive.
Pour la mixité, non seulement la guerre d'Algérie n'a socialement
rien résolu, mais sa conclusion, heureuse pour certains, nous a
 plongé dans le divorce mal décrypté des deux pays parentaux
 (cf mon livre : "Coparentalité sans conjugalité. Essai sur la mixité
binationale France-Algérie"), divorce qui m'a conduit à une philosophie
rigoriste de l'existence, proche de l'existentialisme (le bonheur ne
vient hélas pas vraiment du ciel  !). 
Les droits de la mixité (tellement absents !) obligent de surcroît
pour les concevoir, à se référer à une image de l'homme libre,
mais en prise avec un monde obscur ou lumineux posé comme
condition historique de la mixité par les deux camps de la guerre.
Sur ce chemin chaotique, j'ai surtout appris que  l'homme mixte
n'est que ce qu'il se fait. Outrageusement seul et  méprisé dans
sa quête de sens et de destin.
Depuis l'indépendance algérienne, l'espace mixte est resté sans
reconnaissance (sauf exception du service militaire destinée à
arranger la masse des binationaux non mixtes), laissé sans
défense ni observatoire, nié comme s'il était une excroissance
disgracieuse de l'identité nationale, alors qu'il s'inscrit au coeur
du patrimoine des pays parentaux dans tous  les champs de la
vie sociale...
Chadli, Président, chef de la répression de 1988, ironisait dans
un article publié par "le Monde" : " ce sont des complexés..."

4/  Autre difficulté, l'Algérie n'accepte la mixité que pour elle seule,
sans partage avec l'autre pays parental (comme fait aussi la France).
Chaque pays parental veut la mixité fondue dans sa masse nationale
sans spécificité, murée dans le silence des tombes, sinon repoussée
dans la co-nationalité accordée en France aux immigrés en vertu
d'un droit du sol (hold up de nationalité sur des populations faibles)
suggéré au Parlement français par des démographes néo-libéraux
de l'après-guerre dans un mépris absolu porté à la souveraineté et
 la fierté de l'autre pays parental.

La restauration des valeurs en Algérie et le refoulement de l'identité
d'origine des immigrés en France ciblent de plein fouet la mixité.
Les lieux communs de l'idéalisation et de la purification de l'identité
nationale créent à son égard les conditions d'une discrimination
nouvelle supplémentaire. L'islamisme, proche de la mixité il y a 50 ans,                             en rajoute  !
Pourtant, par réaction contre l'injustice qui l'entoure, la mixité
conteste le modèle français d'intégration qui saccage l'identité
originelle de la personne (tuer l'émigré dans l'immigré) en invoquant
une laïcité instrumentalisée visant avant tout à préserver la cohésion
nationale face à un communautarisme devenu explosif, mais
avec le risque insensé de créer platement une co-nationalité rebelle,
fatalement non-citoyenne. 
Me voilà à la fois proche et aux antipodes de ton argumentaire !
Pour sortir de la cisaille des droits, il serait temps, soit, d'encourager
l'accès des immigrés à la nationalité française par un apprentissage
respectueux des droits citoyens, soit de la refuser, mais d'ouvrir le
séjour en France aux migrants dans le cadre d'un accord entre pays
parentaux. L'Algérie insensible laisse le Maroc s'engouffrer dans la brèche !
Je reste convaincu que la filiation est le fondement ineffaçable de la
nationalité, qu'elle supplante la nationalité accordée par un droit du
sol révocable, qualifiée il y a peu, de "petite nationalité" en Belgique,
elle-même moins fondée que la naturalisation acquise par option et
perte de la nationalité d'origine.
 
5/   La fin de la guerre d'Algérie annonçait des temps nouveaux et
donnait à penser que la dimension collective de la guerre allait
s'ajuster sur la dimension sociale et même propulser son objectif.
Le néo-Islamisme devenu le SAMU de la misère croissante du peuple au
cours des années 70 n'a pas su résoudre en 1988 les carences du
nationalisme en lui opposant une passion suicidaire dont l'étatisme
est heureusement sorti vainqueur mais affaibli.   Reste en effet
l'énorme dilemme de la société duale. L'étatisme saura t-il l'affronter?

Je dois répéter que j'ai été très tôt, en désaccord  avec les  orientations
productivistes insensées imposées dès 70, au développement algérien,
sans être pour autant oppositionnel. Medeghri, Ch. Belkacem, Belkaid,
Aouchiche, Djaffari, Taouti, Sansal et bien d'autres m'ont approuvé
dans les années de feu de mon étude doctorale à Bruxelles en 70...
Ma critique s'est forgée en prenant conscience de la dérive sociale
calamiteuse de la décolonisation amorcée dès l'indépendance (partage
des biens européens, répartition inégalitaire de l'emploi et des revenus,
privilèges de castes, Führerprinzip, surcoûts des projets, Sud délaissé,
émigration-soupape, sous-productivité du travail, économie artificielle
de la rente pétrolière, édification irresponsable de la société duale..).
     Les dirigeants nationalistes, installés aux commandes de l'appareil
d'Etat, retranchés malheureusement derrière une vision métaphysique
de la décolonisation et du développement (vision hors du processus
social),  influencés par les surenchères de clans et de conseillers
courtisans et opportunistes,  ont brouillé les choix de la construction
nationale.  Ils ont ainsi nié les contradictions d'intérêts entre groupes
sociaux (le peuple est une catégorie homogène !) et perdu le cap de
la lutte de libération. 
Ils ont ensuite récusé l'urgence première de l'édification nationale
(pyramide sociale contre ordre étatique).  Ils ont enfin surpondéré les
 priorités "non antagonistes" de la construction économique (entre la
 production et la consommation, les branches de l'économie, les
 échanges, la monnaie, les besoins du développement, le tourisme...)
 pour  :
-a)  stupidement et délibérément  copier le modèle industriel des pays
européens impliquant des rapports sociaux de dépendance,
 -b)  justifier des contrats d'importation massive de technologies à fort
 coefficient de capital (donc clivantes), baguette proclamée magique
des industries industrialisantes, et ce 
 -c) sous couvert d'un anticolonialisme et d'un anti-impérialisme naïfs
 et dérisoires complices (conseils BIT, FMI, PNUD, OMC,OMS...et aide
des pays "frères" ou islamiques sous tutelle anglo-saxonne..!).

6/  Néanmoins, si la guerre a cessé, emportant cruellement morts et,
martyrs, la lutte de libération ouverte par l'ardeur des anciens et
l'enthousiasme des jeunes, mais incomprise du petit peuple pied-noir
(qui lui a pourtant aussi fourni amis et martyrs) n'est pas achevée en 62.

Au bout de la réflexion suggérée par ton livre, je reste profondément
partisan du dépassement des haines et des blessures engendrées par
la guerre (il y faudra du temps) en plaçant deux objectifs  impératifs
sur ce chemin de réconciliation  :
-    s'ouvrir au monde et appeler les héritiers de la lutte de libération
à s'unir autour d'un grand Traité de coopération-développement à
convenir entre pays parentaux .
-   créer et mobiliser la Province française manquante, association
nationale rassemblant les populations originaires d'Algérie (Mixtes,
Pieds noirs, naturalisés, nationalisés...) chargée de pacifier et
d'unifier les liens de la diversité.

Je recommande ton livre à tous ceux intéressés par le recueil de
récits personnels et d'anecdotes sur la colonisation, la lutte de
libération et la guerre d'Algérie.
Tes recherches documentaires approfondies permettront d'enrichir
assurément les archives historiques et d'apporter du blé à moudre
aux hommes politiques, aux journalistes et surtout aux historiens
restés dans la querelle, la polémique ou la nostalgie .
Ce que nous savons depuis l'adolescence, c'est que la révolution
va toujours, pour corriger l'ordre social, du bas vers le haut, jamais
du haut vers le bas . En Algérie, des forces étatistes dépourvues
de conscience sociale ont voulu  faire croire l'inverse.
Or, ça, le peuple de la société duale le sait ...
J'ai trouvé que le titre de ton livre introduisait bien la
problématique de l'émancipation....

 
Benammar Christian
Licencié en sociologie
ENA promotion 1964-68
Doctorant ULB-Bruxelles 1970

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