24/ - Immigrés entre marteau(émigration) et enclume(immigration)...

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24/ - Immigrés entre marteau(émigration) et enclume(immigration)...

          Ecole Supérieure de Commerce St Louis   Bruxelles    -    1982   

  Faire entendre que la présence des émigrés a des aspects positifs, relève aujourd’hui de la gageure : un peu partout dans le monde, on en donne l’image d’un mal tentaculaire qui finit par frapper à toutes les portes. La crise économique aidant , les réglementations relatives aux étrangers sont passées sans grande transition à des conceptions  restrictives.

En France où on ne fait pas exception, à la règle, le thème de l’immigration étrangère s’inscrit maintenant dans une volonté plus nette de réduire la place des immigrés.

Plusieurs questions se posent simultanément :

Qui est responsable du rejet : le pays d’origine qui délaisse sa population, le pays d’accueil qui est dépassé par l’afflux et veut alléger le poids de la crise consécutive au récent  choc pétrolier ou , carrément, les immigrés qui viennent se réfugier en métropole pour profiter de son cadre de vie après avoir soutenu l’indépendance nationale de l'autre rive et chasser les pieds-noirs ?

Depuis les années 70, l’immigré, semble t-il, est fait coupable et on en fait la cible.

 Or, que montre la réalité  ?

 En France, le rôle joué par la communauté algérienne dans les échanges entre la France et l’Algérie, permet de comprendre la part contributive des immigrés dans l’économie générale. L’exemple que j’ai eu l’occasion d’étudier en 1981 est celui des biens et produits achetés en France par les immigrés et importés en Algérie. C’est un marché commercial d'exportation qui se monte à  près de 2 milliards de francs en 1979.

Trois aspects de ce marché doivent être plus fortement éclairés, considérant qu'aujourd'hui la recherche des débouchés devient le credo lancinant des entreprises et que  la concurrence directe ou indirecte des marchés se fait vive en Europe :

       1/  le marché prend sa source dans la demande des ménages en Algérie, stimulée par un ensemble de facteurs socio-économiques parmi lesquels : une production intérieure insuffisante malgré les efforts pour la développer et aussi parce que les priorités du Plan ne se portent pas sur la production des biens de consommation (importations par l’Etat des produits de premières nécessité, sucre, lait, huile, céréales…) provoquant des pénuries, croissance des revenus et de l’épargne créant une forte spéculation sur les biens de consommation, la fantastique poussée démographique (doublement de la population en 15 ans), la scolarisation généralisée, des modèles de consommation exubérants, une construction de logements active, la mutation rapide des modes de vie… L’ensemble  induit une montée des  besoins peu apte à s’infléchir dans le domaine des biens et équipements de la vie domestique et professionnelle, du fait des réglementations douanières.

       2/   L’essor de la demande résulte de la combinaison des actions des agents importateurs :

- les monopoles d’Etat et les centrales d’achat, ligotés par la loi de finances qui privilégient les dépenses nationales d’équipement et d’infrastructures au détriment des biens de consommation et qui ne parviennent pas à répondre à l’ampleur des besoins des particuliers . Ils confèrent de ce fait à l’émigration  par le biais et le poids des réglementations douanières sa fonction de pourvoyeurs de biens de consommation des ménages.
- les résidents en Algérie(se rendant parfois en France) qui sont autorisés à importer des biens individuels à condition qu’il n’y ait pas d’opération de transferts financiers.
- les émigrés qui ont le droit d’importer à leur retour notamment, leur mobilier, leurs affaires personnelles, 2 voitures récentes ainsi que tout le matériel nécessaire à leur réinstallation professionnelle. Ce qui leur donne la possibilité d’importer l’équipement complémentaire dont les parents restés au pays ont besoin.


3/  Le financement du marché se réalise pour l’essentiel par l’intermédiaire des revenus de l’immigration, les importations des particuliers en Algérie ne pouvant donner lieu à des transferts extérieurs .
Des chiffres bien connus attestent de la puissance du marché :

- en 1970, les émigrés transféraient leur épargne vers l’Algérie pour plus d’un milliard de francs (à l’indépendance c’était la principale ressource financière en devises du pays. Elle sera peu à peu relayée et dépassée  par la rente pétrolière. D’où une perte d’influence politique de la diaspora des émigrés face au dirigisme étatique).
- en 1980, les transferts d’épargne ont quasiment cessé. Mais dans le même temps, les importations de marchandises au profit des particuliers progressaient en flèche pour avoisiner les 2 milliards de francs en 1979 et 1980 (influence du libéralisme de la diaspora).

            De cette analyse une conclusion se dégage :

 L’immigration algérienne n’a cessé d’agir comme un facteur d’élargissement des relations commerciales bilatérales entre la France et l’Algérie.  Ainsi :
      . en France, la contribution n’est pas négligeable : l’argent de l’immigration reste sur place( salaires, revenus des indépendants et commerçants, aides sociales, trafics, délinquance, épargne…), mais il change de mains et ré-alimente la sphère de production et de distribution française.

       . l'Algérie pour sa part est naturellement peu satisfaite de l’évolution de cette situation (balances migratoire, commerciale et des paiements) qui lui fait perdre l’équivalent de ses recettes pétrolières à la fin des années 60 . Sa position, néanmoins, demeure encore ambigue. D’une part en effet, ce qui lui paraît essentiel c’est que le produit du travail de l’émigration revienne en Algérie et ne se perde pas dans des emplois qui ne sécrètent ni transferts de devises ni importation de produits. D’autre part, les transactions commerciales des émigrés permettent, à la fois, d’alléger une partie des charges du budget national et de se concentrer sur les actions  prioritaires de développement.

Mais pour l’Algérie, les luttes économiques et sociales en France qui minent les positions traditionnelles de l’émigration, représentent un triple danger :

1/ à terme, l’accroissement brutal des flux de retour des émigrés qui pourrait en résulter, porte le risque d’enfoncer par l’extérieur les frontières douanières et de perturber gravement l’activité générale  (libéralisation et restructurations industrielles en cours)

2/ la concurrence entre communautés immigrées (notamment dans les domaines de l’offre de travail, des coûts et de la productivité) risquent d’intensifier les rivalités entre anciennes colonies et d’accroître la précarité sociale de l’immigration du travail condamnée maintenant à compenser la dégradation de sa condition sociale dans des activités de survivance ou de substitution (délinquance, drogue et trafics…). Va t-on, donc, pour miner plus encore le terrain, laisser  l’émigration traditionnelle du travail être remplacée par une immigration « sauvage » flattée par les lobbies ou maneuvrée par les apôtres du libéralisme, ou, être régulée par des conventions bilatérales (immigration convenue à élaborer).

3/ La population immigrée ne va t-elle pas être tentée de se fondre dans la population français et perdre peu à peu ses liens et allégeances avec l’Algérie comme le voudraient les autorités françaises dans l’espoir de redresser la démographie défaillante française ?  Alors qu'au fur et à mesure que l’on s’avance dans l’après-pétrole on avance aussi vers la guerre de l’eau évoquée par de nombreux experts (horizon gravissime...) dans l'indigence intellectuelle des dirigeants nationaux. 

Nonobstant les enjeux, le discours sur l’immigration devient plus hostile .

    Quant au travailleur émigré, pauvre parmi les pauvres, écrasé par le poids de la crise, méprisé, menacé d’exclusion, fou du rêve de la terre promise, il joue à sa manière, même dans les plus petits métiers, son espoir de fusion ou de proximité des deux pays, ne gardant souvent pour vivre que la portion congrue  d’un budget familial dont la structure dévoile paradoxalement à la fois la faiblesse du niveau de vie et une propension à s’équiper très supérieure au travailleur français.

                                                                              Benammar Christian

                                                                         Ancien élève à l’ENA  . Alger

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