21 / La politique sociale face aux défis de l'ultralibéralisme
Publié le 22/01/2012Par Benammar ChristianVu 2 027 fois 0
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Lettre au Congrès du PS belge - Bruxelles 1996 - (Michel Rocard avait écrit qu'il ne partageait "qu'en partie" la 3ème proposition) .
: une analyse et trois objectifs prioritaires .
La politique sociale peut-elle offrir encore l'espoir d'améliorer le sort des catégories défavorisées ? La question posée lors du Congrès 1996 du PS belge, a été l'occasion d'empoignades verbales vigoureuses symptomatiques du malaise général engendré par la crise . Bien que je ne sois pas membre du PS, j'ai apprécié la liberté et la diversité des critiques émises à ce propos. Néanmoins, le débat ouvert sur le thème, m'a semblé quelque peu réducteur et liturgique, voire incantatoire. Comme si, dans la pensée des militants, (en Belgique comme en France), la représentation du monde était figée par excès et ignorait les fabuleuses transformations qui se font jour... Ainsi donc, j'ai trouvé souhaitable de suggérer que, par nos temps de crise, une autre inspiration de la politique sociale devrait germer et ouvrir la porte à des analyses plus lucides ... appelant au besoin , comme celle-ci, l'attention des autorités de l'Union européenne .
Par exemple , en partant du constat suivant, qu'à l'époque de la mondialisation , ce sont les conditions de la concurrence et la montée en puissance de l'ultra libéralisme, bien plus que le transfert technologique résultant des programmes d'aide et de coopération avec l'étranger, qui ont affaibli l'Europe, et l'ont dépossédé de ses capacités productives et de leur maîtrise .
En moins de vingt ans, il faut le rappeller , des secteurs entiers de production en Europe , ont été transférés , piratés , cannibalisés , fossilisés par un libéralisme mondialiste débridé , grand prêtre de la sous-traitance et du redéploiement industriel . Soi-disant pour lutter contre la concurrence et rétablir la compétitivité. En réalité, pour élargir des profits qui vampirisent l'Europe par le biais des marchés et des entreprises associées . Sous le diktat camouflé d'une spéculation financière outrancière affranchie de ses liens traditionnels avec l'industrie, des troupes de travailleurs désemparés ont été abandonnées en rase campagne, sans activité d'échange ni de renouvellement, tandis que des entreprises survivantes, étranglées par un marché en peau de chagrin et le squeeze des prix, s'entre-déchirent aujourd'hui dans une course suicidaire aux réductions des marges et des coûts . L'ultra libéralisme , pieuvre de l'économie libérale , joue avec les frontières selon ses seuls intérèts, en manipulant les entreprises et les marchés comme des pions .
Tissu industriel saccagé, paysage social défoncé ,voilà une pathologie qui n'a pas alarmé suffisamment le politique. Comme pour le SIDA on a tardé à ouvrir les yeux et joué l'effet placebo. Les spécialistes ont tout incriminé : la concurrence étrangère, la productivité,le progrès technique, l'immigration, la dette publique, les dépenses, les salaires, les taux d'intérèt, la consommation, les charges sociales, l'ouverture des frontières, les changements de Société... Curieusement, le facteur ultra libéral (dont on ne connait d'ailleurs que la version apologétique qui le confond avec le mondialisme) n'a jamais été pris en considération . Ce n'est que récemment,avec le thème de la mondialisation ,que l'on a commencé à prendre conscience de l'ampleur des effets pervers du pouvoir financier exogène , incontrôlable. Le temps passé à qualifier les faits témoigne des difficultés à reconnaître la nature profonde des évolutions et à réagir avec perspicacité. Mème dans les comptes nationaux, le mal colossal de ce pseudo-mondialisme est illisible, invisible !
Evidemment, les changements ne sont pas tous imputables à la dérive du commerce international ni aux débordements de la spéculation financière.On ne peut ainsi oublier que pour construire l'Europe dans un contexte mondialiste, il faut aussi assainir les marchés, restructurer les forces productives , mettre les canards boiteux à la féraille, préparer en somme l'avenir au prix d'une réorganisation générale, même si, pour l'instant, cette action fait monter des tensions le long de la fameuse fracture sociale. Malheureusement, la tentation est partout trop forte dans les médias de présenter " les grands travaux " comme la phase terminale de la crise, alors que ces derniers ne visent ,en vérité, que le long terme .
Au bout du compte ,le citoyen de base, lui , est toujours en attente de jours meilleurs , et se sent de plus en plus mal de voir tout ce qui le concerne reculer : l'emploi , les revenus , la sécurité sociale , l'école, l'environnement.... et même s'aggraver avec la marche forcée vers la monnaie unique . Il subit une crise de Société majeure, qui le déstabilise chaque jour davantage. Le pire est , me semble t-il , qu'au coeur de ses convictions,l'idéologie ultra libérale, libertaire et anti-étatique , déboulonne sournoisement de son piédestal la pensée traditionnelle , conservatrice ou progressiste, pilier séculaire et sécuritaire du monde moderne. Paradoxalement, dans le désordre spirituel qui se fait jour, la gauche intellectuelle parait frappée d'inertie et cultive l'esthétisme, tandis que l'extrême-droite, seule, prêche la révolte,mais se trompe d'adversaire . C'est donc, le regard tourné vers les ruines fumantes laissées par le libéralisme prédateur qu'il faut penser restaurer une économie sociale aujourd'hui très affaiblie. A l'articulation des stratégies de pillage ultralibérales et du projet d'Union européenne (version grand marché anglosaxon). Là où reprend force la problématique de la Société duale dont vient justement de s'inquiéter le PS belge . Ainsi, la réflexion sociale est inéluctablement ramenée à la question centrale de l'impact et du traitement des maladies du mondialisme aux différents stades de son développement. En particulier,l'essor fabuleux et génial des classes moyennes dans la Société européenne du vingtième siècle n'est-il pas remis en question par la surchauffe des rapports marchands ? Si donc la politique sociale n'est pas de subventionner à fonds perdus l'exclusion ou la marginalisation des excédents de population active , mais de corriger les dérapages du projet de Société choisi , alors, pour " l'Europe des gens ", trois actions prioritaires s'imposent face aux défis de l'ultra libéralisme :
1 / Construire l'avenir dans l'idéal du projet européen : La construction européenne est un chemin de civilisation aujourd'hui étroit et escarpé. Dans les circonstances présentes, le Parlement européen ferait bien de s'alarmer du déficit d'image et d'enthousiasme du futur bastion de notre démocratie et de nos libertés , dû en large part à la critique excessive de ses propres représentants et à l'insuffisante médiatisation des travaux du Parlement et de la Commission eurpéenne. Par ailleurs , toutes les villes européennes devraient créer des lieux de rencontres communautaires permanentes ( arts ,culture,lettres,sports, tourisme, emploi...etc ). A cet égard, il me parait choquant d'observer que ni Stasbourg ni Bruxelles,ni les capitales européennes, n'en possèdent encore à ce jour. En la matière, qui sait, en Allemagne, que seuls ma famille sinistrée par la guerre, l'extrême-droite et les martyrs juifs me parlent de l'Allemagne et jamais les Allemands réunifiés eux-mêmes, qui regardent fixement vers l'Est et si peu le Sud !?...
2 / Combattre le pillage des ressources de la Cité : Dans le dispositif institutionnel européen actuel, il manque une autorité supérieure de la concurrence, non figurative, capable d' imposer un code de bonne conduite aux entreprises européennes en quête de partenaires . En particulier celles qui ont la tentation de filer à l'anglaise par-delà les frontières pour jouer des stratégies "mondialistes" sous l'action d'un virus tueur d'entreprise, infiltré dans le capital volatil de l'actionnariat à la suite d'une association malencontreuse (?). Ces innombrables sangsues de l'Europe , souvent manipulées par des holdings monstrueuses et des capitaux débarqués du marché financier international, tirent des dividendes exhorbitants du marché local . C'est " main- basse sur la ville " dans le style du cinéma des années 1950 . La technique de piratage reste complexe mais elle utilise un schéma qui se répète fréquemment. Former d'abord,un partenariat d'entreprise puis peser sur l'actionnariat majoritaire. Redéployer l'outil de production et au besoin le transférer à l'étranger. Enfin, se retirer quand l'intérêt n'y est plus ou est ailleurs . Cette voie conduit à la désertification industrielle et à remettre , imprudemment, la gérance du marché national entre les mains de forces étrangères cupides, parfois nuisibles et hostiles. C'est de surcroît, le tonneau des Danaïdes et le cimetière des politiques sociales, vite épuisées à tenter de réparer, avec des budgets toujours plus ;insuffisants, les destructions sauvages de l'économie sociale. On ne le dit pas assez : le scénario ultralibéral de la pompe aspirante n'est jamais celui de la croissance nationale, mais celui de la croissance infinie du capital sans frontières. Sur le dos des entrepreneurs et des travailleurs phagocytés. Et même du système bancaire local . Sans être utopiste ni protectionniste, l'Europe doit imposer des règles de solidarité minimales. Comme aux Etats-Unis, il ne doit pas être permis de jouer contre son camp. Déontologie, cartons rouges et tribunaux, voilà une panoplie de mesures à confier à une autorité arbitrale assurée . Que pourrait devenir l'Europe piégée dans un tel scénario, sans limite juridique, alors que la conquête de l'espace interplanétaire est dans le prolongement immédiat de la mondialisation ? Fiction le risque d'assujettissement de la Société démocratique ? Voire ....
3 / Reconstituer le tissu social : Et pour cela, implanter au coeur des quartiers populaires des îlots de production et d'artisanat (fourmilière de petits ateliers hyperactifs) , à forte intensité de main-d'oeuvre, véritables greffons de tissu social, dans une perspective de revitalisation de l'économie urbaine et régionale. J'avais déjà plaidé en faveur de ce modèle économique ("Le Soir" 1987) au vu de ce qui se passait à Bruxelles, bien avant les émeutes de 1991, singulièrement lorsqu'on atteint des seuils de pauvreté quasi-asiatiques et que se rompent les dernières chaînes de solidarité sociale. Or , depuis cette époque, la situation , ici comme ailleurs , n'a cessé de s'aggraver malgré les soupapes de sécurité qui ont été posées et en dépit des emplois et des revenus de substitution répréhensibles (drogue, prostitution, délinquance) que l'on a vu naître et exploser en milieu urbain,au point de mettre en doute et retarder les Accords de Schengen (discours Pasqua).
Dans cet objectif, la réhabilitation de l'entrepreneur à la manière du néolibéralisme anglais ne suffit pas . Il faut aussi mettre en oeuvre une politique de croissance fondée sur la création d'emplois productifs favorisant les techniques de fabrication moins industrielles, plus industrieuses (place à une immigration asiatique et marocaine activiste !). Grâce à la présence simultanée d'une forte immigration et d'un environnement industriel moderne, on peut encore parvenir à renverser l'appropriation des parts de marché perdues dans le passé dans la sphère de production de masse liée à la grande distribution (textile, chaussures , électro-ménager, jouets, radio-tv , brico, agro...) et non réattribuer à d'autres les emplois de service qui coûtent chers à la Société mais amortissent le coût social global de la crise .
En regard des défis de l'ultralibéralisme, l'inspiration de la politique sociale me parait dérisoire, qui conduit à proposer (à droite) l'ouverture de zones franches (!), parkings de la misère , ou à proposer (à gauche) le partage du temps de travail (!) ou la création d'emplois de proximité , formes improductives et coûteuses de redistribution du travail disponible . La volonté politique de rénovation malheureusement fait défaut . Sous de vieilles lunes, l'arbre cache la forêt : la crainte d'enchaîner le travail enchaîne la liberté du travail . Aujourd'hui, on doit y prendre garde : pour contrer l'ultralibéralisme, la politique sociale, pierre angulaire ou pierre d'achoppement de toutes les évolutions,passe par l'alliance nécessaire et sans contrainte de l'entrepreneur et du travailleur .