La médiation territoriale

Publié le 11/03/2024 Vu 426 fois 0
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Les élus locaux sont régulièrement sollicités ou confrontés à des situations conflictuelles pour lesquelles le recours à un médiateur peut s'avérer opportun

Les élus locaux sont régulièrement sollicités ou confrontés à des situations conflictuelles pour lesquel

La médiation territoriale

JLC 02/02/2024

 

 

La médiation : pour privilégier la résolution amiable des litiges individuels et collectifs

 

 

Du fait de leurs compétences propres, mais aussi dans leur fonction légitime de régulation sociale, les élus locaux sont régulièrement sollicités ou confrontés à des situations conflictuelles.

 

Il peut s’agir notamment :

-       de litiges privés entre particuliers (troubles du voisinage, limites de propriétés, etc.)

-       de litiges internes du travail (conflits collectifs, harcèlement, risques psychosociaux, etc.)

-       de litiges avec des administrés (refus d’accès à un droit, fiscalité, urbanisme, etc.) ou avec les prestataires (exécution des contrats)

-       de conflits d’usages sur le domaine public (stationnement, éclairage, emplacement des poubelles, place des vélos, etc.)

-       de contestations sur des projets d’aménagement (antennes télécoms, éoliennes, etc.)

 

Face à ces situations, les voies contentieuses rencontrent rapidement leurs limites -qui ne tiennent pas seulement à l’engorgement des tribunaux-. La médiation, parmi les autres « modes amiables de résolution des différends » (MARD), s’impose comme une solution à privilégier, lorsque la négociation en « face à face » n’a pas permis de sortir de la confrontation. Elle implique néanmoins de faire intervenir un « tiers de confiance », et, surtout, d’adopter une posture ouverte et pragmatique de recherche d’un compromis acceptable par tous.

 

 

1.    Les limites des procédures contentieuses « classiques »

 

Notre droit et notre organisation sociale prévoient différents modes de résolution des litiges qui trouvent cependant aujourd’hui leurs limites.

 

Les particuliers peuvent ainsi faire appel au juge civil. Ils doivent alors engager une procédure, en supporter les coûts et les délais. Quelle qu’en soit l’issue, le litige sera d’ailleurs tranché en droit mais continuera à alimenter le différend entre les parties (entre voisins, par exemple). Et puis, le maire et ses services, une fois sollicités par les parties et même s’ils ne sont pas compétents, risquent de se voir reproché de ne pas résoudre le problème …

 

Concernant les conflits individuels et collectifs du travail, les collectivités les plus petites ne disposent pas des structures et des compétences permettant de rechercher, par la discussion, une solution acceptable. Certaines difficultés (harcèlement, risques psycho-sociaux, …) demandent de faire appel à une personne extérieure pour apporter l’objectivité nécessaire à l’analyse de la situation.

 

Enfin, les administrés sont de plus en plus enclins à contester les décisions -ou l’inaction supposée- de leurs élus. La voie du tribunal administratif étant longue et couteuse, ils expriment leur mécontentement dans la presse et les réseaux sociaux. Seules les associations de défense ont d’ailleurs véritablement les moyens de multiplier les recours contentieux qui allongent les délais de réalisation des projets d’infrastructures.

 

Face à ces constats largement partagés, le gouvernement promeut actuellement le développement d’une véritable « politique de l’amiable », sans doute pour ne pas encourager l’embolisation des tribunaux judiciaires et administratifs, mais surtout pour favoriser la recherche de solutions rapides, peu couteuses, et dans lesquelles il n’y a ni vainqueurs ni vaincus. Ce véritable changement culturel s’appuie dorénavant sur des interlocuteurs spécialisés (médiateurs, conciliateur) et des acteurs du droit spécifiquement formés (juges, avocats, notaires, huissiers …).

 

Une série de textes modifiant le Code de procédure civile est ainsi venue très récemment formaliser cette politique publique (décrets n°2023-686 du 29 juillet 2023 portant mesures favorisant le règlement amiable des litiges devant le tribunal judiciaire et n°2023-357 du 11 mai 2023 relatif à la tentative préalable obligatoire en matière civile, et circulaire d’application du garde des Sceaux, Ministre de la Justice du 17 octobre 2023).

 

 

2.    La médiation, un mode alternatif de résolution des conflits

 

La médiation est un processus permettant d’accompagner les parties dans la recherche d’une solution amiable à un différend, avec l’aide d’un tiers de confiance.

 

Il s’agit de dépasser les logiques d’affrontement, sans angélisme, et avant tout par souci d’efficacité.

 

Elle implique une méthodologie particulière qui la différencie notamment de la négociation, généralement mise en œuvre en préalable dès le début du conflit : ainsi, ce n’est pas parce qu’un accord n’a pas été trouvé dans une négociation de face à face (ou par l’intermédiaire des avocats), qu’une médiation ne mérite pas d’être tentée pour aboutir à un protocole d’accord.

 

Le processus de médiation consiste en effet à rapprocher les parties prenantes pour qu’elles trouvent elles-mêmes les solutions d’un compromis acceptable. Elle peut être engagée par convention (article 1539 du code de procédure civile) ou à la demande d’un juge en cours d’instance (article 127 du code de procédure civile, L 213-1 du code de la justice administrative).

 

Contrairement aux Conciliateurs de Justice, -qui n’interviennent que dans les litiges de droit privé et assurent souvent des permanences en Mairie-, la médiation est conduite par des professionnels formés à cet effet qui mettent en œuvre un processus nécessitant souvent un accompagnement des parties sur plusieurs semaines.

 

L’accord des parties est d’ailleurs une condition nécessaire tout au long de la démarche, et chacune peut décider d’y renoncer à tout moment.

 

Le médiateur favorise la recherche d’une solution au travers d’engagements :

-       équitables, car préservant les intérêts de chacune des parties

-       mutuellement acceptés par les parties prenantes

-       sécurisés juridiquement pour garantir leur stabilité dans le temps

 

Le médiateur est soumis à des obligations déontologiques, c’est un professionnel du droit qui est qualifié, indépendant vis à vis des parties, impartial et tenu à une obligation de confidentialité, y compris en cas d’échec de la médiation.

 

Pour ces raisons, la médiation a un coût qui est généralement pris en charge par la collectivité ou, pour les litiges entre particuliers, supporté à parts égales par les parties

 

 

3.    Le développement de la médiation préalable obligatoire et de l’offre de médiation

 

La médiation comme alternative aux voies contentieuses reste davantage développée à l’étranger qu’en France, pour des raisons culturelles, mais aussi du fait d’une relative confusion de l’offre qui ne facilite pas la compréhension des différents dispositifs existants.

 

Dans les matières civiles (entre particuliers), le médiateur civil peut intervenir à tout moment avant ou pendant un contentieux. Dans le droit de la famille, on connaît l’importance déjà prise par la médiation familiale. Sur le modèle québécois, le gouvernement cherche actuellement à développer la médiation, en la rendant obligatoire pour les « petits » litiges et en donnant de nouveaux pouvoirs au juge pour que celui-ci impose aux parties de rencontrer un médiateur (cf. décrets du 11 mai et du 29 juillet 2023).

 

La médiation ou la conciliation sont dorénavant obligatoires pour les litiges civils inférieurs à 5 000 € (article 750-1 CPC) ainsi que, devant le juge administratif, pour le contentieux de la fonction publique et avec Pole Emploi (article L213-1 du code de la justice administrative, décret du 25 mars 2022). Le champ de la médiation préalable obligatoire (MPO) devrait ainsi s’étendre progressivement.

 

En parallèle, le nombre et les modalités d’intervention des médiateurs se multiplient : il existe ainsi des médiateurs généralistes des relations interpersonnelles (psychologues, coach, etc.) et des médiateurs spécialisés dans certains domaines (médiateurs familiaux, médiateurs sociaux dans les quartiers, médiateurs culturels, etc.).

 

Dans le monde juridique, de nombreux avocats se sont formés à la médiation et s’organisent en associations de médiateurs pour ne pas perdre leurs positions sur le marché du droit. D’autres juristes développent une activité accessoire de médiateur, qu’ils assurent soit dans le cadre d’une convention, soit par désignation du juge. Une association des médiateurs administratifs (AMA) s’est ainsi récemment créée (cf. La médiation pour construire l’administration de demain, Elsa Costa, AJDA 2023 p. 1737).

 

Dans le secteur public local, le délégué du Défenseur des droits (ex médiateur de la République) intervient en médiation en cas de dysfonctionnement d’un service public. Il existe aussi un conciliateur fiscal départemental et les services préfectoraux désignent également un médiateur en matière de logement, de gens du voyage, de conflits collectifs du travail, d’entreprises, etc.

 

Enfin, il existe des médiateurs attachés à une institution ou à un secteur d’activité (médiateur des banques, des assurances, de la consommation, de l’énergie, du notariat, pôle Emploi, SNCF, etc.).

 

Le Conseil National de la Médiation mis en place en mai 2023 par le Garde des Sceaux a notamment pour mission de mieux préciser les conditions d’exercice de l’activité de médiateur.

 

 

4.    La médiation dans les collectivités territoriales

 

Pour les litiges avec les fonctionnaires territoriaux, les Centres de gestion ont signé des conventions avec les Tribunaux administratifs pour assurer la « médiation préalable obligatoire » (MPO), imposée par la loi (loi du 22 décembre 2021, décret du 25 mars 2022).

 

Depuis 2019, la loi organise spécifiquement la médiation territoriale (article L 1112-24 du CGCT) qui s’installe progressivement dans les plus grandes collectivités en vue « d’apaiser les relations avec les usagers des services publics » (La Gazette 11 juillet 2023).

 

Il revient à chaque collectivité, si elle le souhaite, d’instituer par délibération, un médiateur indépendant, chargé de rechercher une solution lorsque la réponse apportée à un habitant n’a pas permis de clore le litige. Le dispositif concerne cependant aujourd’hui essentiellement les Régions, Départements et Grandes Villes (il existe ainsi une Association des médiateurs de collectivités territoriales – AMCT-).

 

En dehors des dispositifs institutionnels, les collectivités peuvent recourir ponctuellement à un médiateur pour leurs différends avec un administré, un agent, un prestataire ou une autre collectivité. Ainsi, en matière d’urbanisme, le recours à la médiation est particulièrement utile en cas de refus d’autorisation des sols sur des projets de faible ampleur (opposition à déclaration préalable, abris de jardin, murs de clôture, garage, ravalement …) ainsi que pour définir les mesures de régularisation à mettre en œuvre suite au constat d’une infraction aux règles d’urbanisme (cf. fiche thématique Médiation n°1 « Médiation et Urbanisme », Conseil d’Etat, 5 juillet 2023).

 

La médiation de projets, tout particulièrement dans le domaine environnemental, se développe aussi pour favoriser la concertation, anticiper les contestations et favoriser la recherche de consensus dans les projets d’aménagement ou dans la gestion de certains territoires (notamment les espaces naturels).

 

Indépendant du porteur du projet et de l’exécutif, le médiateur a alors un rôle d’animation de la concertation et du dialogue entre l’ensemble des acteurs.

 

5.    Médiation et protocole transactionnel

 

Le protocole transactionnel est un contrat écrit qui peut venir utilement, -lorsque c’est nécessaire-, conclure le processus de médiation, en formalisant des concessions réciproques et équilibrées.

 

Les collectivités territoriales peuvent transiger librement depuis la loi du 2 mars 1982 ; le projet de protocole doit cependant être soumis à l’organe délibérant, sauf délégation dans les limites prévues.

 

Dans ce domaine, les règles applicables aux personnes publiques sont largement inspirées des dispositions du droit privé (art 2044 du code civil) et précisées par une circulaire du 6 avril 2011 ; celle-ci encourage le recours à la transaction notamment pour régler les difficultés d’exécution d’un contrat ou d’un jugement, ou encore évaluer et réparer le dommage dont la collectivité est à l’origine.

 

Le protocole transactionnel est exécutoire et a l’autorité de la chose jugée en dernier ressort, sans qu’il soit nécessaire de le faire homologuer lorsqu’il relève du juge administratif ; si les obligations sont exécutées par les parties, la transaction fait obstacle à tout recours juridictionnel ultérieure qui serait irrecevable.

 

6.    Le choix du pragmatisme

 

Faire le choix de la tentative de médiation,- sans renoncer pour autant à une issue contentieuse en cas d’échec-, c’est faire le choix de l’efficacité, c’est-à-dire tenter de sortir rapidement d’un conflit « par le haut » en acceptant de rechercher des compromis raisonnables. En cas d’impasse - que le médiateur saura constater-, il sera d’ailleurs toujours possible de recourir au juge. Il n’y a donc aucune perte de temps et que des avantages à privilégier la voie amiable, au moins dans un premier temps, avec méthode et professionnalisme.

 

Les intervenants et les outils procéduraux de la médiation sont désormais largement accessibles. Il reste que le développement des modes amiables exige un véritable changement de culture des acteurs et un fort volontarisme des élus. Qu’elles soient privées ou publiques, les parties à un différend doivent en effet accepter de « ne pas avoir raison sur tout », et de savoir rechercher une solution « gagnant/gagnant ». Ce changement de paradigme concerne tous les professionnels du droit -dont la formation et les pratiques doivent évoluer- et tous les décideurs publics -parfois peu enclins à rechercher une transaction-.

 

La posture résolument pragmatique qu’implique la tentative de médiation peut apparaître encore bien éloignée de nos mentalités administratives qui privilégient souvent la revendication du droit sur la recherche d’un accord. C’est pourtant une évolution nécessaire -et sans doute inéluctable- face à la multiplication des sources de litiges et aux limites de nos tribunaux.

 

 

Jean-Luc CROZAFON

Médiateur civil, administratif et social

 

Docteur en droit

Magistrat en disponibilité et ancien DRH en collectivités

Délégué du Défenseur des Droits (département des Côtes d’Armor)

Membre du GEMME (Groupement européen des magistrats pour la médiation) et de l’ANM (Association Nationale des Médiateurs)

06 30 09 59 97  j.crozafon@wanadoo.fr

https://www.linkedin.com/in/jean-luc-crozafon-673a5ba/

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