Arrêt N°005/2011 - 12 du 16/02/2012, NANDA Paul C/ Monsieur Georges TATY

Publié le 22/05/2015 Vu 2 732 fois 0
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Après la note de jurisprudence proposée sur ce blog, voici publiée l'intégralité de la décision de la CJ-CEMAC en réponse à la demande de récusation dans l'affaire NANDA PAUL.

Après la note de jurisprudence proposée sur ce blog, voici publiée l'intégralité de la décision de la CJ

Arrêt N°005/2011 - 12 du 16/02/2012, NANDA Paul C/ Monsieur Georges TATY

La Cour
Vu le Traité instituant la Communauté Economique et Monétaire de l’Afrique Centrale en date du 16 mars 1994 ;
(…)
Vu la demande de récusation introduite le 30 janvier 2012 par M. NANDA Paul Gilles, assisté de Me Pierre MIANLENGAR ;
Dans les affaires :
NANDA Paul - Gilles C/ Banque de Développement des Etats de l’Afrique Centrale (BDEAC)
Vu les observations écrites de Monsieur le Juge Georges TATY enregistrées au greffe le 06/02/2012 ;
Sur rapport du Président Pierre KAMTOH,
Après en avoir délibéré conformément au droit communautaire,
Faits
Attendu que le 30 Janvier 2012, Me Pierre MIANLENGAR, Avocat au Barreau du Tchad, a déposé une demande de récusation au greffe de la Cour au nom de son client NANDA Paul-Gilles alias NDl WAMBA SOB NANDA A CONGO, contre M. Georges TATY, Juge rapporteur dans les affaires opposant son client à la banque de Développement des Etats de l’Afrique Centrale (BDEAC) ;
Que la requête de récusation est ainsi conçue:
«Monsieur NANDA vient par la présente requête demander la récusation du Juge Rapporteur, Monsieur Georges TATY, pour crainte raisonnable de partialité, sur le fondement de l’article 81 de l’Acte additionnel portant règles de procédure de la Chambre Judiciaire de la Cour de la CEMAC qui stipule que:
«le juge peut être récusé pour «crainte raisonnable de partialité» justifiée par l’expression d’opinions personnelles laissant percevoir des préjugés qu’il aurait sur la solution du litige, soit par l’existence d’un lien de parenté, d’alliance, d’amitié ou d’inimitié avec une partie.»
Cette crainte raisonnable de partialité est justifiée par l’expression d’opinions personnelles laissant percevoir des préjugés qu’il aurait sur la solution du litige, par l’existence d’une inimitié avec la représentation de Monsieur NANDA, et par l’existence d’un lien d’alliance privilégié entre ce juge avec la BDEAC.
I. L’expression par écrit d’opinions personnelles laissant percevoir des préjugés qu’il aurait sur la solution ou litige
Alors qu’aucune disposition des Régies de procédure devant la Chambre Judiciaire ne le prévoit, le Juge Rapporteur a cru devoir adresser une lettre (n°002/CIICEMAC/CJ/JR) en date du 13 décembre 2011 à Me Pierre MIANLENGAR, avocat de Monsieur NANDA, pour tenter de justifier une instruction portant gravement atteinte au droit de Monsieur NANDA à un procès équitable, notamment à ses droits de la défense.
1) Une clôture volontairement prématurée et abusive de l’instruction
Monsieur NANDA a prévenu le Juge Rapporteur par lettre n° 87/CMP du 04 octobre 2011, enregistrée au greffe de la Cour de céans sous le n°003 du 05 octobre 2011, qu’il allait déposer un Mémoire additif et récapitulatif, et que c’est la maladie qui le contraignait à envoyer ce Mémoire sous quinzaine (ci-joint une copie du certificat médical).
Malgré cette information, le Juge Rapporteur a cru devoir précipiter la rédaction, le même jour, de trois rapports d’instruction lapidaires (de 4,5 et 6 pages seulement) le 10 octobre 2011, alors qu’il savait pertinemment que Monsieur NANDA allait envoyer son Mémoire additif et récapitulatif.
Au demeurant, aucun des trois rapports d’instruction n’établit des liens apparents et clairs avec les Requêtes introductives d’instance et les Mémoires ampliatifs respectifs de Mr NANDA:
•  Les faits de la cause du rapport portant sur la Requête en annulation des décisions prises par M. DOLOGUELE ne vise aucune des sept (07) décisions attaquées, laissant un grand écart entre eux et les faits et procédures pourtant bien décrits (en page 3) dans l’arrêt de sursis à exécution rendu en référé sous le n°004/CJ/CEMAC/CJ/10 le 08 avril 2010, de telle sorte que les Faits de la Cause au fond n’ont plus aucun lien apparent avec ceux du référé, dénaturant délibérément l’objet du litige ; il est surprenant que la décision n°115/08 du 20 Novembre 2008, déclencheuse de tous les litiges qui opposent la BDEAC à ses agents et dont le Requérant bénéficie déjà de l’ordonnance du sursis à exécution n’apparaisse plus nulle part dans ledit rapport et soit remplacé quelque part par l’expression «informé sur la mise en place du CET», un événement de 2004 qui ne figure nulle part dans les écritures du plaignant.
•  La requalification arbitraire des deux autres requêtes de M. NANDA, l’une en «ayant pour objet un recours en paiement des sommes d’argent» et l’autre en requête «ayant pour objet le recours en paiement de sommes d’argent à titre de réparation», toutes deux sans exposés de faits suffisamment clairs et explicites pour établir leur rattachement aux requêtes introductives d’instance et aux Mémoires ampliatifs respectifs de M. NANDA.
L’ensemble semant une parfaite confusion qui dénature l’objet des litiges opposant le Requérant à la BDEAC devant la Haute Juridiction Communautaire depuis novembre 2009.
Une telle précipitation volontaire et la requalification des requêtes dont l’effet est finalement d’empêcher le Requérant d’épuiser son argumentation suscite légitimement chez Monsieur NANDA une crainte raisonnable de partialité.
En effet, un juge impartial et soucieux d’une bonne justice devait soit différer la clôture de l’instruction jusqu’à l’arrivée du Mémoire annoncé, soit prévenir Monsieur NANDA d’envoyer son Mémoire avant la clôture imminente de l’instruction délibérément faite le 11 octobre 2011.
Dans sa lettre n°002/CJ/ CEMAC/CJ/JR du 13 décembre 2011 bien documentée en neuf (09) pages, le Juge Rapporteur oublie volontairement de mentionner la lettre n° 087/CMP/11 que Monsieur NANDA lui a envoyée le 4 octobre pour le prévenir de l’envoi de son Mémoire Additif et Récapitulatif, et ce bien avant la clôture de l’instruction dont aucune date n’avait été notifiée aux parties. Ce Mémoire a dûment été reçu et enregistré à bonne date à la haute Cour sous le n°010 le 20 octobre 2011.
Pour tenter de justifier la clôture volontairement prématurée de l’instruction, le Juge Rapporteur a cru devoir s’appuyer sur une interprétation erronée de l’article 26 des Règles de procédure, portant ainsi gravement atteinte aux droits de la défense de Monsieur NANDA.
En effet, alors que l’article 26 des Règles de procédure donne une simple indication non limitative des mémoires qui peuvent être produits par les parties en disposant que : «la procédure écrite comprend l’échange des mémoires, contre-mémoires, des répliques et des dupliques ainsi que toutes les pièces ou documents à l’appui», le Juge Rapporteur a cru devoir limiter d’autorité les Mémoires qui peuvent être produits par les parties, en soulignant que «nulle part on ne parle de Mémoire récapitulatif».
Or, non seulement l’article 26 n’interdit pas la production d’écritures complémentaires aux mémoires, mais surtout, les Règles de procédure garantissent aux parties le droit à l’épuisement de leurs arguments respectifs et le droit à l’introduction de demandes incidentes, par simples conclusions, à tout moment du procès.
C’est ainsi que l’article 7 des Règles de procédure stipule expressément que: «la procédure doit, en tout état de cause, garantir pleinement la libre discussion des arguments respectifs des parties»,
De même, l’article 70 dispose que «les parties peuvent introduire, en cours de procès et par simples conclusions, des demandes incidentes, qu’elles soient additionnelles ou reconventionnelles.»
En empêchant volontairement Monsieur NANDA de jouir de ses droits d’épuiser son argumentation et d’introduire des demandes incidentes pourtant garanties par les Règles de procédure, le Juge Rapporteur a porté gravement atteinte aux droits de la défense de Monsieur NANDA dans la phase d’instruction.
2) Un refus injustifié de répondre à la demande de jonction de procédures durant la phase d’instruction
Selon un principe général de procédure, le juge peut, à la demande des parties ou d’office, ordonner la jonction de plusieurs procédures pendantes devant lui, s’il existe entre les litiges un lien tel qu’il soit de l’intérêt d’une bonne justice de les faire instruire ou juger ensemble ; et la décision de jonction est une mesure d’administration judiciaire.
Ce principe général de procédure est affirmé par l’article 14 du Code de procédure civile tchadien, et par l’article 294 du Code de procédure civile gabonais.
Conformément à ce principe général de procédure, Monsieur NANDA a introduit une demande de jonction de procédure au Juge Rapporteur en cours d’instruction.
En effet, par conclusions en date du 07 avril 2010 et enregistrées au greffe le 08 avril 2010 sous le n°036, Monsieur NANDA avait sollicité auprès de la Cour de céans la jonction de la procédure d’annulation de la décision n° C-048/DRA/54 du 22 septembre 2009 portant licenciement de Monsieur NANDA pour faute lourde et de la procédure en indemnisation pour cause de licenciement irrégulier et abusif introduites au départ séparément devant la Cour de céans, les deux requêtes portant sur le même objet et les mêmes parties, à savoir le licenciement abusif de Monsieur NANDA par la BDEAC.
Cette demande de jonction des procédures a été communiquée par la Cour à la BDEAC, qui en retour, a adressé à la Cour le 03 mai 2010 un Mémoire de défense en rejet du Mémoire ampliatif sollicitant la jonction des procédures.
Alors que Monsieur NANDA était toujours dans l’attente de la réponse à sa demande de jonction de procédures, le Juge Rapporteur a cru devoir clôturer l’instruction sans répondre à ladite demande.
Pire, la lettre du Juge Rapporteur n’apporte aucune justification à ce refus de joindre les procédures, se contentant de renvoyer cette demande formulée durant la phase d’instruction à l’audience de jugement.
En refusant ainsi de manière injustifiée de répondre à la demande de jonction de procédures formulée par Monsieur NANDA en cours d’instruction, le Juge Rapporteur a porté gravement atteinte aux droits de la défense de Monsieur NANDA durant la phase d’instruction.
3) Une lettre préjugeant la solution du débat sur la réouverture de l’instruction, la jonction des procédures, et les demandes additionnelles
Alors qu’il appartient désormais à la formation de jugement d’examiner et statuer sur la demande de réouverture de l’instruction, la demande de jonction de procédures, et les demandes additionnelles, le Juge Rapporteur a cru devoir, par sa lettre, justifier la clôture prématurée et abusive de l’instruction.
Une telle lettre constitue manifestement l’expression d’un préjugé qu’il aurait sur le débat qui aura lieu devant la formation de jugement sur la réouverture de l’instruction, la jonction des procédures, et les demandes additionnelles, suscitant légitimement chez Monsieur NANDA une crainte raisonnable de partialité.
4) Une lettre fournissant des arguments de défense à la BDEAC contre la demande de réouverture de l’instruction, la demande de jonction de procédures, et les demandes additionnelles
Alors qu’il appartient désormais à la formation de jugement d’examiner et statuer sur la demande de réouverture de l’instruction, la demande de jonction de procédures, et les demandes additionnelles, et qu’un débat contradictoire doit avoir lieu entre les parties, le Juge Rapporteur a cru devoir fournir des arguments à la BDEAC pour préparer sa défense, en lui communiquant une copie de sa lettre contenant ses arguments à l’appui de la clôture prématurée de l’instruction et une citation surabondante non justifiées des passages sélectionnés du mémoire Additif et Récapitulatif.
La fourniture de ces arguments de défense à la BDEAC par le Juge Rapporteur suscite légitimement chez Monsieur NANDA une crainte raisonnable de partialité.
5) Une transmission volontairement tardive du Mémoire Additif
Cette transmission volontairement tardive du Mémoire Additif et Récapitulatif à la BDEAC « à toutes fins utiles» avec la précision rapport «déposé au greffe après la clôture de l’instruction », dispense de fait la BDEAC de toute obligation de réponse, violant ainsi le principe du débat contradictoire qui devrait avoir lieu devant la haute Cour.
II. L’existence d’une inimitié avec la représentation de Monsieur NANDA
Le Juge Rapporteur a cru devoir exprimer son sentiment d’inimitié à l’égard de la représentation de Monsieur NANDA, en critiquant ouvertement son avocat et son collaborateur, et ce, en méconnaissance de la loi régissant la profession d’avocat au Tchad.
En s’appuyant sur des ouï-dire, il affirme notamment que le collaborateur de l’avocat de Monsieur NANDA n’est qu’ «un jeune stagiaire » qui, aux dires du Secrétaire Général du Conseil de l’Ordre, ne mettrait même pas les pieds devant le prétoire de la Cour Suprême (à fortiori devant la plus haute juridiction de la Communauté).
Or, l’article 28 la loi régissant la profession d’avocat au Tchad dispose que «les stagiaires peuvent remplacer ou substituer les avocats devant toutes les juridictions du Tchad.»
L’expression d’une telle inimitié à l’égard de la représentation de Monsieur NANDA suscite légitimement chez Monsieur NANDA une crainte raisonnable de partialité.
L’on pourrait opportunément observer qu’une telle inimitié du Juge Rapporteur ne s’est jamais manifestée, à ce jour, à l’égard de l’avocat de la BDEAC, malgré sa récusation formelle exprimée par le Requérant pour cause de participation active, le 17 juillet 2009, aux détournements d’au moins Fcfa 100.000.000 (cent millions de francs) des deniers de la BDEAC dénoncés par M. NANDA et clairement prouvés, documents à l’appui, devant la haute Cour à l’audience du 24 mars 2010.
L’expression d’une telle tolérance à l’égard de Me Emmanuel OKO, bénéficiaire sans cause des deniers détournés de la BDEAC, suscite chez M. NANDA une crainte raisonnable de partialité.
III. L’existence d’un lien d’alliance avec la BDEAC
Cette crainte raisonnable de partialité est également justifiée par l’existence d’un lien d’alliance privilégié entre le juge avec une partie, notamment le lien de nationalité qui unit le juge Georges TATY avec Monsieur Michaël ADANDE qui est l’actuel Président de la BDEAC.
En effet, ils sont tous les deux ressortissants gabonais, face à Monsieur NANDA qui lui, est de nationalité camerounaise.
Indépendamment de la personne même du juge Georges TATY, et sous réserve des développements ci-dessus, l’existence de ce lien d’alliance privilégié résultant de la communauté d’intérêt évidente entre ces deux compatriotes gabonais n’est pas de nature à garantir l’impartialité du juge à laquelle Monsieur NANDA est en droit d’attendre.
La Cour de Justice de la CEMAC est une juridiction internationale dont la composition est fondée sur la nationalité des juges. Conformément à l’article 12 de la Convention régissant la Cour de Justice de la CEMAC, la Chambre Judiciaire de la Cour est composée de juges qui ont la nationalité de chacun des six Etats membres de la CEMAC, afin de garantir l’impartialité des juges nécessaire aux justiciables de la Communauté.
En conséquence, Monsieur NANDA est légitimement fondé à voir sa cause jugée par des juges n’ayant aucun lien de nationalité avec les parties, afin de le prémunir contre tout risque de partialité.
Cette crainte raisonnable de partialité du fait de ce lien de nationalité est renforcée par le comportement manifesté par le Juge Rapporteur durant la phase d’instruction, notamment la clôture volontairement prématurée et abusive de l’instruction, le refus injustifié de la jonction de procédures, l’expression d’opinions traduisant l’inimitié avec la représentation de Monsieur NANDA.
PAR CES MOTIFS
Monsieur NANDA a l’honneur de conclure qu’il plaise à la Cour de :
- faire droit à sa demande de récusation du Juge Georges TATY ;
- désigner un juge présentant toutes les garanties d’impartialité nécessaires.»
Attendu que par lettre du 1er février, elle a été notifiée au juge récusé, invité à fournir sa réponse aux moyens de la récusation sous huitaine;
Que le 06 février 2012, M. Georges TATY a déposé au greffe la réponse ci - après:
«Depuis un certain temps, l’action des membres de la Chambre Judiciaire, à l’occasion des procédures particulières opposant la BDEAC à ses employés (aff. NZEPA et NANDA), donne lieu à des demandes de récusation fondées pour l’essentiel sur un prétendu lien d’alliance qu’entretiendraient certains d’entre eux avec les Présidents successifs de cette institution spécialisée de la Communauté.
Ceci est non seulement inexact, mais une telle perversion de l’article 81 du Règlement de procédure me parait inacceptable car, elle signifierait concrètement que le juge de telle ou telle nationalité prendrait systématiquement parti pour son compatriote en charge de telle ou telle institution.
Il est clair que si l’on devait dans chaque litige prendre en considération la nationalité des responsables, notamment celle du Gouverneur de la BEAC, du Secrétaire Général de la COBAC, du Président de la Commission, pour ne citer que ces quelques exemples, plus aucun juge ne participerait à une formation de jugement.
Ceci dit, pour revenir au déroulement de cette procédure, il convient de rappeler que j’ai été désigné dans les 3 recours introduits le 19 novembre 2009 par M. NANDA ayant pour avocat Me MOMO (Me MIANLENGAR n’étant que l’avocat domiciliataire).
J’ai ensuite présidé la formation collégiale qui a rendu deux arrêts: l’un accordant le sursis à exécution de la décision de révocation, l’autre rejetant la demande du requérant tendant à enjoindre à la BDEAC de le réintégrer dans les effectifs.
A la suite de quoi, l’instruction a repris son cours normal avec la rédaction de 3 rapports qui ont été déposés au greffe en juillet 2011 avant de partir en vacances.
Ces rapports ont été signés à mon retour en octobre 2011 et transmis aux parties. Une ordonnance de clôture a été prise, et la date d’audience fixée au 24 novembre 2011.
Tout était fin prêt pour l’audience, lorsque Me MIANLENGAR me fit parvenir un courrier dans lequel il sollicitait la réouverture de l’instruction.
Considérant que la Cour était désormais saisie de l’entier litige et qu’il lui appartenait de se prononcer après un débat contradictoire, sur la pertinence des incidents soulevés, je n’ai pas donné suite à cette requête.
A l’appel de cette affaire le 24 novembre 2011, alors que Me OKO pour le compte de la BDEAC avait fait le déplacement, les avocats adverses ne se sont pas présentés à l’audience au cours de laquelle devaient être examinées avant tout débat au fond les demandes de jonction de procédures et de communication d’un mémoire déposé tardivement après la clôture de l’instruction.
Malgré l’insistance de Me OKO, la formation de jugement  décidait d’un renvoi au 9 février 2012.
Quelques jours plus tard, Me MIANLENGAR m’adressa à nouveau une lettre dans laquelle il sollicitait la réouverture de l’instruction, prétextant la non communication du procès verbal du Conseil de discipline par la BDEAC (ce qui s’est avéré faux après vérifications faites au greffe, lire notre lettre du 13 décembre 2011) et la non prise en compte des scandales financiers ayant secoué la CEMAC.
Pour éviter qu’il ne multiplie ce type de requête, j’ai jugé utile de lui apporter quelques précisions concernant les règles de procédure qui gouvernent la mise en état, et la nature des actes que peut prendre le juge rapporteur (voir notre lettre du 13 décembre ).
Mon seul souci est de faire en sorte que les trois procédures enregistrées au greffe le 19 novembre 2009 soient jugées dans un «délai raisonnable».
Les scandales financiers ayant secoué les institutions financières de la CEMAC, fussent ils être imputés au Président sortant de la BDEAC, ne sont pas de nature à justifier la prolongation d’une mise en état qui dure depuis bientôt trois ans et qui a souvent été ralentie par des procédures incidentes (demande de sursis et d’interprétation d’arrêt).
Bref, je récuse tout lien d’alliance avec le Président actuel de la BDEAC, qui au demeurant agit ès qualité de représentant légal de cette institution, et non comme partie.
En définitive, faire droit à la demande de cet avocat pourrait créer un précédent dangereux.
En effet, il suffirait désormais à chaque plaideur d’invoquer un prétendu lien d’alliance pour choisir ses juges ;
Qu’il a fait joindre à ces éléments de réponses la lettre du 13 décembre 2011 adressée à Me Pierre MIANLENGAR, ainsi que copies de deux arrêts rendus, l’un le 8 avril 2010 ordonnant le sursis à exécution de la décision entreprise et l’autre le 10 mars 2011 déclarant irrecevable le recours en interprétation de l’arrêt rendu précédemment.
I. Sur la recevabilité du recours
Attendu que la demande de récusation est régulière et recevable en la forme.
II.  Sur le fond
Attendu que le requérant fonde sa récusation sur la «crainte raisonnable de partialité justifiée par l’expression d’opinions personnelles laissant percevoir des préjugés qu’il aurait sur la solution du litige, par l’existence d’une inimitié avec la représentation de M. NANDA, et par l’existence d’un lien d’alliance entre ce juge et la BDEAC»;
A.  Sur l’expression d’opinions personnelles laissant percevoir des préjugés que le juge rapporteur aurait sur la solution du litige.
Attendu que le requérant invoque la lettre du 13 décembre 2011 que le juge avait adressée à son conseil Me Pierre MIANLENGAR, pour selon lui, «tenter de justifier une instruction portant gravement atteinte au droit de M. NANDA à un procès équitable, notamment ses droits de la défense»,
Qu’il estime que l’instruction a été prématurément et abusivement clôturée,
Que le refus opposé à sa demande de jonction de procédure n’est pas justifié,
Que la lettre adressée à son conseil par le juge rapporteur préjugeait déjà de la solution du débat sur la réouverture de l’instruction, la jonction des procédures et les demandes additionnelles,
Que cette lettre fournissait des arguments à la défense de la BDEAC et que son mémoire additif a été transmis tardivement à la BDEAC pour la dispenser de «toute obligation de réponse»;
Attendu que sur les deux premières branches de ce premier moyen, il y a lieu de relever qu’en vertu des articles 26 et suivants du règlement de procédure, le juge rapporteur a la maîtrise de l’instruction qu’il décide d’ouvrir, qu’il veille à son déroulement loyal, à la ponctualité des échanges des mémoires, à la communication des pièces et prend l’ordonnance de clôture lorsqu’il estime que l’affaire est en état d’être jugée; que l’ordonnance de clôture du juge rapporteur le dessaisit du dossier de la procédure et qu’au surplus la célérité est une exigence quasi obsessionnelle du droit processuel, la bonne administration de la justice s’accommodant mal des lenteurs injustifiées, fussent elles imputables au demandeur;
Qu’en outre et contrairement à l’ordonnance de renvoi devant une juridiction nationale statuant en matière pénale, l’ordonnance de clôture n’est qu’un rapport des faits qui dessaisit le juge rapporteur du dossier, ne préjuge pas de la solution du litige et ne lie pas les autres juges de la formation, qu’il appartient dès lors à la partie diligente pendant la phase de l’instruction orale à l’audience de le compléter éventuellement si elle estime que le juge rapporteur a omis d’y mentionner certains éléments de fait ou de droit, et à la formation de jugement de décider s’il y a lieu ou non d’ordonner des mesures d’instruction complémentaires;
Attendu que sur les troisième et quatrième branche, la lettre du 13 décembre 2011 adressée à Me Pierre MIANLENGAR rappelle certaines dispositions, du règlement de procédure, que cette correspondance n’est ni une admonestation ni un préjugement de la demande incidente de la réouverture de l’instruction, de la jonction des procédures et autres demandes additionnelles, que le respect des principes du contradictoire et de l’égalité des armes commande qu’elle soit communiquée à toutes les parties comme l’a fait le juge,
Que le débat qu’elle peut dès lors susciter participe davantage du dialogue entre «gens de justice» et de la convivialité,
Qu’enfin et sur la quatrième branche, le retard à l’origine de la transmission à la BDEAC du «Mémoire Additif et Récapitulatif déposé au greffe après la clôture de l’instruction» est imputable à  son auteur lui-même;
B. Sur l’existence d’une inimitié avec la représentation de M. NANDA
Attendu qu’il faut relever d’emblée que l’inimitié retenue à l’article 81 du règlement de procédure doit exister entre le juge et «une partie», à l’exclusion de son représentant légal, de son avocat ou de son conseil dont la participation est qualité à la recherche de la vérité judiciaire reste un impératif catégorique,
Que s’agissant de la substance des propos attribués au juge mis en cause, et sans qu’il soit besoin d’examiner les dispositions de la loi tchadienne, il convient de relever que ce dernier rapporte les paroles dites par le Secrétaire Général du Conseil de l’Ordre à l’endroit d’un jeune stagiaire qui a choisi de venir directement à l’audience excuser l’absence du demandeur des mesures provisoires,
Que l’intervention de ce responsable du barreau tchadien semble tout à fait pédagogique et n’est nullement imputable à qui la rapporte;
C. Sur l’existence d’un lien d’alliance avec la BDEAC
Attendu que la Cour persiste à penser que la participation à la formation de jugement d’un juge de la même nationalité qu’une des parties au litige ne constitue pas, en soi, une alliance constitutive d’une «crainte raisonnable de partialité», qu’elle ne saurait accréditer l’opinion contraire du requérant sans mettre à rude épreuve l’idéal communautaire d’intégration recherchée par le législateur communautaire,
Qu’il y a lieu de déclarer la demande mal fondée et de la rejeter;
Par ces motifs
- déclare la demande de récusation recevable en la forme,
- l’y dit mal fondée,
- rejette la demande,
- condamne le demandeur aux dépens.
Ainsi jugé et prononcé en audience publique à N’Djamena, le seize février deux mille douze.
Ont signé le Président, les Juges et le Greffier.
M. Pierre KAMTOH, Président (Rapporteur) ;
M. DADJO GONI, Juge;
M. JUSTO ASUMU MOKUY, Juge ;
Assistée de Maître RAMADANE GOUNOUTCH,
Greffier; Maître Pierre MIANLENGAR

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