« La justice constitutionnelle sous l’angle des constitutions Congolaises de 1964, 1967 et 2006, d’une justice par substitution à une instance autonome.»
En 2006, la RD Congo s'est dotée d'une nouvelle constitution, expression ferme de la volonté de rompre avec un passé comblé de désaroi, de conflits civils, de crise de légitimité, du non respect des droits de l'homme et du sous-développement (Préambule de la constitution du 18 février 2006). Ce grand sentiment de changement tire ses sources de la grande rencontre autour du dialogue intercongolais à sun city, ayant pour but de doter le Congo des nouvelles institutions légitimes en vue d'un état prospère et efficace au cœur d'Afrique.
La nouvelle constitution promulguée le 18 février 2006 offre au Congo une nouvelle configuration judiciaire. Ce texte fondamental a institué un système judiciaire tripartite, distinct et spécialisé, rompant ainsi avec le passé. Ce nouvel échafaudage institutionnel se compose de trois ordres de juridictions [Article 49 alinéa 2]:
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La Cour constitutionnelle, qui coiffe l'ordre constitutionnel.
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La Cour de cassation, qui dirige les juridictions de l'ordre judiciaire.
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Le Conseil d'État, qui chapeaute l'ordre administratif.
De cette subdivision, la cour constitutionnelle se voit occuper une place de taille à l’aune des innovations qu’entreprend le législateur et face aux différents défis que la RDC doit relèver. Elle doit assurer un rôle très important pour la promotion de l’État de droit c’est-à-dire que, tant dans la désignation de ses membres que dans son fonctionnement, le législateur approuve, l’implication effective du pouvoir judiciaire au sein d’un État déchiré par des guerres civiles.
Il nous importe de faire une étude critique sur la justice constitutionnelle selon les dispositifs constitutionnels de 1964, 1967 et 2006 en vue d’identifier les différentes innovations qui se nouent dans l’histoire judiciaire de la RDC.
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Justice constitutionnelle sous l’angle des constitutions du 1er août 1964 et du 24 Juin 1967
Nous devons signaler qu’avant l’avènement de la constitution du 18 février 2006, la RDC était régie par plusieurs textes constitutionnels. La Constitution de 1964 et celle de 1967 sont les plus cruciales car, elles marquent une vraie portée de par leur processus d’adoption et de leur influence sur l’administration judiciaire. Il nous revient de les analyser séparément et de faire une comparaison sur leur lien de rapprochement et de dissemblances.
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Le juge constitutionnel sous l’angle de la constitution de Luluabourg ( 1 Août 1964)
Issue d’une volonté révolutionnaire de rompre avec l'impérialisme occidental, et de promouvoir l’unité et l'autodétermination des congolais, la constitution du 1er août 1964, dite constitution de Luluabourg, est la première constitution de la RDC à avoir été soumise au référendum constitutionnel organisé du 25 juin au 10 juillet 1964 [Préambule de la Constitution de la République Démocratique du Congo du 1er Août 1964]. Elle est la deuxième constitution de la RDC, en tant que pays souverain, après celle dite loi fondamentale du 30 juin 1960.
La cour constitutionnelle aux termes de cette constitution est une juridiction hors l'ordre judiciaire congolais. Elle fait partie des cinq institutions de la République dont elle est la quatrième. Elle demeure écartée du pouvoir judiciaire congolais lequel constitue une institution à part entière consacrée à la cinquième position dans l’ordre des institutions de l’Etat.
L’article 125, consacre un pouvoir judiciaire chapeauté par une cour suprême en ces termes « l’ensemble des cours et tribunaux, comprend une cour suprême de justice, des cours d’appel, des cours militaires et des tribunaux institués par la loi nationale », et l’article 126 ajoute que, « la cours suprême comporte deux sections: la section judiciaire et la section administrative».
Dans son article 165, la constitution institue une cour constitutionnelle composée de douze membres (conseillers) tous nommés par le chef de l’Etat, dont trois sur proposition de deux chambres législatives, trois autres par la conférence des gouverneurs et les trois autres encore par le conseil supérieur de la magistrature notamment, pour juger le président de la République, les membres du gouvernement central et provinciaux.
Pour leur nomination, tous les juges (conseillers ) doivent être des congolais, avoir dix années d'expérience dans l’exercice des professions juridiques ou judiciaires [Art 165 alinéa 4] et remplir les conditions requises pour être élu sénateur en République Démocratique du Congo.
La cour constitutionnelle avait pour compétences de vérifier la constitutionnalité des lois et des actes ayant force de loi ; interpréter la Constitution. Elle était également compétente pour veiller à la régularité de l’élection du président de la République et des gouverneurs des provinces. Ses décisions n’étaient susceptibles d’aucun recours.
L’installation de cette cour était inopportune restant inscrite dans les arcanes des dispositions de l’article 196 de la constitution sous les termes « En attendant la création de la Cour constitutionnelle, la Cour d’Appel de Léopoldville exerce les attributions dévolues par la présente Constitution à la Cour constitutionnelle ».
Le choix porté sur la Cour d’Appel de Kinshasa pour faire office de juge constitutionnel, se justifie pour deux raisons: tout d’abord, au moment de l’adoption de cette constitution, la cour suprême n’existait pas encore.
La cour d’appel était la juridiction supérieure au sommet des institutions judiciaires. C’est ainsi que la constitution elle-même dans son article 198 dispose que « Jusqu’à ce que la Cour suprême de justice soit légalement instituée : 1. Les Cours d’Appel sont compétentes pour juger les membres du gouvernement, ainsi que les gouverneurs des provinces. 72 et 109 ; 2. Les procureurs généraux près les Cours d’Appel sont compétents pour donner l’avis prévu au président de la république en cas d’état d’urgence et de siège de suspendre dans une partie de la république et pour la durée qu’il fixe, l’action répressive des cours et tribunaux et y substituer celle des juridictions militaires pour les infractions pénales qu’il détermine »
Ce choix se justifie aussi par le fait que, la cour constitutionnelle est destinée à ne fonctionner qu' après douze années à dater de la promulgation de la constitution [ art 197]. Aussi, la non installation de la cour constitutionnelle était due aux différents moment des troubles qui ont conduit au cout d’Etat du général MOBUTU alors commandant en chef de l'Armée Nationale Congolaise qui intervient treize mois après l'adoption de la constitution de 1964.
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Le juge constitutionnel au regard de la constitution du 24 Juin 1967
La constitution de 24 Juin 1967 est un acte issu d’une révolution-rupture. Le concept comme le renseigne l'écrivain congolais Jean Claude MANZUETO au frontispice de son ouvrage, se rapporte à une réponse contre un système politique rejeté, une sorte de promesse pour l'instauration d’un nouvel ordre politique qui met l’homme au centre d’un nouveau système politique et qui le place devant ses responsabilités, sa créativité et sa dignité de prendre son destin en mains par une rupture brusque et à long terme [J-C. Manzueto, L’âme perdue d’une nation devant le désarroi d’un peuple, Ed. JCM, 1ère Édition, Afrique du Sud, 2016, pp. 146-147 ].
Au pas d’une révolution, le Président MOBUTU promulgue une nouvelle constitution, publiée au moniteur congolais n° 14 du 15 juillet 1967. Élaborée en vue d’éviter que le système politique puisse être paralysé par des luttes stériles de factions. Ses auteurs ont cherché à doter la RDC d’un régime politique qui favorise le développement et l’indépendance économique.
Au visa de son préambule, la Constitution reconnaît les bienfaits d’un gouvernement révolutionnaire pour un État relâché des griffes de la colonisation [Préambule de la constitution du 24 juin 1967 ].
En son article 70, la constitution institue une Cour constitutionnelle qui comprend neuf conseillers dont le mandat dure neuf ans et n’est pas renouvelable immédiatement. Le choix porté sur ses membres est réparti selon qu’un tiers sur initiative du chef de l’Etat, pour un autre tiers, sur proposition de l’Assemblée nationale et, pour un dernier tiers, sur proposition du Conseil supérieur de la magistrature [ art 70 alinéa 3].
Contrairement à la constitution de 1964 qui attribue à la conférence des gouverneurs le pouvoir de désigner les personnes appelées à occuper l'étendard de la cour constitutionnelle, celle-ci l'attribue alors au chef de l’Etat en tant que première institution de la république. Elle ne précise pas non plus les critères à remplir pour être désignée juge. Cette imprécision traduit réellement la volonté de réguler l’organisation et le fonctionnement de la cour à travers une loi comme l’indique bien les dispositions de l’article 70 alinéa 5.
En plus de sa compétence pour la conformité constitutionnelle, la cour constitutionnelle est le principal juge du chef de l’Etat et veille à la régularité de l’élection du Président de la République. Elle en examine les réclamations et statue sur celles- ci ; elle proclame les résultats du scrutin.[ Art 71 alinéa 3].Toutefois, cette cour ne fut pas installée comme prévue et ses attributions étaient portées à charge de la cour d’appel de Kinshasa qui du reste demeurait encore en deuxième position dans l’ordre hiérarchique des institutions du pouvoir judiciaire après la cour suprême [ art 59 al 1].
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Liens des divergences en rapport au choix des juges constitutionnel entre la Constitution de 1964 et de 1967
Il est curieux de constater que, la Constitution de Luluabourg et celle de 1967 se rencontrent et se rétrécissent en ce qui concerne le processus de désignation des juges constitutionnel bien que toutes les deux constitutions portent le fardeau de l’organisation du pouvoir et des institutions.
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Liens de ressemblance
Les deux constitutions ont été élaborées dans un contexte d’anarchie et d'immaturité politique de la République Démocratique du Congo. A peine que le Congo devient indépendant, les deux constitutions devraient permettre aux congolais de retracer leur propre histoire comme avant la colonisation.
Dans leur différent préambule, la notion de l'autodétermination s’explique et celle de la liberté s’entrecroisent. On peut donc affirmer que, l’installation de la cour constitutionnelle semble une nécessité pour l’organisation de la société et répondre aux enjeux du temps. C’est ainsi, malgré que cette cour ne soit pas installée durant l'existence de deux constitutions et que ses attributions soient toujours renvoyées à la cour d’appel de Kinshasa, le besoin d’encadrer la constitution et de promouvoir la sécurité juridique se pointent à l’aube de ces mesures de substitution d’une cour constitutionnelle par la cour d’appel de Kinshasa.
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De la divergence
Une dissemblance se manifeste entre les deux constitutions par rapport au critère et l’organe chargé de désigner les juges constitutionnels.
Du point de vue de l’organe de désignation, pour la constitution de Luluabourg, les juges constitutionnels sont désignés par deux institutions majeures de la République et une structure subsidiaire. Certes, la constitution attribue la désignation de tous les neufs juges constitutionnels, au parlement, au conseil supérieur de la magistrature et à la conférence des gouverneurs.
Selon l’article 73, la conférence des gouverneurs est un organe consultatif qui a pour but de renforcer l’unité de la République et de faciliter la coordination de la politique des provinces. Constituée du président de la république, du premier ministre et des gouverneurs des provinces. A la lumière de ce qui précède, on peut déduire que la conférence des gouverneurs fait partie intégrante des organismes du gouvernement qui lui apporte son concours dans la mise en application des politiques nationales. Ainsi, chacune de ces institutions opte pour trois candidats. Tandis que, les juges constitutionnels d’après le la constitution du 24 juin 1967 sont nommés par le président au nombre de 9 et désignés trois sur sa propre proposition trois autres sur proposition du parlement et les trois qui restent sur proposition du Conseil supérieur de la magistrature.
Du point de vue des critères de désignations, la constitution de Luluabourg en appelle à plus de dix années d'expérience dans la connaissance pratique du droit en tant qu' avocat ou magistrat et en tant qu' enseignant. Alors que, pour la constitution de 1967, aucune disposition ne précise expressément les conditions à remplir pour devenir juge constitutionnelle mais rappelle l'existence d’une loi organique qui fixe les règles d’organisation et de fonctionnement de la Cour constitutionnelle ainsi que la procédure suivie devant celle- ci [ art 70 al 5].
C’est dans cette échelle d’idée qu’il faille comprendre que, les deux constitutions ont eu à consacrer la création de la cour constitutionnelle. Celle de 24 juin 1967 reste moins précise partant des critères de désignation des juges. Elle se limite simplement à citer les nombres qu’ils composent sans invocation d’une référence sine qua non de leur opérationnalité qui est l'expérience et la compétence.
II. Le choix des juges constitutionnel aux termes de la Constitution du 18 Février 2006
La constitution du 18 février 2006 est l’une des constitutions qui marquent la volonté du souverain primaire. Elle est élaborée au sortir d’une crise acerbe nourrie des rebellions, des contestations de la légitimité des institutions publiques et politiques. Elle marque aussi une rupture historique d' effusion des sang des congolais par le consensus tenu à Sun City.
Avant l’adoption de cette constitution en 2006, de son accession à la souveraineté nationale et internationale depuis 1960 jusqu'à nos jours, la République Démocratique du Congo a officiellement connu plusieurs constitutions. Durant ces années, les citoyens congolais ont vécu dans des régimes politiques qui ne leur ont pas assuré le respect des droits de l’homme, ni créé des conditions de vie encourageant une participation de qualité à la vie politique, encore moins instauré un climat d’épanouissement individuel ou collectif.
Cette constitution a connu une révision le 20 janvier 2011 et d’ailleurs, c’est le fondement de la loi n°11/002 du 20 janvier 2011. Elle semble être la toute première constitution congolaise qui a marqué des bons progrès en matière de gestion des institutions publiques. Elle marque de nombreuses innovations en rapport avec le fonctionnement de la cour constitutionnelle, notamment en ce qui concerne les critères de désignation de ses membres, la compétence et les organes habilités à ce processus de désignation.
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les innovations relative à la désignation des juges constitutionnels
D’après cette constitution, la cour constitutionnelle est composée de 9 membres tous nommés par le président de la République en vertu de trois sur sa propre proposition, trois autres issus du législatif et les trois qui restent sur proposition du conseil supérieur de la magistrature [ Art 158 al. 1 ].Le nombre d'années d'expérience de juges pour être désigné doit se situer à au moins 10 années, ce qui est en réalité une innovation et une porte ouverte pour que la possibilité de devenir membre à la cour ne soit pas seulement réservée à des personnes physiquement affaiblies.
Tout en reconnaissant la plénitude de la désignation à ces trois organes, les trois autres qui relèvent de la proposition fusionnent l'apport du président de la République en tant qu’institution à part entière à celui de l'exécutif et donc du gouvernement national qui appliquent la politique nationale.
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Des critères de désignation
Les juges constitutionnels sont d’après cette constitution désignés en vertu de la compétence (avoir une expérience d’au moins quinze années dans l’exercice de la profession juridique et ou faire la carrière politique). La compétence et l'expérience du juge ici se traduisent non seulement par la maîtrise des notions de droit et politique, mais aussi à travers le nombre d'années durant lequel on s’y adonne.
Considérant que la cour constitutionnelle fait partie intégrante du pouvoir judiciaire, la constitution du 18 février 2006 a le mérite de marquer le rôle du juge constitutionnel dans un Etat en plein essor démocratique.
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La place du juge constitutionnel dans l’ordre judiciaire congolais.
Aujourd’hui, la place du juge constitutionnel dans le système juridique congolais reste soumise à des débats houleux aussi bien par les juristes que par les communs de mortels. Il sied de préciser ici que, le concept justice constitutionnelle renvoie essentiellement au juge constitutionnel. C’est une forte métonymie qui consiste à s’identifier à partir du contenant. C’est une raison de plus pour permettre la compréhension de cette analyse.
Il est évident que, au tour de tous les questionnements possibles sur l'éventuel place qu’occupe la justice constitutionnelle reviennent tant des réponses que nous pouvions l’imaginer.
Premièrement parce que, dans son organisation, le choix et la nomination de ses membres, le juge constitutionnel apparaît comme un corps politique. On dirait mieux que la justice constitutionnelle est tout autant comme un corps constitué des personnalités politiques . C’est par contre, lorsqu'on se tient du côté son mode opératoire, autrement son fonctionnement que le juge constitutionnel trouve son vrai sens.
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Place du juge constitutionnel au regard de l’organisation judiciaire congolais
Le choix des juges constitutionnels prête quelquefois confusion sur la nature de ces juges. La cour constitutionnelle de la République Démocratique du Congo est inclue dans l’ordre judiciaire comme une instance intermédiaire. Elle apparaît d’ailleurs en première position lorsque le constituant s’exprime à travers l’article 149 alinéa 1 de la constitution qui dispose que « Le pouvoir judiciaire est indépendant du pouvoir législatif et du pouvoir exécutif. Il est dévolu aux cours et tribunaux qui sont : la Cour constitutionnelle, la Cour de cassation, le Conseil d’Etat, la Haute Cour militaire ainsi que les cours et tribunaux civils ».
Il apparaît clairement que le juge constitutionnel actuel, contrairement à celui de la constitution de Luluabourg et celui de la constitution révolutionnaire du 24 juin 1967, est un juge de droit spécialisé qui est soumis aux principes fondamentaux qui gouvernent l’administration judiciaire en République Démocratique du Congo.
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Statut particulier du juge constitutionnel
Le juge constitutionnel congolais a un statut très particulier d’autant plus que son choix et son fonctionnement est soumis à des critères très souples. Nous y reviendrons dans le chapitre suivant. Mais il faut par ailleurs rappeler qu' il n’est pas soumis au statut des magistrats qui est actuellement régi par la loi organique n°06/020 du 10 Octobre 2006 portant statut des magistrats telle que modifiée et complétée par la loi n°15/014 du 1er Août 2015.
Conclusion
La justice constitutionnelle a connu un dynamisme de plus en plus curieux dans l’ordre institutionnel et administratif congolais. D’aucun ne peut imaginer que cette institution ait été instituée dans le passé sans pour autant être installée pour répondre à sa vocation principale. Il a fallu près de 50 années pour que le constituant congolais se livre à une nouvelle gymnastique et achève ce chantier dont les premières fondations ont été placées par ses devanciers dans le passé.
Ce qui démontre suffisamment que l'administration publique congolaise a longtemps été confrontée aux multiples défis et demande une volonté politique accrue de ses animateurs en vue de sa restauration.
Fait à Kinshasa, le 29 Août 2025
Me Jonathan KENDWA NDWAYA, Avocat près la Cour d’Appel
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E-mail: jonathankendwa1@gmail.com