Cession d’entreprise et obligation d’information des salariés : une exigence aux contours précis.
Introduction
La cession d’une entreprise, qu’elle s’opère par transmission du fonds de commerce ou par cession de titres conférant le contrôle de la société, constitue un acte de disposition stratégique engageant des intérêts multiples : ceux de l’actionnaire-cédant, du repreneur, mais également, et de manière croissante, des salariés. C’est dans cette perspective que le législateur, par la loi n° 2014-856 du 31 juillet 2014 relative à l’économie sociale et solidaire, a introduit une obligation d’information spécifique à la charge de l’employeur, dans le dessein d’associer les salariés à l’éventualité d’une reprise interne.
L’examen de ce mécanisme, qui oscille entre information, faculté de rachat et participation à la gouvernance, révèle une volonté de démocratisation des opérations capitalistiques, sans pour autant bouleverser l’économie générale du droit des sociétés. La doctrine y voit une manifestation normative d’une forme de "capitalisme participatif", encore balbutiante.
I – Le champ d’application différencié selon la taille de l’entreprise
A – Entreprises de moins de 50 salariés : l’encadrement rigoureux d’un droit d’information préalable
Aux termes des articles L. 141‑23 et L. 23‑10‑1 du Code de commerce, la cession d’un fonds de commerce ou d’une participation majoritaire impose à l’employeur d’informer individuellement les salariés au plus tard deux mois avant la réalisation de la cession. L’objectif est clair : leur permettre, s’ils le souhaitent, de formuler une offre de reprise.
Cette information peut être délivrée par tout moyen, à la condition impérieuse qu’il soit de nature à conférer date certaine à la réception par le salarié. En pratique, les usages recommandent la remise contre émargement ou la lettre recommandée avec accusé de réception.
L’acte de cession ne peut être régularisé avant l’expiration du délai de deux mois, sauf hypothèse où chaque salarié manifeste, par une renonciation expresse et individuelle, sa volonté de ne pas présenter d’offre. Cette exigence a été jugée conforme au principe de proportionnalité par le Conseil constitutionnel (Décision n° 2015-476 QPC du 17 juillet 2015).
B – Exceptions légales à l’obligation d’information
Trois hypothèses, d’interprétation stricte, dispensent l’employeur de cette obligation :
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La cession est réalisée au profit d’un proche familial (conjoint, ascendant, descendant) ;
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L’entreprise est soumise à une procédure collective (conciliation, sauvegarde, redressement ou liquidation judiciaire) ;
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Une information triennale préalable a été délivrée aux salariés dans les douze mois précédant la cession, conformément à l’article L. 23‑10‑2 du Code de commerce.
B – Sanction civile dissuasive
Le non-respect de cette obligation expose le cédant à une amende civile équivalente à 2 % du prix de cession, prononcée soit à la demande du ministère public, soit dans le cadre d’une action civile exercée par un ou plusieurs salariés (art. L. 23‑10‑1, al. 6 C. com.).
II – Entreprises de 50 salariés et plus : une obligation intégrée au dialogue social
Dans les structures dotées d’un Comité social et économique (CSE), l’information des salariés ne répond plus à une logique de notification individuelle mais s’intègre au mécanisme collectif de consultation du CSE, conformément à l’article L. 23‑10‑7 du Code de commerce.
L’information des salariés doit ainsi intervenir au plus tard en même temps que la consultation du CSE. Aucune exigence de délai n’est alors prévue, de sorte que la cession peut intervenir sans attendre, pourvu que le CSE ait été régulièrement consulté.
Ce dispositif suppose une articulation rigoureuse entre les règles issues du droit des sociétés (consultation du CSE en cas de projet de cession) et celles relatives à l’information économique des salariés. Le caractère supplétif ou contraignant de cette double information reste débattu en doctrine.
II – L'information triennale : socle d'une culture de la reprise interne
L’article L. 23‑10‑2 du Code de commerce introduit une obligation triennale d’information dans les entreprises de moins de 250 salariés, indépendamment de toute cession envisagée.
Cette obligation a pour finalité de sensibiliser les salariés aux modalités juridiques et financières de la reprise, et de leur fournir les ressources institutionnelles pour s’y préparer. Elle doit porter sur :
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Les modalités de transmission d’entreprise (fonds ou titres) ;
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Les avantages et contraintes d’une reprise par les salariés ;
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La liste des organismes publics ou privés d’accompagnement (CCI, Bpifrance, SCOP, etc.) ;
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Les orientations capitalistiques de la société.
Le non-respect de cette obligation engage la responsabilité civile de l’employeur, sur le fondement de l’article 1231‑1 du Code civil, en cas de préjudice démontré par les salariés.
Conclusion
Le dispositif d’information préalable des salariés, quoique présenté comme une simple formalité procédurale, reflète une évolution plus profonde de notre droit économique : celle d’une participation accrue des salariés aux dynamiques capitalistiques de leur entreprise. Il ne s’agit ni d’un droit de préemption ni d’un droit d’opposition, mais d’un mécanisme de responsabilisation informationnelle, porteur d’un potentiel stratégique pour les entreprises en transition.
La vigilance juridique, tant du côté du cédant que de celui des conseils, est donc de mise. L’anticipation documentaire, la preuve de la remise d’information, et la cohérence avec les obligations sociales constituent autant d’éléments essentiels à la sécurité juridique de l’opération de cession.
Cabinet KEYSINGTON