Prérogatives (et obligations) du CNB
Selon l’article 3 (alinéas 1 et 2) de la loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971 :
« Les avocats sont des auxiliaires de justice.
Ils prêtent serment en ces termes : "Je jure, comme avocat, d'exercer mes fonctions avec dignité, conscience, indépendance, probité et humanité". »
Selon l’article 53 de la même loi :
« Dans le respect de l'indépendance de l'avocat, de l'autonomie des conseils de l'ordre et du caractère libéral de la profession, des décrets en Conseil d'État fixent les conditions d'application du présent titre. »
Le titre en question est relatif à l’organisation de la profession d’avocat.
Selon l’article 21-1 alinéa 1 de la même loi :
« Le Conseil national des barreaux, établissement d'utilité publique doté de la personnalité morale, est chargé de représenter la profession d'avocat notamment auprès des pouvoirs publics. Dans le respect des dispositions législatives et réglementaires en vigueur, le Conseil national des barreaux unifie par voie de dispositions générales les règles et usages de la profession d'avocat. ».
Le Conseil National des Barreaux (CNB) établit donc le RIN (Règlement Intérieur National) de la profession d’avocat.
Décision très discutée du CNB des 1er et 2 juillet 2016
Après une réunion houleuse des 1er et 2 juillet 2016, le CNB a décidé, à une courte majorité, d’introduire dans le RIN le texte suivant(article 15.2.2) :
« L’ouverture d’un ou plusieurs bureaux secondaires est licite en France et à l’étranger, sous réserve des dispositions de l’article 8-2 de la loi du 31 décembre 1971 modifiée. Le bureau secondaire, qui peut être situé dans les locaux d’une entreprise, doit répondre aux conditions générales du domicile professionnel et correspondre à un exercice effectif et aux règles de la profession notamment en ce qui concerne le secret professionnel. L’entreprise au sein de laquelle le cabinet est situé ne doit pas exercer une activité s’inscrivant dans le cadre d’une interprofessionnalité avec un avocat. »
Cela signifiait que l’on pouvait créer un bureau secondaire d’avocat en entreprise.
Si le Barreau de Paris (quasiment majoritaire numériquement dans la profession) a soutenu cette position, la Conférence des Bâtonniers (représentant des Barreaux non parisiens) y a été très hostile.
Le ton est monté.
Le CNB s’est entêté.
Des avocats non parisiens ont été contraints de saisir la Justice.
Fronde contre les Parisiens et leurs alliés
La décision litigieuse a donc été attaquée par le Mouvement des Avocats Collaborateurs (mais curieusement, pas par le Syndicat des Avocats de France…).
Ont également attaqué la décision le Barreau de Rouen et la Conférence des Bâtonniers, rejoints par les Barreaux de Toulouse, de Colmar, du Jura, de Rennes, de Saint-Brieuc, d’Epinal, de la Rochelle-Rochefort, de Meaux, de Dunkerque, de Chalon-sur-Saône, de Coutances-Avranches, d’Agen, du Havre, de Tours, de Melun, de Bayonne, de Clermont-Ferrand, de Valence, de Poitiers, de Montpellier, de Versailles, de Bourgoin-Jallieu, de l’Eure, de Moulins, de Nantes, de la Charente, d’Arras, de Montluçon, de Cambrai, de Bourges, de Douai, de Lorient, de Chartres, de l’Essonne, de Béthune et de Saint-Pierre (Réunion) de Brest, de Thionville, de Fontainebleau, de Saint-Nazaire, d’Amiens, de Saintes, de Laval, d’Orléans, de Saint-Étienne, de Dijon, de Limoges, de Bonneville et des pays du Mont-Blanc et de Cherbourg .
Parmi ces requérants, on notera l’absence des Barreaux de Paris, de Marseille, de Lyon, de Bordeaux, de Nice, de Strasbourg, de Lille, de Vannes, des Hauts-de-Seine, de Seine-Saint-Denis, du Val-de-Marne et du Val d’Oise, notamment...
Annulation de la décision du CNB
Dans un arrêt publié au recueil, le Conseil d’État (6ème et 5ème ch. réunies, n° 403101, 15 février 2018) a considéré que les conditions d’exercice des avocats exerçant dans des cabinets secondaires en entreprises « sont susceptibles de placer les avocats concernés dans une situation de dépendance matérielle et fonctionnelle vis-à-vis de l’entreprise qui les héberge et mettent ainsi en cause les règles essentielles régissant la profession d’avocat d’indépendance et de respect du secret profession ».
L’article 15.2.2 tel que modifié par le CNB les 1er et 2 juillet 2016 a donc été annulé.
Le Barreau de Rouen a gagné 3000 € concernant ses frais de justice (article L. 761-1 du Code de Justice Administrative).
Une grande partie de la profession d’avocat avait soutenu le procès et a donc pu se réjouir (Miren LARTIGUE, « Bureau secondaire en entreprise : soutien massif des bâtonniers au recours devant le Conseil d’État », Lettre des Juristes d’Affaire, 2016).
Quant aux commentateurs juristes, ils n’ont pas été surpris (Gaëlle DEHARO, « Pas de bureaux secondaires au sein des entreprises », Dalloz Actualité, 16 février 2018).
Néanmoins, une courte majorité d’avocats avaient soutenu l’initiative illicite du CNB, composé de représentants élus par la profession.
Discrédit des ordres professionnels
Face aux nombreux abus des syndics professionnels, certains en appellent à la constitution d’un ordre des syndics pros (Jean-Pierre DÉSIR, entretien paru aux Informations Rapides de la Copropriété, n° 609, juin 2015, p. 5, ainsi que le blog http://www.syndicpro.fr/ ).
Au vu de ce qui s’est passé au sein de la profession d’avocat, où une organisation parfaitement légitime a pris une décision contraire aux principes fondamentaux de la profession, on ne peut qu’être inquiet.
Un Ordre professionnel n’est pas une garantie de respect des grands principes posés par la loi.
Rares ont été les avocats qui ont commenté l’important arrêt rendu par le Conseil d’État (à part l’ancien Bâtonnier de Grenoble Michel BENICHOU sur Légavox, et c’est à son honneur, voir « Du pouvoir normatif du CNB », 6 février 2018).
Néanmoins, ce Bâtonnier semble être le seul à avoir eu le courage de s’exprimer sur ce sujet important. Dommage !
Dérives prévisibles mais camouflées
Sur le fond, les magistrats de diverses juridictions ont constaté sur le terrain tout ce que redoutait le Conseil d’État en matière de perte d’indépendance, mais ensuite, aussi, de modération, de loyauté et de courtoisie.
Un avocat trop lié à une entreprise perd souvent le sens de la mesure et devient moins un auxiliaire de justice qu’un partisan acharné.
Les autres éléments du serment d’avocat en ont pris un coup, comme le montra la dérive d’une association où la présidente, avocate, a, selon un juge des référés en 2017, mélangé les genres entre son activité professionnelle et son activité associative (lien).
Ensuite, en 2019, cette avocate s’est mise à déposer une requête dans l’intérêt de son association sans révéler qu’elle en était la présidente, au grand déplaisir d’un juge de Nanterre (lien).
En 2021, un magistrat des référés au sein de la Cour d’appel de Versailles a constaté, non sans un évident agacement, de curieuses pratiques concernant la façon dont cette avocate se défendait devant les juridictions (lien).
Enfin, ce fut un maire qui constata les pratiques assez curieuses de l’association présidée par cette avocate, pratiques considérées comme des manquement par la Cour d’appel de Versailles en 2022 (lien).
Le nom de l'association concernée est donné par Lexbase et Lamyline...
Fini, les cachotteries !
Le présent blog a été le seul à tirer la sonnette d'alarme sur ces agissements (malgré des pressions indirectes pour nous faire cacher ces éléments). Une restructuration interne du blog a cependant abouti au retrait de tous les posts désignant des structures privées critiquées, pour ne pas leur faire de publicité indirecte en favorisant leur référencement sur les moteurs de recherche.
Le présent post vise à pallier ces retraits de posts. En effet, la série d’errements précitée montre la résistance d’une bonne partie de la profession d'avocat à l’interdiction de l’exercice de son activité au sein même d’une entreprise cliente (interdiction qui vaut y compris si cette entreprise a une forme associative).
Ici, pas de cachotteries à ce propos. Désormais, ceux qui interféreront avec la révélation de ces mauvaises pratiques devront d’ailleurs s’expliquer devant les Parquets et devant les services de la répression des fraudes sur leurs liens avec des acteurs dont les agissements ont été judiciairement sanctionnés.