Promoteurs peu précautionneux
Un promoteur a acheté une parcelle qu’il a divisée en 11 résidences devant devenir chacune un syndicat de copropriétaires. Les logements ont été vendus en l’état futur d’achèvement. Le promoteur a également prévu une association syndicale libre (ASL) pour gérer les équipements communs et notamment les routes communes à l’ensemble des résidences.
Un tel schéma est toujours complexe et doit susciter la défiance des acheteurs. Non seulement cela crée plusieurs structures de gouvernance superposées mais en plus, les syndicats de copropriétaires obéissent à la loi du 10 juillet 1965 qui comprend de nombreuses normes s’imposant automatiquement, tandis que les ASL sont régies par l’ordonnance du 1er juillet 2004 qui laisse une très grande latitude aux rédacteurs des statuts pour fixer les règles de représentation applicables.
Lorsque le promoteur qui rédige les statuts n’est pas attentif, les conséquences peuvent être consternantes. C’est ce qui est arrivé dans l’ensemble immobilier précité (aux 11 syndicats de copropriétaires chapeautés par une ASL).
En effet, l’une des résidences a installé des arceaux sur la voie qui traverse la parcelle commune. Un syndicat des copropriétaires membre de l’ASL a exigé le retrait de ces arceaux qui entravaient la circulation pour les copropriétaires de ce syndicat. Il a obtenu gain de cause.
Parallèlement, en posant les arceaux, la résidence fautive s’était également emparée de manière illicite du terrain qui devait revenir à l’ASL.
Pourtant, la Cour de cassation (3e chambre civile), dans un arrêt du 23 janvier 2020 n° 19-11.863 qui sera publié au bulletin, a débouté le syndicat des copropriétaires plaignant sur ce point. La haute juridiction a estimé que si des terrains avaient été pris irrégulièrement à l’ASL en violant les statuts de cette dernière, seule ladite ASL pouvait agir pour obtenir la rétrocession des terrains concernés.
Nul ne plaide par procureur
Il existe en France un adage de l’ancien droit français selon lequel nul ne plaide par procureur (voir le jurisconsulte Antoine LOYSEL, 1536-1617). Cela signifie qu’une personne privée doit normalement agir directement pour défendre ses propres intérêts.
Comme le dit la Cour de cassation dans l’arrêt du 23 janvier 2020 (point 17) : « Le droit d'agir en justice dans l'intérêt d'autrui, revêtant un caractère exceptionnel, ne peut résulter que de la loi. L'action tendant à faire entrer un bien dans le patrimoine de l'ASL est une action attitrée que seule celle-ci peut exercer. »
Ainsi que le rappelle Jean-Marc ROUX (Annales des loyers, mars 2020, pp. 99-100) dans ses observations sur cet arrêt, les justiciables confondent trop souvent le régime de la copropriété et celui des ASL. La Cour de cassation a donc raison de relever que l’article 15 de la loi du 10 juillet 1965, qui donne au copropriétaire le droit d’agir au nom du syndicat des copropriétaires dans certaines circonstances, ne s’applique pas aux ASL.
On note l’abondance de procès où la Cour de cassation a du souligner que ni au sujet des charges, ni au plan des délais pour contester les décisions d’assemblées générales, la loi du 10 juillet 1965 sur la copropriété ne s’applique aux ASL (voir, par exemple, arrêts du 20 nov. 1985, n° 84-14.113, 4 mai 1988, n° 86-18.806 et 14 nov. 2012, n° 11-23.808).
Il faut néanmoins apporter une petite nuance à ce tableau, ce que fait Jérôme NALET, dans l’AJDI de septembre 2020 (« Nul ne peut exercer en lien et place d’une ASL les actions qui lui sont réservées », pp. 620-621)
Les statuts de l’ASL ou du syndicat de lotissement peuvent donner au propriétaire lésé le pouvoir d’agir directement en cas de violation desdits statuts par un autre propriétaire. Si, par exemple, il prévoit qu’une construction irrégulière doit être démolie soit à la demande de l’ASL ou du syndicat de lotissement, soit « par toutes voies de droit », cela permet à tout copropriétaire mécontent d’agir, sans même avoir à démontrer qu’il subit un préjudice spécifique (Cass. 3e civ., 14 juin 2000, n° 98-23.087).
Dans le doute, abstiens-toi
Lorsqu’un acheteur veut acquérir un lot dans un syndicat de copropriétaires lui-même situé dans le périmètre d’une ASL, cet acheteur doit donc lire avec attention les statuts de ladite ASL.
Si elle n’évoque pas dans ses statuts la situation des empiétements et des constructions irrégulières, et si elle ne prévoit pas que chaque membre pourra agir contre le contrevenant, seule cette ASL sera alors compétente pour combattre des fautes graves qui peuvent empoisonner la vie des habitants.
Lorsque l’ASL est paralysée, ce qui risque d’être le cas dès que certains membres ont des intérêts contradictoires, il faut obtenir la nomination d’un administrateur provisoire en justice (Christian ATIAS, Le Guide des associations syndicales libres de propriétaires, mis à jour par Jean-Marc ROUX, 8e édition, Edilaix, 2019, point 118 page 100). Un tel processus est long, compliqué, cher et épuisant.
Amis consommateurs, évitez-donc d’acheter un lot dans des ensembles immobiliers à structures en poupées gigognes. Le système des syndicats principaux et secondaires de copropriétaires est largement suffisant pour régler le problème des équipements communs.
Comprenez aussi que si vous n’intervenez pas dans le débat public, vous y laisserez la place aux militants au ton mielleux conduits par des élus locaux. Ces derniers sont souvent les alliés des promoteurs immobiliers adeptes de ces montages imprudents. Bien entendu, il ne saurait être question de critiquer ces élus, mais comme tous les êtres humains, ils peuvent perdre de vue les évidences qui gènent leurs habitudes.
Voilà pourquoi il est si important de s’exprimer en ligne de manière étayée à propos des sujets qui fâchent lorsqu’ils sont abordés par les revues juridiques réputées. Sinon, tout le monde se tait, à part quelques experts peu lus. Les ménages se font alors piéger dans l’indifférence générale.