La notion de perte de chance a été consacrée par la Cour de cassation (cass. civ. 1ère 14 décembre 1965, JCP 1966 II 14753, D 1966 p. 453). Elle s'est imposée en droit médical. En effet elle atténue l'aléa dont était affecté le résultat, dans ce domaine de la responsabilité. La victime a perdu une chance que les choses se passent mieux, en raison d'une faute. La perte de chance va être évaluée et chiffrée sous la forme d'un pourcentage qui représentera le degré de probabilité. Le préjudice lui sera évaluéen fonction de l'état réel de la victime. Ce n'est pas le préjudice final qui est réparé, mais le préjudice spécifique résultant de la perte d'une chance. La victime ne touchera qu'un certain pourcentage de l'indemnisation correspondant au résultat réel.
Le lien de causalité
La perte d'une chance est du domaine de la probabilité. Le juge devant un fait qui parait être la cause du dommage devra rechercher s'il est probable qu'il ait contribué au dommage final.
Encourt la cassation la cour d'appel qui relevant un manque de précaution de la part d'un chirurgien dentiste décide que la faute ainsi commise n'était pas en lien direct avec la récidive de la pathologie, dés lors que si la précaution avait été prise, elle aurait pu avoir une influence favorable sur l'évolution de la pathologie (civ 1ère 22 mars 2012 n° 11-10935 11-11237).
La Cour de cassation a par ailleurs affirmé " seule constitue une perte de chance réparable, la disparition actuelle et certaine d'une éventualité favorable (civ. 1ère 7 juillet 2011 n°10-19766)".
Cet arrêt est dans le droit fil d'un arrêt du 14 octobre 2010 n° 09-69195 qui avait précisé " la perte de chance présente un caractère direct et certain chanque fois qu'est constatée la disparition d'une éventualité favorable, de sorte que ni l'incertitude relative à l'évolution de la pathologie, ni l'indétermination de la cause du syndrome de détresse respiratoire aigüe ayant entrainé le décès n'étaient de nature à faire écarter le lien de causalité entre la fautre commise par le médecin, laquelle avait eu pour effet de retarder la prise en charge de la partiente et la perte d'une chance de survie pour cette dernière, la cour d'appel a violé le texte susvisé (article L 1142-1, I du Code de la santé publique).
La faute du personnel médical suffit, il s'agit de l'application d'une règle de droit commun suivant laquelle, il est indifférent qu'un responsable soit en concours avec un autre ou avec avec le fait d'un tiers, chacun restant tenu pour le tout vis-à-vis de la victime. Le fait qu'il y ait un degré d'incertitude sur l'origine première du handicap, n'était pas de nature à remettre en cause la certitude du lien de causalité entre chacune des fautes et la perte de chance (Les grands arrêts du droit de la santé, n° 86 89 p. 443 Dalloz ).
La Cour de cassation a ainsi jugé (civ. 1ère 28 janvier 2010 pourvoi n° 08-20755 et 08-21692), que tous les comportements qui ont retardé le diagnostic de souffrance foetale ont contribué directement au préjudice subi par les consorts B du fait du handicap de leur enfant en ce qu'ils ont fait obstacle à la mise en place de mesure adaptées pour empêcher ou limiter les conséquences de l'hypoxie à l'origine des déficits et qu'il en est de même des fautes commises lors de l'accouchements qui ont contribué à prolonger la souffrance foetale ou à différer les manoeuvres utiles de réanimation, a à juste titre déclaré M. X..., M. Y... et le CMCM dont les fautes avaient au moins pour partie, été à l'origine du dommage, responsables in solidum de la perte de chance subi par A... de voir limiter son infirmité cérébrale, peut important que l'origine première du handicap soit affectée d'un degré d'incertitude".
Par un arrêt du 14 octobre 2010, la Cour de cassation a admis le pourvoi dirigé contre un arrêt d'une cour d'appel qui avait décidé que la cause syndrome respiratoire à l'origine du décès d'une patiente n'ayant pu être déterminée, il n'était pas établi que la faute du médecin qui la soignait eût fait perdre à sa patiente une chance de survie.
La Cour de cassation retient que ni l'incertitude relative à l'évolution de la pathologie, ni l'indétermination de la cause du syndrome de détresse respiratoire aigüe ayant entraîné le décès n'étaient de nature à faire écarter le lien de causalité entre la faute commise par le médecin, laquelle avait eu pour effet de retarder la prise en charge de sa patiente, et la perte d'une chance de survie (civ. 1ère 14 octobre 2010 n° 09-69195).
Il a été relevé dans le rapport annuel de la Cour de cassation que l'arrêt ne pouvait qu'être censuré, dans la mesure où les raisons données par les juges du fond pour ne pas retenir le lien de causalité, lesquelles auraient été pertinentes si la réparation de l'entier dommage avait été demandée, ne l'étaient plus au regard d'une simple perte de chance. Il est considéré que la perte de chance, préjudice autonome, intervient toujours dans une situation d'incertitude relative.
En revanche, s'il n'y a pas de lien de causalité entre les fautes retenues et le dommage, l'indemnisation ne peut être fondée sur la perte d'une chance.
Ainsi, il était reproché à une cour d'appel d'avoir débouté les parents d'une fillette dont la méningite avait été diagnostiquée après l'apparition des premiers signes méningés, ce qui avait provoqué l'apparition d'une surdité définitive, de leur demande en réparation de ce préjudice. La Cour de cassation a jugé que les premiers examens pratiqués a l'hôpital, ne permettant pas de poser ce diagnostic avant l'apparition des premiers signes d'atteinte méningée - et un traitement de prévention par antibiotique ne pouvant être entrepris avant sans risque pour la malade - la cour d'appel a pu en déduire qu'il n'y avait pas de lien de causalité entre les fautes retenues et le dommage allégué (civ 1ère 7 juin 1988, Bull. I n° 180 p. 125).
La théorie de la perte de chance suppose qu'il y ait eu une probabilité suffisante pour que les choses se passent mieux.
La théorie de la perte d'une chance modifie l'objet du lien de causalité comme on a pu le faire remarquer (P. Sargos sous civ. 1ère 8 juillet 1997 JCP 1997 n°2291).
La chance perdue doit être réelle et sérieuse et non pas seulement hypothétique. Le préjudice lui doit être certain.
Le préjudice
Le préjudice résultant de la perte d'une chance se distingue d'un préjudice éventuel. C'est un préjudice à part entière, mais c'est un préjudice raccourci à la mesure du lien de causalité probable qui unit le fait générateur de la responsabilité au préjudice final (J. Boré, l'indemnisation pour les chances perdues une forme d'appréciation quantitative de la causalité d'un fait dommageable (JCP G 1974 I 2620).
La Cour de cassation a ainsi, censuré une cour d'appel qui avait déboutée, les parties civiles qui réclamaient des dommages-intérêts sur le fondement des fautes commises par des professionnels de santé, au motif que le décès de leur parent était la conséquence normale et prévisible de son état de santé antérieur, alors que les fautes retenues avaient fait perdre au patient une chance de retarder l'issue fatale que comportaient sa maladie et d'avoir une fin de vie meilleure et moins douloureuse (civ. 1ère 7 juillet 2011 n° 10-1976).
La réparation de la perte d'une chance doit être mesurée à la chance perdue et ne peut être égale à l'avantage qu'aurait procurée cette chance si elle s'était réalisée (civ. 1ère 16 juillet 1998 ; JCP G 98 IV 10143).
Il peut en outre, y avoir une coexistence entre la réparation au titre de la responsabilité sur le fondement de la perte d'une chance et l'indemnisation par l'ONIAM au titre de la solidarité nationale, si une partie du préjudice est due à un accident médical non fautif.
Le juge va devoir évaluer quelle aurait été la situation de la victime si la chance s'était réalisée. Il est procédé à une double évaluation celle du préjudice final, puis celle du degré de probabilité de la réalisation de la chance.
La Cour de cassation affirme "que la réparation du dommage résultant de la perte d'une chance d'obtenir une amélioration de son état ou d'échapper à une infirmité ne présente pas un caractère forfaitaire, mais correspond à une fraction des différents chefs de préjudice que la victime à subi (cass. soc.17 décembre 1998 bull. V 1998 n° 577 p. 429)".
Le préjudice est évalué en fonction de l'état réel de la victime. C'est en cela qu'il y a une réparation intégrale du préjudice. Mais il est évalué à un pourcentage du dommage réel.
Le préjudice peut résulter d'une atteinte aussi bien matérielle, que physique ou morale, se pose donc la question de l'assiette du recours du tiers payeurs depuis la réforme du 31 décembre 2006 qui a disposé que le recours des tiers payeurs s'exercerait poste par poste, il convient de se de demander, comment il exercerait son recours lorsque le préjudice n'est qu'un pourcentage du préjudice réel.
Sur le recours du tiers payeur, il a été décidé par la Cour de cassation que dans le cas d’une limitation du droit à indemnisation de la victime, le droit de préférence de celle-ci sur la dette du tiers responsable a pour conséquence que son préjudice corporel, évalué poste par poste, doit être intégralement réparé pour chacun de ces postes dans la mesure de l’indemnité laissée à la charge du tiers responsable, et que le tiers payeur ne peut exercer son recours, le cas échéant, que sur le reliquat (civ.2ème 24 septembre 2009, n° pourvoi 08-14515)". Cet arrêt ne laisse pas de doute, le recours du tiers payeur est limité par le pourcentage décidé par le juge.
L'action en réparation du préjudice moral du fait d'une perte de chance de survie est trasmise aux héritiers, car elle est née dans le patrimoine de la victime avant son décès (civ 1ère, 13 mars 2007, Resp.civ. et assur. comm. 207). Les victimes par ricochet peuvent demander réparation de leur préjudice.