La prise d'acte de la rupture du contrat de travail

Publié le Vu 4 620 fois 0
Légavox

9 rue Léopold Sédar Senghor

14460 Colombelles

02.61.53.08.01

La prise d'acte de la rupture du contrat de travail

Le contrat de travail peut être rompu de diverses façons : licenciement, démission, départ (ou mise) en retraite, et plus récemment rupture conventionnelle sont autant de modes de rupture du contrat prévus et organisés par le Code du travail (outre les éventuelles dispositions résultant de telle ou telle convention ou accord collectif).


La prise d'acte est une illustration particulière du "droit de résiliation unilatérale" énoncé par l'article L1231-1 (ex L122-4) du Code du travail:


"Le contrat de travail à durée indéterminée peut être rompu à l'initiative de l'employeur ou du salarié dans les conditions prévues par les dispositions du présent titre. Ces dispositions ne sont pas applicables pendant la période d'essai".


Sauf que "les dispositions du présent titre" ne vous diront rien sur la prise d'acte, et inutile de chercher un article providentiel à son sujet, vous n'en trouverez pas, et pour cause: le Code du travail ne connaît pas la prise d'acte (les seules références figurent en réalité dans les notes et références ajoutées par les éditeurs de votre Code préféré).


La raison est simple: la prise d'acte ne résulte d'aucune disposition législative ou réglementaire. On ajoutera "particulière". En effet, la mystérieuse prise d'acte n'est pas un "O.V.N.I" (ou plutôt un O.J.N.I - Objet Juridique Non Identifié - pour paraphraser je ne sais pas lequel de mes professeurs de droit). Elle s'appuie tant sur l'article L1231-1 précité que sur l'article 1184 du Code civil (oui oui, du Code civil ).


Entrons dans le vif du sujet et commençons par une définition: la prise d'acte peut être définie comme la rupture du contrat à l'initiative de l'une des partie lorsque celle-ci considère que le maintien du contrat de travail est rendu impossible en raison du comportement de l'autre et lui en impute la responsabilité.


Cette définition serait incomplète si l'on ne précisait pas que la prise d'acte suppose la saisine du juge (le Conseil de Prud'hommes puisque nous parlons de droit du contrat de travail) afin que ce dernier "tranche".


En pratique, c'est le salarié, se plaignant d'une mauvaise exécution par l'employeur de ses obligations qui prendra l'initiative de la rupture "aux torts exclusifs de l'employeur". En effet, si c'est l'employeur qui "prend acte", il s'agira alors d'un licenciement: la Cour de cassation estime en effet que "l'employeur qui prend l'initiative de rompre le contrat de travail ou qui le considère comme rompu du fait du salarié doit mettre en oeuvre la procédure de licenciement; à défaut, la rupture s'analyse en un licenciement sans cause réelle et sérieuse".


Revenons en donc à la seule véritable configuration de la prise d'acte, celle où le salarié se plaint de son employeur et:

 

lui notifie la cessation immédiate du contrat de travail; va saisir le Conseil de Prud'homme territorialement compétent (c'est mieux).


Comment notifier la rupture? Là où la théorie répondra "de préférence par écrit", la pratique rétorquera "absolument par écrit" (LRAR ou remise en main propre contrat décharge) et conseillera d'exposer clairement ce qui est reproché à l'employeur.


Que reprocher à l'employeur? La Cour de cassation, dans un arrêt du 30 mars 2010 (n° 08-44236) , répond en ces termes:


"Un manquement suffisamment grave de l'employeur qui empêche la poursuite du contrat de travail"


Plus concrètement, il s'agira (exemples non exhaustifs):

 

d'un non paiement de salaires (ou bien paiement partiel et/ou tardif), de conditions de travail dégradées, d'une modification du contrat de travail intervenue sans l'accord du salarié...

 

Que se passe-t-il selon que le manquement (le pluriel est évidemment possible!) est, ou non, suffisamment grave? C'est là toute la particularité, et les risques, de la prise d'acte. La réponse tient dans un attendu (une expression) désormais classique de la Cour de cassation:


"lorsqu'un salarié démissionne en raison de faits qu'il reproche à son employeur, cette rupture constitue une prise d'acte et produit les effets soit d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse si les faits invoqués la justifiaient, soit dans le cas contraire, d'une démission"


Le point central de la prise d'acte est donc que le salarié prouve la réalité et la gravité des faitsreprochés à l'employeur. Et c'est le juge (et lui seul) qui appréciera, en fonction des éléments de preuve des uns et des autres, si effectivement le salarié pouvait légitimement rompre le contrat aux torts de l'employeur.


Si l'initiative du salarié est légitime, alors la prise d'acte produit les effets d'un licenciement et le salarié peut prétendre au paiement d'une indemnité de licenciement (sous réserve de remplir les conditions d'ancienneté), d'une indemnité compensatrice de préavis, d'une indemnité compensatrice de congés payés, de l'allocation de dommages-intérêts pour licenciement abusif/sans cause réelle et sérieuse. En revanche aucune indemnité pour non respect de la procédure de licenciement (Cass. soc. 4 avril 2007 n° 05-42.847 , solution au demeurant logique dans la mesure où il semble difficile de reprocher à un employeur de ne pas avoir respecté les règles d'une procédure qu'il n'a pas engagée!)


Si en revanche les manquements ne sont pas jugés suffisamment graves pour légitimer l'initiative du salarié, alors la prise d'acte produit les effets d'une démission: le salarié ne percevra aucune indemnisation au titre de la rupture.



Et la prise en charge par l'assurance chômage au jour de la rupture? C'est là l'autre risque de la prise d'acte. En effet, pour prétendre au bénéfice de l'assurance chômage dès la rupture, le salarié doit notamment avoir été "involontairement privé d'emploi" (art. 1 du Règlement général annexé à la Convention du 19 février 2009 ), et c'est l'Accord d'application n° 14 du 19 février 2009 qui expose les cas de démission considérés comme légitimes. Parmi ceux-ci, deux hypothèses intéressent la prise d'acte:

 

La démission intervenue pour cause de non-paiement des salaires pour des périodes de travail effectuées, à condition que l'intéressé justifie d'une ordonnance de référé lui allouant une provision de sommes correspondant à des arriérés de salaires. La démission intervenue à la suite d'un acte susceptible d'être délictueux dont le salarié déclare avoir été victime à l'occasion de l'exécution de son contrat de travail et pour lequel il justifie avoir déposé une plainte auprès du procureur de la République.


Le premier cas s'appliquera donc à la prise d'acte motivée par le fait que le salarié n'a pas perçu l'intégralité des sommes qui lui sont dues à titre de salaire A CONDITION que le Conseil de Prud'hommes l'ai constaté en référé. Le second cas s'appliquera par exemple à l'hypothèse de faits de harcèlement moral A CONDITION qu'une plainte ait été déposée.



A défaut de pouvoir se prévaloir de l'un des cas énoncés par l'Accord n°14, le salarié qui n'aura pas retrouvé d'emploi dans l'intervalle ne pourra espérer être pris en charge par l'assurance chômage qu'après examen de son dossier par une commission, 4 mois après son inscription sur la liste des demandeurs d'emploi.




Pour conclure, la prise d'acte présente l'intérêt de donner au salarié la maîtrise de la rupture de son contrat de travail. A la différence de la démission, elle n'astreint pas le salarié au respect d'un préavis (ce qui est appréciable s'il a déjà une proposition d'embauche). Elle permet également de préserver ses droits davantage qu'une simple démission. Elle présente toutefois des risques d'autant plus importants lorsqu'elle n'aura pas été correctement préparée.

Vous avez une question ?

Posez gratuitement toutes vos questions sur notre forum juridique. Nos bénévoles vous répondent directement en ligne.

Publier un commentaire
Votre commentaire :
Inscription express :

Le présent formulaire d’inscription vous permet de vous inscrire sur le site. La base légale de ce traitement est l’exécution d’une relation contractuelle (article 6.1.b du RGPD). Les destinataires des données sont le responsable de traitement, le service client et le service technique en charge de l’administration du service, le sous-traitant Scalingo gérant le serveur web, ainsi que toute personne légalement autorisée. Le formulaire d’inscription est hébergé sur un serveur hébergé par Scalingo, basé en France et offrant des clauses de protection conformes au RGPD. Les données collectées sont conservées jusqu’à ce que l’Internaute en sollicite la suppression, étant entendu que vous pouvez demander la suppression de vos données et retirer votre consentement à tout moment. Vous disposez également d’un droit d’accès, de rectification ou de limitation du traitement relatif à vos données à caractère personnel, ainsi que d’un droit à la portabilité de vos données. Vous pouvez exercer ces droits auprès du délégué à la protection des données de LÉGAVOX qui exerce au siège social de LÉGAVOX et est joignable à l’adresse mail suivante : donneespersonnelles@legavox.fr. Le responsable de traitement est la société LÉGAVOX, sis 9 rue Léopold Sédar Senghor, joignable à l’adresse mail : responsabledetraitement@legavox.fr. Vous avez également le droit d’introduire une réclamation auprès d’une autorité de contrôle.

A propos de l'auteur
Blog de Me Nicolas BEZIAU

Avocat au Barreau de Nantes, j'exerce une activité judiciaire, principalement orientée vers: - le droit du travail - le droit pénal - le droit des personnes et des biens

Types de publications
Dates de publications
Retrouvez-nous sur les réseaux sociaux et sur nos applications mobiles