L’INDEPENDANCE DES AVOCATS NE SE DECRETE PAS (7)

Publié le Modifié le 04/02/2019 Vu 533 fois 0
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On ne se décrète pas indépendant. C’est à l’avocat de se vouloir indépendant et de s’en donner les moyens intellectuels comme matériels.

On ne se décrète pas indépendant. C’est à l’avocat de se vouloir indépendant et de s’en donner les

L’INDEPENDANCE DES AVOCATS NE SE DECRETE PAS (7)

On ne se décrète pas indépendant. C’est à l’avocat de se vouloir indépendant et de s’en donner les moyens intellectuels comme matériels. Les ordres, comme tiers de confiance, comme régulateurs de la profession, bien que cette notion ait été gravement écornée par l’arrêt du Conseil d'Etat du 29 janvier 2018 commenté sur ce blog (réduction des pouvoirs normatifs du C.N.B.), doivent donner l’exemple. Les bâtonniers doivent manifester, en toutes circonstances, leur indépendance à l’égard de leurs confrères, des magistrats, des autorités publiques et de leurs egos. Le chemin est long et difficile. On sait qu’à tout moment on peut chuter. Ainsi, le Marché peut transformer les avocats en de simples marchands de droit, prestataires de services. Pour beaucoup, le droit n’est plus qu’une marchandise. La noblesse de Robe avait bâti sa légitimité sociale en déniant le poids du marché.

 

Toutefois, cette inquiétude est intemporelle. Fernand PAYEN, ancien bâtonnier de Paris, en 1926, dans son traité de déontologie, s’inquiétait de l’accroissement continu des effectifs et indiquait « la tentation est grande pour la profession d’élargir son champ d’activités, elle risque alors de perdre son âme ».

 

L’avocat peut donc être tenté d’abandonner toute indépendance pour le profit. En même temps, l’indépendance de l’avocat et des ordres est fragile face aux pouvoirs publics. En 1941, contre l’instauration du numerus clausus et l’exclusion programmée de centaines d’avocats juifs exerçant leur profession dans les barreaux français, qu’il s’agisse de celui de Paris ou de ceux de province, les Ordres « indépendants » n’ont émis aucune contestation publique. Eux, si prompts aux motions et aux pétitions, voire aux grèves, sont restés taisants. Les lois anti-juives, anti-étrangers ont été appliquées avec sévérité par les ordres. Il faut rappeler qu’en 1938, Xavier VALLAT avait été élu membre du conseil de l’ordre de Paris. Lors de son procès après la guerre (élément rappelé par LIORIA ISRAEL : « Robes Noires, années sombres. Avocats et magistrats en résistance pendant la seconde mondiale » Fayard Editions), il a indiqué avoir imaginé et proposé le principe du numerus clausus. Il n’avait été critiqué par aucun membre du conseil de l’ordre. En 1942, Xavier VALLAT a quitté le conseil de l’ordre pour prendre la direction de la Légion puis celle du commissariat aux questions juives.

 

Les « jeunes avocats », notamment à PARIS, n’ont pas été en reste. Le « Jeune Barreau Français » avait adressé au conseil de l’ordre le 28 aout 1940 une résolution par laquelle ils attiraient « respectueusement l’attention du conseil de l’ordre sur la nécessité, chaque jour plus impérieuse, de chasser les indésirables juifs et maçons afin de redonner aux avocats le prestige d’honneur et d’honnêteté qui a été le leur durant des siècles ».

 

Certains ordres de province n’ont pas eu une attitude différente. Dans le même ouvrage, il est cité la réaction du conseil de l’ordre de Marseille qui, lors de la séance du 30 décembre 1940, donnait lecture de deux lettres d’avocats juifs contestant l’application qui leur était faite de la loi du 10 septembre 1940 sur les avocats « fils d’étrangers ». On note, dans l’ouvrage, le zèle constant du conseil de l’ordre marseillais à l’encontre des avocats juifs (refus de réinscrire Armand VIDAL-NAQUET, ancien membre du Barreau de Marseille, devenu avoué, et ce « jusqu’à ce que les conditions d’admission de israélites au barreau soient prévues et réglées par le règlement d’administration publique annoncé » soient publiées). Les autorités ordinales marseillaises ont également veillé à ce que les confrères, repliés dans la zone libre, ne réinstallent pas de cabinets à Marseille et particulièrement les avocats juifs. Lors d’une affaire où un avocat juif, célèbre, appartenant au Barreau Parisien avant guerre, allait plaider, c’est le bâtonnier de Marseille qui a demandé et obtenu du président de la chambre qu’il renvoie l’affaire pour empêcher cette plaidoirie. Le conseil de l’ordre de Marseille a refusé durant l’année 1942 l’inscription temporaire de plusieurs avocats juifs. Il est intéressant de noter que la Cour d'Appel d’AIX EN PROVENCE, le 23 juillet 1942, a cassé ces refus d’inscription temporaires et a prononcé l’inscription d’office de 4 avocats. Le conseil de l’ordre de Marseille a refusé de s’incliner. Il a décidé qu’il serait envoyé une lettre recommandée à tous les avocats admis à titre temporaire pour leur demander de venir apporter au bâtonnier la justification de leur activité professionnelle. Puis, constatant que trois lettres recommandées adressées à trois avocats juifs avaient été retournées à l’ordre par le service postal, le conseil de l’ordre décida de les omettre immédiatement durant sa séance du 15 février 1943. En 1944 (17 janvier), le conseil de l’ordre a rédigé le tableau pour l’année judiciaire 43-44 et a préconisé l’omission de 4 avocats juifs, avocats admis à titre temporaire en conformité à la loi du 31 octobre 1941, au prétexte qu’ils « n’ont jamais exercé la moindre activité professionnelle et ont même disparu de Marseille ».

 

LIORIA ISRAEL indique que « l’acharnement du conseil de l’ordre de Marseille à exclure les avocats juifs est sans équivalent dans les autres barreaux de la zone Sud étudiés … » (voir page 109 de son ouvrage).

 

Tout le monde a relevé la docilité des avocats. Cette docilité était notamment expliquée par les excellentes relations entre certains bâtonniers, certains membres de conseils de l’ordre et le régime de PETAIN. Certains n’hésitent pas à dire que les lois excluant les avocats maçons, juifs, étrangers, … étaient suggérées voire imposées par certains avocats.

 

Au même moment, en Belgique, le conseil de l’Ordre des avocats du barreau de Bruxelles décidait de ne plus publier le tableau des avocats afin d’éluder l’application de l’ordonnance allemande décidant la radiation des confrères juifs. A Anvers, les 5 avocats recensés comme juifs sont restés inscrits au tableau de l’ordre par délibération du conseil de l’Ordre (Robert Badinter : Un antisémitisme ordinaire (Fayard 1997) et Liora Israël : Robes noires, années sombres (Fayard 2005)).

 

Après la seconde guerre mondiale, ce seront les mêmes conseils de l’ordre qui décideront de placer l’épuration professionnelle sous la seule responsabilité des formations disciplinaires habituelles de la profession. Cela visait essentiellement les avocats ayant eu des activités professionnelles favorisant les entreprises allemandes ou avaient profité de bonnes relations personnelles avec les autorités d’occupation. Dès la Libération, certains conseils de l’ordre ont procédé à quelques rares omissions ou radiations de certains confrères compromis avec les autorités d’occupation. Ainsi, Pierre LAVAL a été radié du Barreau de Paris dès le mois d’octobre 1944. Mais, l’objectif, la volonté du conseil de l’ordre parisien a été de sanctionner que les avocats irrémédiablement compromis. Quant à Marseille, le bâtonnier répondait à la circulaire concernant l’épuration le 5 février 1945 qu’en dehors « des caractères déterminés », il ne connaissait pas de confrères pouvant tomber sur le coup d’une épuration. Le conseil de l’ordre de Bordeaux adoptait la même position ainsi que d’autres conseils de l’ordre. Finalement, à Paris, 18 avocats auraient été radiés au titre de l’épuration pour des motifs divers. Un des avocats avait été radié pour inassiduité au stage car il était parti (entre le 27 juillet et le 10 novembre 1944) dirigé un camp de travailleurs en Allemagne. Certains avocats radiés au titre de l’épuration furent réintégrés après le vote de lois d’amnistie ayant couvert les infractions d’ordre disciplinaire. (pour une analyse plus complète voir « L’épuration des barreaux français après la seconde guerre mondiale » LIORIA ISRAEL, janvier 2004)

 

Demain, que se passerait-il en de semblables circonstances ? L’indépendance des avocats et des ordres est certes proclamée mais que feraient ordres et avocats de cette indépendance face à l’oppression, face aux injonctions du pouvoir ou d’un occupant ? Personne ne peut le dire. Ceux qui  proclament, la main sur le cœur, que l’indépendance triomphera, pourront être les premiers à se soumettre aux ordres d’un pouvoir dictatorial. Ils se proclament courageux mais le courage, cette « vertu du commencement », selon W. JANKELEVITCH, ne s’apprécie qu’au présent.

 

Michel BENICHOU

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A propos de l'auteur
Blog de Maître Michel BENICHOU

Avocat depuis 1978 :

 

- Ancien Président du conseil des Barreaux d'Europe

- Ancien Bâtonnier du Barreau de Grenoble

- Président fondateur de la Fédération Nationale des Centres de Médiation

- Ancien membre du conseil de l'Ordre des Avocats de Grenoble

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