CONSÉCRATION DE L’AUTONOMIE DE LA SÉCURITÉ SOCIALE DANS LA RÉPARATION DES PRÉJUDICES PERSONNELS

Publié le 06/10/2010 Vu 8 516 fois 0
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LA CONSÉCRATION DE L’AUTONOMIE DU DROIT DE LA SÉCURITÉ SOCIALE DANS LE DOMAINE DE LA RÉPARATION DES PRÉJUDICES PERSONNELS

LA CONSÉCRATION DE L’AUTONOMIE DU DROIT DE LA SÉCURITÉ SOCIALE DANS LE DOMAINE DE LA RÉPARATION DES PRÉ

CONSÉCRATION DE L’AUTONOMIE DE LA SÉCURITÉ SOCIALE DANS LA RÉPARATION DES PRÉJUDICES PERSONNELS

On pouvait s'interroger sur l'incidence des arrêts rendus les 28 mai 2009 et 11 juin 2009 par la Cour de cassation (Cass. Civ. 2ème, pourvoi n°08-16829 bull.civ II, n°131 et Cass.Civ. 2ème n°08-16089, bull.civ II n°154), sur l'indemnisation des préjudices personnels des victimes d'accident du travail et de maladie professionnelle consécutifs à une faute inexcusable de l'employeur.

 

La Cour de cassation vient de prendre position le 8 avril dernier (Cass Civ 2ème, 8 avril 2010, pourvoi 09-14047 et n°09-11634, publiés au bulletin).

 

Après avoir rappelé le principe régissant l’indemnisation des victimes d’accident du travail, nous nous proposons de mettre ces différents arrêts en perspective.

 

1)    L'indemnisation des victimes d'accident du travail et de maladie professionnelle due à une faute inexcusable de leur employeur

Il convient de rappeler que les victimes d’un accident du travail ou d’une maladie professionnelle imputable à leur employeur sont soumis à un régime dérogatoire, puisque conformément aux dispositions de l’article L.451-1 du Code de la sécurité sociale, il leur est interdit d’exercer une action en réparation de leur préjudice conformément au droit commun.

 

Ainsi, seule l’action visant à voir reconnaître la faute inexcusable de leur employeur comme étant à l’origine de leur accident ou maladie, engagée devant la juridiction de sécurité sociale, leur est ouverte, (Article L.452-1 du Code de la sécurité sociale), et la victime d’une faute inexcusable peut solliciter uniquement la réparation des préjudices énumérés par l’article L.452-3 du Code de la sécurité sociale, parmi lesquels figure le préjudice d’agrément :

 

« Indépendamment de la majoration de rente qu’elle reçoit en vertu de l’article précédent, la victime a le droit de demander à l’employeur devant la juridiction de la sécurité sociale la réparation du préjudice causé par les souffrances physiques et morales par elles endurées, de ses préjudices esthétiques et d’agrément ainsi que celle du préjudice résultant de la perte ou de la diminution de ses possibilités de promotion professionnelle (…) ».

 

A de nombreuses reprises, la Cour de cassation a rappelé le caractère limitatif des préjudices indemnisés dans le cadre de la faute inexcusable (notamment Cass.Civ 2ème 11 mars 2003, pourvoi n°00-21626, Cass.Civ 2ème 9 juillet 2009, pourvoi n°08-11804).

 

 

2) Les arrêts des 28 mai et 11 juin 2009

Aux termes de ces arrêts, rendus en droit commun, la Cour de cassation précisait notamment que « (…) la réparation d'un poste de préjudice personnel distinct dénommé préjudice d'agrément vise exclusivement à l'indemnisation du préjudice lié à l'impossibilité pour la victime de pratiquer régulièrement une activité spécifique sportive ou de loisirs », reprenant ainsi la définition du préjudice d’agrément au sens de la nomenclature DINTILHAC.

 

Il fallait éviter d'indemniser deux fois le même préjudice puisque la Cour de Cassation estime que la rente accident du travail indemnise non seulement les pertes de gain de la victime mais aussi le déficit fonctionnel permanent, autrement dit "l'ensemble des troubles ressentis dans les conditions d'existence".

 

Ces décisions, rendues à l'occasion de recours de tiers payeurs, conduisent à élargir l'assiette de ces recours au détriment des victimes qui voient l'indemnisation de leur préjudice personnel réduite d'autant.

Sur la base de ces arrêts, pourtant rédigée au visa du principe de réparation intégrale, certaines juridictions exigeaient, dans le cadre des procédures de faute inexcusable de l'employeur, que les victimes d'un accident du travail ou d'une maladie professionnelle, justifient pour obtenir l'indemnisation leur préjudice d’agrément, de l'existence d'une activité spécifique et considéraient que « les troubles dans les conditions d’existence », ne pouvaient ouvrir droit à indemnisation au titre de ce chef de préjudice (par exemple CA Douai 18 décembre 2009 X C/ Arcelor Mittal, CA Caen 27 décembre 2009, Valéo C/ X, CA Orléans 24 février 2010, X c/CNIM…).

Il faut rappeler qu'en droit commun, telle était la définition du préjudice d'agrément (notamment la Chambre Sociale, Cass.Soc. 9 nov.1976, Bull.Civ.V n°573, 13 décembre 1979, Bull.Civ V n°597, 21 oct.1985, Bull.Civ.V n°478) avant que l’Assemblée plénière ne décide que ce chef de préjudice devait être défini plus largement comme « l’ensemble des troubles ressentis dans les conditions d’existence » (Cour de cassation Assemblée plénière : 19 décembre 2003 : n° 02-14783, publié au bulletin).

 

C'est dans ce contexte que le 8 avril 2010, la Cour de cassation rend deux arrêts importants (Cass Civ 2ème, 8 avril 2010, pourvoi 09-14047 et n°09-11634, publiés au bulletin).

 

3) Les arrêts du 8 avril 2010

 

Dans le premier de ces arrêts (09-14047), la Cour écarte l’application de la définition du préjudice d’agrément adoptée par le rapport DINTILHAC, aux victimes d’une faute inexcusable de leur employeur.

 

La Cour de cassation précise la nature du préjudice d’agrément au sens de l’article L.452-3 du Code de la sécurité sociale : « (…) le préjudice d’agrément est celui qui résulte des troubles ressentis dans les conditions d’existence », pour ensuite en définir largement le périmètre à travers lequel les juges du fond doivent l’examiner in concreto, la Cour prenant le soin de rappeler que ce préjudice ne doit pas être déterminé, « par une disposition générale mais par une analyse des circonstances de la cause ».

 

La Cour de cassation relève ainsi la justesse de l’appréciation de ces « troubles ressentis dans les conditions d’existence » par la cour d’appel, qui s’entendent des séquelles qui « handicapent les activités ludiques, sportives ou occupationnelles auxquelles peut normalement prétendre tout homme de son âge et constituent un handicap, voire un obstacle, aux actes les plus courants de la vie quotidienne, définissant une atteinte constante à la qualité de la vie ».

(Cass Civ 2ème, 8 avril 2010, pourvoi n°09-11634).

 

Pour la victime d’une faute inexcusable, le préjudice d’agrément demeure donc celui qui résulte des troubles ressentis dans les conditions d’existence, conformément à la définition donnée par l’Assemblée Plénière de la Cour de Cassation le 19 décembre 2003 :

« Corrélatif au déficit fonctionnel de la victime et traduisant l’ensemble des troubles dans les conditions d’existence causés après consolidation par le handicap dans les actes essentiels de la vie courante, dans les activités affectives et familiales et dans les activités de loisirs. »

(Cour de cassation Assemblée plénière : 19 décembre 2003 : n° 02-14783, publié au bulletin)

 

 

Dans le deuxième arrêt (09-11634), la Cour de cassation indique, que les troubles ressentis dans les conditions d’existence s’entendent notamment du préjudice sexuel, pour en confirmer la réparation dans le cadre du préjudice d’agrément.

 

Ainsi, la Cour de Cassation fait entrer expressément le préjudice sexuel dans la définition du préjudice d’agrément entendu au sens du droit de la sécurité sociale.

 

Ce faisant, la Haute Cour se démarque nettement de la définition donnée par la nomenclature DINTILHAC. Le préjudice sexuel, en droit commun, est classé hors périmètre du préjudice d’agrément et appréhendé sous trois aspects :

 

- le préjudice morphologique qui est lié à l’atteinte aux organes sexuels primaires et secondaires résultant du dommage subi ;

 

- le préjudice lié à l’acte sexuel lui-même qui repose sur la perte du plaisir lié à l’accomplissement de l’acte sexuel ;

 

- le préjudice lié à une impossibilité ou une difficulté à procréer.

 

En pratique, la victime d’une faute inexcusable qui souhaite obtenir l’indemnisation de son préjudice sexuel, devra formuler cette demande en l’intégrant expressément à son préjudice d’agrément, car à défaut, le caractère limitatif des préjudices énoncés à l’article L 452-3 du Code de la sécurité sociale lui sera opposé.

 

 

En tout état de cause, la deuxième Chambre civile confirme clairement l’autonomie du droit de la sécurité sociale au regard du droit commun. Il existe cependant aujourd'hui deux définitions du préjudice d'agrément, celle applicable dans le cadre de la faute inexcusable et celle de la réparation intégrale. Ces distinctions byzantines confirment une fois de plus qu'il est grand temps de clarifier et d'unifier la définition des postes de la réparation du préjudice corporel. Le Législateur doit enfin prendre ses responsabilités !

 

Emmanuelle DEMAZIERE

Frédéric QUINQUIS

Avocats à la Cour

MICHEL LEDOUX ET ASSOCIES

 

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