Vendredi dernier, le maire UMP de Franconville, Francis Delattre, diffuse un communiqué intitulé "Sous le maillot rose du candidat Ali Soumaré, tête de liste dans le Val-d'Oise du PS, un délinquant multirécidiviste chevronné". Dans ce texte, il reproche au socialiste cinq infractions, condamnations et procédures en cours et demande au PS de retirer sa candidature "outrageante pour la démocratie".
Francis Delattre invoque plusieurs condamnations :
- En 1999, six mois de prison pour vol avec violences
- En 2007, 80h de travail d'intérêt général pour un autre vol avec violences et usage d'une carte de paiement contrefaite.
- En 2009, deux mois fermes pour rébellion
- Enfin, le 16 février 2010, une ordonnance pénale l'a condamné pour conduite malgré annulation du permis.
Plusieurs questions se posent :
1. Comment le maire de Franconville a-t-il eu accès à ces informations ?
Rappelons que le casier judiciaire est régi par les articles 768 et suivants du code de procédure pénale (CPP).
C'est un fichier tenu à Nantes, sous la direction d'un procureur de la République.
Toute condamnation pour crime, délit ou contravention de la cinquième classe (les plus graves) y figurent, ainsi que celles pour des contraventions des quatre premières classes si elles sont assorties d'une mesure d'interdiction, de déchéance ou d'incapacité (ex : une suspension de permis).
Cette fiche peut être communiquée sous forme de relevés, qu'on appelle bulletins.
Le bulletin n°1, ou « B1 », est le relevé intégral.
Il ne peut être communiqué qu'aux autorités judiciaires : juges et parquets.
Il figure dans tout dossier venant pour être jugé, et c'est la première pièce que regarde l'avocat, car il va considérablement encadrer les débats.
Toute personne peut demander à consulter son B1, en adressant une demande écrite au procureur de la République de son tribunal de grande instance (art.777-2 du CPP).
Vous recevrez quelques semaines plus tard une convocation pour le consulter au tribunal, vous pourrez le lire, en recopier les mentions mais en aucun cas en emporter copie.
Le bulletin n°2 (ou « B2 ») est une version expurgée mais assez complète du B1.
Ont été ôtées essentiellement les condamnations à des mesures éducatives quand l'intéressé était mineur (pas des peines), les condamnations avec sursis réputées non avenues (elles restent au B1), les peines pour lesquelles le tribunal a ordonné l'exclusion du B2, et les contraventions.
Le B2 est délivré aux autorités figurant aux articles 776 et R.79 du CPP.
Il s'agit essentiellement de permettre à l'administration de s'assurer de la probité d'un candidat à un poste.
Enfin, le bulletin n°3 (ou « B3 ») est une version très expurgée, qui est délivré à la demande du seul intéressé.
Le B3 ne contient que les peines de prison ferme supérieures à deux ans sans sursis, et les interdictions dont vous faites l'objet (article 777 du CPP).
C'est ce bulletin que vous demandera un éventuel employeur, mais c'est à vous de le commander. Cette demande peut être faite sur internet, ou par courrier, mais uniquement par l'intéressé lui-même.
Sinon, c'est un délit puni de 7500 euros d'amende (art. 781 du CPP).
Ces dispositions étant rappelées, si Francis Delattre s'est effectivement procuré un extrait de casier judiciaire de M. Soumaré, il a commis un délit.
Soit de délivrance indue de casier judiciaire (781 du cpp), soit, si une personne y ayant accès le lui a remis, un recel de vol ou de violation du secret professionnel.
Une autre hypothèse est possible puisqu'il existe un autre moyen d'avoir accès aux condamnations pénales, tout à fait légal celui-ci.
En effet, les jugements pénaux sont publics, et délivrés gratuitement à qui en fait la demande : (art. R. 156 du CPP). C'est une application du principe de publicité des débats.
En théorie, Francis Delattre a donc pu de demander au greffe de la juridiction ayant prononcé le jugement une copie de ce jugement en précisant le nom du prévenu et la date du jugement.
Reste à savoir de quelle manière il a eu accès à ces informations.
2. Quid de la qualification de « délinquant multi-récidiviste » appliquée à M. Soumaré ?
La récidive suppose la réitération d'une même infraction ou d'une infraction que la loi assimile à la première (par exemple, le vol, l'extorsion, le chantage, l'escroquerie et l'abus de confiance sont ainsi considérées comme étant une seule et même infraction au regard de la récidive, art. 132-16 du code pénal).
La multi-récidive suppose donc à tout le moins deux condamnations en récidive.
En l'espèce, il est fait état de 2 condamnations pour des mêmes faits (vol avec violence).
Donc au pire, M. Soumaré serait récidiviste, mais en aucun cas multi-récidiviste.
La question se pose même de savoir s'il y a récidive simple ?
S'agissant d'un délit puni de cinq ans de prison (vol aggravé par une circonstance), nous sommes dans le cas de la récidive spéciale et temporaire (art. 132-10 du Code pénal).
Il faut pour qu'il y ait récidive que moins de cinq ans séparent la commission des nouveaux faits et l'expiration de la première peine.
Or ici, les informations relayées par la presse indiquent que les faits pour lesquels M. Soumaré a été condamné en 2007 ont été commis en 2004, alors que la première condamnation datait de 1999.
Aucune information n'est communiquée sur la date des premiers faits.
On est donc à la limite de la récidive.
Il semble également utile de préciser que la peine prononcée en 2007 (prison avec sursis et assorti de l'obligation d'accomplir un travail d'intérêt général, 80 H en l'espèce) semble particulièrement clémente si le tribunal a eu à juger une affaire de vol avec violences en récidive.
Ali Soumaré est donc probablement un délinquant simple, comme plusieurs autres hommes politiques.
Seule une peine d'inéligibilité lui interdirait de se présenter aux scrutins.