En l’espèce, le propriétaire d’une parcelle de terrain, d’une part, et une discothèque, d’autre part, sont liés par un bail commercial. Quelque temps plus tard, le bailleur refuse le renouvellement du bail et donne congé au preneur. Une expertise est ordonnée en vue de déterminer le montant de l’indemnité d’éviction. Prévue à l’article L. 145-14 du code de commerce, celle-ci est due au preneur par le bailleur lorsque celui-ci décide de ne pas renouveler le bail commercial. Elle vise à indemniser le preneur du préjudice que lui cause nécessairement le défaut de renouvellement.
Alors que l’expertise est en cours, un incendie survient et l’immeuble loué est totalement détruit. Le bailleur assigne alors le preneur en constatation de la résiliation du bail sur le fondement des dispositions de l’article 1722 du code civil qui dispose que, « si, pendant la durée du bail, la chose louée est détruite en totalité par cas fortuit, le bail est résilié de plein droit ; si elle n’est détruite qu’en partie, le preneur peut, suivant les circonstances, demander ou une diminution du prix, ou la résiliation même du bail. Dans l’un et l’autre cas, il n’y a aucun dédommagement ». Or, le preneur demande le versement d’une indemnité d’éviction. Quel est le sort de l’indemnité d’éviction en cas de destruction totale de la chose louée survenue après la notification du non-renouvellement du bail ?
La Cour de cassation retient qu’en application de l’article 1722 du code civil, la destruction totale du bien loué entraîne « la résiliation de plein droit du bail ». Elle prive le preneur d’un droit au paiement de l’indemnité d’éviction dès lors que cette indemnité « ne lui était pas définitivement acquise au jour du sinistre et n’était pas entrée dans son patrimoine ». Par conséquent, le preneur ne pourra obtenir aucune réparation du préjudice subi du fait de la destruction de la chose louée, la résiliation intervenant sans dédommagement. Il s’agit d’un effet attaché à la survenance d’un cas de force majeure. En ce sens, l’article 1148 du code civil énonce qu’« il n’y a lieu à aucuns dommages et intérêts lorsque, par suite d’une force majeure ou d’un cas fortuit, le débiteur a été empêché de donner ou de faire ce à quoi il était obligé […] ». La résiliation du bail étant de plein droit, elle intervient dès la destruction de la chose et aucun loyer n’est en conséquence dû après cette date.
La Cour de cassation relève que le preneur ne pouvait prétendre au versement de l’indemnité d’éviction qui ne lui était pas définitivement acquise au jour du sinistre. A contrario, il semblerait que le bailleur demeure tenu au règlement de ladite indemnité même en cas de destruction totale de la chose louée si cette indemnité se trouvait définitivement acquise au preneur au jour du sinistre. Tel serait le cas, par exemple, en présence d’un accord des parties sur le montant de cette indemnité et de l’engagement du bailleur à la régler, ce qui se serait produit en l’espèce si l’expertise en cours avait été achevée et le montant de l’indemnité déterminé.
À titre subsidiaire, notons que cet arrêt se prononce également sur la conformité de l’article 1722 du code civil aux textes européens relatifs au droit de propriété : l’article 1er du premier protocole additionnel de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales et l’article 17 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne. La Cour de cassation réaffirme la conformité de l’article 1722 du code civil à ces textes. Elle rappelle sa position déjà affirmée dans un arrêt de la troisième chambre civile du 4 janvier 2011 par lequel elle avait refusé de transmettre au Conseil constitutionnel la question de la constitutionnalité de l’article 1722 du code civil au regard du principe constitutionnel du respect de la propriété privée garanti par les articles 2 et 17 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789.
La Cour retient que l’exclusion de tout dédommagement lorsque le bail est résilié de plein droit par suite de la disparition fortuite de la chose louée n’est que la conséquence nécessaire de la disparition de l’objet même de la convention que les parties avaient conclue. Les dispositions de l’article 1722 du code civil poursuivraient ainsi un objectif d’intérêt général en assurant, en cas d’anéantissement de relations contractuelles dû à une cause étrangère, un équilibre entre les intérêts respectifs des parties.
Nicolas Guerrero
Avocat à la Cour