Le Calcio se distingue : vite, vite un juriste

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Le Calcio se distingue : vite, vite un juriste

Le Calcio se distingue : vite, vite, un juriste !

 

Tandis que le football européen n'a de cesse de proclamer la toute-puissance du championnat anglais, le Calcio italien tente de se faire remarquer et de retrouver une certaine grandeur, en prenant des mesures disciplinaires pour le moins originales.

En l'espace de deux mois, la Fédération italienne de football a pris des mesures disciplinaires étonnantes, certaines pouvant être moralement approuvées, d'autres soulevant de nombreuses questions, tant juridiques que morales.

Deux cas semblent à même de retenir l'attention des juristes du sport : la suspension temporaire d'un match de football du fait de champs racistes émanant des tribunes (I), et la suspension disciplinaire d'un joueur de football pour « blasphème » (II).

I) Une mesure de police administrative honorable mais insuffisante

Lors de la rencontre du 17 octobre dernier entre l'équipe de Cagliari et l'Inter de Milan, Samuel Eto'o a été copieusement sifflé et insulté par les supporters de l'équipe accueillante. Ces derniers ont notamment proférés à son encontre des champs et des slogans racistes. L'arbitre de la rencontre, M. Tagliavento, a alors décidé d'interrompre la rencontre au bout de 3 minutes de jeu, et a demandé à ce qu'un appel soit lancé par les dirigeants du club de Cagliari à stopper ces pratiques. Le match était donc suspendu jusqu'à l'arrêt – provisoire – des champs racistes. Le match repris pour finalement ne plus s'interrompre, laissant la place à Samuel Eto'o de répondre parfaitement aux supporters de Cagliari, en inscrivant le seul but du match, marquant la victoire des siens.

Ce type de mesures adopté par la Fédération italienne n'est pas nouveau, puisque les règlements fédéraux prévoient cette possibilité depuis maintenant deux ans. Néanmoins, on constatera que c'est la première application de ces dispositions réglementaires par un arbitre fédéral au cours d'une rencontre de championnat italien.

En conséquence, deux questions peuvent être soulevées du fait des évènements de ce match :

  • la suspension de la rencontre exonère-t-elle le club de Cagliari de sa responsabilité du fait des supporters, qui permet de condamner le club à diverses sanctions (financières, sportives, administratives) ?

  • en cas de répétition des champs et slogans racistes, l'arbitre est-il limité à des suspensions temporaires et répétées du match, ou peut-il décider d'arrêter définitivement la rencontre ?

Les règlements de la Fédération italienne de football ne sauraient remettre en question une responsabilité du fait des supporters dont le club de Cagliari doit nécessairement répondre devant la Commission de la Garantie de la Justice Sportive, organe de la FIGC. La mesure de police administrative décidée par l'arbitre au cours de la rencontre, est une décision qui n'exonère en aucun cas le club de Cagliari de sanctions financières, voire d'autres sanctions (huit-clos, perte de points, déclassement etc...).

Toutefois, si la mesure revêt incontestablement un caractère honorable, il faut pourtant remarquer qu'elle risque de tendre à une baisse générale des sanctions fédérales à l'égard des clubs fautifs. En effet, à moins que la Fédération ne saisisse automatiquement, c'est à dire à chaque incident de ce type, la Commission de Garantie de la Justice Sportive, l'on risque fortement de se retrouver dans des situations de banalisation de ces problèmes, les cas qui seront amenés devant la Commission ne revêtant alors qu'un caractère amoindri du fait de la mesure d'accalmie prononcée par l'arbitre au cours de la rencontre. Face à ce risque juridique de banalisation des sanctions, il est toutefois incontestable que la mesure prévue par les règlements fédéraux italiens revêt un caractère honorable et moralement indispensable.

Dans le cas présent, si la mesure a présenté un aspect pour le moins efficace, puisque les champs ont cessé, il est néanmoins cohérent de se demander ce qu'il adviendrait d'une rencontre de football où les champs et slogans racistes perdureraient tout au long du match ?

Les règlements fédéraux italiens prévoyant la suspension temporaire de la rencontre pour slogans racistes sont peu explicites. Toutefois, leur interprétation ne laisse aucune place à la possibilité d'un arrêt définitif de la rencontre. En d'autres termes, mais espérons que le cas ne se révèle pas, il serait possible d'assister à un match de plus de 90 minutes de temps de jeu réglementaire, puisque l'arbitre serait contraint de reprendre le match à chaque arrêt temporaire des champs racistes. La mesure de police, pour être efficace, mériterait donc plus de latitude. Les pouvoir accordés aux arbitres fédéraux devraient être étendus, de sorte qu'aucune déviance dans l'organisation des compétitions ne puisse être tolérée.

A la suite des incidents du match Cagliari-Inter Milan, le président de la FIGC, M. Giancarlo Abete, a toutefois affirmé sa volonté d'adopter prochainement des mesures réglementaires visant à permettre à l'arbitre de stopper définitivement la rencontre. Vite, vite ...

II) Une mesure disciplinaire infondée et démagogique

La Sampdoria de Gênes a fait appel de la suspension pour « blasphème » de son attaquant Nicola Pozzi, suspendu pour avoir à la fin du match Cesena – Sampdoria du 31 octobre dernier, proféré une « expression blasphématoire », en l'occurrence « Porco Dio », ce qui signifie « cochon de Dieu ». La Sampdoria fait notamment part dans son appel, outre de l'illégalité de la sanction, du manquement à l'égalité de traitement dont est victime Pozzi, puisque lors de la même journée de championnat, un défenseur de Palerme aurait proféré le même blasphème publiquement, et ne serait pas visé par une quelconque suspension.

L'originalité de la sanction disciplinaire a de quoi rendre fou les juristes. En quoi une fédération délégataire, qui revêt juridiquement le statut d'une association, peut-elle sanctionner disciplinairement un joueur selon un règlement fédéral, d'une infraction blasphématoire, absente de ces mêmes règlements fédéraux, n'existant que dans le Code pénal italien, et qui relèverait donc de la juridiction pénale d'Etat ?

La question ci dessus posée, élude de surcroît la question de la séparation de l'Église et de l'Etat italien, tout deux pleinement indépendant l'un de l'autre depuis les accords de Rome du 16 février 1984 entre l'Italie et le Saint Siège. Mais cet aspect de la question mériterait à lui seul tout un commentaire...

En effet, comment comprendre une telle confusion des pouvoirs, et le prononcé d'une sanction sportive, pour des motifs religieux, à l'encontre d'un joueur en dehors du cadre de la compétition ? De plus, les règlements de la Fédération italienne de football ne prévoit aucunement l'infraction de « blasphème ». Enfin, comment expliquer qu'une infraction religieuse puisse être reconnue par une instance juridique d'une fédération sportive, qui est limitée au droit émi par la Fédération et ne peut aucunement connaître des infractions relevant de la juridiction étatique ?

L'article 724 du Code pénal italien dispose que « toute personne qui, en public, blasphème, par des invectives ou des injures, la Divinité, est punie d'une sanction administrative pécuniaire ». En l'occurence, il apparaît clairement que les instances de la Fédération ne sont aucunement compétentes pour sanctionner un sportif d'une infraction d'Etat. Toute l'infraction de blasphème repose essentiellement sur le caractère public de son prononcé. L'infraction blasphématoire ne peut être reconnue que lorsque l'individu coupable s'en prévaut en public. En matière privée, elle relève évidemment de la liberté d'expression des individus et ne saurait tendre à une condamnation étatique, et de surcroît fédérale !

De plus, selon les faits, il apparaîtrait que Nicola Pozzi ait prononcé ces paroles en privé (lors d'une conversation avec un coéquipier) et non publiquement, à la différence du joueur parlemitain qui s'est exprimé devant des caméras de télévision.

Il en va ici du bon sens des pouvoirs sportifs italiens, de ne pas méconnaître leur mission principale et existentielle, qui est, rappelons-le, l'organisation des compétitions et l'intégrité des résultats. Le sac de noeuds juridique que créée la Fédération italienne de football est entièrement démagogique, et ne saurait véhiculer aucune portée juridique. L'appel de la Sampdoria ne peut être que soutenu, tout en espérant que le litige soit porté à la connaissance du Tribunal Arbitral du Sport, lequel, soyons-en sûr, sera à même de rétablir le respect des hiérarchies et des indépendances en Italie. Vite, vite ...

 

PILLON Régis

Etudiant du Master 2 Professions Juridiques du Sport

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