Requalification des CDD en CDI dans l'audiovisuel

Publié le 27/09/2017 Vu 6 291 fois 0
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Les entreprises de l'audiovisuel ont recours massivement aux CDD dits d'usage, notamment pour employer des journalistes. Ces pratiques sont fréquemment sanctionnées.

Les entreprises de l'audiovisuel ont recours massivement aux CDD dits d'usage, notamment pour employer des jou

Requalification des CDD en CDI dans l'audiovisuel

Les "ordonnances travail" publiées le 23 septembre 2017 n'y changeront rien, le contrat de travail à durée indéterminée est et restera, selon l'article L.1221-2 alinéa 1er du Code du travail, "la forme normale et générale de la relation de travail".

Ce n'est donc que par exception à ce principe que des contrats à durée déterminée peuvent être conclus.

Il est notamment possible de recourir à des contrats à durée déterminée dits "d'usage" (CDDU) pour, selon les termes de l'article L.1242-2 du Code du travail, "les emplois pour lesquels, dans certains secteurs d'activité définis par décret ou convention ou accord collectif de travail étendu, il est d'usage constant de ne pas recourir au CDI en raison de la nature de l'activité exercée et du caractère par nature temporaire de ces emplois".

L'article D.1242.1 du Code du travail dresse la liste des secteurs d'activité dans lesquels il est possible de conclure des contrats à durée déterminée. 

Parce que l'audiovisuel figure parmi ces secteurs d'activités, les sociétés qui exploitent des chaines de télévisions et/ou des radios ont eu et ont toujours massivement recours à ces CDDU.

Ceux-ci présentent, en apparence en tout cas, une grande souplesse.

Le salarié est recruté pour un temps limité et l'employeur n'a aucune obligation en fin de contrat. Surtout, le CDD d'usage peut être renouvelé de façon successive, sans le moindre délai entre deux contrats.

Entre deux contrats, le salarié est invité à se tourner vers Pôle emploi.

Pour les techniciens, la relation de travail se fait dans le cadre de contrats d'intermittence. Pour les journalistes ce sont des contrats d'usage à répétition ou - ce qui revient au même - des contrats de pige prévoyant des journées précises de travail.

Le fait qu'un salarié soit embauché dans le secteur de l'audiovisuel n'autorise toutefois pas automatiquement et aveuglement l'employeur à recourir à des contrats à durée déterminée d'usage.

Il lui faut pouvoir démontrer - en cas de contestation évidemment - qu'il est d'usage de ne pas recourir à un contrat à durée indéterminée en raison de l'activité exercée et du caractère par nature temporaire de l'emploi concerné.


Cette règle résulte de l'article L.1242-1 du Code du travail selon lequel le contrat à durée déterminée, quel que soit son motif, ne peut avoir pour effet de pourvoir durablement un emploi lié à l'activité normale et permanente de l'entreprise.

La jurisprudence de la Cour de cassation insiste tout particulièrement sur le caractère par nature temporaire que doit avoir l'emploi occupé en CDDU.

Par deux arrêts du 23 janvier 2008, cette Cour a donné une portée large à l'interdiction, posée à cet article L.1242-1, de pourvoir durablement par un contrat à durée déterminée d'usage un emploi lié à l'activité normale et permanente de l'entreprise.

Le recours aux CDDU n'est donc autorisé que lorsqu'il est justifié par des raisons objectives qui s'entendent de l'existence d'éléments concrets établissant le caractère par nature temporaire de l'emploi concerné.

Bien évidemment, lorsqu'un salarié est embauché sous CDDU pendant des années pour accomplir le même travail - parfois pour la même émission - il est difficile, pour son employeur, de justifier du caractère par nature temporaire de son emploi.    

Le recours massif aux CDD d'usage par les entreprises audiovisuel public (FRANCE TELEVISIONS et RADIO FRANCE notamment) a, depuis longtemps, été qualifié d'abusif, notamment dans un rapport parlementaire du 17 avril 2013.

De fait, certains salariés employés par ces sociétés enchainent les CDDU pendant des années.

Les contrats leur sont souvent remis le jour même du début du CDD, voire même après le terme de la collaboration.

Une telle précarité est souvent difficile à supporter puisque le salarié n'a aucune garantie sur le fait que sa collaboration sera reconduite à la fin de son CDD. Il ne peut connaître en début de mois, le montant de son salaire et il lui est évidemment difficile de s'engager dans d'autres contrats en parallèle ou même simplement de planifier des congés.

Beaucoup de salariés ne font rien, espérant être "intégrés" sous CDI.

Certains prennent toutefois les devants et saisissent les tribunaux d'une action en requalification de leurs CDD en CDI.

D'autres encore réagissent lorsqu'ils comprennent, au bout d'un délai plus ou moins long et de façon plus ou moins claire, que la société qui les a employés pendant des années ne fera (a priori) plus appel à eux.

La volonté du législateur a été de favoriser les actions en requalification de CDD en CDI en prévoyant une procédure accélérée devant le Conseil de prud'hommes puisque (normalement), il doit être statué sur cette demande dans un délai d'un mois.

Selon une jurisprudence récente (Cass. soc., 8 mars 2017), le conseil de prud'hommes statuant en référé est compétent pour ordonner la poursuite du CDD le temps que le juge du fond se prononce sur la demande de requalification. La situation du salarié en poste qui craignait que, du fait de la saisine d'une juridiction, sa relation de travail cesse se trouve donc confortée.

Si le conseil de prud'hommes fait doit à la demande de requalification du CDD en CDI, le contrat en cours se poursuit après son terme.

Lorsque le CDD a d'ores et déjà pris fin, le salarié peut demander une requalification a posteriori de la relation de travail et soutenir que la fin de ce CDD doit produire les effets d'un licenciement abusif, ce qui lui ouvre droit à une indemnité de requalification, une indemnité compensatrice de préavis, une indemnité de licenciement et à des dommages-intérêts pour licenciement abusif. Il peut également solliciter à la réparation du préjudice subi du fait de la situation de précarité dans laquelle il a été maintenu.

L'analyse de la jurisprudence permet d'établir que, depuis quelques années, de nombreux salariés employés en CDD par les entreprises de l'audiovisuel public ont saisi les juridictions du travail.       

Par exemple pour la seule année 2016, on compte au minimum 14 arrêts rendus par différentes cours d'appel concernant des demandes de requalification de CDD en CDI formulées par des journalistes employés par FRANCE TELEVISIONS.

Sans surprise, dans la grande majorité des cas, les Cours d'appel requalifient la relation de travail en un contrat à durée indéterminée, au motif qu'il n'a pas été justifié par la société que l'emploi pour lequel un (et souvent plusieurs) CDD d'usage a/ont été remis au salarié était par nature temporaire.  

Un arrêt de la Cour d'appel de Montpellier du 24 février 2016 est assez significatif.

Dans cette décision, cette Cour a relevé que :  

"La requalification prévue par l'article L 1242-1 du code du travail est une règle d'ordre général qui peut entraîner la requalification en contrat à durée indéterminée alors même que le contrat a été conclu dans les cas prévus par la loi pour une durée déterminée.

Cette règle concerne ainsi tant les contrats à durée déterminée pour remplacement que les contrats d'usage lorsque l'emploi est permanent et lié à l'activité normale et permanente de l'entreprise.

En l'espèce, il n'est pas discuté et il ressort des tableaux d'activité établi par la Société que ce dernier a exercé pour chacun de ses contrats les mêmes fonctions de journaliste et il n'est pas contesté qu'il les exerçait en vue de la conception et de la réalisation des sujets et reportages diffusés quotidiennement sur la chaîne France 3 dans ses Journaux télévisés, cette programmation faisant partie intégrante du cahier des charges et de la mission de service public de la société France télévisions.

Il en résulte que le recours à des contrats de travail à durée déterminée successifs pour assurer l'élaboration et la diffusion des journaux télévisés n'est pas justifié par des raisons objectives, s'entendant d'éléments concrets établissant le caractère par nature temporaire de l'emploi occupé.

En effet la diffusion récurrente, à savoir quotidienne voire bi quotidienne de cette émission de journaux télévisés relève bien de l'activité normale et permanente de la société France Télévisions, peu important dès lors le nombre de jours réellement travaillés par an par le salarié affecté à cette tâche.

Dès lors et sans qu'il soit nécessaire d'examiner la régularité formelle des contrats , il y a lieu dès lors de faire droit à la demande en requalification en contrat à durée indéterminée à compter du premier jour travaillé, soit à compter du 25 août 1994."

Le 28 juin 2017, la Cour d'appel de Rennes retenait quant à elle :

"Il n'est pas contesté que le cahier des charges de France 3- France Télévisions lui impose de produire des journaux télévisés et des magazines d'information tant pour son antenne nationale que pour ses antennes régionales.

Il n'est pas davantage discuté qu'ainsi, et afin d'alimenter quotidiennement les éditions des journaux télévisés quotidiens, Mme H. avait pour mission de réaliser des reportages d'actualité selon l'angle rédactionnel défini par la rédaction.

La diffusion quotidienne d'un journal télévisé constituant nécessairement l'activité normale et permanente de France 3- France Télévisions, force est de constater que la succession de contrats à durée déterminée conclus avec Mme H. était destinée à pourvoir durablement un emploi lié à l'activité normale et permanente de l'entreprise, répondant à un besoin structurel de celle ci.

Le jugement entrepris sera en conséquence confirmé en ce qu'il a requalifié la relation contractuelle entre Mme H. et la société France Télévisions en contrat à durée indéterminée à compter du 27 octobre 1997".

Les Sociétés qui exploitent des radios publiques ne sont pas en reste.

Faute d'argument sans doute, la Cour d'appel de Paris constatait, dans un du 24 septembre 2014,  que la Société RADIO FRANCE ne contestait plus la demande de requalification des CDD en CDI formulée par le journaliste embauché sous CDDU.

Outre les sanctions classiques liées à la rupture de cette relation de travail requalifiée en CDI, la Cour d'appel a condamné la Société RADIO FRANCE à verser au salarié des dommages-intérêts en raison de la situation de précarité dans laquelle il a été maintenu pendant de nombreuses années.

Elle a motivé cette condamnation de la façon suivante :

"En appliquant à M Martin Z le système de contrats à durée déterminée décrit ci-dessus pendant 26 ans, système également appliqué à de nombreux autres collaborateurs, Radio France a choisi délibérément et nécessairement consciemment de s'appuyer sur le régime spécifique d'assurance-chômage, pour compléter les salaires irrégulièrement versés, mais aussi de maintenir pendant toutes ces années le salarié dans un système de précarité d'emploi et de flexibilité constante de son travail ayant nécessairement un impact sur l'organisation de sa vie, mais aussi sur les droits auxquels il aurait pu prétendre s'il avait bénéficié d'un CDD (notamment comité d'entreprise et autres avantages réservés au salarié permanent)." [il s'agit évidemment a priori d'une faute de frappe de la Cour et il faut lire "CDI" et non pas "CDD"]

Il serait évidemment faux de penser que seules les entreprises de l'audiovisuel privé ont recours de façon irrégulière aux CDD.

C'est d'ailleurs un ancien dirigeant de TF1 qui, par un arrêt de la  Cour d'appel de Versailles  du 13 septembre 2013 a été condamné, au plan pénal, pour recours irrégulier à des contrats à durée déterminée d'usage.

La juridiction pénale, reprenant le raisonnement suivie par la chambre sociale de la Cour de cassation, a considéré que "dans le secteur de l'audiovisuel, il peut être recouru aux contrats à durée déterminée, sous la condition qu'il s'agisse d'affecter des salariés à des mission précises et temporaires, et non à des emplois durables et permanents".

Après avoir constaté que le recours à des contrats précaires par TF1 "forme une masse importante à l'échelle d'une année" et encore que "ces emplois, par leur masse et leur durée, traduisent un besoin permanent", la Cour d'appel a condamné le dirigeant de cette société à une peine d'amende.

Bref, le recours massif aux contrats à durée déterminée d'usage est une pratique qui n'est pas sans risque.

Vianney FÉRAUD

Avocat au barreau de Paris

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