Commentaire Civ.1 08/12/2016

Publié le 16/02/2024 Vu 1 226 fois 0
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Peut-on annuler un mariage pour inceste entre allié alors que l'union qui a créé l’alliance a été dissoute par décès sans risquer de porter atteinte aux dispositions conventionnelles de la CESDH ?

Peut-on annuler un mariage pour inceste entre allié alors que l'union qui a créé l’alliance a été disso

Commentaire Civ.1  08/12/2016

Un couple a divorcé en 2000, puis l’ex-mari a épousé sa belle fille, son ancienne alliée en ligne directe, alors qu’il s’était comporté avec elle comme un père.

Aucune opposition n’est cependant intervenue au moment du mariage et aucun enfant n’est né de leur union.

Néanmoins, après le décès du mari, ses enfants ont demandé l’annulation de ce mariage.

Sa veuve a été placée sous curatelle renforcée pendant la procédure

Les juges du fond ont accueilli favorablement la demande en annulation du mariage aux motifs que le mariage entre allié dans la même ligne est prohibé sur le fondement de l’article 161 du CC et que l’action n’était prescrite en application de l’article 184 du CC.

Formant un pourvoi, la veuve et son curateur judiciaire ont développé à l’appui de leur thèse un moyen unique fondé sur les prétentions suivantes :

-        L’annulation du mariage porterait une atteinte disproportionnée à la liberté de se marier et au droit à une vie familiale normale au titre des dispositions des articles 12 et 8 de la CESDH

La Cour de cassation était interrogée sur le fait de savoir si pouvait être annulé un mariage pour inceste entre allié alors que l'union qui a créé l’alliance a été dissoute par décès  sans risquer de porter atteinte aux dispositions conventionnelles de la CESDH ?

Apportant une réponse, la Cour de cassation a décidé de rejeter le pourvoi aux motifs que le contrôle de proportionnalité effectué par la CA ne relevait pas d’atteinte disproportionnée  au but poursuivi.

Il convient dès lors de s’interroger sur l’étonnante solution de la Cour de cassation (I) afin de mesurer l’ampleur de sa portée quant à l’acquiescement au droit européen (II)

 

 

 

I – L’étonnante solution de la Cour de cassation

Le mariage est prohibé entre alliés en ligne directe sous réserve de tempéraments toujours possible (A), mais la Cour de cassation a décidé de faire évoluer peu avant cet arrêt sa jurisprudence (B)

A – La prohibition réservée de l’inceste entre alliés en ligne directe

L’interdiction de l’inceste a longtemps été justifiée par des considérations eugéniques, on pensait que des enfants issus d’unions consanguines pourraient être atteints de malformations graves.

Mais l’argument n’explique pas la prohibition de l’inceste entre alliés car il n’existe  aucun risque de consanguinité lorsqu’une ex-belle-fille épouse son ex-beau-père, ce qui est le cas de notre espèce.

Certains auteurs ont ainsi pu privilégier l’argument tiré de la nécessaire paix des familles ou de la préservation de l’ordre et de la structure de la parenté.

A cette fin, le droit positif pris en application de l’article 161 du CC interdit le mariage entre une belle fille et son beau-père, ce même après le divorce de ce dernier.

Des tempéraments sont néanmoins prévus, l’interdiction peut alors être levée sous réserve que la personne qui a créé l’alliance soit décédée et qu’il existe une cause grave appréciée en tant que telle par le Président de la République.

La CEDH critiquant cette prohibition a conduit la cour de cassation dans un  dialogue des juges constructif à infléchir sa jurisprudence (B)

 

B – L’infléchissement de la position de la Cour de cassation

Cette prohibition de l’inceste entre alliés en ligne directe avait été remise en question par un arrêt de la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH, B et L / RU, 13/09/05)  sur le fondement de l’article 12 de la CESDH.

Les justifications de la CEDH étaient peu convaincantes et se fondaient essentiellement sur une volonté de déconstruction progressiste, en effet, elle a pu considérer que si cet inceste portait une grave atteinte aux relations intrafamiliales, aucune dispense ne saurait prospérer.

Cependant, si dans un premier temps, cet arrêt n’a pas eu d’impact sur la jurisprudence française, un arrêt antérieur et proche de celui commenté (Cass.Civ.1, 14/12/13) a censuré au visa de l’article 8 de la CESDH la position des juges du fond qui en application des articles 161 et 184 du CC avaient annulés le mariage entre un beau-père et sa belle-fille.

Il s’agissait dès lors d’appliquer l’arrêt de 2005 sans pour autant utiliser le fondement de l’article 12 de la CESDH car cela aurait eu pour conséquence de neutraliser définitivement l’inceste entre alliés.

Très critiquée cette solution montre néanmoins toute son étendue avec l’arrêt commenté (II)

 

II – L’acquiescement de la Cour de cassation au droit européen

Alors que les faits ne diffèrent pas véritablement de l’arrêt précédent, la Cour de cassation va rappeler les textes internes et les confronter au droit européen (A) afin de se couler dans le moule de la jurisprudence de la CEDH (B)

 

A-  La référence au droit interne

La Cour de cassation commence par rappeler les textes internes applicables.

Elle rappelle ainsi le principe de la prohibition de l’inceste entre alliés (article 161 du Code civil) et celui de la prescription trentenaire pour les nullités absolues (article 184 du Code).

Ensuite, la Cour de cassation confronte les textes internes applicables aux dispositions de la Convention européenne des droits de l’homme invoquées par la demanderesse au pourvoi.

Elle commence par examiner l’article 12 de la CESDH et rappelle que le droit pour un état de fixer les règles du mariage et de son interdiction ne sont pas absolues, il est possible que le droit européen d’applicabilité directe écarte la loi nationale qui lui serait contraire.

Or, dans l’espèce, cet argument ne tient pas, il n’y a pas eu d’opposition à mariage et le couple a eu une vie maritale.

Dès lors, elle va considérer que la prohibition de l’inceste entre allié est bien une ingérence dans la vie privée, or, dans ce cas, il faut vérifier la proportionnalité de l’interdiction.

Il apparaît que le but est bien légitime (sauvegarder la paix des familles), visé par des textes et que la balance des intérêts en présence plaide plutôt pour sa proportionnalité.

D’où la solution de la Cour de cassation de rejeter cette demande aux motifs de sa durée relativement courte et de l’absence d’enfant, le temps dans cette espèce n’a pas purgé le vice.

 

B - La jurisprudence de la Cour de cassation et sa conformité à celle de la CEDH

Marqueur fondamental de l’évolution de la jurisprudence de la Cour de cassation dans son dialogue avec le juge européen, le principe de proportionnalité impose à ce dernier, de contrôler que l’atteinte qui a été portée à un droit fondamental n’est pas disproportionnée.

Il doit vérifier d’abord si elle poursuit un but légitime, puis si elle permet d’atteindre ce but, et enfin, si une autre mesure, moins liberticide mais aussi efficace, n’aurait pas pu être prise en ses lieux et place.

Il permet aussi de régler les conflits entre des droits fondamentaux opposés, comme par exemple la liberté d’expression et le droit au respect de la vie privée, en effectuant, au cas par cas, une balance des intérêts en présence pour chercher soit à les concilier, soit à faire prévaloir l’un sur l’autre en fonction des circonstances de l’espèce.

Il est certain que ce type de contrôle renforce considérablement les pouvoirs du juge et laisse la place à sa subjectivité.

Cette insécurité est dès lors problématique dans un litige entre particuliers.

Ainsi dans ces faits de l’espèce, s’il n’est pas possible et probablement pas souhaitable d’envisager la suppression  de l’inceste entre alliés, il est désormais très difficile de savoir si une annulation serait ou non susceptible de prospérer.

 

 

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