Cumul de fonctions et obligation de reversement des fonctionnaires : sanction ou simple règle comptable ?

Publié le 02/07/2019 Vu 7 497 fois 0
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Quelle est la nature de l’obligation de reversement prévue par l’article 25 septies de la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires ?

Quelle est la nature de l’obligation de reversement prévue par l’article 25 septies de la loi n° 83-634

Cumul de fonctions et obligation de reversement des fonctionnaires : sanction ou simple règle comptable ?

Aux termes de l’article 25 septies de la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires :

« I.- Le fonctionnaire consacre l'intégralité de son activité professionnelle aux tâches qui lui sont confiées. Il ne peut exercer, à titre professionnel, une activité privée lucrative de quelque nature que ce soit, sous réserve des II à V du présent article 

[…]

VI.-

Sans préjudice de l'engagement de poursuites disciplinaires, la violation du présent article donne lieu au reversement des sommes perçues au titre des activités interdites, par voie de retenue sur le traitement ».

L’article 25 septies est issu de la loi n° 2016-483 du 20 avril 2016.

Il interdit au fonctionnaire qui cesse ses fonctions à plein temps de créer ou de reprendre certaines entreprises, de participer aux organes de direction de sociétés ou associations à but lucratif, de plaider en justice dans des litiges intéressant toute personne publique, sauf si cette prestation s’exerce au profit d’une personne publique ne relevant pas du secteur concurrentiel, de prendre ou de détenir dans une entreprise soumise au contrôle de l’administration à laquelle il appartient ou en relation avec cette dernière, des intérêts de nature à compromettre son indépendance, de cumuler un emploi permanent à temps complet avec un ou plusieurs autres emplois permanents à temps complet.

Il est possible de déroger, sous certaines conditions, à l’interdiction de cumuler l’exercice d’une activité privée lucrative avec une activité publique dans le cas d’une personne recrutée à la suite d’un concours ou en qualité d’agent contractuel de droit public, lorsqu’il s’agit d’un fonctionnaire qui occupe un emploi à temps réduit à 70 % de la durée légale ou réglementaire du travail, ou titulaire d’un emploi à temps complet et autorisé à travailler à temps partiel.

Le fonctionnaire peut aussi exercer à titre accessoire une activité compatible avec ses fonctions dans l’administration, comme, par exemple, dispenser un enseignement, produire des œuvres de l’esprit, dans le respect des dispositions relatives aux droits d’auteur, ou, s’il est membre du personnel enseignant, technique ou scientifique des établissements d’enseignement ou pratique des activités à caractère artistique, exercer les professions libérales qui découlent de la nature de leurs fonctions en application du décret n° 2007-658 du 2 mai 2007 modifié par le décret n° 2011-82 du 20 janvier 2011 applicable à la date des faits reprochés, puis abrogé par le Décret n°2017-105 du 27 janvier 2017

En vertu du VI de l'article 25 septies de la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983, et sans que cela ne fasse obstacle à l'engagement d'une quelconque procédure disciplinaire, l'agent public, exerçant une activité interdite, doit reverser à l'employeur les sommes perçues au titre de l'exercice d'une telle activité.

Ce reversement est, en principe, effectué par voie de retenue sur traitement.

Traditionnellement, la jurisprudence administrative retient que le mécanisme de retenue sur traitement est une mesure purement comptable qui n'est soumise à aucune procédure particulière.

Cette logique comptable se conçoit juridiquement très bien puisqu’elle vise à rétablir les comptes en faisant valoir le mécanisme classique du remboursement d’un trop-perçu.

Mais il est très difficile de comprendre la nature de la règle prescrite par l’article 25 septies de la loi de 13 juillet 1983 lorsque l’agent a irrégulièrement perçu des revenus pour une activité incompatible avec ses fonctions, en dehors de ses heures de service.

En ce cas, il est certain que ce dispositif n’est pas une sanction disciplinaire, ces dernières faisant l’objet d’une liste précisément énumérée par la loi.

Il faut donc évacuer d’emblée la nature disciplinaire de l’obligation.

Par exemple, et a contrario, l'autorité territoriale ne peut infliger que les sanctions que le texte prévoit. Elle ne peut pas, par exemple, décider à titre disciplinaire une retenue sur traitement (CE, 25 mai 1988, Commune de Ris-Orangis, n° 59639).

Il faut également convenir qu’il ne s’agit pas d’une sanction professionnelle. Le champ de répression n’est pas limité à une catégorie professionnelle puisque les normes sanctionnées sont générales et s’appliquent à tous les fonctionnaires sans exception qui peuvent objectivement se trouver avoir violé les obligations nées des règles d’interdiction de cumul.

Quelle est alors la nature de l’obligation de reversement imposée au fonctionnaire ?

C’est précisément cette question qui n’a jusqu’à présent trouver aucune définition pertinente. Il s’agit d’une question rarement soulevée mais pourtant d’une importance pratique déterminante.

C’est par un arrêt du 16 janvier 2006 que le Conseil d’Etat a eu a connaître pour la première fois de l’obligation (CE, 16 janvier 2006, n° 272648, Jean-Louis Schlienger).

Il est vrai que l’arrêt, quoique daté au regard de la réforme des règles de cumul d’emploi et d’activité des fonctionnaires, a délimité les règles applicables, sans pour autant résoudre le problème de la nature de la sanction infligée en cas de cumul interdit.

L’arrêt faisait application du principe de l'interdiction d'exercer une activité privée à titre professionnel et lucratif tel que posé par le décret-loi du 29 octobre 1936, repris par l'article 25 de la loi du 13 juillet 1983 aux termes duquel : « Les fonctionnaires consacrent l'intégralité de leur activité professionnelle aux tâches qui leur sont confiées. Ils ne peuvent exercer à titre professionnel une activité lucrative de quelque nature que ce soit ». Cette interdiction comportait déjà un certain nombre d'exceptions limitativement énumérées.

L'article 6 du décret-loi du 29 octobre 1936, modifié par la loi n° 2016-483 du 20 avril 2016 relative à la déontologie et aux droits et obligations des fonctionnaires, prévoyait que toute infraction aux interdictions édictées par les articles qui le précèdent « entraînera obligatoirement des sanctions disciplinaires ainsi que le reversement, par voies de retenues sur le traitement, des rémunérations irrégulièrement perçues. Les retenues seront faites au profit du budget qui supporte la charge du traitement principal du fonctionnaire, agent ou ouvrier en cause ».

Le litige porté à la connaissance des juges était le suivant :

A la suite du contrôle des hôpitaux universitaires de Strasbourg en janvier 2001, la chambre régionale des comptes d'Alsace reproche à l'intéressé le cumul d'une activité publique et d'une activité privée « sans autorisation de sa hiérarchie et en contravention avec son statut de praticien hospitalier ». Dès qu'il en a connaissance, M. Schlienger démissionne de la société Unisabi.

Les faits litigieux sont communiqués à la Cour des comptes dont le parquet général saisit le ministre de l'Éducation nationale et le ministre de la Santé. Ceux-ci engagent une procédure disciplinaire à l'encontre de M. Schlienger. Par une décision en date du 27 mars 2003, la juridiction disciplinaire nationale compétente à l'égard des personnels enseignants et hospitaliers des centres hospitaliers et universitaires rejette la demande de sanction au motif que si les faits litigieux constituent des manquements graves aux obligations professionnelles d'un professeur des universités-praticien hospitalier, ils sont amnistiés en vertu de l'article 11 de la loi du 6 août 2002.

Le 1er juin 2004, un titre de perception de 174.461 € correspondant aux rémunérations perçues au titre de l'activité salariée exercée illégalement du 1er août 1979 au 16 mars 2001 est émis à l'encontre de M. Schlienger. Celui-ci saisit le recteur de l'académie de Strasbourg d'une réclamation qui est rejetée par une décision en date du 22 juillet 2004.

Quelle est la portée de cet arrêt :

D’abord l’arrêt précise qu’il n'est pas possible d'invoquer, faute d'identité d'objet, à l'encontre de mesures de reversement de sommes perçues irrégulièrement, prises sur le fondement de l'article 6 du 29 octobre 1936, l'autorité, au demeurant relative, de la chose jugée qui s'attache tant au dispositif d'une décision rejetant une demande de sanctions disciplinaires en estimant que les faits reprochés étaient amnistiés, qu'aux motifs qui en constituent le support nécessaire.

Le versement des rémunérations irrégulièrement perçues, prévu distinctement par ce même article 6, ne peut non plus, compte tenu de sa nature et de son objet, être regardé comme une sanction professionnelle entrant dans le champ de la loi du 6 août 2002 portant amnistie.

De plus, aucune faute ne saurait être reprochée à l'Administration pour l'imposition de ses revenus, les rémunérations privées irrégulièrement perçues ne suffisant pas à établir que les services chargés de sa gestion administrative auraient eu connaissance de ces rémunérations irrégulières et auraient toléré cette situation.

Enfin, les dispositions du décret du 29 octobre 1936 prévoient que les sommes à reverser doivent comprendre l'intégralité des rémunérations irrégulièrement perçues, sans déduction du montant de l'impôt sur le revenu acquitté sur ces rémunérations. S'agissant d'un reversement de rémunérations, il appartient à l'intéressé, s'il s'y croit fondé, de tirer les conséquences fiscales de ce reversement lors de la souscription de sa déclaration de revenu au titre de l'année du reversement et, le cas échéant, des années ultérieures.

La nature de l’obligation de reversement, a donc jusqu’ici été définie en creux par le Conseil d’état sur le fondement des dispositions aujourd’hui abrogée du décret de 1936.

Il est utile de se reporter aux conclusions du Commissaire du Gouvernement d’alors sous cette décision.

Le Rapporteur public ne parvient pas à convaincre, dans la mesure où il évacue toute définition positive en tentant de trouver la ratio legis de l’obligation de reversement dans « la réparation de la méconnaissance de l'obligation de servir ».

Pour le Commissaire du Gouvernement d’alors, « En exerçant, à titre professionnel, une activité privée lucrative en dehors des cas prévus, l'agent public a d'une certaine manière illégalement distrait une partie de sa force de travail. L'employeur public l'ayant pourtant rémunéré, la règle du « service fait » implique la restitution des sommes versées indûment. De ce point de vue, les sommes perçues au titre de l'activité privée constituent l'exacte mesure de ce qu'il convient de reverser ».

Il reconnait cependant « la part de fiction que comporte ce raisonnement mais les revenus tirés de l'activité privée constituent le seul moyen de mesurer, par un jeu de miroir, le temps que l'agent n'a pas consacré à son obligation de servir. Et dans cette perspective, c'est bien l'intégralité des rémunérations irrégulièrement perçues, déduction non faite des impôts acquittés, qui servira d'exact étalon aux sommes à reverser » (LPA, 6 octobre 2006, n° 200).

A la lecture des conclusions, l’argument ne convainc pas.

D’une part, car il ne prend pas en compte les cas dans lesquels l’obligation de servir n’a pas été violée du fait de l’exercice de l’activité privée exercée, notamment lorsqu’elle l’a été en dehors des heures de service. Par conséquent, il est impossible d’admettre, lorsqu’aucun manquement à la règle du service fait ne peut être reprochée à l’agent, que les rémunérations irrégulièrement perçues soient « reversées » par voie de retenue sur traitement.

D’autre part, les sanctions à l’obligation de servir sont précisément les sanctions disciplinaires énumérées et encadrées par la loi.

Enfin, bien souvent, l’administration ne procède pas par voie de retenue sur traitement mais émet des titres de perception. L’absence de cumul au cours des heures de service conduit bien souvent l’administration à émettre un titre exécutoire et non un ordre de reversement quand aucune retenue sur traitement ne peut valablement être prescrite. La personne publique ne peut demander en effet le reversement des traitements au motif que l'agent aurait cumulé une activité privée illicite. Aucune somme n’a été indûment versée par l’administration quand aucune atteinte n’a été portée à la règle du « service fait ». Si le service est fait, le reversement ne peut concerner que les rémunérations privées perçues par l'agent sans pouvoir valablement correspondre à une retenue sur traitement.

L’hypothèse relève donc finalement d’un enrichissement sans cause de l’administration.

Ce sont les raisons pour lesquelles l’obligation de reversement par un fonctionnaire des rémunérations irrégulièrement perçues en application de l’article 25 septies de la loi de 1983 est bien constitutive d’une sanction toutes les fois où il ne peut être démontré une atteinte à la règle du service fait.

Les sommes reversées n’ont précisément aucun rapport avec le traitement et ont pour finalité non de réparer un quelconque préjudice subi par le service ni de reverser un trop perçu mais bien de punir le fonctionnaire qui n’a pas respecté ses obligations déontologiques, sans aucune proportion au regard de l’atteinte portée auxdites obligations.

 

La violation des règles de cumul entraine donc, d’une part, l’application de sanctions disciplinaires et, d’autre part, l’application d’une sanction accessoire ayant le caractère d’une punition se caractérisant par le reversement des sommes perçues au titre de l’activité privée interdite.

Une telle disposition devrait au moins entraîner l’application des garanties procédurales dans le cas de sanctions ayant le caractère de punition, sinon faire l’objet d’une censure par le Conseil constitutionnel à l’occasion d’une question prioritaire de constitutionnalité.

 

Pierre Castéra

Avocat à la Cour

Docteur en droit

pierre.castera-avocat@outlook .fr

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Blog de Maître Pierre Castéra

Avocat et docteur en droit, le Cabinet de Maître Pierre Castéra est situé à Bordeaux.

Pierre Castéra intervient principalement en droit public. Cependant, il vous conseille, vous assiste et vous représente devant la plupart des juridictions.

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