« Le parfum du secret s’estompe à chaque nez qui le renifle » Robert Blondin.
Cette citation de Robert Blondin s’inscrit parfaitement dans le sillage de la jurisprudence de la Cour de cassation qui refuse encore à ce jour d’accorder une quelconque protection à la fragrance composant le parfum. Les secrets du parfum, et de sa composition olfactive, pourraient ainsi être découverts à l’aide de nez et d’analyses, et reproduits par des concurrents sans risque pour eux d’être poursuivis en contrefaçon.
Malgré l’opposition qu’ont marquée certaines juridictions du fond face à l’absence de protection des parfums par le droit d’auteur (TGI Lille, 22 oct. 2009 – TGI Nancy, 6 avril 2009, CA Aix en Provence, 13 sept. 2007 – CA Aix en Provence, 10 déc. 2010 – CA Paris, 14 février 2007), la Cour de cassation n’a cessé de maintenir sa position en jugeant que « la fragrance d’un parfum, qui procède de la simple mise en œuvre d’un savoir-faire ne constitue pas la création d’une forme d’expression pouvant bénéficier de la protection des œuvres de l’esprit par le droit d’auteur » (Civ. 1ère 22 janv. 2009, n°08-11404 - Com., 10 déc. 2013, n°11-19872).
Au motif que les fragrances ne seraient pas, selon la Haute juridiction, des œuvres de l’esprit, celles-ci ne seraient alors pas susceptibles d’appropriation et une quelconque protection au titre de la propriété intellectuelle serait alors formellement exclue.
Une protection au titre de la propriété industrielle pourrait elle néanmoins s’envisager ?
Sur les fondements du droit des brevets, force est de constater que la fragrance d’un parfum ne répond pas aux conditions posées pour bénéficier d’une protection à ce titre. En effet, la fragrance ne peut être considérée comme une invention consistant en une solution technique à un problème technique.
Sur les fondements du droit des marques, la question n’est ici pas incongrue puisque l’OHMI avait admis, en 1999, l’enregistrement d’une marque dite « olfactive » (OHMI, 11 février 1999, Smell of Fresh Cut Grass, « l’odeur de l’herbe fraîchement coupée »).
Toutefois, la jurisprudence de la Cour de Justice de l’Union Européenne s’est depuis prononcée de manière beaucoup plus restrictive (CJCE, 12.12.2002, affaire C-273.00, Sieckman) et a refusé l’enregistrement d’une marque olfactive en jugeant que : « peut constituer une marque un signe qui n'est pas en lui-même susceptible d'être perçu visuellement, à condition qu'il puisse faire l'objet d'une représentation graphique, en particulier au moyen de figures, de lignes ou de caractères, qui soit claire, précise, complète par elle-même, facilement accessible, intelligible, durable et objective. S'agissant d'un signe olfactif, les exigences de la représentation graphique ne sont pas remplies par une formule chimique, par une description au moyen de mots écrits, par le dépôt d'un échantillon d'une odeur ou par la combinaison de ces éléments. »
Depuis lors, aucune demande d’enregistrement d’une marque olfactive n’a jamais plus aboutie. En effet, l’obstacle à ce défaut de protection se trouve dans les conditions de validité de la marque en tant que telle. La marque doit être susceptible de représentation graphique (cela pourrait être possible en y insérant la formule/ composition de la fragrance), mais les conditions vont plus loin, exigeant que la représentation graphique soit claire, précise, complète par elle-même, et surtout facilement accessible et intelligible.
En conclusion de tout ce qui précède, il semblerait qu’à l’heure actuelle la fragrance d’un parfum ne puisse faire l’objet d’aucune protection au titre de la propriété intellectuelle et industrielle, de sorte qu’aucune action en contrefaçon ne peut être intentée à l’encontre du tiers usurpateur qui aura pu déceler la composition du parfum et reproduire sa fragrance.
Il convient néanmoins de rappeler que la première chambre civile de la Cour de cassation a pris le soin de préciser, dans son arrêt en date du 22 janvier 2009, que la fragrance du parfum procédait de la mise en œuvre d’un savoir-faire. Cette affirmation n’est pas anodine, et pour cause, le savoir-faire est défendable.
Une relative « protection » est alors offerte aux sociétés de parfumerie par le jeu de la responsabilité civile, et tout particulièrement via des actions en concurrence déloyale.
A ce sujet, l’arrêt de la chambre commerciale de la Cour de cassation du 10 décembre 2013 avait expressément souligné le fait que « l'action en concurrence déloyale peut être fondée sur les mêmes faits que ceux allégués au soutien d'une action en contrefaçon de marque rejetée pour défaut d'atteinte à un droit privatif, dès lors qu'il est justifié d'un comportement fautif » (Com., 10 déc. 2013, n°11-19872).
Face à l’action en contrefaçon, l’action en concurrence déloyale emporte cependant beaucoup plus de contraintes pour le demandeur, puisque celui-ci doit démontrer l’existence d’une faute, d’un dommage et d’un lien de causalité entre les deux. Le demandeur à l’action doit ainsi rapporter la preuve d’une imitation fautive, et donc de ressemblances flagrantes entre les deux parfums, de nature à tromper le consommateur ou à créer un risque de confusion dans son esprit. Il doit également démontrer que cette imitation fautive lui crée un préjudice commercial.