La nature d’une délégation donnée par un conseil général à sa commission permanente…

Publié le 29/12/2010 Vu 7 956 fois 0
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S'appuyant sur un arrêt du Conseil d'Etat du 02 mars 2010, une réponse ministérielle revient sur la nature des délégations qu'un conseil général peut donner à sa commission permanente. Loin d'un revirement de jurisprudence, n'assisterions nous pas à un joyeux quiproquo émanant du sens du mot "dessaississement"?

S'appuyant sur un arrêt du Conseil d'Etat du 02 mars 2010, une réponse ministérielle revient sur la nature

La nature d’une délégation donnée par un conseil général à sa commission permanente…

Est-ce que le Conseil d’Etat, au travers de l’arrêt n° 325255 du 02 mars 2010 est en passe de bouleverser certains repères juridiques qui semblaient prévaloir jusqu’alors en matière de délégation ? Si la voie semble ouverte, il n’en demeure pas moins que l’on peut se poser des questions sur l’interprétation de cet arrêt qui paraît plus relever pour le moment du joyeux quiproquo que de l’innovation jurisprudentielle.

Dans l’arrêt précité, le Conseil d’Etat a eu à se prononcer sur la légalité d’une délégation donnée par le Conseil général de la Gironde à sa Commission permanente. Après avoir rappelé certaines dispositions du Code général des collectivités territoriales, il juge notamment « qu’eu égard tant à son objet, qui est d’assurer la continuité des fonctions de l’organe délibérant du département, qu’à sa portée, qui ne dessaisit pas le conseil général de ses attributions », la délégation en question était parfaitement légale.

Fort de la rédaction de cet arrêt, le Secrétariat d’Etat à l’intérieur et aux collectivités territoriales a répondu, le 26 août 2010, d’une manière quelque peu surprenante à la question n° 13729 posée par Monsieur Jean Louis MASSON.

La question était en substance la suivante : faut-il considérer les délégations données par un conseil général à sa commission permanente comme de simples délégations de signature n’empêchant pas l’assemblée délibérante de prendre des décisions dans le domaine en cause ou faut-il les considérer au contraire comme des délégations de pouvoir ayant pour effet de dessaisir l’assemblée délibérante, laquelle ne peut alors intervenir qu’après avoir au préalable retiré sa délégation ?

Alors que la première réaction aurait pu être simplement de dire qu’il s’agissait en tout état de cause d’une délégation de pouvoir dessaisissant l’assemblée plénière, le Secrétariat d’Etat apporte une toute autre analyse : « Selon une jurisprudence récente du Conseil d’Etat, ces délégations ne constituent pas des délégations de pouvoir et ne sont pas de nature à dessaisir l’assemblée délibérante locale des attributions qu’elle a déléguées. »

Cette réponse ministérielle, qui pose implicitement qu’avant l’arrêt du 02 mars 2010 il s’agissait bien d’une délégation de pouvoir, repose uniquement sur l’interprétation de la phrase précitée : « qu’eu égard tant à son objet, qui est d’assurer la continuité des fonctions de l’organe délibérant du département, qu’à sa portée, qui ne dessaisit pas le conseil général de ses attributions ».

Si les rares écrits aujourd’hui recensés ont accueilli cette réponse avec une circonspection certaine, aucun ne semble pourtant vouloir expliquer ce brusque changement de jurisprudence. L’idée peut être séduisante de voir dans ce type de délégation un non dessaisissement de l’assemblée plénière, pour des raisons de simplification administrative par exemple. Mais si tel est le cas, il serait dommage que cette évolution soit le simple fait d’un joyeux quiproquo.

En effet, l’explication du quiproquo suivant ralentira peut être les ardeurs du Secrétariat d’Etat à affirmer, comme il l’a fait, un revirement de jurisprudence.

Quand on se réfère aux conclusions du Rapporteur public, Madame Béatrice BOURGEOIS-MACHUREAU, elle cite au détour de ses démonstrations un certain nombre d’éléments plaidant en faveur de la légalité de la délégation examinée. Néanmoins, dans un excédent argumentaire qui n’éclaire aucunement l’affaire, elle énonce sans prévenir « que les délégations consenties à ce titre par le conseil général ne sont pas des délégations de pouvoir au sens où elles n’entraînent pas de dessaisissement de l’assemblée plénière ». L’affirmation fuse et n’est nullement reprise ou étayée par ailleurs.

Au vu de telles conclusions, on pourrait penser, comme le Secrétariat d’Etat, que le Conseil d’Etat a repris clairement cette affirmation dans la rédaction de son arrêt. Et pourtant, en regardant de plus près, nous sommes certainement devant un joyeux quiproquo, le Conseil d’Etat n’ayant sans doute pas entendu donner une telle portée dans son arrêt.

Effectivement, il faut revenir à la source de l’affaire pour comprendre de quoi il en retournerait en réalité.

Il est constant que le juge administratif, lorsque qu’il doit se prononcer sur la légalité d’une délégation, examine tout spécialement si la délégation donnée entre bien dans le champ de ce qui peut être délégué. C’est a priori dans cette démarche, désormais classique, que s’est inscrit le Conseil d’Etat, en examinant si l’attribution déléguée entrait bien dans le champ ouvert par l’article L. 3211-2 du Code général des collectivités territoriales, lequel exclut expressément les attributions visées aux articles L. 3312-1 et L. 1612-12 à L. 1612-15 du même Code. Pour résumer et reprendre une rédaction préexistante à l’arrêt du 02 mars 2010 (par exemple, CAA de Nantes, arrêt n° 07NT00338 du 19 février 2008), le juge vérifie que l’autorité délégante ne s’est pas dessaisie de sa compétence. Le dessaisissement évoque dans ce cas le fait pour une autorité de déléguer une compétence qui légalement ne peut l’être. Il n’évoque pas le fait de savoir si, en déléguant une attribution, l’autorité délégante n’est plus compétente pour agir dans ce domaine ou non.

Avec ces précisions, chacun relira calmement l’arrêt du Conseil d’Etat pour se faire une idée sur sa portée réelle, qui va sans doute reprendre des couleurs au niveau de son « classicisme » jurisprudentiel, notamment lorsque l’on enchaîne par ailleurs quelques éléments déterminants de la démarche du Conseil d’Etat:

« Considérant qu'aux termes de l'article L. 3211-1 du code général des collectivités territoriales : Le conseil général règle par ses délibérations les affaires du département. (...) Il donne son avis sur tous les objets sur lesquels il est consulté en vertu des lois ou règlements ou dont il est saisi par les ministres (...) ; qu'aux termes de l'article L. 3211-2 du même code : Le conseil général peut déléguer une partie de ses attributions à la commission permanente, à l'exception de celles visées aux articles L. 3312-1 et L. 1612-12 à L. 1612-15 , lesquels portent sur l'adoption du budget et des comptes, l'arrêté des comptes, la transmission du compte administratif au représentant de l'Etat, l'adoption de mesures de redressement en cas d'exécution en déficit du budget et l'inscription au budget de dépenses obligatoires ; qu'eu égard tant à son objet, qui est d'assurer la continuité des fonctions de l'organe délibérant du département, qu'à sa portée, qui ne dessaisit pas le conseil général de ses attributions, la délégation ainsi prévue permet au conseil général d'habiliter la commission permanente à statuer sur toute affaire étrangère aux attributions visées aux articles L. 3312-1 et L. 1612-12 à L. 1612-15 ; »

Pour mesurer définitivement le quiproquo, il convient de lire, pour ceux qui le souhaitent, la suite de l’arrêt, lequel tend à confirmer le sens du « dessaisissement » tel qu’évoqué par le Conseil d’Etat :

« Considérant qu'il résulte de ce qui précède qu'en jugeant que la délégation donnée à la commission permanente par délibération du conseil général de la Gironde du 9 avril 2004 était illégale au motif qu'elle couvrait l'ensemble des affaires relevant de la compétence du conseil général qui ne sont pas réservées par la loi à l'assemblée délibérante ou au président du conseil général, la cour administrative d'appel de Bordeaux a commis une erreur de droit ; que, par suite, et sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens du pourvoi, RÉSEAU FERRÉ DE FRANCE est fondé à demander l'annulation de l'arrêt attaqué ; »

Maintenant il est indubitable qu’il y a « dessaisissement » et « dessaisissement », l’un portant sur les attributions ne pouvant être déléguées (ce qui équivaudrait à un dessaisissement de l’autorité délégante) et l’autre portant sur la nature même de la délégation donnée et ses effets (délégation de signature sans dessaisissement de l’autorité délégante ou délégation de pouvoir avec dessaisissement de l’autorité délégante).

Nous savons, comme vu plus haut, que le Secrétariat d’Etat, avant l’arrêt du 02 mars 2010, se serait vraisemblablement prononcé pour un dessaisissement des attributions déléguées (délégations de pouvoir).

Nous savons, comme vu plus haut, que le Secrétariat d’Etat, après l’arrêt du 02 mars 2010, a penché pour le fait que les délégations du conseil général à sa commission permanente n’ont pas l’effet de le dessaisir.

Nous ignorons par contre si Monsieur Jean Louis MASSON obtiendra la même réponse du Secrétariat d’Etat s’il repose la même question en attirant l’attention sur le possible quiproquo en matière de dessaisissement…

Nous ignorons également si la doctrine se positionnera sur cette question et ce qu’en pensera le juge administratif.

Mais surtout, nous ignorons comment les départements vont s’organiser… l’assemblée plénière continuera t’elle à délibérer dans les attributions déléguées à la commission permanente ? Vont-ils risquer l’effet potentiellement dévastateur du quiproquo ? Car s’il semble passé largement inaperçu, il y a forcément des personnes qui s’en amusent déjà… Qui a dit que le droit était une matière stricte et dépourvue de toute surprise ?

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