CONTRÔLE DU PASSE SANITAIRE ET CONTRÔLE DE LA PIÈCE D’IDENTITÉ

Publié le 02/09/2021 Vu 2 602 fois 0
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Présenter sa pièce d'identité en plus de son passe sanitaire aux forces de l'ordre : une seule et même opération relevant du code de la santé publique ? Rien n'est moins sûr.

Présenter sa pièce d'identité en plus de son passe sanitaire aux forces de l'ordre : une seule et même opÃ

CONTRÔLE DU PASSE SANITAIRE ET CONTRÔLE DE LA PIÈCE D’IDENTITÉ

 

CONTRÔLE DU PASSE SANITAIRE ET CONTRÔLE DE LA PIÈCE D’IDENTITÉ

 

 

Vivre au temps du covid-19 c’est vivre au rythme lancinant de nouvelles vagues que rien ne semble pouvoir arrêter, apportant avec elles leurs lots de mesures d’exception dont il est difficile de dire aujourd’hui qu’il n’en restera rien une fois venu le temps du reflux.

Le contrôle du passe sanitaire pouvant avoir un caractère incontestablement intrusif en ce qu’il peut, à l’occasion d’une activité aussi anodine que celle de déjeuner dans un restaurant, être suivi d’une obligation de présenter sa pièce d’identité[1], je voudrais évoquer un cas d’école afin d’esquisser quelques points de repère au sujet d’une opération dont le régime peut susciter quelques interrogations. Le contentieux qui s’annonce les précisera ou les effacera complètement.

Le cas est le suivant : soit des personnes attablées dans un restaurant faisant inopinément l’objet d’un contrôle de leur passe sanitaire par les forces de l’ordre ; certaines ne peuvent pas présenter de passe sanitaire ; d’autres le peuvent ; toutes doivent présenter leur pièce d’identité ; l’opération de contrôle relève-t-elle dans tous les cas du début à la fin du régime du seul article L.3136-1 du code de la santé publique ?

Rappelons que conformément aux dispositions de l’article 1 de la loi n° 2021-689 du 31 mai 2021 modifiée par la loi n° 2021-1040 du 5 août 2021 relative à la gestion de la crise sanitaire ainsi que de celles de l’article L.3136-1 du code de la santé publique, l’accès aux restaurants est subordonné à la présentation d’un passe sanitaire, la méconnaissance de cette exigence étant punie d’une contravention de 4e classe[2], la peine encourue passant à 6 mois d’emprisonnement et à 3 750 € d’amende en cas de verbalisation à plus de trois reprises dans un délai de 30 jours[3]. La présentation d’un passe qui n’est pas le sien est réprimée de la même manière.

D’abord, les agents des forces de l’ordre[4] tiennent incontestablement le pouvoir de demander à l’ensemble de ces personnes de présenter leur passe sanitaire et, en vertu de l’article L.3136-1 du code de la santé publique, de verbaliser celles qui ne seraient pas en mesure de le faire ; opération de verbalisation pouvant, selon la qualité de l’agent contrôleur, conduire à un relevé d’identité prévu par l’article 78-6 du code de procédure pénale ou à un contrôle d’identité en application des dispositions de l’alinéa 1 de l’article 78-2 du code de procédure pénale[5].

L’impossibilité de présenter sur le champ un passe sanitaire peut entraîner un relevé d’identité ou un contrôle d’identité. On doit pouvoir faire ici une analogie avec le contrôle routier qui permet aux forces de l’ordre de demander à tout conducteur, sans qu’il y ait besoin de le soupçonner de quoi que ce soit, de présenter tout titre justifiant notamment de son autorisation de conduire, et de le verbaliser d’une contravention de 4e classe[6] par application de l’article R.233-1 du code de la route s’il ne peut le faire immédiatement.

Afin de pouvoir établir le procès-verbal de contravention, l’opération de verbalisation conduit, lorsque l’agent n’a pas le pouvoir de faire un contrôle d’identité, à un relevé d’identité régi par l’article 78-6 du code de procédure pénale, le relevé d’identité ayant en effet pour finalité de « relever l’identité du contrevenant »[7], donc de tirer les conséquences pratiques de l’existence d’une contravention.

L’opération peut également donner lieu à un contrôle d’identité[8] prévu par l’alinéa 1 de l’article 78-2 du code de procédure pénale qui prévoit que les forces de l’ordre compétentes à ce titre « peuvent inviter à justifier, par tout moyen, de son identité toute personne à l’égard de laquelle existe une ou plusieurs raisons plausibles de soupçonner qu’elle a commis ou tenter de commettre une infraction » ; infraction qui peut naturellement consister en une simple contravention.

Par suite, dès lors qu’il a été dressé régulièrement[9] par un agent compétent, le procès-verbal de constatation de l’infraction fait foi jusqu’à preuve du contraire. Ce qui veut dire qu’en cas de contestation de l’avis de contravention, les dénégations du contrevenant ou la production d’attestations[10] sont inopérantes.

Le contrôle de la pièce d’identité, en cas de présentation du passe sanitaire, est un contrôle d’identité s’inscrivant dans le cadre de l’article 78-2 du code de procédure pénale. Que dire maintenant du fait de demander à tous les clients qui ont pu justifier d'un passe sanitaire leur pièce d’identité ?

Lorsque la personne peut justifier d’un passe sanitaire, lui demander sa pièce d’identité ne semble pas pouvoir être assimilé à un relevé d’identité, le relevé d’identité n’étant, lorsque l’agent est compétent pour ce faire, et à s’en tenir à la lecture de l’article 78-6 du code de procédure pénale, qu’une conséquence logique et pratique de l’existence d’une contravention.

Il est donc douteux qu’un policier municipal puisse vérifier la pièce d’identité en plus du passe sanitaire (sauf s’il apparaît manifestement que le passe n’est pas celui de l’individu en question, celui-ci présentant par exemple un document au nom d’une personne de sexe féminin, ce qui replace le contrôle dans le champ de l’article de loi précité)[11].

C’est qu'en pareil cas le contrôle supplémentaire de la pièce d’identité est un acte incontestablement intrusif que rien ne peut a priori justifier, sinon quelque chose de l’ordre même du soupçon et de la défiance qui nécessite de l’encadrer d’autant plus strictement.

C’est pourquoi il ne peut donc à mon avis s’agir que d’un contrôle d’identité relevant du régime de l’article 78-2 du code de procédure pénale de sorte qu’en cas de découverte d’une infraction (ou de l’irrégularité du séjour de la personne), la régularité du contrôle sera conditionnée par le fait qu’il puisse s’inscrire dans l’un des trois cas prévus par l’article 78-2  du code de procédure pénale, contrôle d’identité de police judiciaire, contrôle sur réquisitions écrites du procureur de la République, contrôle destiné à prévenir une atteinte à l’ordre public.

Le contrôle généralisé des pièces d’identité des détenteurs d'un passe sanitaire paraît devoir être réservé aux contrôles d’identité sur réquisitions du procureur de la République. En cas de contrôle généralisé des pièces d’identité, le contrôle ne devrait pas pouvoir s’autoriser du premier alinéa de l’article 78-2 du code de procédure pénale, ce type de contrôle devant être justifié par les circonstances très concrètes énumérées dans le texte de loi, lesquelles excluent toute opération de contrôle généralisé.

Restent donc les contrôles sur réquisitions écrites du procureur de la République qui peuvent être généralisés en un lieu et une période définis par lui afin de rechercher des infractions déterminées.

Plus difficile semble être la possibilité d’opérer sur le fondement d’un contrôle préventif. À moins de capituler entièrement devant le registre catastrophiste employé dans tous les lieux de construction de l’opinion et de formation de la vérité, gageons que ce type de contrôle fondé sur un prétendu risque de contamination soit condamné sur la base d’un arrêt rendu par la Cour de cassation le 13 septembre 2017[12] dans lequel la Haute juridiction a pu rappeler qu’un contrôle d’identité motivé par la prévention d’une atteinte à l’ordre public ne pouvait être justifié par la référence à un état d’exception, en l’occurrence l’état d’urgence et le plan Vigipirate, en l’absence de circonstances particulières constitutives d'un risque d'atteinte à l'ordre public.

 

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Si le contrôle du passe sanitaire présente quelques analogies avec le contrôle routier comme étant deux formes autonomes de contrôles, que les seules obligations de détenir un passe sanitaire pour pénétrer en un lieu déterminé ou d’être titulaire du permis de conduire pour circuler au volant d’une automobile justifient, on ne saurait trop s’habituer à les assimiler. Conduire une voiture est une pratique objectivement dangereuse qui nécessite un apprentissage sanctionné par un examen dont la réussite conditionne l’obtention du permis de conduire, pratique entourée d’une très large réglementation en matière d’équipements et d’assurance, pratique qui confère un statut juridiquement et existentiellement distinct de celui du piéton. Leur assimilation pure et simple relève donc au mieux d’une erreur logique sinon du sophisme grossier.

 

 

 

 

 

 

 



[1] Hypothèse réservée à la demande des forces de l’ordre (décision n° 2021-824 DC du 5 août 2021) ;

[2] La procédure relève de l’amende forfaitaire contraventionnelle en vertu des termes des articles 529 et R.48-1 du code de procédure pénale laquelle se traduit (1) par la fixation du montant de l’amende à 135€ (art. R.49) et (2) si l’amende n’est pas payée immédiatement entre les mains de l’agent verbalisateur, par la remise d’un avis de contravention et d’une carte de paiement (art. A37 et A37-1). Il est ensuite possible de contester l’amende dans un délai de 45 jours à compter de la remise ou de la réception de l’avis de contravention ;

[3] Dans ce cas, conformément aux termes de l’article 62-2 du code de procédure pénale, il est possible de faire l’objet d’un placement en garde à vue ;

[4] Police municipale incluse ;

[5] Pour une illustration d’une contravention ayant donné lieu à un contrôle d’identité ayant lui-même abouti à une procédure de vérification du droit au séjour et à un placement en rétention :  Cour d'appel, Aix-en-Provence, Chambre 1-11, 29 juin 2021 – n° 21/00587

[6] J’exclus à dessein pour les besoins de l’exposé le cas où le contrôle révèle que le conducteur n’est pas détenteur du permis de conduire, ce qui relève du champ délictuel ;

[7] Le relevé d'identité peut être défini, selon M. Buisson, comme le fait, pour un agent de police municipale ou un agent assermenté des services publics de transports terrestres, de demander à un contrevenant de lui fournir son identité afin de permettre l'établissement du procès-verbal de constat d'une ou plusieurs contraventions qu'il a le pouvoir de constater. (Fasc. JCP : Contrôles, vérifications et relevés d'identité. – Contrôles et relevés d'identité, n° 32)

[8] Lequel peut conduire l’agent à consulter le fichier des personnes recherchées ou y figurent pêle-mêle les personnes en fuite, certains individus placés sous contrôle judiciaire, ou encore les étrangers sous le coup d’une obligation de quitter le territoire français ;

[9] Cour de cassation, criminelle, Chambre criminelle, 10 mars 2015, 14-84.170, Inédit ;

[10] Cour de cassation, criminelle, Chambre criminelle, 27 novembre 2019, 19-82.353, Inédit ;

[11] Telle n’est pas l’opinion de Mme G. Bovi-Hosy qui considère que le risque de fraude justifie à lui seul qu’un policier municipal puisse contrôler le passe sanitaire et la pièce d’identité en même temps : « Contrôle du passe sanitaire par les agents de police municipale : où en est-on ? » publié le 24/08/21 dans La Gazette des communes ;

[12] Cour de cassation, civile, Chambre civile 1, 13 septembre 2017, 16-22.967, Publié au bulletin ;

 

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A propos de l'auteur
Blog de Me Lee HU-FOO-TEE

Avocat au Barreau de Paris                    

Chargé d'enseignement en droit du travail à l'Université Paris I Panthéon-Sorbonne

Droit du travail, défense pénale, contentieux civil et commercial

8 rue de Cléry, 75002 Paris     

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