Droits réels et loi applicable

Publié le 07/09/2021 Vu 3 961 fois 0
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La Cour de cassation détermine la loi applicable à des meubles corporels situés à l'origine aux Etats-Unis mais introduits ultérieurement en France : les meubles corporels situés en France se verront alors appliquer la lex rei sitae.

La Cour de cassation détermine la loi applicable à des meubles corporels situés à l'origine aux Etats-Unis

Droits réels et loi applicable

 

Chapitre Préliminaire : Le contentieux 

Mobilia sequuntur personam ; mobilia ossibus personae inharent : ces adages expriment l’idée que les meubles faisaient corps avec la personne et semblent alors exclure l’emprise de la lex rei sitae. Seulement, la première chambre civile de la Cour de cassation rend un arrêt le 3 février 2010 relatif à la loi applicable aux droits réels dont sont l’objet les biens mobiliers situés en France.
 
En l’espèce, cinq ans avant son décès, un peintre avait remis à un restaurateur des tableaux afin qu’il puisse les exposer sur les murs de son restaurant à New-York. Cet établissement ferme en 2006 et le restaurateur rapporte lesdits tableaux en France, en vue de les vendre aux enchères. La veuve du peintre les revendique.
 
Dans un premier temps, elle est alors autorisée par une ordonnance à exercer une saisie- revendication à titre conservatoire. Cependant en 2008, le juge de l’exécution ordonne de procéder à la mainlevée de celle-ci. Dès lors, quelle est la loi applicable à des meubles corporels situés à l’origine aux Etats- Unis mais introduits ultérieurement en France ? S’agit- il de la loi de situation au moment de la remise des biens ou de la loi de situation au moment de leur revendication ?
 
La demanderesse fait grief à l’arrêt en exigeant l’application de la loi américaine aux biens meubles en question. Elle estime en outre que l’article 2276 du code civil ne trouvait pas à s’appliquer en raison de la précarité et de l’équivocité de la possession. Par conséquent, la possession serait alors viciée. Ainsi, si le critère de rattachement semble affaibli par le conflit mobile (Chapitre 1), l’application de la loi française demeure en réalité logique (Chapitre 2).

Chapitre 1 : Un critère de rattachement affaibli par le conflit mobile

 

I) L’adhésion implicite de la Cour à une conception traditionnelle : des droits réels régis par la lex rei sitae

En l’espèce, situés aux Etats-Unis au moment de leur remise au restaurateur, les tableaux sont ultérieurement déplacés en France.

Ainsi, les droits réels ont leur source dans un mode d’acquisition spécifique, alors soumis à la lex rei sitae (possession, occupation). Lesdits droits peuvent être issus également d’un fait (succession ab intestat) ou d’un acte juridique (vente), qui font l’objet d’un droit propre.
 
Alors, en l’espèce, par lex rei sitae, faut-il comprendre la loi de situation des biens lors de la remise des tableaux, la loi américaine et admettre l’absence de présomption de propriété rattachée à la possession d’un bien meuble, ou au contraire, la loi du lieu de situation des biens lors de la revendication de ces derniers, la loi française ?
 
La Cour de cassation considère ici que les droits réels mobiliers relèvent de la lex rei sitae, compte tenu de la situation en France des tableaux. Par conséquent, la loi qui s’applique est donc bien la loi de la situation de la chose, la loi de l’État dans lequel se trouve le meuble. Aussi, il est important de noter que cette loi s’applique indépendamment de la nationalité du propriétaire du bien (en l’espèce, indépendamment du fait que le restaurateur soit français ou américain).
 
Toutefois, cette solution de la Haute juridiction n’est pas inattendue. En effet, la Cour de cassation reprend ici une affirmation ferme de l’arrêt Kantoor de Mas qui prévoit qu’est « seule applicable aux droits réels dont sont l’objet les biens mobiliers situés en France ». Aussi, un arrêt en date du 8 juillet 1969, Société DIAC, prévoit la même solution à l’égard des biens meubles sujet à un déplacement géographique. L’arrêt d’espèce du 3 février 2010 s’inscrit alors dans une présentation traditionnelle selon laquelle relève de la lex rei sitae les droits réels et leur contenu. Dès lors, lesdits droits réels sont bel et bien régis par la lex rei sitae, celle-ci s’appliquant même en cas de déplacement du meuble.
 

II) La lex rei sitae appliquée en cas de déplacement de meuble

 
Dans cet arrêt, un enjeu fondamental est soulevé : en droit français, « en fait de meubles, la possession vaut titre ». Cela étant, cette disposition est inexistante en droit américain, et c’est par ailleurs le moyen soulevé par la demanderesse. La Cour développe alors un raisonnement selon lequel la lex rei sitae est celle de la situation actuelle, notamment en cas de déplacement de la chose.
 
En l’espèce, les œuvres étaient en France au moment de la revendication par le conjoint survivant : la loi française trouve donc à s’appliquer. Toutefois, la question primordiale ici est liée au conflit mobile. Celui-ci apparaît en présence d’un critère de rattachement faisant jouer des circonstances susceptibles de mobilité. En effet, le critère de rattachement connaît une modification telle que le changement de nationalité, de domicile ou le déplacement d’une chose. Mais, à quel moment exactement est-il possible d’apprécier le critère de rattachement ? Au moment des faits ? Au moment de l’introduction d’instance ? Au moment de la mise en œuvre de la règle de conflit par le juge ? La Cour de cassation fait ici tout simplement, l’application de l’article 3 alinéa 2 du code civil français, qui prévoit en effet que « les immeubles, même ceux possédés par des étrangers, sont régis par la loi française ». Par ailleurs, des arrêts du 19 mars 1972 et du 5 juillet 1933 ont permis l’extension et la bilatéralisation de cette règle : les meubles sont soumis à la loi du lieu de leur situation. En tout état de cause, il ne faut pas omettre qu’en l’espèce, la question successorale n’est pas du tout soulevée.
 
Un arrêt de la Cour de cassation en date du 25 mai 2016 a subordonné la question de la masse successorale à la détermination de la titularité des biens supposés la composer. Étant donné l’affaiblissement du critère de rattachement à travers la lex rei sitae, laquelle s’applique aux droits réels dont sont l’objet les biens mobiliers situés en France et en cas de déplacement de la chose, l’intervention de la loi française demeure à tout le moins logique.
 
 
Chapitre 2 : L’application logique de la loi française
 
I) La mise en œuvre de l’article 2276 du code civil français
 
Incertaine et changeante, la situation du meuble peut engendrer, comme mentionné précédemment un conflit mobile, qu’il pourrait être difficile de résoudre tout en maintenant la sécurité des propriétaires ou encore même des tiers. En l’espèce, la Cour de cassation estime que « la loi française est seule applicable aux droits réels dont sont l’objet des biens mobiliers situés en France ».
 
De plus, le restaurateur « avait rapporté les œuvres en France en janvier 2007, où elles se trouvaient lorsque (la veuve) les a revendiqués » : l’article 2276 du code civil s’applique donc, dès lors que les tableaux se trouvaient en France au moment de leur revendication. L’article 2276 du code civil alors est à bon droit retenu par les juges, en faisant application de la présomption de propriété attachée à la possession d’un meuble par la loi française, que la veuve déboutée voulait par ailleurs écarter, au profit de la loi américaine. La loi américaine méconnait en effet cette présomption et aurait ainsi permis de fait à la demanderesse de se voir réattribuer les tableaux. Alors, il demeure intéressant de s’interroger sur les solutions qui auraient pu être envisagées par la veuve du peintre. Quid de l’hypothèse d’un contrat établi entre le restaurateur et le peintre ?
 

II) La remise en cause de l’article 2276 par l’existence d’un lien juridique

 
En l’espèce, si le droit réel trouve son origine dans un acte juridique, il conviendrait d’identifier la nature du lien juridique entre les deux contractants (don, dépôt, prêt). En effet, si un contrat a éventuellement été conclu entre le restaurateur et le peintre, la validité de la présomption de l’article 2276 du code civil peut être rediscutée, notamment s’il s’agit d’un contrat de dépôt. En effet, un contrat de dépôt rejette toute propriété du dépositaire. Par conséquent, la présomption de l’article 2276 se voit atteinte.
 
Ainsi, sur le fondement du droit français, la veuve aura la charge de la preuve de la mauvaise foi du prétendu possesseur, en prouvant ainsi que ce dernier n’a pas une possession véritable. Sous preuve d’un contrat de dépôt ou de prêt, la possession serait alors certes viciée, mais cette fois, indifféremment de l’équivocité ou de précarité invoquée à l’origine par la veuve.
 
Dans le cadre d’un contrat de dépôt, celui-ci étant soumis à la loi contractuelle, des obligations de moyens et de restitution sont requises. Dans ces circonstances, la veuve en démontrant l’existence d’un tel contrat, devra invoquer les dispositions du règlement Rome 1.

 

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A propos de l'auteur
Blog de InterNot

Nisrine F., étudiante en M2 de Droit international, spécialisée en droit international privé 

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