Note personnelle sur l'ordre public international

Publié le 23/01/2015 Vu 8 670 fois 0
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Note personnelle sur l'ordre public international

L’Ordre Public International, entre grandeur et décadence

Par Laura Edouiri

Le plus difficile est de trouver des définitions sans se heurter à l’impossible traduction des concepts juridiques.

Il est nécessaire de rappeler, avant tout propos, certaines notions afin de fixer le cadre tout pour éviter de se noyer dans l’océan juridique. Rappelons alors, que le droit vise l’ensemble des règles qui organisent la vie en société dont l’effectivité doit être nécessairement assurée par l’autorité publique. Ainsi en l’absence d’un tiers impartial pour garantir l’applicabilité des règles édictées, il n’y a pas de droit. Ce qui implique la création d’un véritable ordre juridique. 

Ce droit est subdivisé en 2 branches : public et privé. Il s’agit d’établir des règles dont le champ d’application se distingue : l’un concerne l’organisation étatique et l’autre l’organisation des relations entre particuliers.

Le droit international n’échappe pas à cette subdivision à la seule différence que le droit international public apparaît comme un rapport de force entre Etats alors que le droit international privé est trompeur puisqu’il ne couvre d’international que l’élément d’extranéité nécessaire à son application. On pourrait presque dire qu’il n’a d’international que le nom. Sans cela il s’agit de droit interne. Ne pourrions-nous pas considérer qu’en l’absence d’ordre international préétablit, il ne peut se concevoir de droit international contraignant ? C’est vers cette direction qu’il faut se diriger. En effet, dès lors qu’une loi étrangère normalement applicable à une situation donnée se heurte à une valeur supérieure, l’exception d’ordre public international va permettre d’évincer cette loi au profit de la norme du for. 

Mais alors, quelle est la nature d’un tel dispositif ? Dans quelles mesures l’ordre public international intègre le cadre du droit international privé ? 

S’il est un outil au profit du mécanisme de conflit de lois, l’ordre public international est-il pour autant contraignant ? Faut-il l’envisager subsidiairement ou de manière tout à fait autonome ?

Depuis l’arrêt Lautour rendu en 1948, l’ordre public international a été soumis aux différentes évolutions de la société française (I) dont la finalité reste inchangée : préserver les intérêts de ses citoyens confrontés à une norme étrangère (II), ce qui peut conduire l’ordre public international à trouver une certaine implication dans le principe de réciprocité de manière succincte (III) 

I. La notion d’ordre public international : définition et évolution 

Il paraît nécessaire d’évoquer l’ordre public stricto sensu [1] avant même de pouvoir citer l’ordre public international [2]. 

[1] Portalis envisageait le maintien de l’ordre public dans une société comme une loi suprême. Il est vrai que les termes d’ordre public déclenchent quasi automatiquement l’image de rigueur et de discipline. A l’instar des libertés, l’ordre public est une garantie au service de la souveraineté. 

En 2013, l’étude du rapport de la Cour de cassation consacrait la notion d’ordre public. Ainsi, le professeur Guillaume Drago, en avant-propos, définit l’ordre public en ces termes : « l’ordre public apparaît comme l’horizon de l’État légal fixant les bornes de ce qui est possible et de ce qui est interdit, comme le rappel des limites qu’il ne faut pas franchir afin de conserver ce vouloir vivre ensemble qui fait une Nation. » De sorte que l’ordre public fait naître l’idée d’impérativité. Autrement dit il faut accepter de concéder une partie de certaines libertés pour permettre la vie en communauté. C’est en cela le prolongement de « la liberté des uns s’arrêtent là où commence celle des autres » de John Stuart Mill. 

Mais alors l’ordre public est-ce véritablement l’intérêt collectif qui prime sur l’intérêt individuel ? Il semblerait que cette acception a pour finalité de restreindre la portée de l’ordre public dans la mesure où cet intérêt collectif est tellement essentiel qu’il englobe de plein droit l’intérêt individuel. Ce dernier aurait d’ailleurs pour tête de liste l’intérêt collectif et ne pourrait subsister sans.

L’ordre public dans son sens le plus traditionnel fait l’objet de trois composantes : la salubrité, la sécurité et la tranquillité publique. Ces trois composantes semblent préservées d’une quelconque atteinte, c’est la garantie de la protection des libertés et droits fondamentaux. De façon que le force publique est chargée du maintien de l’ordre public comme en dispose le Code Général des Collectivités Territoriales en son article L. 2212-2 : « La police municipale a pour objet d’assurer le bon ordre, la sûreté, la sécurité et la salubrité publique. » 

Puisqu’en matière de police, la liberté est la règle et les restrictions l’exception, comme l’affirme le Conseil d’Etat dans un célèbre arrêt dit Baldy du 10 août 1917. C’est le juge qui toutefois va garantir l’ordre public de manière à parvenir à l’équilibre entre les libertés et droits fondamentaux et leur nécessaire limitation. 

Tout comme l’ordre public est une manière de légitimer le rationnement des libertés, il ne se contente pas d’entrer en jeu qu’auprès des particuliers et permet une protection rapprochée des droits fondamentaux sur la scène internationale.

[2] L’arrêt Lautour, rendu en 1948, nous offre la première définition de l’ordre public international de la Cour de cassation : « principes de justice universelle considérés dans l’opinion française comme doués de valeur internationale absolue ». En d’autres termes, l’ordre public international couvre des principes communément admis qui ont une valeur supra-législative. L’opinion est le pendant d’une société qui évolue. Au fur et à mesure, cette évolution emporte dans son sillage les mœurs et transforme avec elle les principes reconnus par tous. Ces principes évoluent d’une manière que l’on pourrait qualifier de totalement naturelle puisque c’est la conséquence de l’avancée de l’humanité. 

Si bien, que la Cour de cassation, dans un arrêt du 8 juillet 2000, définie de nouveau l’ordre public international mais en le confrontant à la norme étrangère qui sera évincée si elle contrarie les « principes essentiels du droit français ». Cette évolution de la Cour de cassation nous rappelle que le droit ne se compose pas de principes intangibles mais bien au contraire perméables aux changements perpétuels. Sans pour autant faire table rase du passé, elle épouse la jurisprudence Lautour en la perfectionnant.

En outre, l’ordre public international permet l’éviction d’une loi étrangère normalement applicable au profit de la norme du for en vue du respect d’un intérêt supérieur inconciliable avec la norme étrangère. Comment se caractérise cette éviction ? En l’absence d’un ordre juridique établit internationalement, n’est-ce pas là l’occasion pour un Etat d’affirmer sa suprématie ? Mais n’est-ce pas également le moyen d’exercer une pression juridique sur l’Etat dont la loi sera évincée ? 

II. La mise en œuvre de l’ordre public international 

L’accomplissement de l’ordre public est révélé par les lois de police [1] mais tout justement par la méthode des règles de conflit de lois en cas de pluralité de lois susceptibles d’être appliquées [2]

[1] Les lois de police permettent de consacrer l’ordre public. C’est une manière d’ériger une règle matérielle comme norme impérieuse. Cette dernière est non seulement insusceptible de dérogations au niveau interne mais plus précisément au niveau international. La loi de police permet au législateur de graduer une règle sur l’échelle normative. Cette qualification la place au plus haut barreau. En effet, dans l’ordre interne, elle ne peut être supplétive de volonté, c’est-à-dire que l’on ne peut y déroger conventionnellement.  Elle est ainsi présentée à l’article 3 du Code civil : « les lois de police et de sûreté obligent tous ceux qui habitent le territoire. »  

Dans l’ordre externe ou international, elle permet de donner plus de force à la loi du for, l’article 3, alinéa 3 du Code civil poursuit à ce sujet : « les lois concernant l’état et la capacité des personnes régissent les Français, même résidant en pays étranger. » Les lois de police auraient donc une double action puisqu’elles vont assurer aux justiciables une sécurité au sein du territoire mais également à l’étranger concernant des domaines spécifiques. Et ainsi, viser l’état et la capacité des personnes, pour exemple, l’âge de la majorité est fixé par la loi personnelle. Il est nécessaire pour la sauvegarde de l’organisation étatique d’édicter des lois de police. 

C’est au profit de cette idée que le règlement Rome I définit la loi de police comme «une disposition impérative dont le respect est jugé crucial par un pays pour la sauvegarde de ses intérêts public, tels que son organisation politique, sociale ou économique, au point d’en exiger l’application à toute situation entrant dans son champ d’application, quelle que soit par ailleurs la loi applicable au contrat d’après le présent règlement ».

De ce fait, les choses se compliquent lorsque deux lois de police ont vocation à s’appliquer : la loi de police du for et la loi de police étrangère. C’est alors que deux dispositions impératives entrent en concurrence et le mécanisme du conflit de lois va permettre de les départager.

[2] Dans une situation donnée, ayant des liens avec plusieurs Etats différents, ont alors vocation à s’appliquer plusieurs règles de droit. Cette situation complexe va se résoudre grâce à la méthode dite de règles de conflit de lois. C’est une situation qui relève nécessairement de l’international, avant toute chose il faut relever un élément d’extranéité. A l’instar du fait générateur, l’élément d’extranéité conditionne le déclenchement du conflit de lois.  

Cette méthode va permettre de déterminer la loi applicable à la situation évoquée, soit en désignant une loi directement applicable, règle dite matérielle, soit en indiquant une loi qui va elle-même renvoyer à l’application d’une autre loi. Ainsi pour cette dernière, la règle de conflit désigne la loi étrangère, il faut donc vérifier si cette loi étrangère n’est pas contraire à l’ordre public du for. 

C’est le jeu de l’exception d’ordre public international, c’est un mécanisme propre à la règle de conflit de lois. Il va agir comme pour atténuer la loi applicable. Il va permettre à la loi étrangère de rentrer dans « un certain moule » suivant l’usage commun du for. C’est précisément l’expression de la contrariété de la loi étrangère à celle du for. C’est la mise en œuvre de l’exception d’ordre public international s’apparent au refus pour le juge saisi d’appliquer la loi étrangère désignée par la règle de conflit des lois dès lors que cette loi étrangère paraît incompatible avec le droit interne. Le juge recherche en effet si l’application des dispositions matérielles étrangères est en adéquation avec ces fameux « principes essentiels du droit français »

A la façon de s’interroger sur la loi applicable pour le mariage franco-marocain entre un couple de même sexe. La loi nationale depuis le 17 mai 2013 (puis présentée par une circulaire du 29 mai 2013) a ouvert l’institution du mariage aux couples de même sexe. Or, le Code pénal marocain en son article 489 incrimine l’homosexualité. Comment concilier une loi qui autorise le mariage homosexuel et une loi qui interdit l’homosexualité même. Une règle de conflit de lois en matière de mariage présentant un élément d’extranéité précise que « les conditions de fond du mariage sont régies, pour chacun des époux, par leur loi personnelle au moment de la célébration du mariage. »

A ce titre, le 10 août 1981, la France et le Maroc ont signé une convention relative au statut des personnes et de la famille et à la coopération judiciaire. L’article 5, du chapitre I consacré au mariage, de cette convention bilatérale stipule que : « Les conditions du fond du mariage tels que l'âge matrimonial et le consentement de même que les empêchements, notamment ceux résultant des liens de parenté ou d'alliance, sont régies pour chacun des futurs époux par la loi de celui des deux Etats dont il a la nationalité. »

Il semblerait donc qu’en application de la loi personnelle de l’époux marocain le mariage ne soit pas légal. C’est ainsi que l’exception d’ordre public international peut remédier à l’impasse juridique d’une telle situation. Puisque le mariage est célébré sur le territoire français et qu’il est nullement question ici de reconnaissance de la célébration dans l’Etat marocain, il apparaîtrait légitime que la loi française prime. De plus l’ouverture récente du mariage aux couples de même sexe les place au même titre que les couples de sexe différents sous la protection d’un principe reconnu comme essentiel de droit français : l’égalité entre époux. Le mariage valablement célébré sur le territoire français, l’égalité entre époux est avérée. 

III. Propos conclusifs : l’exception d’ordre public international et le principe de réciprocité 

Il n’est pas question ici de remettre en doute la valeur supra-législative des traités internationaux. Au même titre, la convention franco-marocaine a une valeur supérieure à la loi. Il convient, par conséquent, d’évoquer l’article 55 de la Constitution de 1958 qui dispose que : « les traités ou accords régulièrement ratifiés ou approuvés, ont dès leur publication, une autorité supérieure à celle des lois, sous réserve pour chaque traité ou accord de son application par l’autre partie ».

La condition à cette supériorité est donc le principe de réciprocité puisque le traité ne peut prétendre avoir une valeur supérieure à la loi que s’il est appliqué réciproquement par les deux états (en l’espèce). Néanmoins, on peut constater que le mariage entre une marocaine musulmane et un français non musulman est refusé. De même que deux personnes de même sexe, de nationalité française, souhaitant célébrer leur union sur le territoire marocain ne seront reçues par aucun officier d’état civil. Dans ce cas peut-on parler de réciprocité ? L’application respective d’un traité co-signé ne peut-elle pas être considérée comme d’ordre public ? 

N’est-il pas légitime de s’interroger sur l’obsolescence d’un tel traité signé il y a plus de 30 ans ? 

D’autres facteurs sont à considérer et la révélation de la Cour de cassation, suite au pourvoi formé récemment par le couple franco-marocain, nous permettra d’éclaircir une possible influence de la loi Taubira sur la conception traditionnelle de l’ordre public international mais également de statuer sur une flagrante grandeur ou insoutenable décadence de l’ordre public international.

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