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Le « barème MACRON » : où en sommes-nous ?

Il a toujours été acquis dans notre droit que le préjudice subi doit être intégralement réparé.

En droit du travail, le montant de l’indemnisation allouée au salarié licencié de manière abusive était fixé par les juges.

La loi ne prévoyait que certaines limites :

- Pour les salariés ayant moins de deux ans d’ancienneté ou étant employé dans des entreprises de moins de 11 salariés, il n’y avait aucun plancher ni plafond et l’indemnisation devait être fixée en fonction du préjudice
- Pour les salariés ayant plus de deux ans d’ancienneté et employés dans des entreprises de plus de 11 salariés, l’indemnisation devait être au moins égale à six mois de salaire brut, la part excédant ces six mois devant être justifiée par un préjudice autre que la seule perte d’emploi.

Dans la réalité, les montants alloués dépendaient fortement de l’ancienneté du salarié et il n’y avait pas réellement de logique d’un conseil de prud’hommes à un autre.

C’est la raison pour laquelle une ordonnance publiée le 23 septembre 2017, applicable aux licenciements prononcés après cette date, a fixé le barème d’indemnisation du licenciement sans cause réelle et sérieuse qui s’impose au juge.

Ce barème (consultable sur www.service-public.fr/particuliers/vosdroits/F33999) fixe des planchers et des plafonds d’indemnisation en fonction de l’ancienneté du salarié.

Ainsi par exemple, l’indemnité à verser à un salarié licencié de manière abusive ayant un an d’ancienneté sera comprise entre un et deux mois de salaire brut.
Cette même indemnité sera comprise entre trois et dix mois de salaire brut pour un salarié ayant 10 ans d’ancienneté.

Le juge peut au surplus tenir compte des indemnités, telles qu’indemnité de licenciement, d’ores et déjà versées au salarié pour minorer encore les montants prévus par le barème.

Celui-ci n’est toutefois pas applicable lorsque le licenciement est nul (cas de harcèlement par exemple). Dans ce cas, le plancher d’indemnisation est fixé à six mois de salaire brut et il n’existe pas de plafond.

Plusieurs critiques ont immédiatement été émises lors de la publication du « barème Macron » :

- Quelle que soit l’ancienneté du salarié, le plancher d’indemnisation est globalement inférieur de moitié aux sommes allouées avant la publication du barème.

- Les plafonds sont très bas lorsque le salarié a très peu d’ancienneté, à tel point qu’il est possible de se demander si ces salariés ont encore un intérêt à aller contester le bienfondé de leur licenciement en justice.

- Mais surtout, ce barème automatique ne prend pas en compte les spécificités de chaque licenciement
Pour une ancienneté égale, le licenciement de deux salariés différents peut avoir engendré un préjudice totalement différent.
Or, l’indemnisation du licenciement sans cause réelle et sérieuse ou abusif a précisément pour but de réparer le préjudice subi.
Cette réparation de l’entier préjudice subi est un principe posé par le droit international et notamment par les articles 10 de la Convention n°158 de l’OIT et l’article 24 de la Charte Sociale Européenne du 3 mai 1996 qui tous deux font référence à « une indemnité adéquate ou toute autre forme de réparation considérée comme appropriée »

C’est cette dernière critique qui a amené plusieurs conseils de prud’hommes à refuser d’appliquer ce barème.

Le Conseil de prud’hommes de TROYES a « ouvert le bal » en rendant le 13 décembre 2018 un jugement par lequel il considère que le « plafonnement des indemnités prud’homales ne permet pas aux juges d’apprécier les situations individuelles des salariés injustement licenciés dans leur globalité et de réparer de manière juste le préjudice qu’ils ont subi ». (CPH Troyes, 3 décembre 2018, n°18/00036)

Le Conseil de prud’hommes poursuit en indiquant que « ces barèmes ne permettent pas d’être dissuasifs pour les employeurs qui souhaiteraient licencier sans cause réelle et sérieuse un salarié ».

Il en conclut que le barème viole l’article 24 de la Charte Sociale Européenne et la convention n°158 de l’OIT et écarte purement et simplement ledit barème.

Ce jugement a été suivi par plusieurs autres rendus par les conseils de prud’hommes d’AMIENS (24 janvier 2019, n°18/00093), de LYON (7 janvier 2019, n°15/01398 ), d’ANGERS (17 janvier 2019, n°18/00046) ou GRENOBLE (18 janvier 2019 n°18/00989)

Ce dernier a motivé son jugement en considérant que « le droit au procès équitable n’est plus garanti lorsque le pouvoir du juge se retrouve ainsi drastiquement limité » et que le barème du fait du peu de marge entre les planchers et les plafonds d’indemnisation ne permet plus au juge de moduler l’appréciation des préjudices.

Ces jugements ont été rendus par des conseillers prud’homaux, c’est-à-dire des « juges non professionnels ».
A Agen, par contre, c’est un juge professionnel (juge départiteur) qui a également décidé de ne pas tenir compte du plafonnement des indemnités mis en place par les ordonnances MACRON et ce, sur le même fondement que celui retenu dans les jugements ci-dessus, savoir la violation de la Charte Sociale Européenne. (CPH Agen, déparatge,5 février 2019)

Pour autant, il faut encore rester prudent, car de nombreux autres Conseils de prud’hommes, comme celui de LE MANS ou celui de PARIS continuent d’appliquer le barème en considérant, tout au contraire des jugements ci-dessus, que le barème est parfaitement conforme au droit international.

Le Conseil d’Etat a d’ailleurs déjà rejeté un recours relatif à l’inconventionnalité du plafonnement et le Conseil constitutionnel l’a jugé conforme en mars 2018.

Il faudra donc attendre les décisions des Cours d’Appel puis vraisemblablement les arrêts ou les « avis » de la Cour de Cassation pour qu’une position uniforme sur tout le territoire soit fixée.

En attendant, une grande disparité entre les salariés va exister selon le conseil de prud’hommes amené à examiner leurs affaires, ce qui ne saurait être satisfaisant en terme d’équité.

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