Entente sur le marché belge des déménagements internationaux

Publié le Modifié le 13/04/2012 Vu 3 627 fois 0
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Dans cinq arrêts rendus le 16 juin 2011, confirmant la décision du 11 mars 2008 de la Commission européenne (aff. COMP/38.543 – Services de déménagements internationaux) concernant une entente sur le marché belge des déménagements internationaux, le Tribunal examine pour la première fois certaines questions concernant l’interprétation des nouvelles lignes directrices pour le calcul des amendes.

Dans cinq arrêts rendus le 16 juin 2011, confirmant la décision du 11 mars 2008 de la Commission européenne

Entente sur le marché belge des déménagements internationaux

Dans la célèbre affaire concernant l'entente sur le marché belge des déménagements internationaux, le Tribunal rejette les arguments invoqués par les membres de l’entente – Team Relocations, Ziegler, Amertranseuro International, Putters International, Verhuizingen Coppens, Gosselin – maintient le montant de leurs amendes (à l’exclusion de Gosselin pour l’amende a été rectifiée à la baisse), en se fondant sur des critères précis qui sont :

- l’étendue géographique de l’infraction,

- la durée de l’infraction,

- la gravité de l’infraction,

- l’impact de l’infraction,

- l’obligation de motivation relative à la fixation de l’amende,

- l’appartenance au groupe,

- et la valeur des ventes. 

Nous constaterons d’emblée que le Tribunal n’a pas inclus dans son raisonnement le critère de la réitération de l’infraction, faute pour les parties de l’avoir soulevé. Il ne fera donc pas l’objet d’une analyse dans le cadre des arrêts étudiés, mais plutôt dans le cadre d’une appréciation personnelle. 

Tout l’intérêt de la présente note est de mettre en évidence l’appréciation du Tribunal par rapport à chacun des critères prix en compte dans la fixation de l’amende (I). Il n’empêche que ladite appréciation n’est pas exempte de critiques (II).

 

I.- Appréciation du Tribunal 

a) L’étendue géographique de l’infraction 

Dans les cinq arrêts du 16 juin 2011 (T-199/08, T-20/08, T-208/08, T-210/08, T-211/08), le Tribunal relève que les requérantes ont participé à une entente dans le secteur des services de déménagements internationaux en Belgique. Les services concernés comprennent tant le déménagement de biens de personnes physiques, qui sont des particuliers ou des employés d’une entreprise ou d’une institution publique, que le déménagement de biens d’entreprises ou d’institutions publiques. Ces déménagements se caractériseraient par le fait que la Belgique en constitue le point d’origine ou le point de destination. En tenant compte également du fait que les sociétés de déménagements internationaux en cause sont toutes situées en Belgique et que l’activité de l’entente se déroule en Belgique, il a donc été considéré que le centre géographique de l’entente était la Belgique. 

L’entente visait notamment à établir et à maintenir des prix élevés et à se répartir le marché de manière concomitante ou successive sous plusieurs formes : des accords sur les prix, des accords sur la répartition du marché moyennant un système de faux devis (les devis de complaisance – DDC) et des accords sur un système de compensations financières pour des offres rejetées ou des cas d’abstention d’offrir (les commissions). 

 

b) La durée de l’infraction 

L’absence d’éléments de preuve sur la durée de l’infraction peut-elle être palliée par l’affirmation selon laquelle l’entente anticoncurrentielle en cause constitue une infraction unique et continue ? 

Dans l’arrêt Gosselin Group NV c/ Commission européenne (aff. jtes T-208/08 et T-209/08), la société Gosselin fait valoir en substance que  le caractère unique et continue d’une infraction n’ôte pas à la Commission la charge de la preuve concrète de la durée de l’infraction. Elle s’appuie sur le fait que le dossier ne contienne aucun document relatif à des cas concrets de commissions et de devis de complaisance (DDC) pendant la période litigieuse (du 30 octobre 1993 au 14 novembre 1996), qu’elle n’a participé à aucune réunion d’entente et que la Commission ne peut se fonder sur le fait que Gosselin ne s’est pas distanciée publiquement et sans équivoque de l’entente pour déduire une quelconque participation de sa part. Cette argumentation soulève donc la question de savoir si la Commission peut se contenter d’indices objectifs à défaut de produire des éléments de preuves directs susceptibles d’établir directement la durée de l’infraction et la participation de l’entreprise à l’entente. 

Le Tribunal répond de façon pédagogique pour ne laisser aucun doute sur la portée de son raisonnement en matière de preuve concernant la durée de l’infraction. Il commence par rappeler la jurisprudence constante en matière de charge de la preuve concernant les infractions à l’article 101, paragraphe 1, TFUE. Il incombe à la Commission de rapporter des preuves précises et concordantes pour fonder la ferme conviction que l’infraction alléguée a été commise (voir, en ce sens, CJUE, 28 mars 1984, CRAM et Rheinzink/Commission, 29/83 et 30/83, Rec. p. 1679, pt 20 ; TPIUE, 27 septembre 2006, Dresdner Bank e.a./Commission, T‑44/02 OP, T‑54/02 OP, T‑56/02 OP, T‑60/02 OP et T‑61/02 OP, Rec. p. II‑3567, pt 62). En l’espèce, il est constant qu’il n’existe pas de preuves documentaires pour la période litigieuse. Toutefois, selon la jurisprudence précitée, la Commission peut avancer de simples indices de nature à établir la durée de la participation d’une entreprise à l’entente si elle parvient à établir préalablement sa participation à des réunions multilatérale de façon claire et sans équivoque, c’est-à-dire sur la base de preuves directes. Le Tribunal fait une lecture a contrario de cette exception pour son refus d’accorder à la Commission le bénéficie d’un allègement de la charge de la preuve concernant la durée de participation d’une entreprise à l’entente, si la participation elle-même n’est pas clairement établie. Or, force est de constater que, s’agissant de la période litigieuse, les indices invoqués par la Commission ne sont pas susceptibles de prouver à suffisance de droit la participation de Gosselin à l’entente. Il ya lieu d’en conclure, selon le Tribunal, que la Commission n’a pas produit des éléments de preuve se rapportant à des faits suffisamment rapprochés dans le temps, de façon à ce qu’il puisse être raisonnablement admis que l’infraction s’est poursuivie de façon ininterrompue pendant la période litigieuse. 

 

c) La gravité de l’infraction 

Dans les arrêts Team Relocations c/ Commission européenne (aff. T-204/08, pts 80 et s.), Gosselin Group NV c/ Commission européenne (aff. jtes T-208/08, pts 124 et s.), et  Putters International c/ Commission européenne (aff. T-211/08, pts 67 et s.), le Tribunal s’est penché sur la question de savoir si la Commission est de prendre en compte toutes les circonstances pertinentes de l’espèce pour déterminer la gravité de l’infraction. S’il est vrai que les lignes directrices adoptées par la Commission ont un caractère contraignant, l’obligeant à autolimiter son pouvoir d’appréciation, le tribunal reconnaît que les ententes et autres pratiques restrictives de concurrence peuvent être qualifiées, sur le seul fondement de leur nature intrinsèque, de « très grave », sans qu’il soit nécessaire que de tels comportements se caractérisent par une étendue géographique ou un impact particulier. Il ressort, en effet, d’une jurisprudence constante que la gravité de l’infraction peut être établie par référence à la nature et à l’objet des comportements abusifs (TPIUE, 18 juillet 2005, Scandinavian Airlines System/Commission, T‑241/01, Rec. p. II‑2917, pt 83). En l’espèce, l’infraction avait pour objet une fixation des prix et une répartition des marchés. Une telle infraction patente au droit de la concurrence est, par sa nature, particulièrement grave.  Par conséquent, le grief tiré de la détermination abstraite de la gravité de l’infraction a été rejeté. 

Par ailleurs, les lignes directrices de 2006 n’obligent la Commission à appliquer un coefficient de multiplication pour déterminer le pourcentage de la valeur des ventes retenu au titre de la gravité. Dans la présente affaire, la Commission avait fixé un taux unique de 17% pour toutes les entreprises participantes à l’entente sans prendre en compte les circonstances particulières applicables à chacune d’entre elles. Sur ce point, les requérantes font valoir l’argument suivant lequel la Commission devait procéder à une distinction qualitative entre l’entente sur les prix et les autres pratiques restrictives de concurrence, telles que la répartition des marchés entre les participants à l’entente, de manière à traiter différemment les participants à l’entente. Cette argumentation met en jeu le principe d’égalité de traitement. Ce fut l’occasion pour le Tribunal d’apporter un éclairage sur la portée de ce principe fondamental du droit communautaire de la concurrence dans le cadre de l’appréciation de la gravité de l’infraction à prendre pour calculer le montant de base de l’amende.  Le Tribunal commence par rappeler que le principe d’égalité de traitement, qui compte parmi les principes fondamentaux du droit communautaire, interdit non seulement que des situations comparables soient traitées de manière différente, mais également que des situations différentes soient traitées de manière égale, à moins que de tels traitements ne soient objectivement justifiés (voir, en ce sens, arrêts de la CJUE du 8 octobre 1986, Christ-Clemen e.a./Commission, 91/85, Rec. p. 2853, pt 10, et du 28 juin 1990, Hoche, C‑174/89, Rec. p. I‑2681, pt 25). Il constate ensuite que la Commission n’a effectivement pas traité de manière différente les participants dans le choix de la proportion de la valeur des ventes individuelle retenue, mais qu’elle a appliqué un taux uniforme de 17 % à toutes les entreprises concernées. La Commission justifie cette approche par le fait qu’il s’agissait d’une infraction unique et continue. Le Tribunal désapprouve finalement la position de la Commission et juge que les circonstances particulières de l’affaires doivent être prises en compte dans l’appréciation de la gravité de l’infraction, dans la mesure où les requérantes soutiennent que l’entreprise concernée soutient que sa participation est moins importante que celle des autres entreprises impliquées dans la réalisation de l’infraction. 

Afin de tenir une entreprise pour responsable d’une infraction unique et continue, le Tribunal précise également dans son arrêt Coppens c/ Commission européenne (aff. T-210/08, pt 29), que la connaissance (prouvée ou présumée) des comportements infractionnels des autres participants à l’infraction est requise. En effet, selon la jurisprudence en vigueur, une entreprise ayant participé à une infraction multiforme aux règles de la concurrence par des comportements qui lui sont propres, qui relèvent des notions d’accord ou de pratique concertée ayant un objet anticoncurrentiel au sens de l’article 101, paragraphe 1, TFUE et qui visent à contribuer à la réalisation de l’infraction dans son ensemble, peut être également responsable des comportements mis en œuvre par d’autres entreprises dans le cadre de la même infraction pour toute la période de sa participation à ladite infraction, lorsqu’il est établi que l’entreprise en question connaît les comportements infractionnels des autres participants, ou qu’elle peut raisonnablement les prévoir et qu’elle est prête à en accepter le risque (CJUE , 8 juillet 1999, Commission/Anic Partecipazioni, C‑49/92 P, Rec. p. I‑4125, pts 87 et 203). Or, dans le cas de la société Coppens, force est de constater que la Commission n’a pas démontré que la requérante, lors de sa participation à l’accord sur les DDC, avait connaissance des activités anticoncurrentielles des autres entreprises concernant les commissions, ou qu’elle pouvait raisonnablement les prévoir ; d’autant plus que la décision de la Commission ne repose pas sur des éléments de preuves spécifiques. 

 

d) L’impact de l’infraction 

Deux points sont abordés par le Tribunal dans l’arrêt Gosselin Group NV c/ Commission européenne (aff. jtes T-208/08 et T-209/08) : d’une part, l’effet de l’entente le jeu de la concurrence ; d’autre part, l’effet sensible de l’accord ou de la pratique sur le commerce entre États membres. 

Concernant le critère de l’effet restrictif de concurrence de l’entente, le Tribunal a jugé que la Commission est dispensée de démontrer les effets anticoncurrentiels réels des accords ou des pratiques qui ont pour objet ou pour effet d’empêcher, de restreindre ou de fausser le jeu de la concurrence à l’intérieur du marché en cause, en tenant compte notamment du contexte économique et juridique dans lequel opèrent les entreprises concernées, dès lors que l’accord en question comporte en lui-même (c’est-à-dire par sa nature même) des restrictions patentes de la concurrence des restrictions patentes de la concurrence comme la fixation des prix, la répartition du marché ou le contrôle des débouchés. En effet, Gosselin, partie à l’entente, recevait et fournissait des devis de complaisance (DDC) qui avaient pour objet et pour effet de restreindre le jeu concurrentiel avec les autres entreprises impliquées dans l’entente, de sorte que l’entreprise qui remettait un DDC renonçait délibérément à toute concurrence réelle avec l’entreprise qui avait sollicité ce devis. Cette dernière pouvait ainsi pratiquer des prix plus élevés en l’absence de concurrence effectifs des autres entreprises de déménagement. De telles pratiques anticoncurrentielles visaient à répartir les clients et à manipuler les procédures d’appel d’offres, c’est-à-dire deux restrictions patentes de la concurrence. 

Concernant le critère de l’effet sensible sur le commerce entre États membres, le Tribunal estime que, exceptionnellement, la Commission pouvait se fonder sur l’une des deux conditions alternatives prévues dans les lignes directrices de 2004 qui indiquent des seuils minimaux de 5% pour les parts de marché (article 55) et de 40 millions d’euros au titre des chiffres d’affaires consolidés des entreprises concernées (article 53), afin de prouver le caractère sensible de l’affectation du commerce entre États membres. Bien que l’application du seuil de 5% des parts de marché implique normalement de déterminer préalablement le marché pertinent, le Tribunal admet que la Commission a su établir, à suffisance de droit, une description suffisamment détaillé du secteur en cause pour lui permettre de vérifier les affirmations de base de la Commission concernant le dépassement du seuil de 5% de la part de marché cumulée en question, et, de surcroît, d’en conclure que le grief tiré de l’absence d’affectation sensible du commerce entre États membres doit être écarté. 

 

e) L’obligation de motivation relative à la fixation de l’amende 

Dans l’arrêt Ziegler SA c/ Commission européenne (aff. T-199/08, pt 86-96), le Tribunal a jugé que la motivation de la Commission quant au calcul des amendes n’est effectivement pas très détaillé. En l’espèce, la Commission s’est contentée de motiver uniquement la qualification de l’infraction de « très grave », sans expliquer de façon circonstanciée un tel caractère. Toutefois, la motivation paraît suffisante, car la Commission n’a pas appliquer le taux le plus élevé de l’échelle allant jusqu’à 30 % en référence aux lignes directrices de 2006 pour le calcul des amendes : sachant que le montant de base de l’amende est « lié à une proportion de la valeur des ventes, déterminée en fonction du degré de gravité de l’infraction, multipliée par le nombre d’années d’infraction » (paragraphe 19), « la proportion de la valeur des ventes prise en compte doit être fixée à un niveau pouvant aller jusqu’à 30% » (paragraphe 21). Elle a motivé son choix par la nature « très grave » de l’infraction tout en fixant le taux de l’amende à 17%, très proche de la limite inférieure de la fourchette prévue pour les restrictions les plus graves. Dans ces conditions, le Tribunal a jugé que la Commission remplissait son obligation de motivation dès lors qu’elle indiquait, dans sa décision, les éléments d’appréciation qui lui ont permis de mesurer la gravité de l’infraction commise, sans être tenue d’y faire figurer un exposé plus détaillé ou les éléments chiffrés relatifs au mode de calcul de l’amende (TPIUE, 29 avril 2004, Tokai Carbon e.a./Commission, T‑236/01, T‑239/01, T‑244/01 à T‑246/01, T‑251/01 et T‑252/01, Rec. p. II‑1181, pt 252). Toutefois, le Tribunal reconnaît que la Commission aurait pu renforcer sa motivation quant au calcul des amendes pour permettre aux entreprises de connaître en détail le mode de calcul de l’amende qui leur est infligée. De façon plus générale, cela peut servir la transparence de l’action administrative et faciliter l’exercice par le Tribunal de sa compétence de pleine juridiction, qui doit lui permettre d’apprécier, au-delà de la légalité de la décision attaquée, le caractère approprié de l’amende infligée. 

Dans l’arrêt Coppens c/ Commission européenne (aff. T-210/08, pt 34), précise également que le dispositif d’un acte est indissociable de sa motivation, de sorte qu’il doit être interprété, si besoin est, en tenant compte des motifs qui ont conduit à son adoption. S’il est vrai que seul le dispositif d’une décision est susceptible de produire des effets juridiques, il n’en reste pas moins que les appréciations formulées dans les motifs d’une décision peuvent être soumises au contrôle de légalité du juge de l’Union dans la mesure où, en tant que motifs d’un acte faisant grief, elles constituent le support nécessaire du dispositif de cet acte ou si ces motifs sont susceptibles de modifier la substance de ce qui a été décidé dans le dispositif de l’acte en cause (voir également, en ce sens, TPIUE, 1er juillet 2009, KG Holding e.a./Commission, T‑81/07 à T‑83/07, Rec. p. II‑2411, pt 46). 

 

f) L’appartenance au groupe 

L’appartenance des entreprises susmentionnées à un groupe dont le chiffre d’affaires est en l’occurrence particulièrement important constitue une circonstance individuelle conduisant à majorer leur sanction. 

Dans l’arrêt Team Relocation NV c/ Commission européenne (aff. jtes T-204/08 et T-212/08), le groupe Amertranseuro conteste la possibilité pour la Commission de lui imputer des infractions commises par sa filiale, Team Relocations, et de fixer une amende dépassant le plafond de 10 % au regard du chiffre d’affaires consolidé du groupe (article 23 du règlement n° 1/2003). Les raisons invoquées sont de plusieurs ordres : 1) la filiale jouissait d’une autonomie complète de gestion ; 2) la Commission a une interprétation extensive de la jurisprudence de la CJUE et du TPIUE sur « le pouvoir des sociétés mères d’exercer une influence déterminante sur leurs filiales », entraînant une présomption irréfragable de responsabilité (ou responsabilité de plein droit) du sociétés mères ; le montant de l’amendant dépassant de plus de 60 % du chiffres d’affaires de la filiale, est contraire au principe de proportionnalité. Le Tribunal rejette chacun des arguments ainsi développés. En premier lieu, il estime qu’il ne fait aucun doute qu’une société mère peut exercer une influence déterminante sur sa filiale lorsque, comme Amertranseuro en l’espèce, elle détient 100 % de son capital, que ce soit directement ou indirectement, par le truchement de participations dans d’autres sociétés. La responsabilité de l’infraction peut alors être imputée à la société mère. Le Tribunal estime, en deuxième lieu, que la Commission s’est fondée sur la jurisprudence selon laquelle, dans le cas particulier où une société mère détient 100 % du capital de sa filiale auteur d’un comportement infractionnel, comme en l’espèce, il existe une présomption réfragable selon laquelle ladite société mère exerce effectivement une influence déterminante sur la politique commerciale de sa filiale (arrêts de la CJUE du 25 octobre 1983, AEG-Telefunken/Commission, 107/82, Rec. p. 3151, pt 50, et du 16 novembre 2000, Stora Kopparbergs Bergslags/Commission, C‑286/98 P, Rec. p. I‑9925, pt 29, et arrêts du TPIUE du 20 avril 1999, Limburgse Vinyl Maatschappij e.a./Commission, T‑305/94 à T‑307/94, T‑313/94 à T‑316/94, T‑318/94, T‑325/94, T‑328/94, T‑329/94 et T‑335/94, Rec. p. II‑931, pts 961 et 984, et du 12 décembre 2007, Akzo Nobel e.a./Commission, T‑112/05, Rec. p. II‑5049, pt 62). En l’espèce, les requérantes ne sont pas parvenues à renverser la présomption d’exercice d’une influence déterminante, puisque leur argumentation repose sur des considérations politiques et de simples affirmations, comme la prétendue autonomie de gestion de Team Relocations. La Commission s’est fondée, par ailleurs, sur d’autres éléments de fait tels que l’existence de réunions mensuelles et informelles de l’entente, portant sur la gestion opérationnelle et financière de la filiale belge, entre les responsables de cette dernière et les représentants de la société-mère entre 1994 et 2001. En dernier lieu, le Tribunal considère que le fait que le montant de l’amende infligée à la filiale (Team Relocations) excède 10 % de son chiffre d’affaires est sans pertinence dans la mesure où ce montant reste nettement en dessous du seuil de 10 % du chiffre d’affaires du groupe Amertranseuro. 

 

g) La valeur des ventes 

En ce qui concerne la valeur des ventes à prendre en compte pour calculer le montant de base de l’amende, le paragraphe 13 des lignes directrices de 2006 précise qu’ « En vue de déterminer le montant de base de l’amende à infliger, la Commission utilisera la valeur des ventes de biens ou services, réalisées par l’entreprise, en relation directe ou indirecte avec l’infraction […] ». Que faut-il entendre par l’expression «  ventes […] en relation directe ou indirecte avec l’infraction » ? Faut-il la distinguer avec l’expression « ventes affectées par l’infraction » ? C’est sur ces questions relatives à la détermination de la valeur des ventes pertinentes aux fins du calcul de l’amende que l’apport jurisprudentiel du TPIUE, concernant l’entente sur le marché belge des déménagements internationaux, paraît déterminant. 

Dans les deux arrêts Team Relocation NV c/ Commission européenne (aff. jtes T-204/08 et T-212/08) et Putters International c/ Commission européenne (aff. T-211/08), le Tribunal estime que le paragraphe 13 des lignes directrices de 2006, en faisant référence aux «  ventes […] en relation directe ou indirecte avec l’infraction » et non « ventes affectées par l’infraction », vise les seules ventes réalisées sur le marché pertinent. La valeur des ventes résultant des déménagements réellement affectés par les pratiques infractionnelles ne peut donc pas être prise en considération pour calculer la valeur des ventes pertinente. A fortiori, le paragraphe 13 des lignes directrices de 2006 ne vise pas uniquement les cas pour lesquels la Commission dispose de preuves documentaires de l’infraction.

 Cette interprétation est confortée par l’objectif des règles communautaires de concurrence. En effet, l’interprétation proposée par les requérantes selon laquelle le calcul de la valeur des ventes pertinente ne devrait pas inclure le chiffre d’affaires réalisé sur les déménagements payés par des particuliers, autrement dit non pris en charge par un tiers, soulève trois objections. Premièrement, cet argument signifierait que, pour déterminer le montant de base des amendes à infliger dans les affaires portant sur des ententes, la Commission serait obligée dans chaque cas d’établir quelles sont les ventes individuelles qui ont été affectées par l’entente. Or, une telle obligation n’a jamais été imposée par les juridictions de l’Union et rien n’indique que la Commission avait l’intention de s’imposer une telle obligation dans les lignes directrices de 2006. Deuxièmement, les ententes étant par nature tenues secrètes, il serait impossible pour la Commission d’établir des éléments de preuve spécifiques à chacun des déménagements affectés pour attester l’existence de pratiques anticoncurrentielles. Les preuves resteront incomplètes dans la plupart des cas. Troisièmement, le fait que des déménagements internationaux ont été payés par des particuliers montre bien  que certains déménagements privés ont été affectés par l’entente, en tant qu’infraction unique en cause. 

Il s’ensuit que la prise en compte de la part du chiffre d’affaires provenant des marchandises faisant l’objet de l’infraction est de nature à donner une juste indication de l’ampleur de l’infraction sur le marché en cause conformément à la jurisprudence européenne en vigueur (CJUE, 7 juin 1983, Musique Diffusion française e.a./Commission, 100/80 à 103/80, Rec. p. 1825, pt 121). En particulier, le chiffre d’affaires réalisé sur les produits ayant fait l’objet d’une pratique restrictive constitue un élément objectif qui donne une juste mesure de la nocivité de cette pratique pour le jeu normal de la concurrence (arrêts du TPIUE du 11 mars 1999, British Steel/Commission, T‑151/94, Rec. p. II‑629, point 643, et du 8 juillet 2008, Saint-Gobain Gyproc Belgium/Commission, T‑50/03, non publié au Recueil, pt 84). Ce principe a été repris dans les lignes directrices de 2006. 

 

II.- Regard critique 

a) La durée de l’infraction 

L’article 23, paragraphe 3, du règlement n° 1/2003 indique qu’il convient de prendre en compte la durée de l’infraction dans le calcul du montant de l’amende, sans préciser la manière concrète dont il convient d’y procéder. Cette disposition générale a été précisée dans les différentes lignes directrices pour le calcul des amendes : à l’origine, les lignes directrices de 1998 prévoyaient, pour les infractions de longue durée (en général au-delà de cinq ans), une augmentation du montant retenu pour la gravité de l’infraction de 10 % pour chaque année ; en revanche, la multiplication par le nombre d’années de participation à l’infraction, prévue dans les lignes directrices de 2006, équivaut à augmenter le montant de 100 % par année. Cette approche représente un changement de méthodologie fondamental en ce qui concerne la prise en considération de la durée de l’entente. Le critère de la durée de l’infraction a été considérablement renforcé dans les lignes directrices de 2006 pour le calcul des amendes en application de l’article 23 du règlement n° 1/2003. En l’absence d’éléments de preuve susceptibles d’établir directement la durée d’une infraction, la Commission est ainsi tenue de produire des indices de preuve se rapportant à des faits suffisamment rapprochés dans le temps, de façon à ce qu’il puisse être raisonnablement admis que cette infraction s’est poursuivie de façon ininterrompue entre deux dates précises, comme l’illustre l’arrêt Gosselin Group NV c/ Commission européenne (aff. jtes T-208/08 et T-209/08)

Cependant, l’approche peut paraître contestable, car, en réalité, les gains illicites générés par les cartels ne sont pas nécessairement aussi élevés que la proportion évoquée dans les lignes directrices. En l’absence d’analyse précise et chiffrée de l’effet réel de la pratique anticoncurrentielle sur le niveau des prix dans le marché pertinent, la sanction pécuniaire devrait donc être limitée au montant calculé pour la première année de l’infraction et la durée de l’infraction devrait être prise en compte par l’application d’un pourcentage plus modéré. La France, et en l’occurrence l’Autorité de la concurrence, fait apparemment sienne cette version modérée de la disposition en attribuant un rôle secondaire à la durée par rapport à la gravité aux fins de la détermination du montant des amendes (Cf. Communiqué de l’Autorité de la concurrence du 16 mai 2011 relatif à la méthode de détermination des sanctions pécuniaires). 

 

b) La gravité de l’infraction 

Les lignes directrices de 2006 prévoient explicitement, au paragraphe 20, que « l’appréciation de la gravité sera faite au cas par cas pour chaque type d’infraction, en tenant compte de toutes les circonstances pertinentes de l’espèce ». De surcroît, les lignes directrices de 2006 ont entraîné un changement fondamental de méthodologie pour le calcul des amendes. En particulier, le classement des infractions en trois catégories (« peu grave », « grave » et « très grave ») a été aboli et une échelle allant de 0 à 30 % a été introduite afin de permettre une différenciation plus fine. Selon le paragraphe 19 des lignes directrices de 2006, le montant de base de l’amende doit être « lié à une proportion de la valeur des ventes, déterminée en fonction du degré de gravité de l’infraction ». En règle générale, « la proportion de la valeur des ventes prise en compte sera fixée à un niveau pouvant aller jusqu’à 30 % » (paragraphe 21 des lignes directrices). 

Dès lors, la Commission ne saurait exercer la marge d’appréciation dont elle dispose en matière d’imposition d’amendes, et ainsi déterminer le taux précis, situé entre 0 et 30 %, sans tenir compte des circonstances particulières de l’affaire. Ainsi, le paragraphe 22 des lignes directrices de 2006 prévoit que, « afin de décider si la proportion de la valeur des ventes à prendre en considération dans un cas donné devrait être au bas ou au haut de cette échelle, la Commission tiendra compte d’un certain nombre de facteurs, tels que la nature de l’infraction, la part de marché cumulée de toutes les parties concernées, l’étendue géographique de l’infraction et la mise en oeuvre ou non de l’infraction »

Cette difficulté de déterminer un pourcentage précis est dans une certaine mesure réduite dans le cas d’accords horizontaux secrets de fixation des prix et de répartition du marché dans lesquels, en vertu du paragraphe 23 des lignes directrices de 2006, la proportion des ventes prise en compte sera généralement retenue à un niveau situé « en haut de l’échelle ». Il ressort de ce paragraphe que, pour les restrictions les plus graves, le taux devrait, à tout le moins, être supérieur à 15 %. 

Depuis les lignes directrices de 2006, les montants forfaitaires ont été abolis. Désormais, le montant de base est calculé à partir de la valeur des ventes, réalisées par chaque entreprise individuelle, en relation directe ou indirecte avec l’infraction. Cette nouvelle méthodologie permet donc de tenir compte plus facilement de l’étendue de la participation individuelle de chaque entreprise à l’infraction dans le cadre de l’appréciation de la gravité de celle-ci. Elle permet également de prendre en compte une éventuelle diminution de la gravité d’une infraction unique dans le temps. 

 

c) La réitération de l’infraction 

La réitération des pratiques est considérée comme une circonstance aggravante justifiant une élévation de la sanction notamment au regard de l’objectif de dissuasion que poursuit sa politique de sanctions. Cela suppose l’existence de deux infraction similaires ou identiques dès lorsqu’elles violent les mêmes dispositions du droit de la concurrence, qu’elles impliquent les mêmes entreprises et qu’elles concernent un comportement similaire. 

Ce critère doit être appliqué avec beaucoup de mesure lorsqu’il s’applique aux entreprises. En effet, il serait injuste de sanctionner plus lourdement une entreprise simplement parce qu’elle aurait commis la même infraction au droit de la concurrence alors même qu’elle était dirigée par une équipe qui peut avoir complètement changée ou contrôlée par des actionnaires différents. Il n’est donc pas étonnant qu’il n’est fait aucune mention de la réitération dans la décision de la Commission et les arrêts du Tribunal concernant l’entente sur le marché belge des déménagements internationaux. 

 

d) L’appartenance à un groupe 

L’obligation d’assurer le caractère à la fois dissuasif et proportionné de la sanction pécuniaire peut conduire à ce que celle-ci soit, en considération d’une infraction donnée, plus élevée dans le cas d’une entreprise puissante ou intégrée à un groupe d’envergure européenne ou internationale, que dans celui d’une petite ou moyenne entreprise. Il s’ensuit que l’appartenance des entreprises susmentionnées à un groupe dont le chiffre d’affaires est en l’occurrence particulièrement important constitue une circonstance individuelle conduisant à majorer leur sanction.

 

e) La valeur des vente 

Les lignes directrices de 2006 visent les ventes réalisées sur le marché pertinent. Elles ne prévoient pas l’imposition de ce que la Commission a qualifié de « droit d’entrée », à savoir une somme comprise entre 15% et 25% de la valeur des ventes, quelle que soit la durée de participation à l’infraction. Ce « droit d’entrée », qui vise uniquement à augmenter le montant de base de l’amende, ne répond à aucune logique. C’est pourquoi les lignes directrices de 2006 prennent en compte une démarche plus raisonnable quant à l’évaluation de la valeur des ventes comme référence à la détermination du montant de base de l’amende, en prévoyant que « la valeur de l’ensemble des ventes de produits ou de services réalisés par l’entreprise ou l’organisme concerné en relation tant directe qu’indirecte avec l’infraction ou les infractions quand il en existe plusieurs, durant sa dernière année complète de participation à celle(s)-ci » (point 27). 

En l’absence de données factuelles permettant à l’autorité de concurrence de déterminer la valeur des ventes aux fins du calcul de l’amende, celle-ci peut se référer au chiffre d’affaires total de l’entreprise concernée. De toute évidence, une amende calculée sur la base du chiffre d’affaires total conduira à des résultats disproportionnés dans tous les cas où celui-ci ne se confond pas avec la valeur des ventes du produit ou du service faisant l’objet de l’infraction. En effet, si la référence au chiffre d’affaires présente l’avantage d’être un critère objectif de la valeur des ventes, force est de constater au regard de la pratique décisionnelle et jurisprudentielle de la Commission et du Tribunal, concernant notamment les affaires relatives à l’entente sur le marché belge des déménagements internationaux, que la prise en compte du chiffre d’affaires ne reflète pas à elle seule la puissance économique réelle des entreprises concernées. C’est pourquoi nous estimons que les autorités de concurrence devront nécessairement procéder à une estimation dans laquelle le chiffre d’affaires total ne pourra être qu’un des éléments à partir desquels elles pourront établir la valeur des ventes pertinentes.

 

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