Boris LARA, juriste

Location • Transaction • Copropriété • Construction

Un copropriétaire agissant en résiliation d’un bail doit-il démontrer la carence du bailleur ?

Publié le 17/08/2023 Vu 588 fois 0
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Cet article aborde la copropriété sous la forme d'une question suivie de sa réponse. L'idée étant de répondre à vos interrogations de manière rapide ou de parfaire simplement votre information.

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Un copropriétaire agissant en résiliation d’un bail doit-il démontrer la carence du bailleur ?

Oui. Un copropriétaire peut demander la résiliation du bail d’un locataire dont les agissements contreviennent au règlement de copropriété et lui causent préjudice. A condition toutefois que la carence du copropriétaire bailleur à faire cesser les agissements soit démontrée.

 

1. Concernant l'action oblique

Le droit commun prévoit que :

« Lorsque la carence du débiteur dans l'exercice de ses droits et actions à caractère patrimonial compromet les droits de son créancier, celui-ci peut les exercer pour le compte de son débiteur, à l'exception de ceux qui sont exclusivement rattachés à sa personne. » [1]

L'action oblique est une voie de droit qui n’est pas réservée qu’aux sommes d’argent. Appliquée au régime de la copropriété, elle permet par exemple à un copropriétaire, créancier, de sauvegarder ses droits en se substituant à un autre copropriétaire, débiteur, dont la carence compromet lesdits droits.

Ainsi en copropriété :

  • Chaque copropriétaire, en tant que créancier, dispose du droit à exiger des autres copropriétaires le respect du règlement de copropriété qui les lie
  • Chaque copropriétaire est débiteur vis-à-vis des autres copropriétaires de l’obligation de respecter le règlement de copropriété

D’autre part, le règlement de copropriété est une convention qui est opposable à tous les occupants de l’immeuble, qu’ils soient copropriétaires ou locataires.

Concrètement, lorsqu’un locataire contrevient au règlement de copropriété (trouble de voisinage, exercice d’une activité contraire au règlement…), il peut naitre une atteinte au droit de jouissance paisible d’un copropriétaire, lequel est créancier, vis-à-vis du copropriétaire bailleur, du droit à exiger le respect du règlement de copropriété.

Dès lors, dûment informé par le copropriétaire victime ou le syndic, le copropriétaire bailleur, qui est engagé contractuellement avec le locataire via un bail, doit exercer ses droits et actions afin de faire respecter le règlement de copropriété et faire cesser le trouble. S’il n’agit pas ou s’il ne parvient pas à faire cesser le trouble, ce dernier peut donner naissance à un préjudice.

Le copropriétaire, tant victime du locataire que de la carence du copropriétaire bailleur, peut alors exercer, pour le compte de ce dernier, son droit à exiger le respect du règlement de copropriété en demandant notamment la résiliation du bail du locataire. 

Autrement dit, pour que l’action oblique soit recevable, le copropriétaire victime doit démontrer :

  • Le non-respect du règlement de copropriété par le locataire
  • Que le manquement du locataire lui occasionne un préjudice
  • Que la carence du copropriétaire bailleur à faire cesser le manquement compromet ses droits

 

2. Lorsque la carence du copropriétaire bailleur n’est pas démontrée

Dans une affaire contentieuse, des copropriétaires d'un appartement avec terrasses situé au dernier étage d'un immeuble avaient assigné en résiliation du bail commercial une société copropriétaire bailleresse d'un local à usage de restaurant situé au rez-de-chaussée ainsi que la société locataire en se plaignant de nuisances olfactives, d’une activité de vente à domicile et en invoquant la carence de la société bailleresse à faire cesser ces manquements.

Saisie du litige, la Cour d’appel relevait notamment que :

« (…) L'ensemble immobilier est à usage principal d'habitation et à titre accessoire, à usage commercial pour les lots 1, 2 et 100. Il n'existe aucune exclusion pour les locaux à usage de restauration et trois commerces sont exploités au rez-de-chaussée, l'un par une crêperie, l'un par un restaurant indien et le troisième, objet du litige par un restaurant japonais.

Selon les pages 58 et 59 du règlement de copropriété : sont prohibés dans les locaux commerciaux, l'exploitation d'établissement de nature à incommoder par les odeurs les personnes habitant l'immeuble, la restauration rapide ou la vente à emporter.

(…) le syndic a demandé au bailleur de faire cesser les nuisances olfactives en préconisant la cuisson par un système électrique à la place du feu de bois.

Le constat d'huissier demandé par le syndicat des copropriétaires (…) établit que les deux restaurants de l'immeuble pratiquent la vente à emporter dont la société [locataire]. L'huissier a constaté sur les terrasses des appelants qu'il existe des odeurs de viande grillée, calcinée et de graisse en provenance pendant l'heure du repas de la société [locataire]et l'intervention dans ce restaurant confirme que cette société utilise le feu de bois pour cuire ses brochettes. Il existe des odeurs de graisse et frites d'un restaurant voisin.

Le rapport contradictoire (…), de la société Groupama, assureur du syndicat des copropriétaires prouve que le restaurant [locataire] est à l'origine des odeurs intermittentes de grillade nonobstant la pose de déflecteurs et le calfeutrement à la base et d'un système de destruction d'odeurs jugé inadapté par l'expert d'assurance, le coût d'un système efficace étant de 15 000 € HT selon lui.

Les attestations (demandées pendant le délibéré) versées par les appelants (…) établissent que la société [locataire] pratique la vente à emporter, que de ce fait les véhicules se garent devant le parking et occasionnent une gêne, que le restaurant utilise le charbon de bois pour faire sa cuisine et que pendant les repas, il y a des odeurs désagréables sur le balcon de ceux qui sont au-dessus quand ils ouvrent leurs fenêtres et dans la cour du parking.

L'huissier dans son constat (…) a constaté la vente à emporter et senti les odeurs de viande grillée sur les deux terrasses des appelants notamment une odeur forte, mélange de viande grillée, calcinée et de graisse brûlée. Ces odeurs pénètrent dans le logement quand les fenêtres sont ouvertes.

La société [bailleresse] verse la facture d'installation (…) d'un destructeur d'odeurs et un message indiquant (…) [que] la société [locataire] n'entretenait pas son destructeur d'odeurs et un constat d'huissier (…) établissant qu'il n'existe pas d'odeurs. La société [locataire] verse des factures d'une société d'entretien (…), portant sur :'une formule Vapolair' à pulvériser et selon un message (…) de la société intervenante, il s'agit d'un produit spécialement formulé pour le traitement des odeurs dans les réseaux d'extractions des cuisines professionnelles qui a été adapté (…) au système de traitement.

La cour observe que (…), il a été demandé à la société [locataire] par le syndic de cuire ses brochettes à l'électricité, que cette demande a été reprise par le bailleur, que si un produit pour désodoriser a été mis en place, l'expert d'assurance a indiqué que cela était insuffisant, que selon ce dernier pour poursuivre ce mode de cuisson, des travaux pour la somme de 15 000 € sont nécessaires, que d'ailleurs les attestations sont postérieures à cette installation, (…) [que], le conduit de cheminée n'était même pas entretenu, que la société [locataire] ne produit aucun autre devis de travaux établissant qu'à un quelconque moment, elle a essayé de solliciter un professionnel afin d'apporter un remède sérieux à ce problème.

Les nuisances olfactives interdites par le règlement de copropriété en provenance du restaurant de la société [locataire] sont bien établies et caractérisées. Le bailleur prouve que sa locataire a bien eu connaissance de cette interdiction de causer des nuisances olfactives et la seule preuve que la société [locataire] entretient son conduit d'évacuation et qu'un huissier n'a pas constaté de nuisances (…)  n'est pas suffisant à infirmer ces faits.

S'agissant de la vente à emporter, la société [locataire] a eu connaissance du règlement de copropriété sur ce point. Le bail lui interdit : « d'entreposer dans les parties communes, dans le parking, sur les trottoirs de la copropriété, des véhicules deux roues ». Cette vente est caractérisée par les pièces du dossier notamment toutes les attestations, la société [locataire] ne la conteste pas même si elle tente de la limiter aux seuls copropriétaires de la résidence, elle ne justifie pas que cette activité a disparu. En conséquence, ces nuisances en contradiction avec le règlement de copropriété justifient la résiliation du bail entre les sociétés (…) ».

La société copropriétaire bailleresse avait soutenu devant la Cour d’appel avoir fait signifier à la société locataire un commandement visant la clause résolutoire, puis avoir sollicité, dans le cadre de l'instance en référé introduite par le syndicat de copropriété, la résiliation du contrat de bail et l'expulsion de la société locataire. Estimant que la Cour d’appel n’avait pas caractérisé sa carence autorisant les copropriétaires à agir à sa place par la voie de l’action oblique, elle se pourvoyait en cassation.

A cette occasion, les magistrats de la Cour de cassation ont cassé et annulé l’arrêt en précisant, « qu'en statuant ainsi, alors que le créancier ne dispose de l'action de son débiteur que si la carence de celui-ci est de nature à compromettre ses droits, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision » [2].

 

Notes de l'article :

[1] Article 1341-1 du Code civil

[2] Cass. Civ., 3ème, 12/07/2018, n° 17-20680

 

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