La victime devant la Cour Pénale Internationale

Publié le 07/03/2018 Vu 3 185 fois 0
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Ignorées par d’autres tribunaux pénaux, les victimes ont un rôle primordial à jouer à la Cour pénale internationale (CPI). Dans le passé, les tribunaux pénaux internationaux n’ont accordé que peu d’attention aux victimes. Au procès de Nuremberg, après la Seconde Guerre mondiale, une bonne partie de la procédure reposait sur des sources écrites et les victimes n’ont été appelées à titre de témoins qu’occasionnellement.

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La victime devant la Cour Pénale Internationale

La difficile définition de victime

Dans les années 1990, les tribunaux pénaux internationaux spéciaux (ex- Yougoslavie et Rwanda) ont fait davantage appel aux témoignages des victimes et, en conséquence, se sont montrés plus ouverts à l’idée que les victimes ne devaient pas être victimisées davantage par le système de justice pénale internationale. Des efforts importants ont alors été faits pour mieux protéger au moins les victimes qui témoignent. Toutefois, deux choses ont été clairement exclues : premièrement, les victimes n’étaient d’aucune façon parties à la procédure pénale; et deuxièmement, très peu de dispositions ont été prises relativement aux réparations (dans le meilleur des cas, les victimes devaient s’adresser aux tribunaux nationaux en se fondant sur un jugement international faisant jurisprudence contre leur agresseur, mais en pratique, cela ne s’est presque jamais fait).


Lors des négociations à Rome, ce sujet a pourtant présenté des difficultés qui n’ont pas été résolues à ce stade. En l’absence d’accord, la tâche de définir cette notion a été laissée aux rédacteurs du règlement de preuve et de procédure. Finalement, la règle 85, qui s’inspire de la Déclaration des principes fondamentaux de justice relatifs aux victimes de la criminalité et aux victimes d’abus de pouvoir de l’Assemblée générale des Nations unies.

La Déclaration de l’ONU sur la justice pour les victimes par l’Assemblée générale des Nations unies, le 29 novembre 1985, contient une définition large des victimes :

1. « On entend par « victimes » des personnes qui, individuellement ou collectivement, ont subi un préjudice, notamment une atteinte à leur intégrité physique ou mentale, une souffrance morale, une perte matérielle, ou une atteinte grave à leurs droits fondamentaux, en raison d’actes ou d’omissions qui enfreignent les lois pénales en vigueur dans un Etat Membre, y compris celles qui proscrivent les abus criminels de pouvoir.

2. Une personne peut être considérée comme une « victime », dans le cadre de la présente Déclaration, que l’auteur soit ou non identifié, arrêté, poursuivi ou déclaré coupable, et quels que soient ses liens de parenté avec la victime. Le terme « victime » inclut aussi, le cas échéant, la famille proche ou les personnes à la charge de la victime directe et les personnes qui ont subi un préjudice en intervenant pour venir en aide aux victimes en détresse ou pour empêcher la victimisation. »

L’une des innovations majeures de cette définition était qu’elle incluait non seulement les victimes directes de crimes, mais aussi celles qui en ont souffert indirectement : les familles et les personnes qui dépendent des victimes. La définition inclut aussi les personnes qui ont souffert un préjudice en intervenant pour aider les victimes.

Dans le contexte de la CPI, la règle 85 du Règlement de procédure et de preuve prend en compte l’évolution des statuts et de la définition des victimes en droit international, découlant des instruments des Nations unies  mentionnés juste avant. La définition finalement adoptée dans la règle 85 du Règlement de procédure et de preuve de la CPI prend en compte l’évolution du statut des victimes en droit international en s’inspirant des documents de l’ONU mentionnés ci-dessus.

La règle 85 dispose :

a) Le terme « victime » s’entend de toute personne physique qui a subi un préjudice du fait de la commission d’un crime relevant de la compétence de la Cour ;

b) Le terme « victime » peut aussi s’entendre de toute organisation ou institution dont un bien consacré à la religion, à l’enseignement, aux arts, aux sciences ou à la charité, un monument historique, un hôpital ou quelque autre lieu ou objet utilisé à des fins humanitaires a subi un dommage direct.

Afin d’être couverte par cette définition, une personne doit démontrer qu’elle a « subi un préjudice du fait de la commission d’un crime relevant de la compétence de la Cour ». Il n’est pas exigé que le crime ait directement visé cette personne, ou que le préjudice ait été directement causé par ce crime. Cette définition devrait en conséquence être interprétée de telle façon qu’elle puisse inclure les familles des victimes, dites « victimes indirectes ». De plus, le terme « victimes » est susceptible d’inclure certaines organisations ou institutions si leurs biens ont été endommagés. La définition découle du rôle très large envisagé pour les victimes dans le Statut de Rome. Les personnes qui sont considérées comme victimes en vertu de l’article 85 du Règlement sont en droit de participer à la procédure et de réclamer des indemnisations.

Cette définition s’inspire largement des résolutions onusiennes de 1985 et 2005.

Elle fut par ailleurs complétée par une décision importante, intervenue le 17 janvier 2006 dans l’affaire Le procureur contre Thomas Lubanga Dyilo, et qui accorde pour la première fois le statut de victimes à six demandeurs devant la Cour pénale internationale : cette décision apporte des précisions sur les conditions à remplir pour prétendre au statut de victime ; la personne, qui doit être une personne physique[1], doit ainsi prouver qu’elle a subi « un préjudice du fait de la commission d’un crime relevant de la compétence de la Cour ». Ce préjudice peut être constitué par un dommage corporel, moral ou matériel : blessures, souffrances psychologiques, perte ou dégradation de biens personnels, … Pour que ce préjudice relève de la compétence de la Cour, celui-ci doit être dû à un fait entrant dans le champ de l’article 5 du Statut de la Cour (qui définit les infractions pour lesquelles elle est compétente), commis après l’entrée en vigueur dudit Statut (1er février 2002), sur le territoire d’un État partie ou par l’un de ses ressortissants, ne pas faire l’objet de poursuites incidentes (principe ne bis in idem), et un lien de causalité doit exister entre ce fait et le préjudice subi. Ce lien de causalité s’apprécie selon des motifs permettant de « croire que le préjudice subi est le résultat de la commission des crimes relevant de la compétence de la Cour ».

Cette décision du 17 janvier 2006 est donc essentielle en ce qu’elle définit plus précisément le statut de victime devant la CPI ; elle l’est également au titre de la possibilité offerte aux victimes par cette juridiction de participer aux procédures.

Pour finir, il convient de citer la directive européenne du 5 octobre 2012 établissant des normes minimales concernant les droits, le soutien et la protection des victimes de la criminalité et remplaçant la décision-cadre de 2001. Elle définit les règles minimales encadrant les droits dont les victimes peuvent bénéficier à tout endroit de l’Union Européenne, ceux-ci comprenant notamment le fait de « recevoir des informations, un soutien et une protection adéquats » et de « participer à la procédure pénale ».

La définition donnée par l’article 2 de la directive s’inspire largement des travaux onusiens précédemment cités, en y ajoutant des précisions relatives aux membres de la famille, à l’enfant et à la notion de « justice réparatrice [2]».

Les droits sont ainsi développés dans la directive selon trois chapitres : information et soutien (droit de comprendre et d’être compris, de recevoir des informations à tout stade de la procédure, droit d’accès aux services d’aide aux victimes, …), participation à la procédure pénale (droit d’être entendu, droits à des recours effectifs, mécanismes de justice réparatrice, aide juridictionnelle et modalités de réparation, …) et protection des victimes et reconnaissance des victimes ayant des besoins spécifiques en matière de protection (droit à une protection, à l’éloignement physique de l’auteur de l’infraction, dispositions de protections des enfants victimes, …).

Si ces dispositions ne visent pas expressément la justice pénale internationale, elles peuvent s’y appliquer, notamment dans le cadre de procédures lancées au sein d’un État membre sur la base du principe de compétence universelle.

Depuis que la France a transposé cette directive en août 2015, les mesures de protection ordonnées par un État membre pourront également être exécutées dans le pays de résidence de la victime, comme, par exemple, l’interdiction d’un contact entre cette victime et l’auteur de l’infraction. Par une décision de protection européenne, le juge pourra étendre la mesure de protection à l'étranger, afin d'assurer la sécurité des victimes, y compris lorsqu'elles se déplacent même temporairement dans un autre État membre. Ces dispositions s’accompagnent d’une amélioration du financement de l’aide aux victimes par l’instauration de sanctions pécuniaires qui font l’objet d’une majoration, dans la limite de 10 % de leur montant, mise à la charge de la personne sanctionnée (amendes pénales et douanières). Le juge peut néanmoins décider de ne pas prononcer la majoration au nom du principe de l’individualisation des peines.

 

[2] La justice réparatrice envisage le crime plus comme un acte contre une personne ou une communauté que contre l’État. La victime y joue un rôle majeur et peut y bénéficier de la part de l’auteur de certaines formes de réparation. La justice réparatrice prend différentes formes mais tous les systèmes ont quelques aspects en commun.

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