Les clauses léonines dans les contrats français et suisses

Publié le 22/09/2012 Vu 21 371 fois 0
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Dans cet article nous déterminerons la notion d’une clause dite « léonine », sa manifestation en pratique contractuelle et les conséquences juridiques de son insertion dans les contrats français et suisses.

Dans cet article nous déterminerons la notion d’une clause dite « léonine », sa manifestation en pratiqu

Les clauses léonines dans les contrats français et suisses

I.                  La définition de la notion

« Primam partem tolo cogniam nominor leo »
(« Je prends la première part car je suis le lion » en français). 

Abordons tout d’abord la définition du mot « léonin ».

LEONIN (-INE) adj. (latin « leoninus », de « leo, leonis » – lion) [1]. En jurisprudence, « léonin » signifie abusif, fondé sur le seul droit de la force.  Cette notion n’est guère utilisée que dans les locutions : société léonine (latin : societas leonina), contrat léonin ou clause léonine. C’est la situation dans laquelle une seule partie tire tous les avantages, notamment du contrat, alors que l’autre supporte tous les risques. Les clauses ou les conditions visées peuvent être tant formulées que tacites.

Comme le définit le dictionnaire juridique de Gérard CORNU,  « léonin » signifie :

« Excessif par l'avantage disproportionné procuré à certains coïntéressés relativement à ce que reçoivent les autres ; se dit d'un contrat ou de la clause d'un contrat dont l'exécution aurait pour résultat de procurer à l'un des contractants un avantage exorbitant au détriment des autres (en lui  donnant la part du lion), iniquité qui peut entraîner la nullité de la convention ou de la clause  léonine » [2].

L’accent est mis ici sur le fait qu’un des contractants reçoit « la part du lion » au  détriment des autres cocontractants. Il nous semble que la définition est très restreinte, car elle réduit le caractère léonin seulement à l’avantage excessif. Alors que pour nous le caractère léonin peut être présent dans quatre types de situation.

Examinons en détaille ces quatre types de situation :

  1. L’avantage excessif – est accordé par le contrat à une des parties : cette partie tire tous les avantages du contrat.
  2. La répartition inégale des pertes ou l’élimination des risques pour une des parties – les risques sont supportés par une seule des parties, l’autre ne subit aucune perte.
  3. L’imposition de la volonté d’une partie à une autre partie – la partie avantageuse peut unilatéralement changer les dispositions du contrat.
  4. La dépendance du contrat  des actes d’une seule des parties – la partie avantageuse fait dépendre l’exécution des clauses du contrat de ses actes au détriment de l’autre partie.

A.    L’avantage excessif

Tout d’abord, le caractère léonin peut se trouver dans une ou plusieurs clauses d’un contrat imposant un partage inégal des bénéfices. Une clause léonine se définit comme « la clause contractuelle qui comporte un avantage excessif injustifié tiré par un seul contractant ». L’avantage excessif signifie la situation d’une forte inégalité entre les droits des parties aux bénéfices, notamment :

  • la clause qui exclurait totalement un associé ou un contractant des bénéfices ;
  • la clause qui attribuerait la totalité des bénéfices à une seule partie du contrat.

Comme le terme « excessif » le dénote, la disparité entre les droits des parties ou des associés réglant leur participation aux bénéfices doit être si grande dans les circonstances données qu’elle choque la conscience d’une personne raisonnable.

B.     La répartition inégale des pertes

Ensuite, le caractère léonin se trouve dans les dispositions concernant la répartition inégale des pertes. Deux types de clauses sont ainsi prohibés :

  • la clause qui ferait porter la charge de toutes les pertes sur une seule partie ;
  • la clause qui dispenserait un contractant de supporter toutes les pertes.

Les clauses prévoyant un partage extrêmement disproportionné devraient également être considérées comme nulles. Par contre, sont valables toutes les autres clauses de répartition, même si elles organisent un partage déséquilibré. Il convient donc de rester vigilant et de relire le contrat ou les accords extrastatutaires en vérifiant ce point précis avant de les signer.

C.    L’imposition de la volonté d’un contractant

Les clauses réservant à une seule partie du contrat la faculté de modifier unilatéralement ses termes contiennent le caractère léonin. Dans le cas présent, la partie portant les pouvoirs de changer le contrat peut établir tant les clauses qui lui sont favorables que les clauses au détriment de son contractant.

Il est nécessaire de rappeler que ce n’est pas l’inégalité qui est condamnée, mais la disparité entre les droits et les obligations des parties du contrat ou des différents associés qui aboutirait à nier l’existence d’une ou plusieurs clauses du contrat, voire du contrat entier.

D.    La dépendance du contrat des actes d’une partie

Enfin, les clauses disposant que l’exécution du contrat dépend des actes de l’une des parties sont aussi prohibées. Dans ce cas, une des parties fait dépendre l’exécution de certaines clauses du contrat de ses actes en restreignant par cela son contractant de pouvoir exécuter le contrat. La partie lésée reste incapable de réaliser ses actes en application du contrat.

II.               Les sanctions

A.    Les sanctions selon le droit français

Dans le droit français les clauses léonines (ou abusives) sont définies par le premier alinéa 1 de l’article L. 132-1 du Code de la consommation : « Dans les contrats conclus entre professionnels et non-professionnels ou consommateurs, sont abusives les clauses qui ont pour objet ou pour effet de créer, au détriment du non-professionnel ou du consommateur, un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties au contrat ».

C’est encore l’article L. 132-1 du Code de la consommation qui dispose des effets et des conséquences de la découverte de clauses abusives dans un contrat. Tout d’abord, ces clauses sont considérées non écrites, c'est-à-dire que « le contrat restera applicable dans toutes ses dispositions autres que celles jugées abusives s'il peut subsister sans lesdites clauses ». Cet article précise encore, que « l'appréciation du caractère abusif des clauses au sens du premier alinéa ne porte ni sur la définition de l'objet principal du contrat ni sur l'adéquation du prix ou de la rémunération au bien vendu ou au service offert pour autant que les clauses soient rédigées de façon claire et compréhensible ». Les dispositions de cet article sont d’ordre public (ou impératives), c'est-à-dire que les parties ne peuvent pas les écarter par convention.

Les clauses léonines existent aussi dans le droit des sociétés français. Le second alinéa de l’article 1844-1 du Code civil français dispose que : « La stipulation attribuant à un associé la totalité du profit procuré par la société ou l'exonérant de la totalité des pertes, celle excluant un associé totalement du profit ou mettant à sa charge la totalité des pertes sont réputées non écrites ». Selon le Code civil français l’existence d’une clause léonine dans un contrat ne le rend pas nul, la clause est seulement réputée non écrite.

B.     Les sanctions selon le droit suisse

Le premier alinéa de l’article 21 du Code des Obligations Suisse dispose que :

« En cas de disproportion évidente entre la prestation promise par l’une des parties et la contre-prestation de l’autre, la partie lésée peut, dans le délai d’un an, déclarer qu’elle résilie le contrat et répéter ce qu’elle a payé, si la lésion a été déterminée par l’exploitation de sa gêne, de sa légèreté ou de son inexpérience ».

Comme le professeur Bruno Schmidlin le remarquait : « Pour faire valoir le droit formateur de l’invalidation, les trois conditions : disproportion évidente des prestations, état de faiblesse du lésé et exploitation par le lésant, doivent être accomplies » [3].

Cependant, il existe une alternative quant à la sanction des clauses léonines :

  • Nullité partielle et le maintien du reste du contrat : les juges déclarent les clauses léonines non écrites et nulles, car contraires au principe d’égalité entre les parties ou les associés ;
  • Invalidation du contrat entier : les juges annulent tout le contrat ou les accords extrastatutaires, au motif que la répartition des bénéfices et des pertes en est un élément constitutif. « Si la situation de la lésion remplit en même temps les conditions de la nullité de l’article 20 du Code des Obligations, par exemple par le dépassement d’un taux d’intérêt légal, rien n’empêche de faire valoir la nullité du contrat » [4].


[2] CTTJ contrats 2C (2004.09.22), NORMALISATION DU VOCABULAIRE DU DROIT DES CONTRATS

[3] Bruno Schmidlin, Code des Obligations I, Commentaire romand

[4] BK-Kramer, 62 ss ; BaK-Huguenin Jacobs, N 19 ; Gauch/Schluep/Schmid, N 757.

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