Le délit d'initié en droit pénal des affaires congolais

Publié le Modifié le 30/06/2020 Vu 6 319 fois 0
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Le législateur OHADA n'ayant pas défini le délit d'initié, il appartient au législateur congolais d'en définir. Certes, le délit d'initié existe dans le corpus juridique pénal congolais mais il se pose un problème quant à sa nature: est-elle une infraction économique, politique ou de droit commun? Dans la présente réflexion, nous tentons d'y répondre.

Le législateur OHADA n'ayant pas défini le délit d'initié, il appartient au législateur congolais d'en d

Le délit d'initié en droit pénal des affaires congolais

 

 

 

 

Don José Muanda Nkole wa Yahvé. (Ph.D.)

Avocat et enseignant universitaire, specialisé en Droit OHADA.

Le délit d'initié est une infraction du droit boursier que commet une personne qui vend ou achète des valeurs mobilières en se basant sur des informations dont ne disposent pas les autres ; l'utilisation ou la communication d'éléments privilégiés peuvent permettre des gains illicites lors de opérations boursières qui sont interdits par la règlementation de contrôle des marchés.[1]

Généralement les auteurs de la question soutiennent qu'une personne est initiée soit en vertu de ses fonctions de direction d'une entreprise cotée en bourse, soit parce que, dans l'exercice de ses fonctions, elle est amenée à détenir des informations privilégiées.

Il est évident que c’est une infraction qui relève du droit pénal des affaires, plus particulièrement  du droit boursier et non du droit pénal politique (une infraction politique) comme laisserait quelque peu croire la Constitution congolaise du 18 février 2006 tel que modifiée à ces jours.[2]

En France par exemple, le délit d'initié est prévu à l'article L. 465-1 du code monétaire et financier. Il est interdit deux types de comportement qui lorsqu’ils sont réalisés on est en droit d’affirmer que le délit d’initié est consommé

 En effet d'une part, il interdit l'utilisation d'informations privilégiées et d'autre part, la révélation d'informations privilégiées.[3]

En termes plus clairs, nous déduisons que commet un délit d’initié : « celui qui aura réalisé ou permis de réaliser sur le marché boursier, directement ou par personne interposée, une opération avant que le public ait connaissance des informations privilégiées »

« Ainsi, si l'initié réalise des opérations boursières en ayant eu recourt à une information privilégiée, l'infraction de délit d'initié est constituée. On considérera l'opération comme illicite, car l'initié n'aurait jamais réalisé une telle opération s'il n'avait pas eu en sa possession des informations strictement confidentielles.

 

Ensuite, la communication d'informations confidentielles ou privilégiées, en dehors de tout exercice de fonctions est une infraction de délit d'initié. Par la communication de ces informations, le marché boursier se trouve dérèglementé, et le jeu de la concurrence complètement faussé. Ces délits seront punis d'un an d'emprisonnement et de 150 000 euros d'amende ».[4]

 

En procédant à une radioscopie juridique, nous pouvons dégager les éléments constitutifs du délit d’initié en droit français. Ces éléments nous permettrons de voir si en droit positif congolais, la Constitution de 2008 tel que modifiée à ce jour et la loi n°10/010 du 27 avril 2010 relative aux marchés publics (désignée communément sous le sigle «  LRMP ») appuyées par des textes légaux d’application exigent les mêmes éléments constitutifs pour parler du délit d’initié et si cette infraction possède la même  nature de d’infraction d’affaires ou d’infraction de droit commun ou encore d’infraction politique.

 

Une étude comparative est alors indispensable pour trouver la réponse à notre question principale qui doit trouver sa réponse dans les éléments constitutifs. Regardons une fois de plus dans le droit français qui nous fournit le corpus sur lequel se fonde notre étude comparative.

 

I. Inexistence déplorable du délit d’initié en droit pénal des affaires OHADA

A.Déplorable inexistence du délit d’initié dans les incriminations en droit OHADA

Le législateur OHADA a ignoré malheureusement un bon nombre d’infractions pourtant indispensables à la sécurisation du cadre des affaires dans l’espace communautaire. Lorsque l’on sait que la plus part des Etats-Parties au Traité ont des entreprises cotées en Bourse (par exemple par la Bourse Régionale des Valeurs mobilières, BRVM, en Afrique occidentale), c’est chose inquiétante que de ne pas avoir pensé à créer cette infraction boursière : délit d’initié).

B.Plaidoyer en faveur de la création du délit d’initié

Si le législateur communautaire a pensé bien agir de laisser la possibilité aux Etats-parties au Traité OHADA, de créer certaines infractions économiques liées intimement à la délinquance économique, nous osons croire qu’il aura été plus sécurisant que le délit d’initié soit  l’œuvre du législateur OHADA au regard des caractéristiques transfrontalières de la dite infraction. Certaines grandes entreprises disposant des filiales et succursales en dehors de la zone OHADA ; il est tout à fait naturel que la politique criminelle quant à une infraction relevant des opérations  boursières soit harmonisée.[5]

Certes le législateur congolais a déjà crée le délit d’initié mais il se pose selon notre humble avis une cacophonie sur la classification de cette infraction.

Faut-il considérer le délit d’initié comme une infraction politique puisqu’un aucun autre texte ne le prévoit sinon la Constitution ?

En fait, partageant l’avis de Léon CONSTANTIN[6],  le critère de la distinction entre  infractions politiques et  infractions de droit commun repose en partie sur deux systèmes proposés  par la doctrine.[7]

Un système objectif qui permet de reconnaître l’infraction politique d’après  son objet : c’est celle qui porte atteinte à l’organisation de l’Etat.

Un système subjectif qui qualifie de politiques les infractions dont les mobiles sont politiques. Le droit pénal congolais à en croire le très estimé et ainé collègue  professeur Pierre AKELE ADAU[8] sans se rallier exclusivement à l’un ou l’autre système, penche pour plutôt en faveur de la théorie objective.

Mais sans remettre en cause bien d’autres théories  - qui pourraient-elles- s’avérer contraires- développées par des collègues spécialistes du droit pénal congolais en la matière, nous pensons avec Léon CONSTANTIN[9], que l’intérêt de la distinction entre infractions politiques et infractions de droit commun, réside dans les différences suivantes :

  • le régime des peines  n’est pas le même en matière criminelle et la condition d’emprisonnement diffère en matière correctionnelle. Quant à la contrainte par corps elle n’existe pas en matière politique.
  • Sur le plan des règles de procédure, on remarquera que la procédure des flagrants délits correctionnels ne s’applique pas aux délits politiques.

1)Le délit d’initié en droit congolais serait-il une infraction politique ?

En outre et pour clore ce débat sur la distinction entre infractions politiques et infractions de droit commun, nous nous permettons de poser la question suivante :

 

Que comprendre de l’expression utilisée par la Constitution en vigueur en RDC, qui dit clairement, nous citons :

 

« La Cour constitutionnelle est le juge pénal du Président de la République et du Premier ministre pour des infractions politiques de haute trahison, d'outrage au Parlement, d'atteinte à l'honneur ou à la probité ainsi que pour les délits d'initié et pour les autres infractions de droit commun commises dans l'exercice ou à l'occasion de l'exercice de leurs fonctions. Elle est également compétente pour juger leurs co-auteurs et complices ».[10]

La lecture de cet article laisse croire avec une certaine évidence que le délit d’initié serait une infraction politique et du fait cet article enfermerait le Chef de l’Etat et le Premier Ministre seuls dans ce gouffre de criminalité éventuelle et exclurait les autres sauf les personnes qui auraient agi dans une participation criminelle (co-auteurs ou complices).

Une telle compréhension mettrait en danger toute interprétation de cette disposition au plan pénal. Le juge devra donc ne pas se limiter dans la définition que livre la Constitution de 2008 qui exclusive mais devra aller plus loin d’autant plus que le Constituant s’est permis de définir le délit d’initié en ces termes :

 

« Il y a délit d'initié dans le chef du Président de la République ou du Premier ministre lorsqu'il effectue des opérations sur valeurs immobilières ou sur marchandises à l'égard desquelles il possède des informations privilégiées et dont il tire profit avant que ces informations soient connues du public. Le délit d'initié englobe l'achat ou la vente d'actions fondés sur des renseignements qui ne seraient jamais divulgués aux actionnaires ».[11]

 

Encore faut-il rappeler que les actions et les obligations se vendent en principe à la Bourse qui est inexistante en RDC, ce qui selon certains serait, créer une infraction qui ne se commettrait pas faute du contexte irréel faisant ainsi allusion à la Bourse.

 

Outre cette critique discutable librement, l’on constate que le Constituant donne des éléments constitutifs que pouvons exposer comme suit :

 

  • Le Chef de l’Etat ou le Premier Ministre : ces deux individus à croire ce qui vient d’être dit ci-haut, sont les seuls à commettre le délit d’initié. (auteurs politiques et leurs complices, mais pour les complices, le statut de l’homme politique ne devrait pas être requis ;
  • informations privilégiées (du fait de fonctions occupées du Chef de l’Etat ou du Premier Ministre);
  • profit de ces informations avant leur divulgation au public ;
  • l'achat ou la vente d'actions ;
  • enfin l’ignorance des renseignements devant en principe être fournis aux actionnaires[12]

Est-ce le délit d’initié une infraction politique ?

On pourra bien engager un débat houleux…

Ce qui donne le caractère politique au délit d’initié, c’est le fait que la Constitution commence par qualifier d’infraction politique, le délit d’initié et va plus loin jusqu’à le définir.

Une fois de plus, nous revenons sur ce que nous pensons être une confusion qui doit vite être éclairée par des spécialistes en la matière, le fait de circonscrire le délit d’initié au seul chef de la personne du Président de la République et du Premier Ministre alors que nous avons vu que la tendance réaliste veut que cette infraction soit susceptible d’être commise par quiconque profitant de sa position privilégiée ou profitant de ses fonctions officielles, politiques ou administratives qui lui donnent un tel privilège de disposer des informations sur les « coulisses » du  fonctionnement des marchés financiers ».[13]

2)Le délit d’initié serait-il une infraction du droit des affaires ou de droit commun ?

Cette question comme la précédente au regard de la Constitution pose également une certaine confusion. Cette fois-ci, le délit d’initié est prévu par le Code des marchés publics, la loi n°10/010 du 27 avril 2010 relative aux marchés publics.

Le législateur congolais en matière de passation des marchés publics affirme, nous citons :

«  Toute infraction commise à l’occasion de la passation de marchés publics ou de délégations de service public sera punie du double de la servitude pénale prévue[14] pour cette infraction. L’amende sera portée à un montant ne dépassant pas 50.000.000 de francs congolais.

Le Code des marchés publics prévoient certaines infractions que l’article 78 du même code parle des infractions telles le conflit d’intérêts, le délit d’initié et la prise illégale d’intérêts commis dans le cadre d’un marché public et d’une délégation de service public et prévoit la peine d’amende de 25.000.000 à 50.000.000 de francs congolais.

Le législateur dans le Code des marchés publics définissent ces infractions de manière peu orthodoxe en reprenant ainsi ces expressions : Il y a conflit d’intérêts lorsqu’un membre de l’autorité contractante ou délégante prend part à la prise de décision concernant le candidat ou le titulaire du marché public auquel il est lié par des intérêts incompatibles avec ceux de l’Etat.

 Ce qui nous intéresse le plus est la définition que livre ce Code en matière du délit d’initié. Ainsi l’article 78 du code sous examen poursuit (en définissant) :

Il y a délit d’initié lorsqu’un membre de l’autorité contractante ou délégante, une personne chargée d’un service public ou investie d’un mandat électif fournit ou fait usage des informations privilégiées détenues en raison  de ses fonctions ou de son mandat, dans le but d’influencer l’attribution d’un marché public ou d’une délégation de service public.

Il y a prise illégale d’intérêts lorsqu’une fonctionnaire, un agent public ou un élu prend, reçoit ou conserve un intérêt dans une entreprise ou une opération dont il a, au moment de l’acte, la charge d’assurer la surveillance, l’administration ou la liquidation.

Essayons de dégager les éléments du délit d’initié retenus dans le Code des marchés publics. A première vue, ces éléments se rapprochent de ceux énoncés en droit français voire à ceux énoncés par la Constitution congolaise de 2008.

 

 

  1. membre de l’autorité contractante ou délégante, une personne chargée d’un service public ou investie d’un mandat électif : le statut de ces personnes font penser au statut d’une personne jouissant d’une position d’autorité ;
  2. fournit ou fait usage des informations privilégiées détenues en raison  de ses fonctions ou de son mandat : la personne investie d’une autorité en profite pour fournir des informations privilégiées ;
  3. enfin, la motivation est d’ d’influencer l’attribution d’un marché public ou d’une délégation de service public.

Finalement la lecture de la disposition constitutionnelle sur le délit d’initié et celle du Code des marchés publics sur la même infraction (délit d’initié) présentent des similitudes et permettent d’affirmer sans peur d’être contredit, le délit d’initié existe en droit positif congolais.

Seulement l’inquiétude demeure au niveau de sa classification (infraction du droit des affaires, infraction politique ou infraction de droit commun car, l’on ne peut se contenter des législations éparses ou des définitions variées entraînant une confusion doctrinale malheureuse, ce qui traduit incontestablement une insécurité juridique, l’une des entrave que l’on combat et que l’on cherche à tout prix à éradiquer au nom de la conformité du droit des affaires  congolais avec le Droit des affaires issu de l’OHADA.

Certes si notre souhait est aussi, l’adoption du délit d’initié comme infraction économique ou des affaires  par le législateur communautaire de l’OHADA et non par les législateurs nationaux, nous réfutons « également la position du constituant congolais qui au détriment des caractères du délit d’initié qui démontrent visiblement sa nature d’infraction économique et  non d’infraction politique.

Nous partageons l’avis des autres penseurs que toute personne, peut commettre cette infraction à condition de disposer d’une certaine autorité (officielle) qui lui donne un privilège de posséder des informations avant toute autre personne susceptible de l’exploiter et d’en tirer profit dans un cadre purement légal.

Sinon, c’est restreindre le champ criminel des  délinquants d’affaires, partant, leur donner un asile pénal et d’asservir injustement, le Chef de l’Etat, le Premier Ministre seuls, voire les personnes investies dans le cadre du Code des marchés publics dans une responsabilité pénale qui entrerait en contradiction avec  les principes sacro-saint du Droit pénal des affaires. Puisque après tout, l’étude du délit d’initié, tout permet de croire qu’il s’agit d’une infraction relevant du droit pénal des affaires.

Enfin, nous demandons aux spécialistes congolais du droit pénal commun et du droit pénal des affaires, de cogiter sans tarder et au législateur communautaire de l’OHADA d’élargir et, - c’est  politiquement correct-, son droit pénal des affaires en l’étendant aux autres infractions économiques très répandues déjà dans l’espace OHADA et à travers le monde.

Sachant que le criminel d’affaires, développe de nos jours des moyens plus complexes dans la commission de ses forfaits en suivant fidèlement l’évolution du monde des affaires au mépris de sa sérénité et de l’ordre public économique.

 

[1] Le marché financier en RD Congo existe au sens plus fictif que réel, ceci est pour dire qu’il n’existe pas véritablement selon le professeur  et collègue NDELA dans son cours de droit financier. Voir Cours de droit financier destiné aux étudiants de la troisième année de droit, Université Protestante au Congo, 2012-2013. Ainsi, la législation proprement dite, est absente en droit positif congolais, nous pensons avec les autres que le législateur congolais  devra y songer le plus tôt possible.

[2] Nous y reviendrons dans les développements qui suivent.

[5] Il est laissé aux Etats de créer d’autres infractions économiques pour autant qu’elles ne soient pas contraires à l’esprit du législateur OHADA qui avant tout ne cherche pas à décourager les investisseurs mais à les protéger. Dans le même, la création au niveau communautaire des infractions courantes s’avère capitale

[6] Léon CONSTANTIN, Droit pénal des Sociétés par actions, PUF, Paris, 1968, pp.424-426.

[7] Idem.

[8] Voir le cours de droit pénal spécial du très estimé et ainé collègue, le professeur  AKELE ADAU (P.) dispensé jadis à l’Université Protestante au Congo. Nous partageons sans une once de tergiversation les notions  du droit pénal spécial développées par le professeur précité à qui nous exprimons notre profond respect.

[9] Léon CONSTANTIN, op.cit.

[10] Article 164 de la Constitution de 2008 tel que modifiée à ce jour.

[11] Article 165 de la Constitution de 2008 tel que modifiée à ce jour.

[12] Le droit de communication des documents aux actionnaires  étant obligatoire et aucun actionnaire n’en peut être privé au risque de voir le juge de commerce intervention pour rétablir l’actionnaire dans ses droits. Voir les articles 525 à 528 de l’Acte Uniforme relatif au Droit des Sociétés Commerciales et du Groupement d’Intérêt Economique, révisé le 15 décembre 2010.

[13] CONSTANTIN et GAUTRAT, Traité de droit pénal des sociétés, Paris, n°272.

[14] Nous rappelons que nous préférons le terme « emprisonnement » en lieu et place de servitude pénale qui rappelle la puissance du colonisateur sur notre peuple (les congolais). Alors que l’éminent défunt Professeur BAYONA BAMEYA, plaidait déjà dan cette optique, c'est-à-dire en faveur de l’adoption du terme : « emprisonnement ».

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