Les méthodes d’interrogatoire d’un témoin par un avocat devant le juge : techniques, cadre juridique et enjeux stratégiques

Publié le 06/06/2025 Vu 156 fois 0
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L’interrogatoire du témoin par un avocat est une épreuve d’équilibre : il faut concilier rigueur juridique, stratégie narrative et éthique professionnelle.

L’interrogatoire du témoin par un avocat est une épreuve d’équilibre : il faut concilier rigueur juridi

Les méthodes d’interrogatoire d’un témoin par un avocat devant le juge : techniques, cadre juridique et enjeux stratégiques

L’interrogatoire d’un témoin constitue une phase cruciale du procès, tant en matière civile que pénale. C’est à ce moment que l’avocat peut chercher à conforter ou à ébranler une version des faits, à démontrer la crédibilité ou au contraire l’inconsistance d’un témoignage. Cette opération, bien que strictement encadrée par la loi et la jurisprudence, laisse place à des choix tactiques qui exigent une parfaite maîtrise du droit procédural, de la psychologie du témoignage et de l’éthique professionnelle.

 

I. Le cadre juridique de l’interrogatoire du témoin

A. Le fondement procédural de l’audition des témoins

 

En droit français, l’audition des témoins est encadrée différemment selon qu’il s’agit d’une procédure civile ou pénale.

 

En matière civile, l’article 202 du Code de procédure civile prévoit que « la preuve testimoniale est recevable dans les cas où l’écrit est admis ». Les témoins sont convoqués et entendus sous serment par le juge, assisté éventuellement d’un greffier. L’avocat peut poser des questions à la suite du juge.

En matière pénale, selon les articles 442 et suivants du Code de procédure pénale, les témoins sont cités devant la juridiction de jugement (tribunal correctionnel ou cour d’assises). L’interrogatoire est dirigé par le président, mais les avocats des parties peuvent poser des questions par son entremise ou, dans certains cas, directement (Cour de cassation, crim., 2 mars 1999, n° 98-83.163).

B. Les limites légales à l’interrogatoire

 

Le témoin est tenu de dire la vérité, sous peine de sanctions pénales (faux témoignage, art. 434-13 du Code pénal). L’avocat, quant à lui, doit respecter les principes déontologiques : pas de pression, pas de manipulation de la vérité.

Le Règlement Intérieur National de la profession d’avocat (RIN) impose à l’avocat de ne pas interroger un témoin de manière déloyale ou vexatoire (art. 1.3 et 6.3).

 

II. Les techniques d’interrogatoire : entre stratégie et déontologie

A. L’interrogatoire direct : construire une version cohérente des faits

 

Lorsqu’il s’agit de son propre témoin, l’avocat procède à un interrogatoire direct (examen principal). Il s’agit de guider le témoin sans orienter ses réponses, dans le but de construire une narration claire, crédible et chronologique. L’avocat évite ici les questions suggestives, interdites en principe (ex. : « N’est-il pas vrai que… ? »), sauf dans les cas où elles visent à rappeler un point non contesté.

 

L’avocat doit ici démontrer la crédibilité du témoin, tant par le fond de ses déclarations que par sa cohérence psychologique et verbale. La doctrine souligne l’importance de la préparation du témoin, sans jamais tomber dans le coaching illégal (C. Chainais, La vérité dans le procès civil, D. 2008, p. 2617).

 

B. Le contre-interrogatoire : la mise à l’épreuve du témoignage adverse

 

Le contre-interrogatoire (cross-examination), issu du droit anglo-saxon, est également pratiqué dans les juridictions françaises, surtout en matière pénale. Il s'agit ici de tester la solidité du témoignage adverse, en mettant en lumière ses contradictions, ses invraisemblances ou ses biais cognitifs (influence, mémoire altérée, etc.).

 

La jurisprudence reconnaît aux parties la possibilité de poser des questions précises, sans toutefois tomber dans le harcèlement ou la manipulation (Cass. crim., 14 nov. 2001, n° 01-84.029). L’usage de documents contradictoires ou d’éléments matériels (photos, échanges écrits) est permis pour confronter le témoin à d’éventuelles failles.

 

III. Les enjeux stratégiques de l’interrogatoire : vérité, persuasion, influence

A. La construction du récit judiciaire

 

L’interrogatoire du témoin ne se limite pas à un exercice de vérité : il participe à la mise en récit judiciaire, que chaque avocat cherche à imposer au juge. Le témoin, par ses mots, ses hésitations ou sa constance, peut renforcer l’image d’un client sincère ou, au contraire, fragiliser sa position.

 

Selon une analyse de M. Taruffo (La preuve judiciaire, LGDJ, 2010), l’interrogatoire doit être pensé comme un instrument rhétorique, au service de la crédibilité globale du dossier.

 

B. La maîtrise du cadre émotionnel et psychologique

 

L’efficacité d’un interrogatoire repose aussi sur sa capacité à gérer les émotions. L’avocat expérimenté sait calibrer la pression exercée : trop faible, le témoin reste dans sa zone de confort ; trop forte, le risque est de susciter l’empathie du juge envers lui.

L’avocat doit également savoir déceler les micro-signaux (hésitations, contradictions, fuite du regard), parfois révélateurs d’un trouble ou d’un mensonge.

 

IV. La jurisprudence récente : rappels et précisions

Plusieurs arrêts rappellent les limites à l’interrogatoire :

 

Cass. crim., 15 mai 2018, n° 17-85.256 : la cour de cassation rappelle que les questions posées par les avocats doivent respecter la dignité du témoin.

CE, 21 juin 2022, n° 447563 : le Conseil d’État rappelle, dans un contexte administratif, que la loyauté de l’interrogatoire est un principe d’ordre public.

Cass. civ. 2e, 6 oct. 2016, n° 15-22.865 : l'usage abusif de questions suggestives peut entacher la validité du témoignage et conduire à son rejet.

Conclusion

L’interrogatoire du témoin par un avocat est une épreuve d’équilibre : il faut concilier rigueur juridique, stratégie narrative et éthique professionnelle. Loin de se réduire à un simple échange de questions-réponses, il incarne l’un des moments les plus déterminants du procès. Une maîtrise technique, couplée à une capacité d’analyse psychologique, permet à l’avocat d’en faire un levier puissant de conviction judiciaire.

Parvèz Dookhy

Avocat à la Cour

Docteur en Droit en Sorbonne

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