I - RAPPEL DES FAITS
Par jugement du 23 septembre 2010, Madame X a été placée sous curatelle renforcée par décision du juge des tutelles et l’association A a été désignée pour exercer les fonctions de curatrice.
Par requête datée du 14 février 2012, Madame X demande au juge des tutelles l’autorisation de quitter le foyer où elle réside pour s’installer dans la maison située à Z qu’elle possède en indivision avec sa mère, celle-ci étant placée désormais en EHPAD ( Etablissement d' Hébergement pour Personnes Agées Dépendantes).
Le docteur C , psychiatre, indique dans un certificat du 17 févier 2012 que l’état de santé de la requérante n’est pas compatible avec une orientation dans un logement individuel.
Le médecin précise que celle-ci nécessite une structure suffisamment “contenante” afin d’éviter toute déviance du comportement et une mise en danger de la patiente.
La curatrice partage l’avis médical, estimant le retour à domicile non envisageable à ce jour, mais constate que Madame X vit mal ses différences avec les autres résidents du foyer, car elle est jeune et ne peut se projeter dans un avenir à long terme dans cette résidence.
Le docteur C certifie à nouveau, le 5 septembre 2012, que l’état de santé de la requérante n’est pas compatible avec un retour en domicile individuel.
Lors de son audition par le juge des tutelles le 24 septembre 2012, Madame X confirme sa volonté de retourner vivre à domicile ; elle ne veut pas rester en maison de retraite où elle affirme n’avoir aucun contact avec les autres résidents plus âgés qu'elle.
De plus, elle estime que cela lui coûte cher. Dans sa maison, elle n’aurait pas de loyer à payer.
Si elle ne rentre pas chez elle, son fils déposera plainte.
II - DÉCISION DU JUGE DES TUTELLES
Par ordonnance du 28 septembre 2012, le juge des tutelles du tribunal d’instance a rejeté la requête en vue d’un changement de domicile présentée par Mme X.
Le juge relève les éléments suivants à l’appui de sa décision :
- les inquiétudes de l’association A,
- les 2 certificats médicaux,
- le caractère prématuré de la demande au regard de son état de santé et du processus de soin et de l’accompagnement vers l’autonomie,
- la nécessité pour Madame X de démontrer son aptitude à l’autonomie dans les actes de la vie quotidienne.
III - RECOURS FORMÉ CONTRE LA DÉCISION DU JUGE DES TUTELLES
Madame X a fait appel de la décision du juge des tutelles (par lettre RAR) et soutient :
- quelle ne veut plus vivre dans la maison de retraite où ne résident que des personnes beaucoup plus âgées qu’elle ;
- qu'elle y est très seule et ne s’estime pas plus en sécurité là que chez elle.
Le représentant de l’association A demande la confirmation de l’ordonnance qui rejette la demande de retour à domicile, faisant valoir les éléments des 2 certificats médicaux.
III - MOTIFS DE LA DECISION DE LA COUR D'APPEL
L’article 459-2 du code civil dispose que :
"La personne protégée choisit le lieu de sa résidence.
Elle entretient librement des relations personnelles avec tout tiers, parent ou non. Elle a le droit d'être visitée et, le cas échéant, hébergée par ceux-ci.
En cas de difficulté, le juge ou le conseil de famille s'il a été constitué statue.”
Cet article consacre expressément le principe du libre choix par la personne protégée de son lieu de résidence, ce qui implique également la liberté d’en changer. Il ne peut être porté atteinte à ce principe que par le juge, saisi en cas de “difficulté”.
Or, force est de constater qu’en l’espèce, la personne protégée a saisi le juge des tutelles d’une requête aux fins d’être autorisée à quitter son lieu d’hébergement actuel pour s’installer dans la maison qu’elle possède en indivision avec sa mère située à Z.
Préalablement à cette saisine, aucune difficulté n’a été constatée ni par l’association curatrice, ni par un tiers, ni par le juge, la requérante étant totalement valide, disposant d’un logement personnel vacant et peu coûteux et étant en mesure d’expliciter avec discernement les raisons de son choix de vouloir vivre ailleurs qu’en maison de retraite.
Le curateur lors des débats devant la cour, et le médecin dans le contenu des 2 certificats rédigés par lui, font en réalité prévaloir un principe de précaution, considérant que le risque d’une “rechute” de Madame X serait limité du fait de sa résidence “dans une structure contenante”.
Une telle approche, si elle peut paraître légitime de la part du curateur et du médecin au regard du passé récent de Madame X, ne permet pas, en l’absence de toute difficulté effectivement constatée et avérée, de porter atteinte au droit de la personne protégée de choisir son lieu de vie, sauf à instaurer un régime d’autorisation préalable du juge dans toute situation de retour à domicile présentant un risque potentiel pour la santé de la personne protégée ; or, tel n’est ni l’esprit, ni la lettre de la loi.
Au surplus, en l’espèce, Madame X est placée en curatelle renforcée, régime qui, s’agissant de la protection de la personne, n’implique en principe qu’une simple assistance dans les actes personnels, et suppose que la personne dispose du discernement suffisant pour poser et assumer ses choix personnels..
Il convient donc d’infirmer l’ordonnance déférée et de dire n’y avoir lieu à autorisation, Madame X pouvant, en l’état, librement choisir son lieu de résidence et en changer.
EN CONCLUSION
La Cour d'appel pose le principe selon lequel :
- il n’y a pas lieu à soumettre à autorisation préalable le choix de son lieu de résidence par la personne protégée, ni à autoriser ou non celle-ci à quitter le foyer logement à où elle résideactuellement,
- rappelle que la personne protégée est, en l’état, libre de choisir son lieu de résidence et d’en changer.
Cette décision a le mérite de rappeler clairement que la liberté de choisir le lieu de sa résidence est un droit fondamental, peu importe que la personne soit sous protection juridique ou non.
En conséquence, le placement d'une personne sous curatelle ou tutelle ne lui retire nullement sa liberté de choisir le lieu de sa résidence.
Restant à votre disposition pour vous accompagner dans vos démarches,
Claudia CANINI
Avocat à la Cour
CNC MJPM
* Certificat National de Compétence de Mandataire Judiciaire à la Protection des Majeurs
Sources : arrêt de la Cour d'appel de Douai du 8 février 2013 - N° RG : 12/06650