Vers une réparation « intégrale » en matière d’accident de travail ?

Publié le 24/10/2016 Vu 6 205 fois 0
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Autrefois le plus novateur et protecteur, le régime d'indemnisation des AT est aujourd'hui le système le moins favorable aux victimes. En effet, ce régime s'appuie sur une indemnisation forfaitaire caractérisée par la détermination d'un taux d'incapacité permanente. Cette réparation forfaitaire s'oppose donc au principe de réparation intégrale largement reconnu en matière d'accident de la route. Ainsi, les victimes d'accident de travail ne peuvent prétendre à la réparation de l'ensemble des préjudices subis alors même qu'en cas d'accident de la route (loi Badinter), près de 27 postes de préjudices sont réparables (nombre sans cesse en évolution).

Autrefois le plus novateur et protecteur, le régime d'indemnisation des AT est aujourd'hui le système le moi

Vers une réparation « intégrale » en matière d’accident de travail ?

Autrefois le plus novateur et protecteur, le régime d'indemnisation des AT est aujourd'hui le système le moins favorable aux victimes. En effet, ce régime s'appuie sur une indemnisation forfaitaire caractérisée par la détermination d'un taux d'incapacité permanente. Cette réparation forfaitaire s'oppose donc au principe de réparation intégrale largement reconnu en matière d'accident de la route. Ainsi, les victimes d'accident de travail ne peuvent prétendre à la réparation de l'ensemble des préjudices subis alors même qu'en cas d'accident de la route (loi Badinter), près de 27 postes de préjudices sont réparables (nombre sans cesse en évolution).

Cette réparation forfaitaire repose sur les dispositions de l'article L.434-1 du code de la sécurité sociale qui dispose : « Une indemnité en capital est attribuée à la victime d'un accident du travail atteinte d'une incapacité permanente inférieure à un pourcentage déterminé.

Son montant est fonction du taux d'incapacité de la victime et déterminé par un barème forfaitaire fixé par décret dont les montants sont revalorisés dans les conditions fixées à l'article L. 351-11. Il est révisé lorsque le taux d'incapacité de la victime augmente tout en restant inférieur à un pourcentage déterminé ».

En d'autres termes, seul le taux d'IP est pris en compte pour le calcul de l'indemnisation.

            Se pose alors la question du mode de calcul de ce taux d'IP. Il apparaît que les médecins-conseils de la sécurité sociale appliquent la méthode du « taux utile ». Ainsi, pour un taux d'IP inférieur à 50%, il sera appliqué une réduction de 50% tandis qu'un taux supérieur à 50% se verra majoré de 1,5 pour la portion excédant 50%.

Pour exemple :

  • taux d'IP de 30% évalué par le médecin conseil, le taux utile sera de 15%
  • pour un taux d'IP de 60%, le taux utile sera de (50 : 2) + (10 x 1,5) = 40%

Cette méthode d’évaluation obscure et difficilement justifiable est favorable pour les victimes atteinte d'un taux d'IP supérieur à 50%, les plus minoritaires mais défavorise totalement les victimes ayant un taux inférieur à 50%, les plus nombreuses.

            Le second problème posé par le régime d'indemnisation des AT est la détermination des préjudices qu'indemnise le capital ou la rente accident de travail. Il résulte des articles L434-1 et L434-2 du CSS que la rente accident de travail indemnise d'une part, la perte de gains professionnels et l'incidence professionnelle de l'incapacité et d'autre part, le déficit fonctionnel permanent.

Il apparaît donc que la victime d'un accident de travail bénéficie d'une indemnisation minime par rapport au régime des accidents de la route qui indemnise plus d'une vingtaine de postes de préjudice.

De plus, la détermination du taux d'incidence professionnelle, qui se rajoute au taux d'IP, prend en compte la qualification professionnelle du salarié. Ainsi, le système est défavorable aux salariés ne présentant qu'une faible qualification et aux chances de reclassement quasi nulles lorsque l'accident a conduit à leur licenciement pour inaptitude.

On est alors bien loin du système Badinter qui indemnise la perte de gains professionnels futurs, l'incidence professionnelle (qui représente alors la dévalorisation du salarié sur le marché du travail), préjudice scolaire, universitaire ou de formation...

            Par conséquent, pour qu'une victime d'accident de travail obtienne une indemnisation « intégrale », il conviendra de rechercher la faute « inexcusable » de l'employeur.

            La faute inexcusable est reconnu à l'article L452-1 CSS qui dispose : « Lorsque l'accident est dû à la faute inexcusable de l'employeur ou de ceux qu'il s'est substitués dans la direction, la victime ou ses ayants droit ont droit à une indemnisation complémentaire dans les conditions définies aux articles suivants. »

Néanmoins, le texte n'a pas donné de définition précise de la faute inexcusable, de telle sorte que la jurisprudence est venue pallier cette lacune.

Dans un arrêt du 15 avril 1941, la Cour de cassation définissait la faute inexcusable comme « une faute d'une gravité exceptionnelle, dérivant d'un acte ou d'une omission volontaire, de la conscience du danger que devait en avoir son auteur, de l'absence de toute cause justificative et se distinguant par le défaut d'un élément intentionnel de la faute intentionnelle ».

Les conditions étant cumulatives, il était donc difficile pour la salarié d'en rapporter la preuve devant le TASS.

Les arrêts relatifs à l'amiante rendus en 2002 vont inverser cette tendance et faciliter la reconnaissance de la faute inexcusable. En effet, dans une série d'arrêts du 28 février 2002, la Cour de cassation donne une nouvelle définition de la faute inexcusable de l'employeur. Elle considère qu'« en vertu du contrat de travail le liant à son salarié, l'employeur est tenu envers celui-ci d'une obligation de sécurité de résultat, notamment en ce qui concerne les maladies professionnelles contractées par ce salarié du fait des produits fabriqués ou utilisés par l'entreprise. Le manquement à cette obligation a le caractère d'une faute inexcusable, au sens de l'article L. 452-1 du code de la Sécurité sociale, lorsque l'employeur avait ou aurait dû avoir conscience du danger auquel était exposé le salarié, et qu'il n'a pas pris les mesures nécessaires pour l'en préserver » (Soc., 28 février 2002, RJS 5/02 n° 618). Cette nouvelle définition de la faute inexcusable en matière de maladies professionnelles a été étendue aux accidents du travail par une décision du 11 avril 2002 (Soc., n° 00-16.535).

            Ainsi, en cas de reconnaissance de la faute inexcusable, le salarié victime peut prétendre à une majoration de la rente accident de travail.

            De plus, l'article L. 452-3 CSS dispose qu'indépendamment de la majoration de rente qu'elle reçoit en vertu de l'article précédent, la victime a le droit de demander à l'employeur devant la juridiction de sécurité sociale la réparation du préjudice causé par les souffrances physiques et morales par elle endurées, de ses préjudices esthétiques et d'agrément ainsi que celle du préjudice résultant de la perte ou de la diminution de ses possibilités de promotion professionnelle […].

            La liste des préjudices indemnisables étaient donc limitative jusqu'à l'arrêt du Conseil constitutionnel du 18 juin 2010 (DC 2010-8 QPC) qui pose une réserve d'interprétation en son considérant 18 : « Considérant, en outre, qu'indépendamment de cette majoration, la victime ou, en cas de décès, ses ayants droit peuvent, devant la juridiction de sécurité sociale, demander à l'employeur la réparation de certains chefs de préjudice énumérés par l'article L. 452-3 du code de la sécurité sociale ; qu'en présence d'une faute inexcusable de l'employeur, les dispositions de ce texte ne sauraient toutefois, sans porter une atteinte disproportionnée au droit des victimes d'actes fautifs, faire obstacle à ce que ces mêmes personnes, devant les mêmes juridictions, puissent demander à l'employeur réparation de l'ensemble des dommages non couverts par le livre IV du code de la sécurité sociale ; ».

En d'autres termes, le Conseil constitutionnel a ouvert le droit pour les victimes de faute inexcusable, de demander la réparation de l'ensemble de leurs préjudices.

            Cette avancée ne peut qu'être saluée car dorénavant les victimes d'accident de travail imputable à la faute inexcusable de l'employeur pourront prétendre, outre à la rente accident de travail et à sa majoration, à la réparation de l'ensemble des préjudices non couverts par le livre IV CSS.

            Néanmoins, la Cour de cassation est venue expliciter la réserve d'interprétation du Conseil constitutionnel par 4 arrêts du 4 avril 2012 (Ccass. 2è civ., n° de pourvois 11-14311 11-14594, 11-12299, 11-15393 et 11-18014).

            Dans un premier temps, la haute juridiction est venue apporter une limite quant à la réparation de certains préjudices. Ainsi, elle a indiqué que la victime ne peut pas prétendre « à la réparation des chefs de préjudice dont la réparation est assurée, en tout ou partie, par les prestations servies au titre IV CSS ».

Cette limite pose des difficultés pour l'évaluation de l'incidence professionnelle (voir supra) mais également vis-à-vis de l'assistance par une tierce personne. En effet, cette dernière n'est attribuée par la sécurité sociale que dans les cas où la victime présente un taux d'IP égal ou supérieur à 80%, cas très rares en pratique. Néanmoins, il s'avère que le cout réel de l'assistance d'une tierce personne est largement supérieur à l'indemnisation qui est octroyée, de sorte que la victime ne pourra demander à l'employeur la prise en charge du surplus dans la mesure où ce poste de préjudice est déjà réparé en partie par la Caisse.

            Dans un second temps, les arrêts du 4 avril 2012 permettent d'importantes avancées pour les victimes d'une faute inexcusable.

Ainsi, la Haute juridiction a jugé que la victime peut prétendre à la réparation de certains postes de préjudice, « il en va ainsi du déficit fonctionnel temporaire, qui n'est pas couvert par les indemnités journalières qui se rapportent exclusivement à la perte de salaire » (1er arrêt).

Ce même arrêt distingue pour la première fois le préjudice sexuel du préjudice d'agrément, se calquant ainsi sur le principe de la réparation intégrale et la nomenclature Dinthilac.

Ainsi, la victime pourra prétendre à l'indemnisation de ces préjudices (déficit fonctionnel temporaire, préjudice sexuel), outre l'allocation de la rente accident de travail.

            Mais l'apport le plus important de ces arrêts porte sur l'avance de frais que doit supporter la Caisse.

Au titre de l'article L452-3, alinéa 3, la Sécurité sociale doit verser l'indemnisation à la victime et ensuite procéder au recouvrement des dites sommes auprès de l'employeur responsable de la faute inexcusable.

La question s'est posée vis-à-vis des indemnités non couvert par le livre IV CSS.

La Caisse doit-elle faire l'avance des frais et se retourner auprès de l'employeur ou est-ce à l'employeur de procéder au versement ?

La deuxième chambre civile a tranché en énonçant « qu'il incombait à la Caisse d'assurance maladie de faire l'avance à la victime de l'ensemble des réparations qui lui étaient allouées, sans distinction selon qu'elles correspondent à des chefs de préjudices énumérés à l'article L.452-3 CSS, ou se rapportent à d'autres chefs de préjudice, tel le préjudice sexuel ou le déficit fonctionnel temporaire. »

En d'autres termes, la Caisse doit procéder au versement de la totalité des sommes allouées aux victimes, qu'elles soient couvertes ou non par le code de la sécurité sociale, à charge pour elle d'aller récupérer le montant auprès de l'employeur.

            Pour conclure, les victimes d'accident de travail restent défavorisées au regard d'autres régimes d'indemnisation répondant au principe de la réparation intégrale.

Le fossé tend à se résorber en cas de faute inexcusable par la reconnaissance de nouveaux postes de préjudices indemnisables.

Néanmoins, ces évolutions sont le fait du juge et non du législateur, ce qui montre l'absence de volonté politique d'harmoniser le sort des victimes.

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